Discours prononcé par M. Étienne Dennery, Directeur chargé des bibliothèques et de la lecture publique, pour l'inauguration de la Bibliothèque universitaire de Paris X (Paris-Nanterre) et de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, le 28 octobre 1971

C'est un vif plaisir pour moi que de venir inaugurer aujourd'hui la Bibliothèque de l'Université de Nanterre. Un vif plaisir, parce que j'ai été très heureux de répondre à l'invitation du président de l'université M. Rémond, qui est un président particulièrement efficace et tel que, je l'espère, la nouvelle politique universitaire en révélera beaucoup. Un vif plaisir aussi, parce que la Bibliothèque universitaire de Nanterre est une grande et belle bibliothèque et qui mérite d'être visitée.

Sans doute, cette bibliothèque a-t-elle été un peu longue à édifier et les étudiants ont-ils dû trop longtemps chercher leurs livres dans des locaux provisoires. Les terrains ont été libérés par l'administration militaire un peu plus tard qu'il n'avait été prévu; les travaux n'ont donc pas pu commencer quand ils l'auraient dû, et les changements intervenus dans les projets de tracé du R.E.R. ont obligé les architectes à modifier leurs plans.

Mais il s'agit bien maintenant d'une grande bibliothèque. C'est même, avec ses 25 000 m2 de planchers, les 2 400 places assises qu'elle compte et les 1 800 000 volumes qu'elle a la possibilité d'abriter, c'est même et à beaucoup près, la plus grande bibliothèque universitaire qui ait été créée en France depuis la guerre. Après elle, mais assez loin derrière elle, viennent Grenoble-sciences avec 13 500 m2 et Lyon-sciences avec 12 500 m2. Vous voyez que la bibliothèque de Nanterre dépasse de beaucoup ses jeunes sœurs. Elle dépasse même, en taille, toutes les bibliothèques universitaires construites depuis la guerre dans les pays européens dont le développement est comparable au nôtre, exception faite pour celle d'Edimbourg dont la surface en plancher est de 27 000 m2.

Votre bibliothèque, M. le Président, comprend, il est vrai, en fait, trois bibliothèques qui ne sont pas seulement juxtaposées mais qui peuvent se compléter.

La Bibliothèque de droit et la Bibliothèque de lettres d'abord qui forment la bibliothèque universitaire. Comme les enseignants, nous sommes, nous les bibliothécaires, favorables sinon forcément à leur fusion, du moins à leur rapprochement. Il n'est pas de connaissance d'économie ou de droit qui ne puisse s'éclairer à la lumière de l'histoire et réciproquement. Ces bibliothèques sont avant tout des bibliothèques d'étude et de recherche, destinées aux étudiants et aux professeurs; mais elles doivent aussi, comme nous le désirons, participer à l'éducation permanente et, dans la mesure où leur fonds le permettra, être largement ouvertes au public. Les lettres et le droit sont, à Nanterre, matériellement séparés; mais ils sont reliés par une passerelle qui n'est pas seulement symbolique. Et ils ont aussi, outre leur lien administratif, des services communs, notamment pour les catalogues, la bibliographie et les périodiques.

L'implantation, à Nanterre, de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine sera, pour la bibliothèque universitaire, d'un grand apport. Elle vient d'émigrer d'Est en Ouest, de Vincennes à Nanterre, étant en cela fidèle au mouvement des villes européennes d'aujourd'hui. Fondée, comme vous le savez, à partir de collections privées portant sur la période de la guerre de 1914, elle a été rattachée à l'Université de Paris et son cadre chronologique s'est considérablement élargi. Riche de 600 000 volumes (de 900 000 si l'on compte les périodiques), elle dispose, en dehors du fonds français, de fonds, anglais, américains, italiens, slaves surtout russe et d'un fonds allemand très importants, notamment en ce qui concerne les minorités et les oppositions. En plus des catalogues habituels, elle possède des catalogues méthodiques d'articles de périodiques spécialement dépouillés à cet effet. Paris, qui est une ville de rencontres et de conférences internationales, se doit d'avoir une grande bibliothèque spécialisée dans les problèmes internationaux. Aujourd'hui, grâce au R.E.R., la B.D.I.C. reste pratiquement à Paris. Mais le contact direct qu'elle a désormais, à Nanterre, avec une université très dynamique, leur assure à toutes deux des perspectives de développement très favorables.

Mesdames et Messieurs, l'ensemble des bibliothèques que nous inaugurons aujourd'hui ne se signale pas seulement par son amplitude, mais encore par son caractère très moderne.

Comme le préconise la Direction des bibliothèques depuis près de 10 ans, la bibliothèque est séparée des bâtiments d'enseignement, mais reste non loin d'eux sur le campus. Pour le droit et les lettres, la bibliothèque est à deux niveaux, celui de l'étude et celui de la recherche. Mais presque tous les livres, ou plutôt les 4/5 d'entre eux (et c'est en France chose nouvelle) sont en accès direct. Un problème s'est d'ailleurs posé très vite aux architectes : faire cohabiter une très jeune bibliothèque universitaire avec presque tous ses fonds en libre accès, et une bibliothèque de conservation et de recherche comme la B.D.I.C., avec plus de 600 ooo volumes, la plupart appartenant à des collections relativement anciennes et qu'il est nécessaire d'emmagasiner. La réponse à ce problème a été trouvée : I. a) d'abord dans la création d'une tour-magasin centrale à 18 étages, b) et ensuite dans le développement d'un système de liaison mécanique ingénieux et original qui fait communiquer tous les étages de la tour entre eux et avec les salles publiques du rez-de-chaussée des autres bâtiments, en même temps que communiquent entre eux également chaque niveau de bibliothèque. Le système est automatique, par palpeur électro-magnétique; et l'expéditeur d'un livre fixe lui-même sur la caissette qui contient le volume la destination d'un volume demandé. 2. J'ajoute que les demandes des lecteurs, contenues dans des cartouches, peuvent être envoyées dans 17 niveaux de la tour centrale et que 8 principaux postes de distribution sont prévus. 3. Enfin, les salles de lecture sont équipées de voyants lumineux à trois chiffres, qui s'allument dès que le livre demandé par un lecteur est arrivé, et celui-ci peut ainsi venir le chercher, sans perdre de temps.

La technique a ainsi permis de résoudre le problème des communications : elle règle aussi, à Nanterre, celui de la sécurité. Un lecteur, disons étourdi, qui voudra emmener au-dehors avec lui un volume qui n'était pas destiné au prêt extérieur, se verra fermer automatiquement le tourniquet de sortie. C'est la première fois qu'un tel dipositif est utilisé en France.

Ce ne sont-là qu'exemples de l'ingéniosité déployée par les constructeurs. Mais celle-ci apparaît à tous moments. Les architectes ont notamment réussi à construire de larges salles de lecture de plus de 20 m de large, sans poteau intermédiaire de soutènement, ce qui a facilité l'installation des rayonnages et des tables de lecture.

Les experts ont fait, je pense, du début à la fin de leur entreprise, un choix très judicieux des matériaux et des couleurs, assuré au mieux l'insonorisation et l'éclairage artificiel. Et je voudrais profiter de l'occasion qui nous est offerte aujourd'hui pour dire combien j'apprécie les travaux d'architectes de talent, tels que M. Albert (dont je salue la mémoire), et de M. Maroti et aussi ceux du service constructeur de l'Académie de Paris, que préside M. Bouzoud. Je voudrais étendre mes félicitations aux conservateurs en chef, à M. Raux pour la B.D.I.C. (aux destinées de laquelle présida jadis M. Renouvin) et à M. Hue, pour la bibliothèque universitaire. Ils ont, depuis l'origine, veillé sur les chantiers et fait profiter les architectes de leur expérience. Et je me garderai d'oublier mon collaborateur direct, M. Bleton, chef du service technique de la Direction des bibliothèques, dont la compétence est reconnue sur le plan international, puisqu'il a présidé durant de longues années, à la Fédération internationale des associations de bibliothécaires, le groupe de la construction.

En fait, la Bibliothèque de Nanterre se présente aujourd'hui sous un jour si satisfaisant que le Président de l'Association des bibliothécaires suisses, M. Jean-Pierre Clavel, a déclaré à un journaliste, en juin dernier : « j'ai eu l'occasion de visiter la Bibliothèque de Nanterre, qui est un modèle; si nous avions une bibliothèque comme celle de Nanterre, je ne souhaiterais plus rien ».

Mesdames et Messieurs, la Bibliothèque de Nanterre que nous inaugurons aujourd'hui est la plus grande et l'une des plus modernes de celles qui ont été construites en France. Mais, je voudrais marquer, en terminant, qu'elle n'est pas la seule et que toute une politique de construction de bibliothèques universitaires, dont on ignore trop souvent la portée, a été menée depuis quelques années par le gouvernement français.

Ces bibliothèques couvrent la France. De 1967 à 197I, près de 45 000 m2 de planchers de bibliothèques universitaires ont été mis en service en moyenne chaque année, soit 2 fois ½ plus que cinq ans plus tôt, et près de 7 fois plus que 10 ans auparavant. Il s'agit, la plupart du temps, de bibliothèques dont les bâtiments sont autonomes mais bien entendu situées dans le campus, avec une forte proportion (plus d'un tiers) de bibliothèques scientifiques ou (plus d'un quart) médicales.

L'effort ainsi accompli pour la construction de bibliothèques depuis quelques années est sans précédent en France et fait de notre pays l'un des plus grands constructeurs européens de bibliothèques universitaires, avec la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Le rythme d'accroissement du nombre de m2 construits dépasse même et largement celui du nombre des étudiants inscrits. Nous rattrapons donc assez rapidement notre retard. Cette politique est importante et mérite d'être très largement connue.

Naturellement, il est nécessaire que le chiffre des effectifs de personnel et celui des crédits d'achat de livres suivent, à quelques années de distance au moins, ces importants accroissements. Cela n'a pas toujours pu être le cas. Mais soyez sûr que nous ferons toujours notre possible pour que cela le devienne.

Une université vaut ce que valent ses enseignants et ses étudiants. Mais elle vaut aussi ce que vaut sa bibliothèque. La Bibliothèque de Nanterre ne décevra pas ses utilisateurs.

Je souhaite que les étudiants aient plaisir à y venir. L'an dernier, me promenant dans un parc, à l'étranger, avec un ami qui connaissait la langue du pays, je lui demandais ce qui se trouvait écrit sur un poteau indicateur, à côté d'une flèche qui montrait une direction. Il me traduisit « Cette direction mène à un lieu où l'on est heureux ». Nous la prîmes et nous arrivâmes à une bibliothèque.

Eh bien ! Je voudrais que les étudiants de Nanterre aillent à leur bibliothèque comme à un lieu où l'on est heureux.

Mesdames, Messieurs, je fais mes vœux les plus chaleureux pour l'Université de Nanterre et pour sa nouvelle bibliothèque.