Nécrologie

Jacques Hornung

Henry-Frédéric Raux

Dans l'après-midi du 8 mai 1969, M. Jacques Hornung s'est soudain effondré devant le fichier dans lequel il faisait une recherche, dans la salle des Catalogues de la B.D.I.C. Terrassé en plein travail par un mal qu'une excessive discrétion avait laissé ignorer même à ses proches, il est mort au milieu de ses collègues, qui étaient tous ses amis.

Né à Chartres en 1909, Jacques Hornung avait commencé ses études par une licence d'histoire puis - esprit très ouvert, aux curiosités multiples - avait tâté de diverses disciplines et de plusieurs activités avant de choisir la carrière de bibliothécaire. Élève de l'École du Louvre (section des arts asiatiques), il y obtient également un diplôme de muséographie. Il suit pendant deux années les cours de l'École des Chartes, en même temps qu'il acquiert à l'École des Langues orientales vivantes les premiers rudiments de langue chinoise; décidément très attiré par l'étude de l'Extrême-Orient, il entre au Musée Guimet, où l'influence de René Grousset sera déterminante pour sa formation intellectuelle.

La campagne de 1939/40, qu'il fait comme sous-officier dans un régiment d'infanterie (en partie dans un Groupe franc) est suivie pour lui de cinq années de captivité. En février 1946, il entre comme auxiliaire à la B.D.I.C., où il devait faire toute sa carrière; d'abord affecté à la section « Musée de la Guerre », il participe notamment à la préparation de la première grande exposition organisée par le Musée après 1945. Ses connaissances artistiques étendues, son sens inné de la présentation des œuvres, sa compétence historique déjà - car dès les premiers temps de son travail à la B.D.I.C. il a trouvé dans l'histoire du siècle en cours son centre d'intérêt principal et a travaillé d'arrache-pied à parfaire ses connaissances dans ce domaine - en font un collaborateur particulièrement précieux pour le conservateur du Musée.

Nommé bibliothécaire en janvier 1949, il quitte un an plus tard le Musée pour la Bibliothèque, où il deviendra finalement responsable des acquisitions dans les pays de langue française, et de la documentation française; mais son rôle dans notre Maison débordait largement le cadre de ses fonctions théoriques : il était devenu avec les années un très bon spécialiste dans deux domaines différents : d'une part, l'histoire des deux guerres mondiales, en particulier l'histoire des opérations militaires, d'autre part les problèmes économiques internationaux. Dans l'ambiance particulière de la B.D.I.C., où les bibliothécaires travaillent véritablement avec les lecteurs, Jacques Hornung était un conseiller très apprécié, et plus d'un historien confirmé ne dédaignait pas de venir le consulter sur l'orientation d'une recherche, ou lui poser tel de ces petits problèmes dont la solution exige généralement de longues investigations, et que ses lectures étendues, sa mémoire infaillible, sa parfaite connaissance de nos fonds lui permettaient bien souvent de résoudre en quelques minutes. Toujours prêt à venir au secours du lecteur désorienté ou du collègue moins expérimenté, il acceptait avec un constant dévouement, dans les périodes de crise si fréquentes à la B.D.I.C., des charges manifestement trop lourdes. Il était de ces bibliothécaires qui se laissent dévorer par leurs tâches quotidiennes et leur sacrifient les travaux personnels dont ils seraient hautement capables. Il a très peu publié - quelques articles dans la Revue d'Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale ou dans le Bulletin des Bibliothèques de France, notamment en décembre 1964 d'importantes Notes bibliographiques sur les deux guerres mondiales : il donna également à la Bibliothek für Zeitgeschichte de Stuttgart une Bibliographie critique de la guerre d'Indochine (1945-1954) publiée dans la Jahresbibliographie 1963. Il coordonnait et révisait la Bibliographie que nos bibliothécaires préparent chaque trimestre pour la Revue d'histoire de la Deuxième guerre mondiale.

Tous ceux qui ont travaillé avec Jacques Hornung ont eu l'occasion d'apprécier non seulement ses qualités intellectuelles, mais aussi ses qualités de cœur, son libéralisme, son humour profond. Dans cette maison où des controverses passionnées se développent fatalement au sein d'une équipe vouée à l'étude de questions de la plus brûlante actualité, il était l'arbitre amical dont l'ironie sans méchanceté ramenait chacun à la modération. Son départ prématuré est une perte terrible pour une Bibliothèque qu'il aimait et à laquelle il avait sacrifié vingt-trois années durant toute autre activité.