Nécrologie
Jacques Feller
Jean Bruno
Jacques Feller, conservateur honoraire à la Bibliothèque nationale, vient de mourir dans sa 78e année, le 25 janvier 1968, après une carrière de près de quarante ans, qui se serait entièrement passée au Département des imprimés, s'il n'avait été détaché pendant la guerre pour assurer la conservation de collections d'extrême valeur abritées dans un château provincial. Né à Soissons le 29 décembre 1890, il fit ses études de philosophie à la Sorbonne, encouragé dans son travail par sa grand-mère, Mme Allouard-Jouan, femme de lettres, à qui il garda toujours un souvenir reconnaissant. Licencié, il entra à la Bibliothèque nationale en mai 1917. Il se maria en 1920, devenant le beau-frère de Mlle Solente, qui, à sa sortie de l'École des chartes, allait être sa collègue dans un autre département. Il eut, de 1925 à 1933, quatre enfants.
Après avoir fait d'abord du catalogage, il resta longtemps au service des recherches, car, la salle des catalogues n'existant pas encore, les fonctionnaires de l'Hémicycle devaient fournir de nombreuses cotes aux lecteurs. Il seconda aussi le conservateur-adjoint des magasins. Il connaissait admirablement ceux-ci et l'on avait souvent recours à sa perspicacité et à son obligeance. Il suivit des cours de russe à l'École des langues orientales et savait bien l'allemand. Jusqu'à la guerre il fut en outre bibliothécaire à la Bibliothèque municipale du 2e arrondissement.
En mai 1940, des manuscrits, estampes, médailles, livres rares, venant de la Réunion des bibliothèques nationales, furent transportés pour des raisons de sécurité au château de Castelnau-de-Bretenoux, dans le Lot. On confia la garde de ce dépôt, à partir de juillet, à J. Feller. Lorsque les précieuses caisses (il y en avait près de 500) eurent au début de 1944 quitté le château, J. Feller rejoignit à la fin de l'hiver Clermont-Ferrand, où avait été créée une annexe du Dépôt légal pour recevoir livres et périodiques de la zone sud. En juillet 1944, il était rentré à Paris. Lorsqu'il fut nommé conservateur-adjoint, en février 1945, il était déjà chef des magasins, service auquel il ne cessa de s'intéresser même quand, en février 195I, il en abandonna la direction pour prendre la salle de travail.
A la fin de 1956, J. Feller prit sa retraite. Il accepta d'abord d'enquêter sur les bibliothèques pendant l'occupation. Il continua à travailler pour le Dictionnaire de biographie française, qui lui doit des notices de philosophes, de savants (il avait lui-même publié quelques articles sur le problème de l'invention), de médecins : Bergson, Descartes, Comte, Becquerel, Béclard, Claude Bernard, A. Binet, Broca, etc. Ne s'en tenant pas, pour les penseurs, aux seuls faits de leur existence, il s'attachait à dégager les lignes essentielles de leur système. L'espacement de ses visites à l'Hémicycle en ces dernières années attestait les fléchissements de sa santé, et c'est à regret qu'il renonça, à la fin, à son moyen de transport préféré, la motocyclette. Resté sensible comme dans sa jeunesse, s'affectant même quelquefois de peu, il avait gardé entièrement toute sa bonté, qu'ont pu apprécier ses nombreux amis. Ses collègues n'oublieront ni son dévouement ni sa grande conscience professionnelle.