(1887-1974)
Étienne Dennery
Julien Cain est mort le 9 octobre dernier. Les bibliothèques françaises sont en deuil : elles viennent de perdre l'un de leurs plus éminents serviteurs.
Il est beau, il est remarquable de poursuivre, tout au long de sa vie, un grand et noble but.
L'existence de Julien Cain fournit l'exemple d'une rectitude rare dans le dessein. La Bibliothèque nationale qu'il administra durant trente-quatre ans fut vraiment le centre de son existence. Il y fut le constructeur, celui qui, le premier, la fit sortir de son quadrilatère, l'adapta à certaines nécessités nouvelles, la suréleva, rénova ses combles, creusa son sol, creusa surtout et rénova.
Il contribua aussi à créer la Direction des bibliothèques, sans laquelle il serait plus difficile de concevoir une véritable politique des bibliothèques, et une École nationale supérieure de bibliothécaires où se forment les futurs bibliothécaires. Les constructions de bibliothèques universitaires et de bibliothèques publiques se firent aussi plus nombreuses et plus efficaces.
Les difficultés étaient multiples. Il en surmonta beaucoup grâce à ses qualités, qui étaient celles d'un grand administrateur : une intelligence très vive, une mémoire tout à fait exceptionnelle et, notamment encore, ce mélange d'autorité et de souplesse qui ne trompe pas. Il sut réunir en sa personne deux traits de caractère qui se rencontrent rarement de façon aussi marquée chez un même homme : d'une part l'amour du passé, une érudition étendue et précise; d'autre part une curiosité profonde pour tout ce qui est nouveau.
Ses amis ont pu connaître la richesse de ses qualités humaines, sa sensibilité, qui était profonde, le souci qu'il avait de comprendre les jeunes et de les aider. Mais les épreuves révélèrent aussi son courage et sa force de caractère. Durant la première guerre il fut très grièvement blessé; durant la seconde, il supporta avec beaucoup de force d'âme les souffrances d'une longue déportation.
Sans doute les livres ne constituèrent-ils pas l'unique objet de son activité. L'amour des arts avait fait de lui un membre très actif de l'Académie des Beaux-Arts et du Conseil des Musées. Il fut d'un recours certain à l'O.R.T.F. Sa grande érudition lui permit de jouer un rôle de premier plan dans les conseils de l'École des Chartes, du Comité des travaux historiques et scientifiques et, surtout de présider et d'animer la Commission nationale chargée de préparer l'Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France. Son attachement à la paix fit de lui un des membres les plus écoutés de l'Unesco.
Mais les bibliothèques furent toujours au centre de ses soins. Car la plupart de ses activités, et plus particulièrement encore, la bibliothéconomie, ont répondu à un souci qui fut celui de toute son existence : donner à la pensée, à l'esprit, au génie, les moyens matériels les plus propres à faciliter leur éclosion et leur développement. Il a cherché à faire comprendre à l'État ce que désiraient les chercheurs et aux chercheurs quelles étaient les possibilités de l'État. Il a été un peu çomme le régisseur désintéressé de la pensée et de l'art d'une époque.
Nous lui devons tous une reconnaissance véritable, non seulement parce qu'il a construit ou aménagé des bibliothèques, mais plus encore parce qu'il a élargi leurs horizons.