Journées d'études sur les bibliothèques publiques
Les journées d'études sur les bibliothèques publiques, organisées à la demande de la Fédération nationale des centres culturels communaux à la Bibliothèque municipale de Saint-Dié, se sont déroulées les 28 février, Ier et 2 mars 1969 selon le programme prévu avec 82 participants dont 35 de la région parisienne. Les villes suivantes étaient représentées : Asnières, Aubervilliers, Bagnolet, Belfort, Bezons, Boulogne-Billancourt, Caen, Cambrai, Châlon-sur-Saône, Chatillon, Choisy-le-Roi, Colmar, Colombes, Corbeil-Essonne, Dijon, Épernay, Garges-les-Gonesse, Gennevilliers, Gentilly, Grenoble, Ivry-sur-Seine, La Courneuve, Lagny, Le Havre, Levallois-Perret, Longwy-Haut, Mâcon, Malakoff, Massy, Metz, 'Montataire, Montreuil, Mulhouse, Nantes, Nanterre, Nevers, Orléans, Orly, Paris, Poitiers, La Ricamarie, Rodez, Rouffach, Saint-Denis, Saint-Dié, Saint-Étienne, Saint-Fons, Saint-Martin-d'Hère, Saint-Maur-des-Fossés, Sarcelles, Sceaux, Troyes, Venissieux, Verdun, Vichy, Villeneuve-sur-Lot, Villeurbanne, Vitry.
La Direction des bibliothèques et de la lecture publique avait délégué un bibliothécaire du service de la lecture publique et le secrétariat d'État à la coopération (Bureau du livre), deux fonctionnaires.
La majorité des présents étaient des bibliothécaires; on comptait en outre quelques animateurs de centres culturels et quelques élus municipaux. Parmi ces derniers : M. Fuchs, adjoint au maire de Colmar et M. Ralite, maire-adjoint à Aubervilliers, vice-présidents de la F.N.C.C.C., représentant la Fédération, participèrent activement aux débats. Les travaux ont pris un caractère technique plus qu'il n'était prévu et le dialogue entre élus communaux et bibliothécaires sur la politique municipale en matière de bibliothèque n'a pas revêtu l'ampleur désirée, faute d'un nombre plus important de conseillers municipaux.
Malgré l'étendue du programme qui comportait dix séances en deux jours et demi, les participants ont suivi tous les travaux avec une grande attention; constatation intéressante : même pour les séances en soirée l'absentéïsme ne fut pas pratiqué. Enfin la qualité des échanges après les exposés, la passion même qui a animé certains débats ont montré l'intérêt très vif de chacun pour les problèmes mis à l'ordre du jour.
Le vendredi 28 février, M. R. Bernard, adjoint au maire de Saint-Dié, chargé des finances, a ouvert la première séance en disant tout l'intérêt que la municipalité portait à ce rassemblement de bibliothécaires venus à Saint-Dié pour approfondir le sens et la technique de leur profession dans un établissement pour lequel la ville de Saint-Dié consent un effort financier important, effort qu'elle n'a jamais regretté eu égard aux résultats obtenus.
M. M. Bouvy, conservateur de la Bibliothèque municipale de Cambrai et président de la section des bibliothèques publiques de l'A.B.F., a brossé ensuite le portrait de la bibliothèque publique dont a besoin le monde moderne dans lequel nous vivons. A part quelques exceptions, nos bibliothèques françaises n'ont pas encore atteint le point où elles pourront réellement satisfaire leur public et de là vient malgré les efforts de leur personnel leur audience réduite. Il est nécessaire que l'État adopte une politique hardie que les municipalités seront incitées à suivre : il faut construire des bibliothèques publiques en grand nombre mais aussi les doter d'un personnel compétent et suffisamment nombreux, leur fournir des crédits d'achats de livres, créer une centrale d'achat, de traitement et d'équipement des livres afin que les bibliothécaires trouvent le temps de conseiller le public de façon utile. En conclusion, il insista sur l'importance d'une structure régionale, sur la création des bibliothèques de secteur par tranche de 100 ooo habitants autour desquelles un réseau d'annexes dans les quartiers et dans les petites villes et un parc de deux ou plusieurs bibliobus permettraient de desservir toute la population française, ainsi que cela se pratique dans d'autres pays, au Danemark par exemple.
Au cours de la discussion qui a suivi, tout le monde s'accorda pour dire que les municipalités devaient conserver leur service de bibliothèque et que l'intervention de l'État devrait se faire au niveau du personnel scientifique (comme elle existe actuellement dans les bibliothèques classées) et au niveau de l' « aide matérielle ».
Ensuite, M. A. Ronsin, conservateur de la Bibliothèque municipale de Saint-Dié, procéda à la visite commentée de l'ensemble des services en s'attachant plus spécialement aux magasins à livres et à la salle de la réserve et à celle du trésor (dans laquelle est présentée une exposition permanente de livres précieux du XIIe au XXe siècle), locaux où on ne devait plus revenir les jours suivants. Au cours de cette visite, c'est l'aspect purement matériel qui a été examiné : liaisons des divers services, surfaces, mobilier, accès, etc...
A 18 h un vin d'honneur offert par le Centre culturel communal, au 3e étage de la bibliothèque dans le Musée des Ferry, mit fin aux deux premières séances de travail. Au cours de cette réception M. Pierre Noël, maire de Saint-Dié, président du centre culturel communal, dit sa satisfaction d'accueillir les délégués des bibliothèques et des centres culturels communaux et parla de l'action culturelle que les municipalités doivent promouvoir, action au sein de laquelle les bibliothèques ont un rôle dynamique à jouer, ainsi que cela leur sera proposé avec l'exemple de Saint-Dié.
Après le dîner, tout le monde se retrouva dans la pièce du Ier étage où se déroulent habituellement les activités enfants du jeudi pour voir et entendre le montage musical réalisé par M. O. Douchain, sous-bibliothécaire responsable de la discothèque de la bibliothèque municipale de Saint-Dié, d'après la « Petite chronique d'Anna Magdalena Bach ». M. Douchain expliqua la technique de réalisation, s'attachant à en montrer la simplicité et la rapidité (12 h de travail). Ce montage est un exemple d'une animation facile à exporter dans des quartiers, des écoles, ou dans d'autres villes : 25 diapositives, une bande magnétique enregistrée. La discussion fut très ouverte : portant à la fois sur le choix du thème et l'orientation donnée par son réalisateur, sur l'intérêt de ce genre d'activité pour sensibiliser à la musique de Bach un public non averti, sur l'intérêt de faire des travaux de ce genre avec une équipe de jeunes.
Le samedi Ier mars à 9 h deux groupes étudièrent successivement dans les locaux mêmes : pour enfants (fréquentation générale, activités diverses d'animation, lecture sur place et à domicile, problème des albums), des salles d'étude (usuels, journaux politiques, quotidiens, collections en libre accès, surveillance), de la salle de prêt (accueil des lecteurs, section pour adolescents, livres étrangers, expositions temporaires d'actualités, techniques de prêt) de la discothèque (prêt des disques en libre accès, catalogues imprimés et sur fiches, statistiques, auditions commentées).
A 14 h venait l'étude des moyens nécessaires à une bibliothèque en ce qui concerne les locaux : l'exposé de M. A. Ronsin sur l'importance des annexes de quartier pour lesquelles il faut 1 m2 pour 10 habitants, seuls lieux où on peut véritablement atteindre certaines couches de la population et rassembler de grandes quantités d'enfants; nécessité aussi de prévoir dans tous les cas une « salle sans livres » pour les activités d'animation à l'usage des jeunes et des adultes. Rôle des bibliobus dans les écarts et dans les écoles primaires. En matière de reliure et d'impression, durant une heure et demie les participants descendus à l'atelier purent suivre des démonstrations de tirage offset, de reliure par colle plastique sur appareil à infra-rouge, de plastification de documents par filmolux.
Enfin, M. Gérard Thirion, conservateur de la section Lettres de la Bibliothèque universitaire de Nancy, directeur du département Carrières de l'information de l'I.U.T. de Nancy, rappela les différents emplois prévus dans les bibliothèques, les statuts, les fonctions et s'attacha à la formation professionnelle des bibliothécaires à l'École nationale supérieure de bibliothècaires et à celle des sous-bibliothécaires municipaux dans un Institut Universitaire de Technologie.
La discussion prit rapidement un tour passionné : un grand nombre de participants tinrent à s'exprimer sur les problèmes brûlants du déclassement des bibliothécaires municipaux, sur les difficultés de créer des emplois dans les bibliothèques classées, sur les conflits avec les autres fonctionnaires communaux justifiant l'intégration des bibliothécaires communaux dans le corps d'État et surtout sur la nouvelle formation en I.U.T. qui devra donner accès à un grade supérieur à celui de sous-bibliothécaire, après les deux années d'étude.
A 21 h, il revenait à M. A. Ronsin de traiter de l'animation culturelle dans les bibliothèques : d'abord l'animation est davantage un état d'esprit qu'un métier, aussi doit-on former d'abord pour animer les bibliothèques des bibliothécaires à qui on donnera une formation d'animateurs plutôt que des animateurs à qui on apprendra des notions de bibliothéconomie. Ensuite il faut animer les bibliothèques, c'est la condition de leur vie, de leur ouverture sur la cité. L'équipement audiovisuel n'est pas très onéreux : il est nécessaire. Après avoir examiné les problèmes des locaux nécessaires (et l'art de s'en passer), de publicité, de personnel, il conclut par le bilan de huit années d'animation à Saint-Dié.
De nombreux bibliothécaires exposèrent ensuite leurs réalisations en association avec d'autres services communaux, avec des enseignants. C'est ainsi que l'on vit s'esquisser la formule de la bibliothèque, véritable centre culturel d'une ville, à la fois promoteur, organisateur, support d'initiatives de toutes sortes. Ces bibliothèques connaissent un grand rayonnement : ce sont celles qui enregistrent la plus grande activité dans le prêt des livres, démontrant ainsi que les activités culturelles n'éloignent pas le public de la lecture en lui proposant des sujets divers d'intérêt, mais au contraire attirent des lecteurs toujours plus nombreux... et plus difficiles dans les rayons.
Dimanche matin, M. N. Richter, conservateur de la Bibliothèque municipale de Mulhouse, avait à traiter les questions de l'information et de l'aide au lecteur. De nombreux documents publiés par des bibliothèques françaises et étrangères étaient exposés dans la salle de lecture où se tenait la séance. M. Richter n'hésita pas à poser des problèmes insolubles actuellement : celui du catalogue imprimé complet des collections qui en raison de son prix de revient ne peut, même lorsqu'il est édité par un organisme central, être procuré à chaque lecteur. Plus modestes, mais utiles parce que diffusés largement, sont les guides de lecteur, les affiches, les programmes et surtout les catalogues de nouvelles acquisitions : listes complètes avec classification mais simples énumérations ou listes commentées et illustrées.
Personne ne cacha sa préférence pour la seconde solution mais elle se heurte à tant de problèmes de matériel, de finances et de personnel que beaucoup s'en tiennent à la liste trimestrielle ou annuelle et rares sont les catalogues pourvus d'analyses.
A II h 30, M. Ronsin emmenait tous les congressistes visiter le cloître gothique de grès rose et la magnifique église romane Notre-Dame, à deux pas de la bibliothèque. Quelques anecdotes historiques et humoristiques sur le chapitre de Saint-Dié délassèrent quelque peu les participants qui se retrouvèrent à 12 h dans le grand salon de l'hôtel de ville, accueillis au son des épinettes vosgiennes du groupe folklorique de la Soyotte de Saint-Dié. Entre les danses et les chants, M. le Maire de Saint-Dié, puis M. Fuchs, vice-président de la F.N.C.C.C., prirent la parole pour exprimer leur satisfaction mutuelle de ces journées laborieuses mais fructueuses.
Après le repas en commun, égayé par les mêmes épinettes, il fallut revenir à la bibliothèque pour les dernières séances : M. Guy Baudin, conservateur de la bibliothèque du XXe arrondissement de Paris, à propos de la place de la bibliothèque dans le monde contemporain, traita de la planification nécessaire en matière de bibliothèque si l'on veut progresser, rappelant les exemples de l'Allemagne fédérale et de l'Angleterre (tant de livres, tant d'employés par habitant de la cité) de la centralisation des achats et des équipements de livres, et enfin de la nécessité pour couvrir toute la France de créer des bibliothèques de secteur, en commençant déjà par quelques secteurs témoins.
M. Ronsin insista enfin sur le rôle du bibliothécaire en face de la municipalité et en face du public : le bibliothécaire a le devoir impérieux de réclamer des crédits, des locaux et du personnel car il n'a pas le droit de priver la population des services d'une bibliothèque vivante; il demanda que chacun se fixe comme objectif d'obtenir 10 F par an et par habitant pour faire fonctionner sa bibliothèque.
M. Ralite, vice-président de la F.N.C.C.C., rappela en conclusion que la Fédération organisait une campagne nationale pour réclamer que 1 % du budget de l'État soit affecté au Ministère des affaires culturelles (au lieu de 0,42 %), que de très nombreuses organisations culturelles et d'éducation populaire, de nombreuses personnalités des arts et des lettres se préparaient à manifester pour exiger le 1 % et pour demander que les crédits des bibliothèques comme ceux des autres services culturels communaux bénéficient de l'aide de l'État : il serait donc également souhaitable que soient augmentés les crédits du Ministère de l'éducation nationale qui sont affectés aux bibliothèques.
Dernière manifestation de ces trois jours : le Petit Prince. L'animateur du Centre culturel communal, M. Cl. Thébert, qui travaille le jeudi avec des enfants de la section jeunesse, a fait un découpage du texte de Saint-Exupéry et avait pris dix garçons et filles de 10 à 16 ans pour travailler le texte et surtout l'expression corporelle sur une scène sans décor. Encore que le travail de répétition ne fût pas terminé, le spectacle fut apprécié et la discussion entre M. Thébert et les congressistes fut encore très soutenue. Doit-on ou non dans une bibliothèque utiliser un texte comme support d'art dramatique? Les jeunes sont-ils interchangeables si le travail et les représentations durent plusieurs mois? etc...
A 18 h prirent fin les derniers débats sur le sujet inépuisable des limites et des ressources sans fin des bibliothèques publiques.
Au total chacun d'eux eut l'impression d'être venu suivre à Saint-Dié un stage de recyclage non contraignant au cours duquel les échanges d'expériences individuelles comptaient autant que les exposés... ce qui ajoutait un enrichissement notable à un programme pourtant ambitieux!