Les besoins et comportements documentaires des usagers d'un service de documentation de recherche spécialisé en psychologie sociale

Marie-Claude Vallet-Gardelle

L'enquête menée auprès des chercheurs du laboratoire de psychologie sociale de la Faculté des lettres et sciences humaines de Paris permet d'étudier l'attitude et les exigences de spécialistes dans la recherche et l'exploitation de la documentation nécessaire à leurs travaux : constitution de la bibliothèque personnelle fréquentation et utilisation des services de documentation collectifs, mode de repérage de l'information écrite, rôle comparé de l'information orale et de l'information écrite, échange de pré-publications et de tirés à part, importance des besoins documentaires selon le stade de la recherche, emploi des bibliographies et des revues de question.

Nous travaillons dans un service de documentation 1 rattaché à un laboratoire universitaire de recherche fondamentale en psychologie sociale 2 depuis de nombreuses années et nous avons constaté qu'il existait peu de données empiriques sur les besoins documentaires des chercheurs scientifiques français en sciences humaines. C'est cette lacune que tend à combler, au moins partiellement, l'étude présentée ici. Celle-ci a la portée restreinte des monographies. Nous avons en effet procédé à des entretiens approfondis auprès des chercheurs du laboratoire auquel nous appartenons : le milieu étudié est donc limité et spécialisé; mais nous avons aussi validé, quand nous le pouvions, les informations recueillies en les confrontant aux données que nous fournit notre expérience quotidienne. C'est peut-être par ce biais que cette étude prend quelque portée.

Nous allons ici adopter une double perspective psycho-sociologique et documentaire, afin d'alimenter par des faits, des réflexions portant sur la stratégie optimale à choisir pour adapter un service de documentation tel que celui que nous décrivons, à sa clientèle.

Depuis 1960, et surtout 1963, les travaux américains sur les besoins documentaires prolifèrent; aussi le domaine d'étude n'est-il pas vierge; nous nous référons d'ailleurs abondamment aux publications américaines, à titre comparatif. Mais, malgré l'ampleur des enquêtes effectuées aux États-Unis, importantes tant du point de vue de l'extension des populations touchées que du nombre des problèmes abordés, des études identiques, conduites en milieu français, et tenant compte des spécificités nationales, manquent, comme l'ont souligné en 1968, des organismes centraux de documentation (Comité national de documentation et Centre de documentation sciences humaines du Centre national de la recherche scientifique).

1. - La méthode utilisée

Les thèmes d'exploration de la grille d'entretien utilisée pour interviewer les chercheurs, sont les suivants :

1.1. La constitution de la bibliothèque personnelle des chercheurs (les modes de repérage et d'acquisition des documents; les types de documents acquis; le volume du fonds constitué). Nous avons tenté de faire préciser quels types de besoins documentaires satisfait la bibliothèque personnelle, par comparaison aux bibliothèques collectives.

1.2. Les systèmes documentaires élaborés personnellement par les chercheurs pour leurs besoins propres (classement de documents, classement-matières, constitution de fiches, etc...). Nous avons tenu compte, bien sûr, de tous les systèmes utilisés, même des plus rudimentaires, afin de comparer la nature de ces systèmes spontanés aux systèmes offerts dans les services de documentation collectifs.

1.3. La fréquentation et l'utilisation effectives des bibliothèques et services de documentation (nature; renseignements recherchés; opinions sur les apprentissages à mettre en jeu, sur l'adaptation des services collectifs aux besoins individuels).

1.4. Les modes de repérage de l'information écrite (pour tenter une évaluation de l'importance relative des différents canaux disponibles).

1.5. Le rôle que jouent, respectivement, l'information écrite et l'information orale, au niveau de la vie scientifique des chercheurs. (En particulier, définition du réseau des « informateurs privilégiés », assistance aux congrès et séminaires, etc.).

1.6. Les échanges de pré-publications et de tirés à part (envoi et réception).

1.7. Les rythmes dans la recherche de l'information orale et de l'information écrite en fonction des phases de développement des recherches; les différenciations, en fonction de ces phases, des degrés de spécificité et de centration des lectures.

1.8. La pratique de deux instruments documentaires privilégiés : les bibliographies et les revues de question.

2. - Les personnes soumises à l'enquête

Nous nous sommes entretenus avec tous les chercheurs de notre laboratoire d'appartenance (dont certains sont aussi enseignants), à l'exception de trois maîtres de recherche au C.N.R.S. La population interviewée, à cause même de la faible importance de l'organisme étudié, est réduite à 13 personnes qui se répartissent en :

Sexe: 10 hommes; 3 femmes.

Grade : 7 attachés de recherche au C.N.R.S.; 4 chargés de recherche au C.N.R.S.;

1 maître-assistant de l'enseignement supérieur; 1 sous-directeur à l'École pratique des hautes études.

Ancienneté dans la recherche : si on compte l'ancienneté depuis l'accession au grade on peut dire que :
8 chercheurs ont une ancienneté variant entre 1 et 4 ans;
4 chercheurs ont une ancienneté variant entre 8 et 9 ans;
1 chercheur a une ancienneté de 14 ans.

Si on ajoute à cette ancienneté, les années que certains chercheurs ont passé au sein du même laboratoire comme collaborateurs techniques, on peut dire que :
5 chercheurs ont une ancienneté variant entre 1 et 3 ans;
2 chercheurs ont une ancienneté variant entre 6 et 8 ans;
4 chercheurs ont une ancienneté variant entre 13 et 14 ans.

Orientation scientifique : bien que la psychologie sociale soit pour tous la discipline de recherche, on peut décomposer ainsi les différentes orientations : 4 des sujets sont chercheurs et enseignants;

8 sont des expérimentalistes dont 6 de laboratoire, 1 de laboratoire et de milieu naturel, 1 de milieu naturel seul.

4 se déclarent techniciens et expérimentalistes (l'expérimentation étant considérée par eux comme secondaire par rapport à leurs visées théoriques).

1 fait de l'observation en milieu naturel sans utiliser le contrôle expérimental.

Mais on ne reçoit pas que des chercheurs dans un service de documentation de recherche, même s'ils constituent une clientèle privilégiée. Aussi étaierons-nous les conclusions de notre exposé par des observations faites sur l'ensemble des demandeurs de documentation que nous recevons y compris les enseignants, les étudiants avancés et les consultants extérieurs à l'organisme considéré, qui travaillent dans des domaines de recherche ou d'application propres à la psychologie.

3. - Les informations recueillies

3.1. La bibliothèque scientifique et les systèmes documentaires personnels des chercheurs.

Nous avons consulté avec intérêt les trois bilans réalisés respectivement par H. Menzel (en 1966), par S. et M. Herner (en 1967) et par W. J. Paisley (en 1968), à partir des études américaines, faites entre 1960 et 1967, sur les besoins documentaires de chercheurs, ingénieurs et techniciens, ainsi que les rapports de l' « American psychological association de 1965, 1966, 1969 et de E. B. Parker, de 1968.

Or il semble que les relations existant, dans les milieux de recherche, entre documentation personnelle et documentation collective, n'aient jamais été abordées comme thème d'étude, ni aux États-Unis, ni en France. Cette étude est néanmoins importante puisque tout inventaire des ressources informatives utilisées par les chercheurs, est incomplet si on ne l'aborde pas; elle sert également de cadre de référence pour comprendre, dans leur intimité, les comportements de recherche et de stockage de l'information.

Que conclure au terme de notre investigation ? Que les ressources consacrées à l'achat de livres et de revues sont variables d'un individu à l'autre et semblent dépendre simultanément de variables de personnalité (besoin plus ou moins intense d'avoir, à portée de la main, ses propres livres annotés, etc...), ainsi que de l'orientation scientifique et de l'ancienneté dans la recherche. La faible étendue de notre population interdit toute donnée quantitative; disons néanmoins, pour fixer les idées, que les chercheurs consultés sont abonnés à un nombre de périodiques variant entre o et 5; une partie de ces abonnements sont reçus gratuitement ; le budget consacré à l'achat de livres n'est pas fixé à l'avance; les chercheurs tendent à le rendre minimal, en achetant des « livres de base » à bon escient.

En ce qui concerne ces livres de base, nous voyons se dessiner deux tendances au sein de notre population. Pour certains chercheurs ce sont les « grands classiques » américains ou français de la psychologie sociale, les meilleurs recueils de morceaux choisis ou les manuels de bon niveau scientifique, restant centrés sur le contenu et/ou la méthodologie de la psychologie sociale, ou sur la méthodologie mathématique et statistique. On entend toujours citer les mêmes titres : « les Berkowitz », « les Lindzey », « le Brown », etc... Pour d'autres, les livres de référence n'entrent pas dans ces spécialités; ce sont alors des réflexions théoriques sur les sciences humaines en général; ces derniers chercheurs déclarent, en effet, qu'ils tentent de réaliser des études critiques de la psychologie sociale telle qu'elle fait autorité actuellement : leurs livres de base ne sont pas alors les ouvrages que visent leurs critiques, mais des auteurs structuralistes, marxistes, des psychanalystes, etc.

Les chercheurs évitent donc l'achat de livres qu'ils appellent « spécialisés » (qu'ils entrent ou non dans la grande spécialité que constitue la psychologie sociale), et font des achats mûris, soit en consultant le livre lui-même avant de le commander, soit en se référant à l'avis d'un collègue de confiance. Ils avouent prendre parfois moins de précautions lorsqu'ils demandent l'achat d'un livre à une bibliothèque collective!

Les ouvrages achetés ou reçus à titre personnel sont lus intégralement ou presque, et peu de temps après leur acquisition; rapidité qui confirme l'urgence et la nécessité du besoin documentaire auquel ils répondent (celui-ci est d'ailleurs vraisemblablement renforcé du seul fait que le livre est acquis); et, remarque plus importante, ils entrent dans la catégorie des ouvrages que les sujets connaissent bien et auxquels ils peuvent se référer presque aveuglément, en se fiant à des repères mnémoniques, à l'occasion de tel ou tel travail.

Il semble bien, en effet, que la bibliothèque personnelle soit constituée de documents qui alimentent la réflexion scientifique spontanée des chercheurs. Plusieurs déclarent, par exemple, se reporter toujours aux mêmes ouvrages, ceux qu'ils ont acquis, quitte à compléter ensuite leur bibliographie (ceci, surtout au moment de la recherche des idées). Il est curieux de penser que certains documents doivent devenir plus décisifs que d'autres, dans la genèse de la pensée scientifique, du seul fait qu'ils sont intégrés à la bibliothèque personnelle du chercheur, car, si la plupart sont judicieusement choisis, il doit bien s'en trouver qui sont là par pur hasard. Il est difficile en tout cas de démêler la cause et l'effet dans le processus décrit : les livres personnels deviennent-ils importants pour le chercheur parce qu'ils sont achetés, ou sont-ils achetés parce qu'ils sont importants ? La causalité est vraisemblablement circulaire.

La bibliothèque collective idéale est celle qui ressemble le plus à la bibliothèque personnelle : libre accès aux rayons, absence d'intermédiaires humains ou mécaniques entre le livre et le lecteur, possibilité de lire ailleurs que dans des salles de lecture où la liberté n'est pas totale (on doit y lire assis, en temps limité, sans parler, sans fumer, sans écrire sur les livres, etc...).

Quant au système documentaire personnel du chercheur, il se constitue en réalisant un compromis entre l'accessibilité des documents et des références et l'économie des moyens mis en oeuvre, ce dernier facteur jouant un rôle prépondérant. Bien qu'ils soient toujours qualifiés d'insuffisants, ces systèmes permettent néanmoins aux chercheurs « de s'y retrouver » et ceux-ci s'en contentent dans les faits. Objectivement, les appareillages techniques utilisés sont bien rudimentaires : classement des livres de la bibliothèque par grands domaines; classement des tirés à part, des multigraphies et des dactylographies en trois ou quatre catégories; celui des fiches d'analyses en dossiers suivant une classification en cinq mots-clés maximum, etc., mais les utilisateurs ne projettent pas, à moins d'avoir plus de moyens (et encore cette affirmation est-elle faite sans conviction), de perfectionner dans l'avenir, leurs procédés de stockage et de repérage des documents.

Ils manifestent également beaucoup de méfiance et de paresse quand il s'agit de participer à des systèmes documentaires collectifs plus élaborés. Qu'en conclure ? Que dans l'état actuel de la question, les chercheurs veulent passer le moins de temps possible à la documentation en général et aux tâches de rangement et de repérage de documents en particulier, mais ne se montrent pas disposés pour autant à s'intégrer à des systèmes collectifs, les pis-aller personnels (ce sont nos interlocuteurs qui parlent), étant toujours, à l'usage, considérés comme suffisants.

Les résistances sous-jacentes à une collectivisation documentaire, sont toujours pudiquement tues. On peut penser que les chercheurs veulent conserver la possession totale de leurs documents et des fruits de leurs lectures en même temps que le secret de certains aspects de leurs travaux. Est-ce là l'héritage d'une conception traditionnellement individualiste de la recherche en sciences humaines où les partages, non pas d'idées, mais de terrains et de moyens, se font encore peu, peut-être en partie parce que les organismes de tutelle méconnaissent le travail d'équipe ?

3.2. La fréquentation et l'utilisation effective des bibliothèques et des services de documentation par les chercheurs.

La fréquentation des bibliothèques est plus entrée dans les moeurs, dans les milieux de recherche français et américains, que ne l'est celle des services de documentation; c'est dire qu'on demande plus facilement un livre, dont on connaît le nom de l'auteur ou le titre, que des références ou tout autre renseignement documentaire, aux préposés à la documentation. Ceci pour deux raisons : soit qu'on ignore les possibilités offertes par les services de documentation, soit qu'on n'en attende pas grand-chose, tout en connaissant, au moins partiellement, la gamme des informations qu'ils peuvent fournir. Nos interlocuteurs n'échappent pas à la règle : ils n'utilisent qu'un nombre restreint de bibliothèques, font appel au service de documentation de leur laboratoire avec parcimonie, et nullement aux services de documentation extérieurs.

Les chercheurs fréquentent une ou deux bibliothèques, en moyenne, en dehors de celle du laboratoire, et retournent toujours aux mêmes. Il est difficile de les inciter à aller consulter un document dans une bibliothèque qui leur est inconnue (à moins qu'ils n'aient un collaborateur technique à y envoyer). Le choix des bibliothèques fréquentées se fait en fonction de l'accessibilité des documents et de la richesse ou spécificité du fonds. Or l'apprentissage de nouveaux fichiers, de nouveaux systèmes de prêt et de nouveaux visages de bibliothécaires, rend les documents subjectivement inaccessibles plus qu'on ne pourrait le penser. Ce qui explique que les chercheurs font spontanément peu d'efforts pour aller consulter un document ailleurs que dans un service qu'ils connaissent déjà. Curieusement, dans un service collectif, ce sont moins les repérages officiels, tels que les fournissent les fichiers, qui les guident, que des repères mnémoniques, comme ceux qu'ils utilisent dans leur propre bibliothèque.

Ils recherchent les contacts les plus « personnalisés » possible avec les objets documentaires et les préposés à la documentation. Aussi la tâche des documentalistes est-elle difficile : ils doivent en effet fabriquer en série de la documentation aussi adaptée que possible aux besoins individuels des usagers.

Cette recherche d'une documentation « personnalisée » (c'est-à-dire triée, évaluée scientifiquement et recueillie par l'intermédiaire d'une personne avec laquelle les contacts sont plus familiers qu'institutionnels), qui est frappante chez nos interlocuteurs, nous fait, au cours de cette approche clinique de la documentation, toucher du doigt le problème de la délégation des travaux documentaires. C'est justement ce problème qui détermine la difficulté que rencontrent une bibliothèque et surtout un service de documentation, à s'implanter de manière effective dans un organisme de recherche.

Il semble bien que les travaux que les chercheurs délèguent le plus facilement aux documentalistes soient les plus routiniers : classement et conservation des documents, consultation des listes bibliographiques. Ils préfèrent en général leurs propres collaborateurs pour les tâches d'analyses documentaires et, si ceux-ci sont rompus aux méthodes de travail de leurs patrons, pour les travaux de synthèses bibliographiques. Pour repérer des documents à consulter, ils s'adressent plus volontiers à leurs collègues qu'aux documentalistes, ou font le travail eux-mêmes.

Nous voyons donc que le partage des tâches documentaires dans un laboratoire tel que le nôtre où fonctionne un service commun de documentation, se fait entre les chercheurs, leurs équipes de collaborateurs personnels, leurs collègues et enfin le service. La nature du travail du documentaliste dépend du fait qu'il est ou non considéré comme un « substitut de collègue » par le chercheur, le collègue étant justement celui auquel le chercheur confierait le plus volontiers la partie la plus qualifiée de son travail documentaire. Même si le documentaliste est jugé comme suffisamment compétent pour obtenir la confiance du chercheur, il jouit d'un halo défavorable : considéré comme un rival au niveau du savoir et comme l'agent d'une certaine mécanisation et d'un certain dirigisme de la recherche, il inspire la crainte. Si les services de documentation se multipliaient et remplissaient pleinement leur office, ne dresseraient-ils pas des barrages à la liberté individuelle des chercheurs en exécutant la partie documentaire de leurs travaux et en signalant inexorablement les thèmes inexploités ou sur-exploités, en traçant donc des voies à la recherche ?

3.3. La recherche de l'information écrite et de l'information orale par les chercheurs.

L « 'American psychological association » publiait en 1966 deux conclusions importantes, au terme de sa deuxième série d'études sur les échanges d'informations scientifiques.

1. Les chercheurs américains, constatait-elle, accordent une grande importance aux contacts interpersonnels comme stimulants de leur vie scientifique.

2. L'information publiée prend de 2 à 4 ans de retard par rapport à l'information non publiée; du fait que l'information orale et écrite (existant sous forme de pré-publication) circule, dans les milieux de recherche, de manière importante avant publication, celle-ci est déjà divulguée à 50 % quand elle arrive en librairie.

E. B. Parker et ses collaborateurs trouvent une corrélation élevée entre la productivité scientifique (mesurée, critère fort discutable, au nombre de publications) et l'accès à l'information (évalué à l'aide d'un indice composite de réception de l'information, élaboré en tenant compte des différents canaux possibles : discussions, téléphone, correspondance, assistance à des réunions scientifiques, lectures). Ces auteurs concluent en particulier que le facteur le plus prédictif de la productivité scientifique ainsi définie, réside dans les contacts interpersonnels que les chercheurs entretiennent entre eux. Sans pouvoir donner d'appréciations différentielles de rendement, nous pouvons dire, pour notre part, que tous nos interlocuteurs ont insisté sur l'importance des discussions entre collègues comme stimulants de la créativité et comme sources d'information sur les tendances de la recherche en particulier.

Ils ne déclarent pas comme les Américains que l'information orale joue un rôle plus important pour eux que l'information écrite, mais un rôle complémentaire. A la différence des usagers américains, ces contacts ne sont pas organisés par les chercheurs mais laissés au demi-hasard des rencontres (dans la rue, « et après on va déjeuner ensemble », dans les séminaires et surtout les journées d'études). Le nombre des « informateurs privilégiés » pour les chercheurs français interrogés est plus proche de vingt que de cent, chiffre proposé par les auteurs américains, au moins pour les chercheurs de grade moyen que nous avons consultés (il est probable comme le dit Merton, qu'en vertu du « star system » qui existe dans la recherche, ce sont les patrons qui reçoivent le plus d'informations de manière à renforcer toujours plus leur position d'étoiles). Ces informateurs sont essentiellement pour nos psycho-sociologues, des collègues de la recherche appartenant à des spécialités diverses (psychologie sociale, autre spécialité de la psychologie, sociologie, ethnologie, linguistique, mathématique) et quelques praticiens. Ils ne font pas toujours partie de l'organisme d'appartenance. Certains chercheurs, tels les « gatekeepers » (concierges) décrits par les Américains, bien situés pour recevoir l'information de l'extérieur, la répercutent ensuite à l'intérieur (en particulier les nouvelles officieuses). La recherche de l'information orale est continue avec des périodes de pointe alors que celle de l'information écrite est tendanciellement cyclique, comme nous le verrons ultérieurement.

Quant à l'information écrite, disons que les moyens de détecter les lectures à faire, se trouvent être pour les chercheurs, essentiellement les « copains », plus quelques patrons et amis faisant partie du réseau précédemment évoqué, et leurs propres lectures antérieures grâce à l'utilisation des bibliographies. Les documentalistes peuvent jouer un rôle à ce niveau, si, n'attendant pas d'être sollicités par les chercheurs, ils préviennent leurs désirs en leur apportant spontanément des informations : on constate toujours en effet, une certaine inertie des usagers vis-à-vis des services de documentation institutionnalisés.

Ce que les chercheurs apprécient particulièrement chez leurs collègues, c'est qu'au cours des discussions informelles où s'échangent des conseils bibliographiques, ceux-ci se montrent capables de trier les informations données et d'évaluer l'importance scientifique des documents recommandés. Ils appréhendent en effet, d'être submergés par la documentation, tout en craignant toujours de « laisser passer des documents importants ». Cette remarque nous amène à évoquer un rôle que doit, ou devrait, assumer le documentaliste de recherche pour satisfaire sa clientèle. Ce rôle est pourtant mal connu, et même décrié, puisque certains documentalistes le considèrent comme anti-déontologique, comme nous avons eu l'occasion de l'entendre soutenir au cours de réunions professionnelles : c'est celui de conseiller scientifique et même, en exagérant un peu, de directeur de recherche. Il s'agit pourtant bien de cela, puisque le chercheur demande aux documentalistes, non seulement de lui signaler «toutes les références importantes dans un domaine », mais encore de lui en faire une évaluation, c'est-à-dire d'introduire une pondération relative à la valeur scientifique des textes 3.

Nous avons, au début de ce paragraphe, signalé l'importance, aux États-Unis, des informations orales précédant et annonçant les publications. Ce problème nous a paru mériter notre attention, ainsi que celui de l'envoi et de la réception des tirés à part.

Faute de moyens techniques, déplorent les psycho-sociologues interrogés, les pré-publications ne circulent pas assez en France, alors qu'il est facile de se faire envoyer un rapport technique ou un manuscrit dactylographié des États-Unis. Remarquons les chiffres donnés par Librey et Zaltman (cités par Paisley) à la suite d'une enquête réalisée dans un laboratoire de recherche physique américain : en deux semaines, les individus ont reçu individuellement, en moyenne, 5 « reprints », 7 manuscrits, 8 rapports techniques externes et ont participé à 9 discussions scientifiques. Nous sommes très loin de ces chiffres en France. Dans le meilleur des cas, dans notre laboratoire, un manuscrit a été envoyé à 4 ou 5 collègues avant publication; on y fait aussi des exposés de recherche préliminaires, mais en comité restreint. L'information scientifique circule difficilement et avec lenteur.

Il est curieux de constater que le chercheur néglige en outre assez la diffusion de ses propres tirés à part, même s'il en a de disponibles. Il les donne aux collègues proches, mais exploite rarement une liste de diffusion; il répond bien sûr quand on lui demande ses textes, mais prospecte mal le champ des collègues qu'ils intéresseraient, car « cela oblige à écrire ».

Un service de documentation peut jouer à coup sûr un rôle efficace dans un laboratoire, sur le plan de la diffusion des textes, mais dans ce cas comme dans tous les autres, il convient de « personnaliser » le travail, c'est-à-dire de ne pas utiliser de listes de diffusion toutes faites (les mêmes pour l'ensemble du laboratoire), et d'effectuer une prospection délicate, à la demande; solution évidemment coûteuse.

Pour terminer ce chapitre, résumons le contenu des opinions recueillies à propos de l'assistance aux réunions scientifiques. Nos interlocuteurs déclarent se rendre peu dans les congrès, car on y perd beaucoup de temps, les discussions dans les couloirs étant bien souvent les seules instructives; certains séminaires hebdomadaires sont suivis, par contre, assidûment par un grand nombre d'entre eux; ils considèrent aussi comme fort importantes les journées d'étude centrées sur des thèmes de spécialité et l'adhésion à des associations scientifiques supra-nationales, qui permettent d'élargir le réseau des « informateurs privilégiés » et d'entrer en contact avec des collègues travaillant sur des sujets voisins, ce qui est difficile en France, vu l'étroitesse du milieu psycho-sociologique.

Abordons maintenant un thème que nous avons évoqué au début de ce chapitre : la recherche de l'information comme phénomène cyclique.

3.4. Les cycles temporels dans la recherche de l'information orale et de l'information écrite par les chercheurs.

Nous n'avons pas trouvé d'allusions directes à ce problème dans la littérature américaine ou française; néanmoins les processus de la création scientifique ont été abordés par maints auteurs; mais là n'est pas notre propos. Nous ne voulons pas faire une étude de la création scientifique mais une approche documentaire de sa genèse, c'est-à-dire une tentative de mise en parallèle des phases du travail de recherche et des types de lectures et d'informations orales recherchées.

Nous distinguons deux caractéristiques fondamentales pour définir la nature d'une lecture scientifique ou d'un thème de demande documentaire :

3.41. La lecture comme la demande peuvent se situer à l'intérieur d'un domaine de la recherche poursuivie par le chercheur ou le déborder (s'inscrire par exemple non plus dans le cadre des sciences humaines mais dans celui des sciences exactes, ou au contraire se restreindre à l'étude d'une variable propre à la psychologie sociale). Il s'agit donc là d'une caractéristique qu'on pourrait appeler de centration ou de dispersion par rapport aux travaux de recherche.

3.42. La lecture et la demande peuvent exprimer un choix relatif à un champ général ou spécifique d'investigation. Opérationnellement, on peut par exemple dire que la demande documentaire s'exprime en terme de mots-clefs moins nombreux et/ou moins spécifiques quand il s'agit d'une question générale que d'une question qui l'est moins; nous décrivons donc là une caractéristique de généralité ou de spécificité de la lecture ou de la demande.

Ceci étant posé, nous avons essayé de savoir si les lectures effectuées par les chercheurs, ainsi catégorisées, se répartissaient aléatoirement ou non selon les phases de la recherche et nous avons été amenée à distinguer :
- les recherches expérimentales effectuées en laboratoire;
- les recherches sur le terrain (enquêtes ou expérimentations);
- les recherches théoriques qui s'accompagnent toujours ultérieurement d'expérimentations, dans notre laboratoire.

Il est évident que la méthode d'enquête utilisée dans cette étude, ne permet qu'une première approche du problème, même si on tente, comme nous l'avons fait, de confronter les informations recueillies à l'analyse des demandes documentaires formulées auprès des documentalistes du service. Les chercheurs sont évasifs dans leurs réponses et rationalisent vraisemblablement beaucoup. La question serait mieux abordée par une mise en situation des sujets dans une tâche expérimentale simulant la situation réelle.

Nous avons recueilli les tendances suivantes :

3.43. En ce qui concerne l'expérimentation en laboratoire.

Les lectures sont générales au début de la recherche (lors de l'élaboration du plan expérimental) et spécifiques à la fin (interprétation des résultats et rédaction du rapport de recherche). Certains chercheurs ne lisent plus du tout pendant la collecte des données ou pendant la phase de dépouillement (c'est-à-dire pendant les phases médianes). Quant à la caractéristique de centration ou de dispersion des lectures, on peut dire que dans la phase de début, certains chercheurs prospectent systématiquement hors du champ de la psychologie sociale pour trouver des idées expérimentales et hors du domaine cerné, une fois les hypothèses trouvées, alors que d'autres poursuivent des investigations dans le champ pressenti ou définitivement délimité.

Rares sont les chercheurs qui déclarent prendre soin de contrôler l'originalité de leur projet expérimental, en se livrant à des lectures très spécifiques au moment du démarrage de leur travail. Ceux qui le font sont les plus chevronnés, ceux qui sont aussi les mieux informés des tendances internationales de la recherche. Ils s'engagent définitivement dans une voie après en avoir discuté la nouveauté avec des spécialistes et lu des revues de question. D'autres, les plus jeunes et les plus critiques vis-à-vis de la discipline « classique », se montrent beaucoup plus insouciants de l'originalité de leurs travaux : soit qu'ils déclarent qu'on est toujours original en psychologie sociale car la science est neuve et les possibilités expérimentales infinies, soit qu'ils considèrent que les lectures de démarrage même peu nombreuses, présentent des garanties suffisantes et remplacent les recherches bibliographiques systématiques. Au moment du recueil des données, la tendance est plutôt aux lectures hors du champ, à titre de détente ou pour éviter de remettre en cause le problème et la procédure arrêtés. Enfin, aux phases d'interprétation des résultats et de rédaction, on procède à des lectures centrées; on refait souvent les lectures de début de recherche qui se sont révélées être les plus spécifiques. Certains chercheurs déclarent que ces périodes de confrontation obligatoire, par la lecture, avec d'autres auteurs, sont les plus ennuyeuses de toutes.

Les chercheurs déclarent couramment que le besoin de discussions se fait le plus sentir au moment de l'interprétation des résultats; pour l'un d'eux même, le travail personnel est alors terminé, tandis que commence celui des collègues et du directeur de recherche.

3.44. L'enquête ou l'expérimentation sur le terrain.

On retrouve sensiblement les mêmes tendances que précédemment : lectures générales initiales, lectures spécifiques en finale. Les lectures ne sont jamais très directement centrées sur le thème de recherche, faute de documents adéquats. Pendant la période de recueil de données sur le terrain, on est plus friand de discussions que de lectures. Mais la population concernée est fort peu nombreuse, et nos données sont minces.

3.45. Les études théoriques.

Les théoriciens-expérimentalistes, tels que nous les avons définis plus haut, lisent de manière moins centrée que les purs expérimentalistes et de manière plus générale. Ils se montrent en effet plus autistiques au cours de leurs activités scientifiques, donc moins avides de se référer à d'autres auteurs (ce que les expérimentalistes purs déclarent faire bien souvent à contre-coeur et par nécessité d'ailleurs). Comme leurs collègues, les théoriciens rencontrent des phases pendant lesquelles ils évitent de lire : au moment de la mise en place de leur propre théorie ou de la rédaction.

Sur le plan de l'organisation d'un service de documentation, l'intérêt de données de ce genre est de permettre d'établir des prévisions du nombre des demandes documentaires au cours d'une année et surtout de mieux adapter les réponses aux types de questions, puisque celles-ci risquent de se différencier selon l'état d'avancement des travaux de recherche.

3.5. La pratique des bibliographies et des revues de question.

Nous entendons ici par bibliographies, uniquement les bibliographies analytiques publiées dans des revues, dont les Psychological abstracts constituent l'exemple le plus fameux dans le domaine de la psychologie; par revues de question ou bilans documentaires, nous désignons les synthèses élaborées à partir des travaux publiés pendant une période donnée, sur un problème délimité; elles sont généralement suivies de listes bibliographiques. Certaines revues sont spécialisées dans ce genre d'articles (telles Psychological bulletin, Annual review of psychology, etc.); d'autres en publient épisodiquement (par exemple, l'Année psychologique); enfin, ces bilans, présentés sous une forme généralement critique peuvent faire l'objet de chapitres de livres, que ceux-ci aient ou non une vocation didactique.

Pourquoi avons-nous choisi de nous intéresser à ces deux instruments documentaires ? Parce que l'usage qui est fait des bibliographies intéresse au premier chef les éditeurs de revues et les documentalistes; ensuite parce que les revues de question sont spontanément évoquées par les chercheurs qui en font un usage beaucoup plus intensif qu'on ne le pense dans les milieux de documentalistes, français du moins, où le genre est méconnu.

En ce qui concerne les bibliographies analytiques, le bilan est plus négatif que positif si on se réfère aux opinions émises à leur égard et à l'usage effectif qui en est fait dans le service de documentation que nous connaissons. L' « American psychological association » est arrivée à la même conclusion : elle considère en effet que les Psychological abstracts qu'elle édite sont essentiellement utilisés par les non-psychologues et les étrangers.

Quant aux qualités attribuées aux revues de résumés, les chercheurs interrogés ont cité le fait qu'elles permettent de prendre connaissance de références de documents non publiés (thèses par exemple), de prendre conscience des tendances internationales de la recherche, et de compléter des références ou la bibliographie d'un auteur. On les utilise, par contre, rarement pour élaborer une bibliographie sur une question car on les trouve trop longues à lire, sibyllines dans le style, trop lapidaires pour donner une idée exacte des documents primaires, trop décalées dans le temps par rapport à ceux-ci, enfin peu utilisables car non critiques. Les chercheurs que nous connaissons les pratiquent donc peu et considèrent que leur consultation est une tâche à confier en premier lieu aux documentalistes et aux vacataires.

Les revues de question suscitent plus d'intérêt auprès des mêmes sujets; elles sont critiquées mais fort utilisées pour explorer des domaines peu ou mal connus. Les chercheurs les consultent électivement pour savoir ce qu'on a fait dans un domaine dans lequel ils ne se trouvent pas être spécialistes (ou pas encore). Ils exploitent facilement les bibliographies qui les accompagnent car les références se situent alors dans un contexte et ne se présentent pas sous la forme stricte de listes, comme dans les revues de résumés. Le tri des références est considéré comme plus facile alors à faire qu'à la lecture d'un résumé non intégré à un exposé d'ensemble. On préfère généralement les bilans critiques, évaluatifs, aux nomenclatures organisées qui se disent objectives et pour lesquelles les auteurs ne prennent pas de parti scientifique.

Mais les revues de question, si elles sont effectivement demandées et lues par les chercheurs, n'en sont pas moins considérées comme des documents de vulgarisation, relativement utiles aux non-spécialistes dans le domaine considéré, car trop peu précises et même souvent erronées dans les comptes rendus de travaux qui y sont faits. On leur accorde un degré de confiance proportionnel au degré de spécialisation de l'auteur du bilan dans la question exposée; même bien faite, une revue n'exclut pas le recours aux documents primaires à titre de contrôle ou pour satisfaire une curiosité éveillée mais partiellement satisfaite. Malgré ces restrictions, il n'en reste pas moins que les revues de question doivent être enregistrées en priorité dans la mémoire documentaire d'un service; c'est en effet au moment où un chercheur défriche un problème inconnu ou périphérique, qu'il adresse le plus volontiers une demande documentaire à un service : d'où l'intérêt de stocker les références des synthèses qui font le point sur une question et fournissent une bibliographie souvent abondante, en général exhaustive quant aux travaux les plus décisifs.

En ce qui concerne les bibliographies, elles s'avèrent davantage destinées aux documentalistes qu'aux chercheurs; il est donc souhaitable de les intégrer à la mémoire propre du service afin d'en rendre le rappel 4 rapide et aussi informatif que possible.

3.6 Conclusion : comparaison des degrés de difficultés rencontrées par la documentation de recherche suivant les types d'usagers.

On ne reçoit pas que des chercheurs dans un service de documentation de recherche, mais aussi des étudiants avancés (de 2e cycle et surtout de 3e cycle), des enseignants et des consultants divers appartenant à des organismes extérieurs. Or les besoins documentaires de ces différentes catégories d'utilisateurs se diversifient et exigent des systèmes d'enregistrement et de rappel dont les degrés de technicité sont variables. Nous allons établir une classification hiérarchisée des systèmes documentaires à mettre en oeuvre pour répondre aux besoins des différents types de clientèles en établissant une progression croissante des degrés de technicité exigés (donc également des coûts de fonctionnement et d'équipement des services).

Nous prendrons comme cadre de référence la documentation en psychologie sociale, mais les considérations qui suivent sont valables pour tout service travaillant dans une discipline spécialisée de sciences humaines. Nous nous centrerons sur les demandes documentaires de type bibliographique, les plus fréquentes et les plus spécifiques, les autres catégories de renseignements qu'on demande à un service ne différenciant pas de manière intéressante les usagers. Citons pour mémoire la recherche de références ou la vérification de leur exactitude, les demandes de renseignements sur les personnalités et les organismes et l'élaboration de plans de diffusion pour documents, auxquels nous ne ferons pas de sort particulier dans cette conclusion.

3.61 Les étudiants spécialisés (travaillant sur des thèmes entrant dans le domaine scientifique considéré ou dans des domaines voisins).

Leurs exigences documentaires sont faciles à satisfaire car leurs demandes sont centrées sur un champ d'investigation défini (sociologie, psychologie sociale, psychologie par exemple); elles mettent en cause des notions générales (l'acculturation, la taille du groupe, etc.); les thèmes qu'elles évoquent sont assez ou très connus; enfin les étudiants ne recherchent pas des documents d'une grande nouveauté.

Pour les satisfaire, il suffit de faire fonctionner un système documentaire « moyennement » élaboré : un classement bien fait de bibliothèque quand le service de documentation est en relation directe avec une bibliothèque (ce qui est le cas le plus favorable), un rappel de textes indexés à l'aide d'une dizaine de mots-clefs de forme et de contenu (indépendamment des rubriques signalétiques), et la culture du documentaliste suffisent à fournir à ce premier groupe d'usagers, les plus faciles à satisfaire, des renseignements bibliographiques fort convenables.

3.62 Les enseignants (professeurs et assistants de l'enseignement supérieur).

La documentation exigée pour préparer des cours est aussi relativement facile à élaborer car les demandes des professeurs sont générales et centrées sur des thèmes assez ou très connus 5. On leur répond en utilisant des synthèses déjà élaborées (morceaux choisis, revues de question), en exploitant les bibliographies qui y sont adjointes et en complétant par quelques références très récentes. 3.63. Les consultants extérieurs à l'organisme (et ne travaillant pas dans le domaine spécifique envisagé; sinon ils s'assimilent aux chercheurs du centre de recherche considéré).

On peut classer leurs demandes en deux catégories générales :
- quand celles-ci se trouvent centrées sur le domaine dans lequel travaille le service de documentation, elles sont peu spécifiques, car il ne s'agit pas de questions de spécialistes; elles sont donc relativement faciles à traiter;
- quand elles font appel à un corps de connaissances connexes à la discipline du service, il est plus difficile de fournir des réponses car celles-ci supposent qu'on effectue une sélection large au niveau des documents enregistrés dans la mémoire documentaire.

3.64. Les chercheurs, enfin (travaillant dans la même spécialité que le service de documentation).

Nous allons ici en conclusion, synthétiser les raisons qui font que la documentation qui leur est destinée est la plus délicate à élaborer et aussi la plus coûteuse, relativement à celle qu'exigent les autres types d'usagers.

3.641. Les chercheurs choisissent par vocation des domaines d'investigation originaux; les documents recherchés sont donc souvent rares et le contenu des demandes peu répétitif d'un chercheur à l'autre. Un service de documentation fonctionnant de manière optimale est donc tenu d'enregistrer finement des documents couvrant un vaste champ scientifique; et ce, de manière prospective, en prévoyant les domaines qui seront explorés, les méthodes qui attireront l'intérêt, la problématique qui tentera, dans un avenir proche ou lointain, un chercheur ou une équipe, pour ne pas être pris de court le moment venu et ne pas laisser passer des documents qui, avec le temps, deviendront introuvables. Il est inutile d'insister sur le fait que le documentaliste doit être qualifié pour mener à bien une telle tâche.

3.642. Les demandes des chercheurs comme nous l'avons développé au chapitre 3.4, peuvent être très spécifiques ou sortir de la discipline (l'exploration de la périphérie se fait d'ailleurs d'autant plus volontiers que la discipline est plus embryonnaire et située au confluent de plusieurs autres, comme c'est le cas, notamment, de la psychologie sociale). Ces exigences entraînent la nécessité d'une indexation fine des documents, sans laquelle l'information ne peut être retrouvée avec suffisamment de spécificité, et l'élargissement du champ documentaire à couvrir, au-delà des frontières strictes de la discipline; deux contraintes qui supposent du personnel qualifié, bien sûr, et nombreux.

3.643. Les chercheurs demandent l'information la plus récente possible (et même non publiée), à moins bien sûr qu'ils ne fassent des rétrospectives (mais dans ce cas, l'information ancienne est souvent aussi difficile à obtenir que l'information récente); d'où la nécessité d'une tenue à jour des données enregistrées et d'une bonne connaissance des orientations mondiales de la recherche dans la discipline et sa périphérie.

3.644. L'information fournie aux chercheurs doit être triée en fonction des différents degrés de pertinence qu'elle présente par rapport à la question posée, (ceci est toujours vrai, d'où qu'émane la demande documentaire), mais aussi en fonction de critères d'importance scientifique; opération délicate s'il en est, puisque le documentaliste ne saurait être spécialiste dans tous les domaines. On demande aussi que celui-ci fournisse une information exhaustive en ce qui concerne les aspects décisifs d'une question; ce qui suppose de sa part, aussi bien compétence qu'aptitude à élaborer de rapides synthèses.

3.645. La documentation de recherche exige encore que les services gardent des liens étroits avec leurs usagers; ceux-ci, en effet, confient leurs problèmes documentaires, donc une partie de l'intimité de leur travail de création, seulement si les relations qu'ils entretiennent avec les documentalistes dépassent le formalisme des institutions. Le documentaliste, inspirera confiance s'il se montre capable d'aller au-delà des thèmes explicités de la demande documentaire et de fournir spontanément de l'information non demandée et pourtant « inspiratrice ». Après l'aspect humain, voici l'aspect technique de ce besoin de rapports « personnalisés » entre chercheurs et documentalistes, sur lequel nous avons insisté tout au long de cet exposé. Or, une telle familiarité ne peut s'établir et se maintenir que dans les petites unités documentaires, décentralisées par rapport aux services généraux.

3.646. En corollaire, les services de documentation doivent solliciter les demandes des chercheurs tant que ceux-ci n'ont pas pris l'habitude de venir les consulter; pour créer des rapports de coopération, il est bon de devancer souvent les désirs documentaires des chercheurs.

Point n'est besoin d'insister davantage sur la difficulté du travail des documentalistes de recherche.

Quand on prétend faire de la documentation pour chercheurs, il est donc opportun de prévoir un personnel nombreux et qualifié, et une organisation documentaire techniquement poussée. Si l'ajustement aux besoins des moyens mis en oeuvre n'est pas réalisé, c'est au niveau de la tâche la plus difficile du service, la fourniture de renseignements bibliographiques aux chercheurs, qu'apparaîtront les signes les plus précoces de dysfonctionnement. Il est probable en effet, si on en croit l'expérience des organismes de documentation spécialisés que nous connaissons, qu'au bout d'un certain temps, le service sera alors déserté par les chercheurs et fonctionnera comme bibliothèque (s'il y en a une) et comme service de renseignements extra-bibliographiques, ou encore comme service de documentation pour les organismes extérieurs et les non-chercheurs; peut-être même se transformera-t-il en secrétariat et service d'accueil, comme on l'a déjà vu!

Annexe

Le service de documentation du Laboratoire de psychologie sociale de la Faculté des lettres et sciences humaines de Paris.

Le Laboratoire de psychologie sociale dont il est question dans cet article, fait partie de la Faculté des lettres et sciences humaines de Paris et est associé au Centre national de la recherche scientifique. Il a été créé en 1952 par le Pr Daniel Lagache avec l'aide de M. Robert Pagès, actuel directeur, et de l'équipe de chercheurs constituée. Il comprend une soixantaine de personnes, dont 12 chercheurs et enseignants 6 et 25 collaborateurs réguliers, de l'ingénieur à la laborantine, auxquels s'ajoutent des invités ou stagiaires français ou étrangers ainsi que des collaborateurs à emploi limité ou occasionnel. Quatre chercheurs dirigent des équipes de travail : M. R. Lambert, maître de recherche au CNRS, M. J. M. Lemaine, maître-assistant à la Faculté des lettres et sciences humaines, M. J. Maisonneuve, professeur à la Faculté de Nanterre et M. R. Pagès, maître de recherche au CNRS. La vocation scientifique du laboratoire est la psychologie sociale expérimentale, compte tenu du fait que les méthodes d'exploration sont pluralistes et que la méthode expérimentale est privilégiée au niveau de l'administration de la preuve.

Le Service de documentation (SERDOC) est intégré au laboratoire depuis la création de celui-ci. Après avoir subi de nombreuses vicissitudes, il se compose à l'heure actuelle de trois psychologues-documentalistes et de deux secrétaires. M. R. Pagès en assure la direction. Une bibliothèque importante est annexée au service de documentation proprement dit. Elle comprend 9 100 titres (livres, manuels, ouvrages de référence, rapports techniques, tirés à part, etc...). C'est une bibliothèque de sciences humaines spécialisée en psychologie sociale. Les grands domaines couverts sont la psychologie et ses diverses spécialités, la sociologie, l'ethnologie, la méthodologie mathématique et statistique, la linguistique, la pédagogie, la psychanalyse; un fonds historique important est en voie de constitution : il se centre sur la psychologie, la psychologie sociale et la philosophie sociale. Les techniques documentaires sont également bien représentées. 60 % de la littérature stockée est de langue anglaise (ouvrages surtout américains), 40 % de langue française; à ceux-ci s'ajoutent quelques ouvrages allemands, espagnols et italiens. 152 revues sont reçues par abonnement, dont 12 revues bibliographiques, et le nombre des tomes de revues, compte tenu des arriérés, se monte à 5 000.

Un service de lecture sur place et de prêt à domicile fonctionne (ouverture tous les jours, sauf le samedi, de 9 h à 13 h et de 14 h à 18 h). La bibliothèque est ouverte aux membres du laboratoire, aux chercheurs et enseignants en sciences humaines, aux étudiants avancés, aux psychologues praticiens et autres personnes qui en font la demande, sur avis du directeur du laboratoire.

Une liste des acquisitions de la bibliothèque est régulièrement élaborée. Les ouvrages y figurant sont classés suivant le classement-matières original du laboratoire. Cette brochure est envoyée aux centres qui la demandent.

Le service de documentation proprement dit fournit des renseignements bibliographiques et extra-bibliographiques (sur personnalités, organismes, etc...) aux membres du laboratoire en priorité. Les publications de psychologie sociale sont analysées et enregistrées sur cartes mécanographiques de type Selecto (14 ooo perforations). Le service fournit donc un travail d'analyses (10 000 fiches) et publie, en particulier, depuis 1967, une rubrique bibliographique dans la Revue française de sociologie (Revue des revues. Psychologie sociale) recensant toutes les publications de psychologie sociale de langue française (avec indexation et publication annuelle d'un index-auteurs et d'un index-matières); il collabore aussi de manière régulière à la rubrique bibliographique de l'Année psychologique. Le service élabore un dictionnaire de la psychologie (non publié) qui permet l'enregistrement mécanographique des textes et qui utilise le Codoc, ou analyse codée. Cette langue documentaire propre au laboratoire a été élaborée par R. Pagès et ses collaborateurs et comprend un lexique et une grammaire 7  8. Signalons que le classement-matières de la bibliothèque, déjà évoqué, est réalisé également grâce à l'utilisation du Codoc. Le service publie, enfin, la bibliographie annuelle des membres du Laboratoire de psychologie sociale 9.

De nombreux fichiers sont disponibles : fichiers-auteurs des ouvrages de la bibliothèque, fichier-matières (en voie de réalisation), fichier des abonnements, fichier d'adresses, fichier d'abréviations, dictionnaire de mots-clefs.

Le service de documentation effectue aussi des travaux relatifs à l'automatisation documentaire et a testé sur CD 6 600 un programme, réalisé par M. M. Jastrabsky qui utilise des mots-clefs dont le codage en Codoc a été réalisé dans le service à partir de définitions en clair, pour l'enregistrement et le rappel documentaires.

Advances in experimental social psychology. Ed. Leonard Berkowitz. - New York, Académic press, vol. 1, 1964,319 p.-Vol. 2, 1965, XI-348 p. - Vol. 3, 1967, XI-333 p. BOUILLUT (Jean). - Jean Bouillut, Claude Breteau. Psycho-sociologie expérimentale de la consultation : Étude sur une miniature de l'expression des demandes en documentation. - Paris, Laboratoire de psychologie sociale, 1963. 230 p., multigr. BROWN (Roger). - Social psychology. - New York, Free Press, 1965. - XXIV-785 p. Handbook (The) of social psychology. Ed. Gardner Lindzey - Cambridge (Mass.), Addison-Wesley, vol. I. Theory and method, 1954, x-588 p. - Vol. 2. Special fields and applications, 1954, X-601-1226 p. Handbook (The) of the social psychology. Ed. Gardner Lindzey and Elliot Aronson. -Addison-Wesley, 2nd ed. Vol. 1, 1968, xv-653 p. - 2nd ed. Vol. 2, 1968, XV-819 p. - 2nd ed. Vol. 3, 1969, XIII-978 p. HERNER (Saul). - Saul Herner and Mary Herner. - Information needs and uses in sciences and technology. In : Annual review of information science and technology, pp. I-34. LEMAINE (Gérard). - La Lutte pour la vie dans la société scientifique par Gérard Lemaine (In : Revue française de sociologie. 1969. 10. n° 2, pp. 139-165). MENZEL (Herbert). - Information needs and uses in science and technology. (In : Annual review of information science and technology, 1966, pp. 41-69.) PAGES (Robert). - Request-answer interaction in relation to man computer interaction. (In : The Use of computers in anthropology, pp. 449-464). PAISLEY (William J.). - Information needs and use. (In : Annual review of information science and technology, 1968, pp. 1-30). PARKER (Edwin B.). - Edwin B. Parker, David A. Lingwood, William J. Paisley. Communication and research productivity in an interdisciplinary behavioral science research area. - Stanford University, Institute for communication research, 1968. - 85 p. Reports of the American psychological association's project on scientific information exchange in psychology. - Washington, D. C., vol. I. Overview report and reports. 1-9, december 1963. - Vol. 3, reports 16-21, january 1969.
  1. (retour)↑  Je remercie tous les chercheurs du Laboratoire de psychologie sociale de l'Université de Paris qui se sont aimablement prêtés à cette enquête ainsi que M. Robert Pagès qui m'a autorisée à la mener, et à qui je dois beaucoup tant du point de vue théorique que technique.
  2. (retour)↑  Laboratoire de psychologie sociale de la Faculté des lettres et sciences humaines de Paris associé au Centre national de la recherche scientifique.
  3. (retour)↑  Nous avons rencontré, bien naturellement, des résistances particulières à ce sujet, de la part des directeurs de revues bibliographiques, qui ont le souci de ne pas favoriser telle école de pensée au détriment de telle autre. Remarquons, par exemple, que la rédaction de Psychological abstracts a choisi le sous-titre suivant pour présenter la revue: Non evaluative summaries of the world's literature in psychology and related disciplines.
  4. (retour)↑  Nous utilisons tout au cours de ce texte, les traductions françaises « d'enregistrement et de " rappel » documentaires pour les termes américains de " storage » et de " retrieval ».
  5. (retour)↑  Si l'enseignant consacre une partie de son temps à des recherches personnelles, il est certain qu'il a aussi des exigences documentaires de chercheur (voir paragraphe 3.64).
  6. (retour)↑  Le chiffre donné ici est différent de celui qui figure dans l'article : la différence tient à un remaniement structurel du laboratoire qui a eu lieu après la rédaction du texte.
  7. (retour)↑  PAGES (Robert). - Robert Pages et al. Lexique pour l'analyse codée en psychologie sociale et sciences humaines. - Paris, Laboratoire de psychologie sociale, 1969. - 73 p., multigr.
  8. (retour)↑  Robert PAGES - L'Analyse codée, technique de classification documentaire. Présentation et résumé de la grammaire. In : Chiffres. 1959, n° 2, pp. 103-122.
  9. (retour)↑  LABORATOIRE DE PSYCHOLOGIE SOCIALE. Service de documentation. Paris. - Publication des membres du laboratoire. 6e éd. - Paris, Laboratoire de psychologie sociale, 1968. - s.p., multigr.