Conférence mondiale sur le yidish et la culture yidish

Rapport de mission

Samuel Kerner

Du 22 au 26 août 1976 s'est déroulée à Jérusalem la « Conférence mondiale sur le yidish et la culture yidish » avec la participation de quatre cents délégués représentant seize pays, entre autres, les États-Unis (8), Canada (7), Israël (io), France (9), Angleterre (2), Argentine (3), Mexique (II), Afrique du Sud (I), Australie (4), Roumanie (12), URSS (14 émigrés), Brésil (6), Venezuela (15), Belgique (5), Suède (13).

La disparition en Europe centrale et orientale de six millions de Juifs exterminés par les nazis a porté un coup dur à la langue et la littérature yidish qui depuis souffre d'une crise profonde. La conférence se proposait de chercher des moyens pour porter remède à cette crise, pour soutenir et renforcer la langue et la culture yidish.

Les travaux de la conférence se déroulaient en sessions plénières et en cinq commissions spécialisées.

Voici les thèmes des principaux discours prononcés au cours des sessions plénières :

i ° Le yidish dans la nouvelle situation historique (Pr Dov Sadan) ; 2° la situation de la culture yidish dans la Diaspora (rapports faits par des représentants de différents pays ; pour la France : M. Léon Leneman, président de l'Association d'écrivains et de journalistes juifs en France) ; 3° le yidish dans les universités (Pr Hona Shmeruk); 4° motifs sociaux et humanistes dans la littérature yidish (Mordekhay Striegler).

Les cinq commissions s'occupaient des problèmes suivants : I° l'éducation yidish ; 2° la presse yidish ; 3° les traductions en yidish ; 4° le théâtre yidish ; 5° plans et projets pour le renforcement de la culture yidish.

Dans ma communication « le fonds yidish de la Bibliothèque de l'Institut national des langues et civilisations orientales (INLCO), j'ai signalé qu'en m'accordant la mission les autorités françaises avaient manifesté leur estime pour le yidish en tant qu'élément intégral de la culture mondiale. Il faut souligner l'importance du fonds de l'INLCO pour l'enseignement du yidish à l'Institut, ainsi que les efforts constants pour l'enrichir. Une analyse quantitative et qualitative du fonds, portant sur les genres des ouvrages, leurs lieu et année d'édition reflète la situation critique de la littérature yidish. Un indice significatif de la diminution du rôle du yidish dans la communauté juive contemporaine est bien l'absence totale après-guerre des traductions d'ouvrages d'intérêt général des langues étrangères en yidish : c'est la conséquence de manque de lecteurs intéressés à ce genre d'ouvrage, à la différence de la situation d'avant-guerre, alors qu'un nombre important de juifs avait besoin de ces livres.

Notons qu'avant la Première Guerre mondiale, la Bibliothèque de l'INLCO ne manifestait pas de grand intérêt pour les livres yidish. On accordait la préférence, sinon l'exclusivité, aux livres hébreux. En effet, ce n'est qu'après la guerre que fut vraiment constitué le fonds yidish de la bibliothèque, ce qui explique sa relative faible importance. Sur 1 865 volumes, on compte 514 romans et recueils de contes, 83 pièces de théâtre, 318 recueils de poèmes, 115 ouvrages sur les ghettos, ainsi que des monographies sur l'histoire des communautés juives disparues des villes et villages de l'Europe orientale. D'autres ouvrages portent sur l'histoire des Juifs, l'histoire d'Israël, sur la culture, la langue et la littérature yidish.

Les chiffres relevés dans notre fonds amènent à la conclusion que les meilleures années pour le livre yidish d'après-guerre étaient l'année 1967 avec 85, et l'année 1968 avec 76 livres acquis. Pour les années 1945-1966, le fonds donne la moyenne de 42 livres par an. Les années 1972-1975 accusent une nette diminution. Bien sûr, on n'achète pas la totalité de la production imprimée en yidish, mais les critères du choix d'acquisitions dans ce domaine sont restés toujours les mêmes, c'est-à-dire en fonction des besoins de l'enseignement du yidish à l'INLCO et des qualités des ouvrages.

Le fonds paraît confirmer le fait qu'actuellement il n'existe que trois centres importants de publication yidish : New York (31 % du fonds), Tel-Aviv (28 %) et Buenos Aires (15 %); 10 % seulement proviennent de Varsovie.

Autre indice inquiétant de la condition du yidish : même parmi les traductions de l'hébreu en langues étrangères, le yidish se trouve à la queue du peloton. Des ouvrages de 600 auteurs israéliens, 23I ont été traduits en anglais, 64 en allemand, 41 en français, 43 en espagnol, mais 41 seulement en yidish (cf. Bibliography of modern literature in translation, Israël book world, n° 23, mars 1976).

J'ai participé également aux travaux de la commission de plans et projets pour le renforcement de la culture yidish.

En conclusion de la conférence, a été adoptée une déclaration qui, en constatant la condition précaire du yidish, se félicite de l'intérêt manifesté pour la langue yidish et la culture yidish par la jeunesse d'Amérique du Nord, d'Europe occidentale et d'Israël. « La Conférence Mondiale - lit-on dans cette déclaration - fait appel au gouvernement de l'État d'Israël, à l'Agence juive, à l'Organisation sioniste mondiale, au Congrès juif mondial, aux fonds sociaux juifs dans les divers pays et à toutes les institutions juives en général qui ont à coeur la perpétuation d'une vie nationale juive pour qu'ils aident à renforcer le yidish dans son rôle créateur au sein du peuple juif. A cette fin, le yidish doit être inclus dans le programme de l'éducation et de l'enseignement juifs dans la dispersion et en Israël. »

Au cours de rencontres organisées à l'occasion de la conférence par les maisons d'édition yidish Hamenora, Yidish-Buch et J. L. Peretz, les directeurs de ces établissements ont exposé aux délégués leurs plans de publications.

La conférence a marqué une étape importante dans l'effort pour le maintien et le développement d'un héritage culturel riche - la langue et la culture yidish. Le succès de la conférence résidera dans les réalisations pratiques, telles la création d'un théâtre yidish permanent avec siège en Israël, une maison d'édition yidish, ainsi qu'une institution pour la diffusion du livre yidish, la reconstitution, si partielle soit-elle, d'un réseau d'écoles yidish, pour ne citer que quelques exemples de propositions faites au cours de la conférence.