Initiation aux techniques documentaires. Un an d'enseignement au Centre d'Education Permanente de l'Université de Nice (Cepun)

Geneviève Follacci

Michel Meinardi

Annick Le Cann

La formation dans le domaine des sciences de l'information est, en France, assurée à différents niveaux par un certain nombre d'organismes et d'associations. A l'intention des personnes se destinant aux fonctions de bibliothécaires et de documentalistes une session de formation a été organisée pour la première fois en I973-I974. à l'Université de Nice dans le cadre de la formation continue. Scolarité, programme, profil des stagiaires sont successivement examinés.

L'Université et la formation continue

La Loi d'orientation de l'Enseignement supérieur du 7 novembre 1968 confie aux universités une responsabilité nouvelle : la formation continue. Rôle fondamental et qui, face aux actions ponctuelles des organismes privés, allait permettre aux universités d'assumer pleinement leur tâche de service public et de s'ouvrir au monde du travail (1) . Les modalités de fonctionnement de la formation continue dans l'université ont été précisées par de nombreux textes (2) et, en particulier par la circulaire ministérielle du z février 1973 (3) qui définit les objectifs et les moyens à mettre en œuvre.

Le public concerné par la formation continue se répartit en deux catégories :

« I° les salariés des entreprises concernées par les lois du 9 juillet 1970 et du 16 juillet 1971;

2° les demandeurs non solvables : jeunes à la recherche d'un emploi, femmes souhaitant reprendre une activité professionnelle, certains salariés n'ayant pu obtenir une formation de leur entreprise et toutes sortes de collectivités ou associations ne disposant pas nécessairement de crédits destinés à la formation de leurs membres. »

A l'Université de Nice, dès l'année scolaire 1970/197I le Conseil de l'Université de Nice créait une commission de l'éducation permanente. Un certain nombre de cycles fonctionnaient l'année suivante. Le Centre d'Éducation Permanente de l'Université de Nice (CEPUN) était doté d'une instance d'intervention appelée « Mission de formation continue » dans le cadre d'un contrat passé entre le ministre de l'Éducation nationale et le président de l'Université de Nice.

Dirigé par le président de l'Université, le CEPUN est administré par un conseil tripartite de formation continue (administrations intéressées, milieux économiques et salariés).

Les sciences de l'information en formation continue

Parmi les sciences de l'information, la bibliothéconomie et la documentation constituent un domaine riche en public potentiel pour la formation continue. La première catégorie de public est représentée par les salariés c'est-à-dire les documentalistes de laboratoires, instituts, centres de recherche, lycées, entreprises, etc. et les bibliothécaires de comités d'entreprise, d'annexes, de bibliothèques municipales, de collectivités : maisons de jeunes et de la culture, cliniques, hôpitaux, etc. Combien d'entre eux ont-ils reçu une formation professionnelle ? Le rapport du groupe de réflexion n° 5 de la Commission de la recherche sur le VIe Plan et l'information scientifique et technique (7) a souligné que, dans de nombreux cas, ce métier était exercé par des personnes. n'ayant aucune formation professionnelle.

Situation dénoncée également par le rapport sur la documentation et les bibliothèques du groupe d'étude des formations supérieures (4) et par le rapport de l'Association des bibliothécaires français (5). Quant aux documentalistes et bibliothécaires de lycées, ils sont recrutés, le plus souvent, sans qualification professionnelle et aucune formation approfondie n'est actuellement prévue à leur intention. Ceci est d'autant plus regrettable que ces documentalistes et bibliothécaires ont un rôle pédagogique important à jouer auprès des élèves pour les initier à l'appréhension de l'information. Toutes ces personnes exerçant des fonctions sans y avoir été préparées doivent théoriquement être demandeurs de perfectionnement et de recyclage.

La deuxième catégorie de public (les demandeurs d'emplois, de métiers), est également très importante. Les besoins existent et seront de plus en plus nombreux étant donné le développement des secteurs tertiaires, et les filières de formation ne sont pas nombreuses. La « structure documentaire de la France est sous-développée » (4). Il y avait 1 400 documentalistes en France en 107I. Le VIe plan en prévoyait 4 000 de plus d'ici 1975 auxquels s'ajouteraient 5 ooo documentalistes de lycées.

Organismes de formation existants

En se reportant aux documents 4, 5, 6 et 7 cités en bibliographie, on peut résumer la situation actuelle des enseignements de documentation et bibliothéconomie en groupant sous le terme « documentaliste » trois catégories de personnel se différenciant à trois niveaux :
- licence ou équivalent et formation technique supérieure : Documentalistes spécialisés ou ingénieurs documentalistes assumant des responsabilités de conception, d'interprétation et de décision
- baccalauréat et formation technique : Techniciens documentalistes plus particulièrement chargés d'assurer les opérations techniques
- niveau BEPC ou fin d'études secondaires et formation interne ou éventuellement certificat technique : Aides documentalistes qui assurent les travaux d'exécution propres à la chaîne documentaire.

Outre les établissements les plus connus : École nationale supérieure de bibliothécaires (ENSB); Institut national des techniques documentaires (INTD); Institut d'études politiques; École de bibliothécaires documentalistes (Institut catholique); Instituts universitaires de technologie; Union française des organismes de documentation (UFOD), il existe des préparations organisées par diverses associations professionnelles :
- l'Association des bibliothécaires français assure à Lyon, Nancy, Nantes, Paris, une formation en un semestre;
- l'Association Inter-livres assure une préparation par correspondance;
- l'Association Peuple et Culture organise des stages dans les universités d'été;
- l'Association des documentalistes et bibliothécaires spécialisés organise des stages d'approfondissement d'une journée et des sessions de recyclage d'une semaine à Paris;
- l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) organise des séminaires spécialisés de perfectionnement d'une semaine, etc.

Enfin, en formation continue nous ayons recensé les préparations suivantes :
- Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
« Comment utiliser la documentation automatique en sciences humaines. »
« Comment utiliser la documentation automatique en sciences exactes. »
Sessions de deux jours chacune, destinées aux chercheurs.
« Techniques documentaires en sciences exactes. »

Deux sessions de cinq jours chacune, destinées aux documentalistes et bibliothécaires.

- Universités

Besançon : « Aspects et techniques de la documentation »

Dijon : « Cours de techniques documentaires »

Grenoble : en projet « Recyclage des documentalistes en poste dans les établissements publics d'enseignement »

Nancy II : « Cycles de perfectionnement en documentation - Métiers du livre et relations publiques »

Perpignan : « Formation des salariés de bibliothèques »

Toulon : « Formation élémentaire de documentalistes »

Tours

Paris III

Enfin à Nice : « Initiation aux techniques documentaires » et « Initiation à la documentation automatisée ».

Le cycle « initiation aux techniques documentaires »

Voici comment fut créé le cycle « Initiation aux techniques documentaires » : au mois d'octobre 1972, nous déposions auprès du président de l'Université de Nice, une proposition d'enseignement consacré à l'initiation aux techniques documentaires. Le but de ces cours étant la formation de personnes aptes à organiser et gérer une bibliothèque ou un service de documentation de moyenne importance. Il se trouvait que des demandes en faveur d'un tel enseignement avaient été déposées auprès du CEPUN. C'est ce qui contribua à la création de ce cycle. Les cours devant débuter à la mi-novembre, une campagne publicitaire fut entreprise dès la fin septembre avec :
- l'envoi à tous les centres de documentation, bibliothèques, librairies, etc. de la région des affiches et prospectus établis par le CEPUN;
- une réunion d'information avec les documentalistes du Centre régional de documentation pédagogique (CRDP) et des lycées;
- divers contacts.

Après ces premiers contacts il parut souhaitable de toucher un plus vaste public en utilisant :
- la presse, avec un article dans le quotidien régional;
- la radio, avec une interview;
- la télévision régionale, avec une interview et un documentaire sur une bibliothèque et un centre de documentation.

Le succès de cette campagne fut tel, que le nombre de candidats, primitivement limité à 40 dut être porté à 49, et malgré cela, nous fûmes obligés d'ouvrir une liste d'attente.

Les stagiaires se répartissaient comme suit :
Hommes 5
Femmes 44

Ages : moins de 20 ans 2 Niveau : n'ont pas le bac II
20 à 30 ans 23 Bac 9
30 à 40 ans 15 Ier cycle 5
40 à 50 ans 3 2e cycle 4
plus de 50 ans 6 licence ou maîtrise 18
3e cycle 2

Emploi :
I° avaient déjà travaillé..... 33
a) - occupaient un emploi au moment de l'inscription..... 25
- travaillaient dans une bibliothèque ou un centre de documentation 12
- enseignants ............................................. 3
- employés (bureau)..... 8
- autres emplois........................................... 2
b) - n'occupaient pas un emploi au moment de l'inscription........ 8
2° n'avaient jamais travaillé........................................ 16
- étudiants ............................................... 9
- non étudiants............................................ 7

Ces statistiques montrent que cette profession intéresse surtout les femmes. L'enquête réalisée en 1970 par l'Association des documentalistes et bibliothécaires spécialisés donne 85 % de réponses féminines (8). Nous constatons, par ailleurs, une égale répartition entre les salariés (25 personnes) et les demandeurs d'emploi (24 personnes). Parallèlement existe une répartition à peu près égale entre stagiaires de 20 à 30 ans et de 30 à 40 ans. Enfin, sur 49 stagiaires, 30 possédaient un diplôme universitaire (licence ou maîtrise).

Les enseignements furent donnés sous forme de cours, visites et conférences, mais surtout sous forme de travaux dirigés et travaux pratiques.

Le programme est le suivant :

Méthodes de travail. Lecture. Lisibilité.

Bibliothèques et centres de documentation :

Bibliothèques d'étude et de recherche, bibliothèques publiques, différents types de bibliothèques. Les organismes de documentation. Différences entre bibliothèques et organismes de documentation.

Collecte des informations :

Le support de l'information : le document. Différentes sortes de documents.

Sources documentaires. Achat des documents, financement, politiques d'achat, les commandes, les fournisseurs, la coordination des acquisitions.

Dons, dépôt légal, legs. Échanges internationaux, universitaires, privés.

Sources documentaires. Les bibliographies :

Bibliographies générales, bibliographies universelles, bibliographies nationales françaises rétrospectives et courantes, sélectives et critiques, bibliographies nationales étrangères courantes, sélectives et critiques, catalogues imprimés des bibliothèques nationales, dictionnaires, encyclopédies, biographies, catalogues de thèses, catalogues collectifs, répertoires de périodiques, bibliographies de bibliographies.

Bibliographies spécialisées : droit-sciences économiques, lettres-sciences humaines, médecine-pharmacie, sciences.

Traitement de l'information :

Catalogage, International Standard Bibliographic Description (ISBD). -Classifications : Dewey, décimale universelle, de la Bibliothèque du Congrès.

Communication de l'information :

Diffusion de l'information, diffusion générale, diffusion sélective (profil d'intérêt).

Communication du document, consultation sur place, libre-accès, prêt à domicile, systèmes manuels, mécanisés, automatisés, prêt inter-bibliothèques.

Reproduction des documents, duplication, hectographie, stencil, offset, machines à écrire automatiques, machines à adresser, photographie, micro-formes, diazocopie, thermocopie, procédés électrostatiques.

Conservation des documents :

Local et mobilier.

Coopération :

Plans d'acquisition de documents. Prêt inter-bibliothèques. Services bibliographiques. Catalogues collectifs.

Documentation :

L'explosion documentaire. Vie du document. Rôle de la documentation.

La chaîne documentaire. Qualités des prestations documentaires. Évolution du traitement de l'information secondaire.

Option documentaliste:

Analyse documentaire : Description bibliographique. Résumé. Indexation.

Langages documentaires.

Sélection documentaire : manuelle, mécanique, automatique.

Les Brevets d'invention.

Bibliographies spécialisées.

Option bibliothécaire :

Histoire du livre. Technique du livre.

L'avenir du livre. Livres pour enfants. Édition.

Cours facultatif :

Administration.

Pendant les deux premiers trimestres, un enseignement commun fut dispensé à tous les stagiaires. En mars, cet enseignement fut sanctionné par un examen dans les disciplines suivantes : bibliothéconomie, bibliographie générale, catalogage, classification et classement.

Au troisième trimestre (2e trimestre de l'année civile) les stagiaires furent divisés en deux options : documentalistes et bibliothécaires. Cet enseignement spécialisé a été sanctionné par un examen dans chaque option :
- les documentalistes devaient effectuer un travail personnel de recherche bibliographique sur un sujet spécialisé, soit choisi par le stagiaire, soit donné par le responsable de cours;
- les bibliothécaires devaient faire un exposé sur l'histoire et les techniques du livre.

Les cours ont eu lieu le soir, de 18 h 30 à 20 h 30, 2 à 3 fois par semaine, sur les différents campus et dans les locaux de la bibliothèque de l'université. L'enseignement représentait 118 heures pour les bibliothécaires, 126 heures pour les documentalistes et 150 heures pour les stagiaires ayant suivi les deux options.

En moyenne 35 stagiaires ont suivi les cours. Le diplôme n'a été attribué qu'aux stagiaires ayant obtenu la moyenne générale aux différentes épreuves et ayant fait preuve d'assiduité. 27 stagiaires ont obtenu le diplôme :
- option bibliothécaire : 14 stagiaires (9 mentions assez bien);
- option documentaliste : 21 stagiaires (I mention très bien, 1 mention bien et 18 mentions assez bien);
- 8 stagiaires ont réussi dans les deux options.

Les enseignements ont été assurés par :
- 9 conservateurs de la Bibliothèque de l'Université de Nice;
- 1 conservateur de la Bibliothèque municipale de Nice;
- 1 documentaliste;
- 1 informaticien;
- 1 psychologue;
- 1 rédacteur en chef du « Bulletin signalétique du CNRS ».

Débouchés et prospective

Nous savions qu'un public potentiel existait. Notre première tâche a été de l'atteindre et l'utilisation des mass media a révélé qu'il était encore plus important que prévu. Ce public, assez hétérogène, mais unifié par les mêmes motivations est apparu intéressant, lucide et n'hésitant pas, après une journée de travail, à effectuer un déplacement parfois important et à suivre deux heures de cours. Une sélection s'est faite assez rapidement et, à partir de février, on peut dire que l'effectif s'est stabilisé aux 3/4 des inscriptions, ce qui est élevé par rapport au taux moyen de fréquentation des cycles de formation permanente.

La moitié des stagiaires espéraient trouver un emploi grâce à cette formation, le problème des débouchés s'est donc posé. Pour en trouver, plusieurs contacts ont été pris et quelques emplois et stages obtenus. Certains stagiaires ont trouvé une situation par leurs propres moyens. Il est encore trop tôt pour établir des statistiques, mais une enquête auprès de nos stagiaires diplômés est prévue qui permettra de chiffrer les emplois obtenus et leur nature. Une autre enquête sera faite pour répertorier les bibliothèques et services de documentation de la région, leurs besoins en recyclage et les possibilités d'emplois qu'elles peuvent offrir.

Ce cycle est reconduit en 1974/1975 avec un effectif strictement limité à 40 stagiaires. Un sondage effectué auprès de nos stagiaires de 1973/1974 a révélé qu'ils souhaitaient être davantage confrontés aux réalités du travail en bibliothèque et nous a amenés à modifier nos méthodes pédagogiques en donnant la prépondérance aux travaux dirigés.

Pour ceux de nos stagiaires qui désiraient approfondir cette formation de base, nous avons créé un second cycle intitulé « Initiation à la documentation automatisée ». Ce cycle est directement accessible aux personnes ayant déjà une expérience professionnelle. Le nombre des stagiaires est fonction du nombre de terminaux que le Centre de calcul de l'Université de Nice met à notre disposition : 12 en 1974/1975. L'effectif a donc été limité à ce chiffre.

Nous examinons actuellement la possibilité de mettre en place un troisième cycle préparant au certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaire (CAFB) et au concours de sous-bibliothécaire. Un cycle d'animation culturelle serait également très souhaitable. Nous espérons que cette action de formation et de recyclage contribuera aussi à défendre une profession trop souvent dévalorisée.