La science des bibliothèques en U.R.S.S.
O.S. Čubarjan
La science des bibliothèques en U.R.S.S. est née en 1917, la pénétration du livre dans les masses laborieuses est apparue comme une nécessité sociale. Furent alors définis les principes essentiels du développement des bibliothèques : le caractère national des fonctions de la bibliothèque, l'accessibilité à tous et l'organisation rationnelle d'un réseau unique de bibliothèques. La Science des bibliothèques exerça plus particulièrement son influence sur les bibliothèques de lecture publique où les problèmes de la diffusion du livre par une orientation du lecteur, la recherche bibliographique et la constitution de fonds correspondant aux intérêts publics, aux fonctions éducatives et didactiques d'une bibliothèque furent principalement abordés. Parallèlement la notion d'un système unique de bibliothèques au service de la nation impliquait la recherche d'un système de coopération pour toutes les activités des bibliothèques. La psychologie et la sociologie du livre et de la lecture permirent à la science des bibliothèques d'apporter des solutions aux problèmes de l'adaptation des bibliothèques à leur public et de la diffusion du livre. Enfin des recherches actuellement en cours portent sur la place des bibliothèques. dans un réseau d'information scientifique et technique, l'utilisation optimum de l'ensemble du fonds des bibliothèques soviétiques et l'organisation de systèmes de recherche documentaire fondés sur la technologie moderne.
1972 est l'Année internationale du livre. L'attention de l'opinion mondiale est à nouveau centrée sur le livre et sur les problèmes de sa diffusion. C'est la raison pour laquelle les échanges internationaux des connaissances en bibliothéconomie revêtent une importance toute particulière. L'objectif de cet article est de faire connaître aux spécialistes les réalisations soviétiques relatives aux problèmes théoriques et pratiques des bibliothèques.
La science des bibliothèques soviétiques a récemment atteint ses cinquante ans d'histoire. Elle est née et s'est formée au moment où en U.R.S.S., en 1017, après la Révolution d'octobre, les rapports sociaux se sont acheminés vers le socialisme. La puissante croissance de l'économie nationale, le rééquipement technique de toute la production, le développement du niveau culturel et technique des travailleurs, ont rapidement augmenté les besoins du peuple soviétique en connaissances et en livres. Des couches toujours plus nouvelles ont systématiquement été attirées vers la lecture et les bibliothèques, dont le rôle social, économique et culturel grandissait. Dès lors, l'analyse scientifique de la pénétration du livre dans les masses laborieuses prenait de plus en plus d'importance. Ainsi, il a été démontré qu'un développement intensif de la science des bibliothèques devenait une nécessité sociale.
La bibliothéconomie soviétique, par son caractère, ses problèmes, sa méthodologie et ses méthodes de recherche s'organise comme une science sociale. Elle étudie les lois de l'évolution, les propriétés, le caractère et la structure du processus bibliothéconomique en tant que l'une des formes de communication de masse. En même temps, la lecture publique est considérée comme un moyen d'éducation communiste et d'élévation du niveau culturel des travailleurs. Le principal problème scientifique qui se pose alors est d'étudier toutes les formes de rapports qui peuvent exister dans un pays socialiste entre « la bibliothèque et la société » et « l'homme et le livre ». Ce sont les idées et les concepts de Lénine qui ont déterminé les fondements théoriques de la bibliothéconomie soviétique 2.
C'est lui qui a pour la première fois caractérisé de façon logique le travail des bibliothèques en tant que phénomène social et a démontré que le rôle assigné aux bibliothèques se manifeste dans des conditions historiques bien déterminées. De ces conceptions se sont dégagées d'importantes conclusions sur le plan méthodologique qui ont démontré que la science des bibliothèques ne se développe pas en tant que fait isolé, par des voies qui lui sont propres, mais qu'elle est soumise aux lois générales de l'évolution sociale. Ainsi, seule une analyse sociologique approfondie peut permettre d'évaluer le rôle que jouent les bibliothèques dans la société.
Les idées de V. I. Lénine sur la corrélation qui existe entre la culture d'un peuple et la science des bibliothèques ont également eu une grande portée méthodologique. Lénine établissait une relation directe entre les perspectives d'une révolution culturelle, l'organisation des bibliothèques et le caractère de leur travail. N. K. Krupskaja écrivait 3 : « (Vladimir) Il'ic jugeait du niveau de la culture selon la façon dont sont organisées les bibliothèques, l'état dans lequel elles se trouvaient, constituait pour lui un indice de culture générale. Pour Lénine l'une des principales conditions de réussite de la révolution culturelle résidait dans une organisation exemplaire des bibliothèques. Il écrivait dans un article intitulé : O rabote Narkomprosa (Du travail du « Narkompros » 4 : ... « Alors le peuple avancera avec cent fois plus de vigueur, plus de rapidité et de succès vers l'alphabétisation, la lumière et le savoir. Alors l'instruction publique se mettra en marche à grands pas. » V. I. Lénine revenait souvent sur cette pensée, et notamment dans une lettre écrite en 1917, pendant la Révolution d'octobre : 0 zadačah Publičnoj biblioteki v Petrograde (au sujet des problèmes de la Bibliothèque publique de Petrograd). Il estimait qu'en organisant l'utilisation du livre par les masses sur le plan national, les bibliothèques influenceraient la formation de la conscience sociale et assumeraient des fonctions éducatives et didactiques.
V. I. Lénine a principalement formulé de nouveaux critères quant à la valeur du rôle social des bibliothèques. L'idée de la valeur culturelle des bibliothèques caractérisée par l'importance et la composition de leurs fonds a longtemps prévalu. Déjà en 1913, dans un article intitulé :Čto možno sdelat' dlja narodnogo obrazovanija? (Que peut-on faire pour l'instruction publique ?) Lénine émettait une opinion bien différente sur la bibliothèque, affirmant que son rôle dans la société était fonction « ... de l'ampleur de la circulation du livre dans le peuple, du nombre de nouveaux lecteurs recrutés, de la rapidité avec laquelle est satisfaite toute demande d'un livre, de l'importance du prêt à domicile, du nombre d'enfants attirés par la lecture et les bibliothèques... ».
Les thèses avancées pour la première fois par V. I. Lénine sur le caractère politique du processus bibliothéconomique, sur la subordination de toute activité culturelle et éducative, dont celle des bibliothèques, aux objectifs économiques et politiques du pays, ont eu dans l'analyse du rôle social des bibliothèques une importance fondamentale. Ces idées directrices ont déterminé les principales orientations de la théorie bibliothéconomique. Celle-ci a pour but d'étudier la nature et les formes des liens indissolubles qui existent entre les bibliothèques et les exigences de la vie, le travail idéologique, les problèmes d'économie nationale; elle analyse les moyens de transformer le travail du bibliothécaire en facteur social, économique et culturel du développement de la société.
Au nom de Lénine s'attache aussi l'idée de développement et d'avenir du système bibliothéconomique soviétique. Il en a formulé les principes essentiels : le caractère national des fonctions des bibliothèques, leur accessibilité à tous, l'organisation rationnelle d'un réseau unique des bibliothèques. Ce sont ces principes qui ont déterminé la structure du système des bibliothèques de l'U.R.S.S. actuellement en vigueur, système qui assure un large accès du peuple aux sommets de la science et de la culture contemporaines, aux immenses richesses des livres.
Ainsi, la façon dont Lénine a abordé la bibliothéconomie, ses idées et ses conceptions du rôle des bibliothèques dans la vie sociale, économique et culturelle de la nation, ses principes d'organisation de la bibliothéconomie dans un État socialiste, tous ces facteurs ont constitué les fondements méthodologiques de la science des bibliothèques soviétiques et ont tracé ses voies de développement en tant que science sociale. Les idées et les concepts de Lénine ont exercé une influence primordiale sur l'évolution de la pensée bibliothéconomique du xxe siècle. Nous avons toutes les raisons de parler d'une étape léniniste dans l'histoire mondiale des bibliothèques.
Les cinquante dernières années de l'histoire de la bibliothéconomie en U.R.S.S. révèlent la continuité de la lutte pour la mise en application des idées et des concepts de V. I. Lénine sur l'exploitation par le peuple des trésors des bibliothèques. C'est sur ces bases que fut fondée la théorie bibliothéconomique dont le principal objectif scientifique était l'étude et la généralisation des expériences acquises par les bibliothèques soviétiques.
Quelles sont les réalisations essentielles de la bibliothéconomie soviétique en tant que science sociale?
L'expérience du fonctionnement de la bibliothèque soviétique en tant que bibliothèque en pays socialiste a été largement étudiée, sa nature, son caractère et ses objectifs ont fait l'objet de recherches avancées. N. K. Krupskaja a attiré l'attention sur l'importance de ce problème scientifique en disant : « ...Nous devons construire une bibliothèque qui nous est propre, d'un type tout différent par sa nature, adopter un autre système, beaucoup plus actuel et en accord avec notre régime socialiste... 5 ».
En poursuivant les directives de V. I. Lénine relatives aux critères du rôle social des bibliothèques, des spécialistes se sont attachés à élaborer et à faire connaître tous les aspects des fondements théoriques, propres aux particularités des bibliothèques soviétiques. Les principales de ces thèses sont :
I° La bibliothèque-institution idéologique. Elle contribue directement à la formation de la conscience sociale et à une large diffusion des acquisitions scientifiques et techniques aux fins de leur parfaite assimilation par la production nationale.
2° La bibliothèque-point d'appui des organisations du parti et de l'État, dans leur travail politique, culturel et éducatif avec les masses en vue de la mobilisation des forces actives des travailleurs, pour atteindre les objectifs socialistes.
3° La bibliothèque-base principale de promotion de la lecture publique pour autodidactes et d'une assistance réelle dans l'exploitation rationnelle par le peuple des richesses des bibliothèques. Cultiver le goût de la lecture est devenu une tâche primordiale en matière de bibliothéconomie.
Une analyse complexe des aspects sociaux, économiques et culturels de l'administration des bibliothèques en U.R.S.S. a permis de dégager les moyens d'exploitation des ressources des bibliothèques en accord étroit avec les exigences de la vie publique, de la production, de la science, de la culture. Une approche historique concrète de l'étude du processus bibliothéconomique et de ses particularités est apparue comme un principe méthodologique de première importance. C'est dans une optique nouvelle, dans un contexte social et économique particulier, que se sont posés de difficiles problèmes relatifs aux bibliothèques et à l'élévation du niveau culturel et technique des travailleurs, à la bibliothèque et à ses rapports avec la science et la production.
Nous voudrions particulièrement attirer l'attention sur les progrès sensibles réalisés dans la solution des problèmes complexes posés par les bibliothèques de lecture publique (le type le plus répandu en U.R.S.S.), tant sur le plan de leurs objectifs que sur celui de leur spécificité. Dans un pays socialiste, ce type de bibliothèques est le principal facteur aussi bien de formation de la conscience sociale par le livre que du développement culturel du peuple et de l'élévation du niveau professionnel de la grande masse des travailleurs. La connaissance des problèmes théoriques de la lecture publique est devenue l'un des principaux chapitres de la bibliothéconomie soviétique.
La science des bibliothèques soviétiques a toujours attaché aux fonctions des bibliothèques, et surtout à celles de lecture publique, la notion d'agent actif d'éducation. Une telle approche des problèmes bibliothéconomiques s'estavérée tout à fait positive : elle a permis d'apporter sur le plan national une réelle assistance aux lecteurs (dont le nombre a atteint 180 millions) et de mieux organiser une exploitation rationnelle des fonds, dictée par l'intérêt économique, politique et culturel. L'influence des bibliothèques sur la formation du goût du citoyen soviétique pour la lecture est toujours croissante. Les plus récentes recherches sociologiques ont démontré qu'à l'heure actuelle 60 à 65 % des livres sont lus grâce aux sources d'information et aux recommandations des bibliothèques. La fonction culturelle et éducative des bibliothèques apparaît en U.R.S.S. au moment où la lecture, instrument le plus efficace de l'instruction populaire, prend un caractère social et généralisé de phénomène de masse. Une responsabilité particulière incombe alors aux bibliothèques en ce qui concerne la qualité de la lecture et la façon dont elles ouvrent les horizons des lecteurs et leur apportent une bonne connaissance de la science et des techniques modernes.
La pratique bibliothéconomique soviétique contribue à l'éducation par la diffusion du livre et par l'orientation de la lecture. La définition théorique du concept de lecture orientée est à mettre essentiellement à l'actif de la bibliothéconomie soviétique. Ce concept exprime le processus pédagogique par lequel les bibliothèques exercent une influence favorable sur la nature et le caractère de la lecture, sur le choix et l'assimilation du livre par des moyens actifs de propagande et des recommandations, fondés sur l'étude des intérêts et des demandes des lecteurs. N. K. Krupskaja, dont l'apport dans l'élaboration des fondements pédagogiques de la bibliothéconomie fut décisif, a estimé que l'essentiel de la lecture dirigée était davantage un contact adroit avec le lecteur qu'une tutelle et que l'objectif principal de la recommandation était de suggérer les meilleurs livres, propres à déterminer la conception du monde et l'horizon culturel des masses laborieuses.
Le développement des recherches sur les fondements théoriques des fonctions éducatives d'une bibliothèque a non seulement favorisé l'élaboration des méthodes de diffusion du livre et d'orientation de la lecture, mais il a également exercé une influence sur la modification de nombreux problèmes traditionnels de bibliothéconomie. Prenons quelques exemples. Un changement radical est intervenu dans la conception de la valeur des fonds. La science des bibliothèques soviétiques découvre la notion de « fonds d'utilité publique ». Cette notion n'exprime plus une simple accumulation de livres, mais une composition rationnelle des fonds qui correspondent aux intérêts publics, aux fonctions éducatives et didactiques d'une bibliothèque, aux objectifs et caractéristiques particuliers de ses divers types. La conception des catalogues a également évoluée. Les catalogues de bibliothèques ne sont plus considérés comme de simples instruments de recherche, mais comme un moyen d'orientation dans la masse des livres et comme un auxiliaire du choix (dans sa forme la plus élémentaire). Ce sont les catalogues systématiques qui ont pris à cet égard une importance particulière. Afin de leur permettre d'assumer leur rôle de guide du lecteur à travers les fonds, un effort scientifique très important a été nécessaire. Il s'est traduit par l'élaboration de la nouvelle classification bibliothéconomique soviétique 6. Pour aller plus loin dans l'assistance aux lecteurs et dans l'exploitation rationnelle des fonds, il fallait également trouver des solutions aux problèmes théoriques et pratiques du renseignement bibliographique. Cette dernière activité est devenue désormais inséparable des fonctions de toute bibliothèque.
Il convient de souligner également le développement de la recherche dans le domaine de la bibliographie « recommandée ». Ces problèmes sont apparus comme corollaire de la mise en pratique des fonctions éducatives des bibliothèques. Pour les spécialistes soviétiques la bibliographie « recommandée » représente premièrement un ensemble de divers usuels qui orientent les lecteurs sur la nature des fonds et indiquent la meilleure lecture aux autodidactes et, deuxièmement, une méthode essentielle de diffusion du livre et d'organisation de la lecture 7. La pratique bibliothéconomique emprunte largement les méthodes dont se sert la bibliographie « recommandée », tant dans l'analyse et les critères d'évaluation de la production typographique, que pour caractériser cette même production (annotations, mises au point recommandées, etc...). Elle utilise également ses méthodes de conseils aux lecteurs.
La science des bibliothèques soviétiques a élaboré des directives qui déterminent les fondements théoriques selon lesquels l'organisation des bibliothèques doit évoluer. Si l'on considère les objectifs et l'ampleur des services demandés aux bibliothèques, ainsi que les conditions particulières dans lesquelles s'est développé le système bibliothéconomique soviétique (population multinationale, immense territoire, différentes formes d'implantation, etc...), il est évident que les problèmes d'administration des bibliothèques doivent être traités à un niveau élevé et revêtir un caractère scientifique. En évoquant ce nouvel aspect des problèmes d'organisation, N. K. Krupskaja disait : « Lorsqu'il y avait quelques dizaines de milliers de lecteurs, il était extrêmement facile de les satisfaire. Il en est tout autrement lorsqu'il s'agit de dizaines de millions, une organisation rationnelle de la diffusion du livre prend alors une toute autre importance 8 ».
La mise en application de l'idée de V. I. Lénine sur la nécessité d'établir un réseau unique des bibliothèques pour tout le pays a été soigneusement étudiée par les spécialistes soviétiques. L'expérience a démontré que la conception du système national unique a permis de vaincre l'isolement des bibliothèques et de faire en sorte que l'ensemble des fonds d'utilité sociale devienne le bien de toute la nation.
L'élaboration du système bibliothéconomique soviétique a présenté des aspects très complexes. Au fur et à mesure que les bibliothèques prenaient del'importance, que leur influence grandissait, leur travail devenait de plus en plus diversifié. De nouveaux réseaux des bibliothèques furent créés, qui eurent pour objectif de servir l'industrie, l'agriculture, la médecine et la santé, la science. Dans ce contexte, le principe du réseau unique n'eut plus le même contenu et les conditions de son application étaient bien plus complexes que celles des années 20. La science des bibliothèques soviétiques acquit la notion de « Système unique des bibliothèques au service de la nation. » Cette notion impliquait non seulement une structure rationnelle du réseau des bibliothèques, mais aussi un système de coopération pour toutes leurs activités et les moyens d'exploitation coopérative de leurs fonds. On a élaboré et appliqué des principes et des critères d'implantation des bibliothèques, en conciliant les aspects territoriaux et économiques de leur organisation.
L'ensemble des dispositions relatives à l'évolution et aux principes d'organisation du système des bibliothèques en U.R.S.S. a été réuni dans une série de publications officielles, décisions, règlements, instructions, normes, etc... 9. Elles reflètent l'expérience de l'U.R.S.S. en matière d'organisation des bibliothèques.
Notre tour d'horizon des problèmes théoriques ne serait pas complet si nous passions sous silence les travaux de systématisation de la bibliothéconomie soviétique, riche de cinquante ans d'expérience. Ces recherches se sont traduites par la publication de manuels de différentes disciplines à l'usage des écoles supérieures de bibliothécaires 10.
Un important travail a été également accompli dans l'analyse des lois qui régissent le développement de la bibliothéconomie dans les divers milieux sociaux et économiques. Ce travail a donné lieu à la publication de manuels d'histoire de bibliothèques 11, à des études sur la bibliothéconomie dans diverses républiques fédérées 12, à des monographies sur les grandes bibliothèques ayant contribué à l'avancement de la science des bibliothèques 13.
Les théories énoncées par V. I. Lénine sur le développement des bibliothèques s'appliquent maintenant dans un nouveau contexte social, économique et culturel. L'U.R.S.S. vient d'amorcer un nouveau plan quinquennal de développement de l'économie nationale (197I-1975). Il prévoit une élévation considérable du niveau de vie matérielle et culturelle de la nation, un rythme plus élevé d'accroissement de la production et de son efficience, d'accélération du rendement du travail. L'enseignement secondaire tend vers sa généralisation dans un avenir très proche, de nouvelles couches intellectuelles surgissent continuellement, un vaste programme de promotion sociale des ouvriers et des kolkhoziens est en voie de réalisation. Le XXIVe Congrès du Parti communiste de l'U.R.S.S. a spécialement souligné la nécessité d'améliorer l'information scientifique et technique et de perfectionner le fonctionnement des bibliothèques. Ainsi de nouvelles recherches sont rendues indispensables pour approfondir encore davantage la science des bibliothèques. La bibliothéconomie soviétique traverse une nouvelle ère d'expansion.
L'actuelle étape de la bibliothéconomie soviétique se caractérise, en premier lieu, par le développement de la recherche fondamentale en bibliothéconomie, en vue de l'organisation future des bibliothèques ainsi que pour favoriser leur rôle croissant dans la nouvelle société et, en second lieu, par le souci de consolider les liens entre la science des bibliothèques et les sciences voisines. Cette intégration apportera à la science des bibliothèques de nouvelles perspectives scientifiques et de nouvelles méthodes de recherche.
Quelles sont, par conséquent, dans les conditions actuelles, les orientations des principes théoriques de la bibliothéconomie ? Nous ne pourrons donner à cette question dans le cadre d'un article de périodique, qu'une réponse succincte.
Le premier objectif consiste à dégager et à étudier dans le contexte présent, les traits caractéristiques du nouveau rôle social, économique et culturel, assigné aux bibliothèques. Ces caractéristiques sont fonction de la complexité des problèmes que posent la formation de la conscience sociale et l'accélération du progrès scientifique et technique. Il est non moins important de mieux préciser la place des bibliothèques dans le système des circuits actuels de l'information de masse. Ce facteur impose une étude plus approfondie de divers types de bibliothèques, non seulement de bibliothèques d'étude et spécialisées, mais également de lecture publique. Leurs caractères et fonctions changent radicalement avec les besoins intellectuels accrus des travailleurs et avec les mutations dans les structures sociales de la population (par exemple : l'augmentation des cadres et des intellectuels sur les périphéries du pays, où seule existe souvent une bibliothèque de lecture publique).
Parmi les principaux problèmes de bibliothéconomie il en existe un d'une grande actualité : la connaissance des types de lecteurs. Une révision sérieuse de la composition des groupes étudiés jusqu'à présent est devenue nécessaire. Cette révision s'impose à la suite des changements intervenus dans le niveau culturel et technique des travailleurs et dans leurs aspirations intellectuelles. De la solution de ce problème fondamental dépendra en grande partie la recherche scientifique relative à la diffusion du livre, à l'orientation de la lecture et au service d'information. L'étude des types de lecteurs permet également le perfectionnement d'un service différencié des bibliothèques pour divers groupes sociaux 14.
L'intercommunication de la science des bibliothèques et de la sociologie s'est avérée très féconde. Elle est à l'origine d'un important sujet de recherche, tant sur le plan théorique que pratique, la sociologie du livre et de la lecture. La sociolologie a apporté à la bibliothéconomie la solution de divers problèmes, entre autres : la diffusion de la lecture, les besoins intellectuels des lecteurs, les facteurs sociaux et économiques qui déterminent les intérêts des lecteurs, les besoins des savants et spécialistes en information bibliographique, la place de la lecture dans l'organisation des loisirs des travailleurs, les rapports des bibliothèques avec d'autres sources d'information de masse, etc.
Dans le domaine de la sociologie du livre et de la lecture plusieurs programmes de recherche ont déjà été réalisés en U.R.S.S. ces dernières années. Ces recherches ont réellement contribué à l'élévation du niveau théorique de la bibliothéconomie, elles ont permis d'exploiter de façon scientifique l'important matériel pratique relatif à la diffusion du livre et de la lecture dans toutes les sphères sociales, économiques et culturelles du pays. Elles ont montré les moyens d'améliorer l'administration des bibliothèques et de tout le système d'approvisionnement en livres de la nation 15.
Un rapide développement est également constaté dans les travaux de recherche qui ont pour objet d'assurer à la bibliothéconomie le concours de la psychologie et de la pédagogie, et qui permettent de mieux comprendre la nature des fonctions éducatives des bibliothèques. L'intercommunication de la bibliothéconomie, de la pédagogie et de la psychologie 16 a rendu possible l'étude de divers aspects de la lecture : lecture et développement harmonieux de la personnalité, lecture en tant que processus psychologique et problème de la perception du livre, facteurs socio-professionnels qui déterminent les préférences des lecteurs, contenu et ampleur des sphères de lecture de divers groupes sociaux, efficacité des méthodes de la diffusion du livre et de la lecture dirigée. Tous ces problèmes sont d'une importance capitale. Ils aident à formuler les principes du travail personnel du bibliothécaire avec le lecteur, de la composition rationnelle des fonds des bibliothèques de divers types, de la structure des catalogues, des voies du développement de la bibliographie recommandée, etc.
La recherche bibliothéconomique cherche actuellement à déterminer aussi la place qu'occupe la bibliothèque parmi les très nombreux moyens de communication de masse. Un grand nombre de spécialistes occidentaux estiment, en s'appuyant sur diverses données statistiques, que la concurrence de la radio, de la télévision, du cinéma fait baisser l'intérêt pour la lecture. En U.R.S.S., on observe un rapport inverse : un développement rationnel de tous les moyens de communication de masse augmente l'intérêt pour le livre et la lecture, accroît le nombre des lecteurs, confère un plus grand rôle au travail culturel et éducatif de la bibliothèque.
Les besoins de plus en plus élevés de la science et de l'industrie en services d'information bien organisés impliquent une intensification des recherches sur le thème « La Bibliothèque et l'information. » Ces orientations de la recherche bibliothéconomique, devenues problèmes d'actualité, sont complexes et multidimensionnelles. Elles comprennent toute une série d'objectifs théoriques et pratiques qui tendent à mettre la bibliothèque et la bibliographie au service de la science et de la production.
Les recherches actuellement en cours portent sur les problèmes suivants : I° La place de la bibliothèque dans le système d'information scientifique et technique. Ces recherches doivent aboutir à bref délai à l'élaboration de principes théoriques et à leur mise en application. Elles concernent la nature, le caractère et le sujet de la fonction d'information de divers types de bibliothèques, la structure et les méthodes du processus d'information bibliothéconomique, les divergences et les similitudes de l'information bibliographique et de l'information « factographique 17 », les critères et les principes d'implantation des bibliothèques d'étude et spécialisées.
2° Les moyens les plus rationnels et les plus efficaces pour l'exploitation des fonds de l'ensemble des bibliothèques du pays comme principales sources d'information scientifique et technique. Par ailleurs, les chercheurs ont eu à résoudre d'autres problèmes d'une acuité particulière : l'organisation des bibliothèques de conservation, la rationalisation des acquisitions des bibliothèques d'étude et spécialisées 18, l'amélioration du système des catalogues collectifs pour faciliter le prêt inter-bibliothèques 19, la normalisation du système des relations entre bibliothèques, la création des centres d'information et de coordination, le développement des méthodes de répartition sélective de l'information bibliographique, etc.
3° La théorie et la pratique d'organisation des systèmes de recherche documentaire à caractère national, fondés sur la technologie moderne. On constate avec plaisir que ces travaux ne sont plus du domaine du rêve, mais une perspective proche et réelle de transformation fondamentale du fonctionnement des bibliothèques au service de la science et de la production. Les deux plus importantes bibliothèques d'U.R.S.S. possèdent déjà leurs propres ordinateurs. La Bibliothèque Lénine a achevé les travaux préparatoires et commence en 1972 l'automatisation de son catalogue de nouvelles acquisitions. La Bibliothèque publique scientifique et technique d'U.R.S.S., en collaboration avec la Bibliothèque fédérale des littératures étrangères, publie un catalogue collectif des ouvrages étrangers, entrés dans les bibliothèques soviétiques. Un important travail d'élaboration des normes de catalogage et de références bibliographiques a été réalisé en vue de l'automatisation.
Enfin nous allons évoquer l'ensemble des problèmes de structure du système des bibliothèques soviétiques.
Les travaux de bibliothéconomie soviétique ont accordé une large place à la création d'un système unique des bibliothèques. Si nous revenons à nos recherches sur ce sujet, ce n'est point pour remettre en question ses principes fondamentaux, mais pour maintenir le perfectionnement d'un système déjà satisfaisant et pour favoriser sa constante adaptation aux conditions nouvelles.
Il nous est apparu comme une nécessité évidente de développer les méthodes d'analyse systématique du rôle présent et futur que doivent jouer les bibliothèques à l'égard de divers groupes sociaux. A la suite de la diversification du réseau des bibliothèques, les demandes d'un même groupe de lecteurs se trouvent satisfaites par plusieurs types de bibliothèques qui dépendent souvent de diverses administrations (par exemple des ouvriers desservis par les bibliothèques publiques, syndicales, techniques). Il est indispensable, en mettant à profit l'expérience des bibliothèques et les données concrètes des recherches sociologiques, d'élaborer de manière scientifique des systèmes de fonctionnement des bibliothèques au service de divers groupes sociaux - enfants, adolescents, ouvriers, spécialistes agricoles, médecins, enseignants, travailleurs du secteur tertiaire. C'est là une nouvèlle orientation de la recherche bibliothéconomique.
Afin d'adapter l'organisation des bibliothèques aux besoins de notre temps, des travaux sont en cours sur les principes d'implantation du réseau des bibliothèques et du perfectionnement de leurs services. Ces travaux sont fondés sur l'analyse de l'influence des facteurs socio-économiques (structure sociale de la population soviétique, sa composition démographique, répartition des forces productives, formes d'établissement, etc...). Ces investigations permettent de dégager des moyens concrets d'aménagement du réseau des bibliothèques et de leur meilleure adaptation aux demandes de la population.
Aux problèmes de premier plan il convient d'ajouter également l'étude des fondements théoriques de l'aspect régional du système unique des bibliothèques. Les républiques fédérées et autonomes, les territoires et les régions, se sont immensément développés du point de vue social, économique et culturel, et représentent de grandes unités administratives et territoriales, dépassant souvent l'importance d'un État moyen, et même quelquefois d'un grand État. Avec leur développement augmente la complexité du service régional des bibliothèques, apparaissent des besoins et des possibilités de satisfaire sur place la majorité de demandes. Une idée se fait jour actuellement d'organisation de complexes territoriaux uniques de bibliothèques. Ces ensembles représentent une forme plus élaborée de coopération des bibliothèques sur le plan de la région, pour encore mieux desservir les besoins professionnels de toutes les couches de la population. Bien que cette idée demande une étude et une expérimentation sérieuses, elle recèle néanmoins une perspective certaine d'amélioration du fonctionnement des bibliothèques des régions au service des travailleurs.
Les spécialistes soviétiques en bibliothéconomie se préoccupent également du problème de centralisation. Les besoins des travailleurs en livres ont plus vite augmenté que les perfectionnements apportés au système des bibliothèques. De ce fait les bibliothèques considérées comme autonomes et, dans une certaine mesure comme institutions isolées, ne sont plus aptes à satisfaire pleinement les besoins élevés des lecteurs à partir de leurs fonds. Il est devenu nécessaire d'augmenter leur potentiel. Mais un simple accroissement des fonds de toutes les bibliothèques ne peut résoudre ce problème. Seule l'idée de centralisation du réseau des bibliothèques peut apporter la solution, lorsque dans une région développée, à grande densité de demandes, une bibliothèque centrale et ses filiales fonctionnent comme un ensemble. Un travail d'expérimentation dans ce sens a été effectué ces dernières années dans dix villes et quatre régions rurales. Il a été démontré que la centralisation du réseau offre une plus grande possibilité de diffusion du livre et d'amélioration du service des lecteurs.
Nous avons rapidement esquissé les principaux problèmes de la science des bibliothèques. Les premiers résultats des recherches en cours ont déjà mis en lumière l'actualité et les perspectives de ces problèmes. Ils offrent des voies nouvelles d'amélioration de l'organisation des bibliothèques en U.R.S.S. et des moyens d'approfondir ses fondements scientifiques au service d'une incessante croissance des besoins intellectuels des travailleurs.