La nouvelle Bibliothèque municipale du Havre

Paule Tardif

Installée récemment dans de nouveaux locaux, la Bibliothèque municipale du Havre comprend, au rez-de-chaussée, les services de prêt, la discothèque, la bibliothèque pour enfants; au premier étage, la salle des catalogues, la salle des périodiques, la salle de lecture, la salle d'exposition; ont été groupés dans une même aile de l'édifice les bureaux du personnel et les magasins à livres susceptibles de recevoir 14 km de rayonnages

Le 21 octobre 1967, la Municipalité du Havre inaugurait 1, en présence de M. Étienne Dennery, directeur des bibliothèques et de la lecture publique, accompagné par MM. André Masson, inspecteur général des bibliothèques et Jean Bleton, conservateur en chef, une nouvelle bibliothèque située 17, rue Jules Lecesne. Pour la 4e fois depuis la création de la Bibliothèque municipale (qui doit son existence, comme la plupart des bibliothèques publiques françaises, aux décrets révolutionnaires), les collections, s'élevant actuellement à 120 000 livres, ont été déménagées. Cette fois le bâtiment destiné à les recevoir avait été édifié d'après un programme qui adaptait au cas de la ville du Havre les normes établies par le Service technique de la Direction des bibliothèques de France.

Comment en est-on venu à construire alors que la bibliothèque avait, par miracle, échappé aux bombardements de la seconde guerre mondiale ? Une seule raison : l'insuffisance du local où, depuis 1904, fonctionnait notre bibliothèque : une aile du lycée de garçons qui, au début du siècle, avait été aménagée pour les besoins de la cause. Mais, les années passant, le magasin à livres s'était rempli d'une façon inquiétante, menaçant de s'effondrer dans la salle de lecture. Celle-ci conservait une tenue austère, une atmosphère recueillie qui permettaient aux travailleurs d'y passer des heures studieuses et profitables. Mais la section de prêt était paralysée par l'exiguïté de la salle du rez-de-chaussée qui lui était réservée. Enfin, le personnel ne disposait pas de bureaux et travaillait dans des conditions d'hygiène et d'inconfort déplorables.

Si le nombre des livres augmentait, celui des écoliers qui fréquentaient le lycée progressait au point que des baraquements installés dans les cours intérieures pour recueillir les classes du Lycée de filles sinistré, avaient été, après leur départ, attribués aux classes primaires. La Municipalité du Havre se rendit à l'évidence : la bibliothèque de la rue Ancelot ne faisait plus face aux besoins des lecteurs, il était sage d'en construire une nouvelle et de rendre à sa destination première l'aile du Lycée François Ier qui lui avait servi d'abri pendant plus d'un demi siècle.

Les collections de la bibliothèque.

Jusqu'à la dernière guerre, la Bibliothèque municipale du Havre avait été essentiellement une bibliothèque de conservation et d'étude. Les collections primitives provenaient des bibliothèques des couvents des Capucins du Havre, de Fécamp et d'Harfleur, des Pénitents d'Ingouville, des Abbayes de Graville, de Fécamp, du Valasse, de Montivilliers et de Saint-Wandrille, et de celles de quelques émigrés; elles furent heureusement complétées par des achats. Le fonds encyclopédique ainsi constitué est un solide instrument de travail pour les lecteurs de niveau universitaire et les érudits locaux.

Quelques manuscrits de grande valeur de l'époque médiévale provenant de l'Abbaye de Saint-Wandrille, des incunables, des manuscrits de Bernardin de Saint-Pierre, achetés en 1856 et complétés par la suite, une réserve de livres rares de toutes les époques contenant en particulier des livres de navigation et des impressions havraises, sont des trésors que la Bibliothèque du Havre conserve précieusement. Pour compléter ce bref aperçu des collections, il faut mentionner le fonds Chardey composé d'afliches, de pamphlets et de brochures diverses datant de la Révolution, et le fonds Normandie.

Au rez-de-chaussée de la bibliothèque d'étude avait été ouverte en 1947 une bibliothèque de prêt; en 1960, année où fut établi le programme de la nouvelle bibliothèque, la collection de prêt comptait 17 000 volumes.

Telle était la bibliothèque de la rue Ancelot.

Pour prendre la relève, il fallait prévoir pour une ville de 200 à 250 ooo habitants et n'ayant encore aucun collège universitaire, une bibliothèque susceptible à la fois de conserver dans les meilleures conditions les collections précieuses et d'offrir une section d'étude appelée dans une certaine mesure à jouer pour un temps indéterminé le rôle de bibliothèque universitaire. Parallèlement, devaient être créés des services de prêt vivants, s'adressant aux lecteurs de tous âges,enfants, adolescents, adultes, une discothèque d'écoute et plus tard de prêt, un bibliobus pour desservir les quartiers suburbains à population clairsemée et pour compléter l'action des 3 annexes de prêt créées de 1948 à 1960 dans les zones à forte population.

Le terrain.

Lorsque fut prise la décision de construire une nouvelle bibliothèque municipale, la reconstruction de la ville se terminait, il ne restait au centre que très peu de terrains inoccupés. Mais en 1958, avait été inscrite au plan d'urbanisme au bénéfice de la Ville du Havre, une réserve de terrain pour la construction de salles municipales de réunion; il fut décidé que la bibliothèque ferait partie de cet ensemble. Par la suite, des salles municipales ayant été inaugurées dans différents quartiers de la ville, le terrain fut entièrement attribué à la bibliothèque.

Cet emplacement était favorable, il se trouvait à proximité des lycées et collèges et au cœur administratif de la cité; de plus, l'angle des rues Jules Lecesne et Casimir Périer est un carrefour constamment emprunté par les Havrais qui vont du centre de la ville à la gare et aux quartiers industriels, et par ceux qui, au sortir du bureau, regagnent Sanvic, Bléville et toute la banlieue Nord. L'inconvénient du bruit causé par une circulation intense pouvait être pallié par les techniques de construction, et l'animation du quartier paraissait un atout en faveur de la fréquentation de la bibliothèque.

Les architectes, MM. Jacques Tournant et Jacques Lamy, désignés par une délibération du Conseil municipal du 15 mai 196I, se mirent aussitôt à l'étude, travaillant en liaison étroite avec la Direction des bibliothèques et en particulier avec M. Jean Bleton.

La surface restreinte du terrain posait des problèmes pour les aménagements extérieurs (accès, stationnement, plantations). Son orientation imposait le développement d'une façade sud le long de la rue Jules Lecesne, le magasin à livres se trouvant perpendiculaire à cette partie plus basse où les salles de lecture se superposent au rez-de-chaussée et au Ier étage.

Les travaux commencèrent en décembre 1963. Le béton, le verre, le fer étaient les matériaux utilisés, les façades et pignons présentant des panneaux de ciment-pierre d'un blanc éclatant et, à l'est et à l'ouest, sous les fenêtres de la salle des périodiques et des bureaux, des dalles de verre bleu océan.

Les différents services.

Au rez-de chaussée sont groupés les services de prêt : donnant sur un hall dont le centre est occupé par une sorte de colonne Morris se trouve une petite discothèque d'écoute de 12 places, séparée à droite de la salle de prêt des adultes par une cloison de verre. Dans la banque en forme de fer à cheval que la cloison vitrée partage en deux parties inégales, sont intégrés, du côté discothèque, les tourne-disques, du côté bibliothèque de prêt, les habituels fichiers.

La salle de prêt est entièrement vitrée sur deux rues; un auvent la protège du soleil à l'est et au sud et incite le passant à entrer pour feuilleter les revues et les livres bien visibles de l'extérieur.

La collection de prêt n'est actuellement que de 15 000 livres parce qu'une partie trop usagée du fonds de prêt de l'ancienne bibliothèque a été éliminée. La contenance de la salle, cependant très vaste, n'est que de 10 à II 000 volumes car il n'y a qu'un épi mural contre la cloison nord; tous les autres épis sont implantés au milieu de la pièce. Il sera possible d'ajouter quelques meubles qui porteront la capacité de cette salle à 13 000 volumes. En plus des documentaires et romans, cette bibliothèque offre un coin d' « usuels » appréciés de certains lecteurs qui n'osent pas monter dans les salles du Ier étage. Ces usuels et un épi réservé aux jeunes de 14 à 17 ans délimitent un espace calme où des tables et des fauteuils permettent de travailler. Un angle de la pièce aménagé avec tables basses et chauffeuses est le coin des revues et jounaux. Seules peuvent sortir les revues de petit et moyen formats. Enfin, un épi est réservé aux livres en langues étrangères.

Faisant vis-à-vis à cette bibliothèque de prêt, nous trouvons, à gauche de la discothèque, la bibliothèque d'enfants. Elle est orientée nord-sud et s'ouvre sur un jardin qui, aux beaux jours, prolongera la salle. Un meuble bas pour les albums détermine le domaine des plus petits qui sont sous le regard de la bibliothécaire, et celui des plus grands qui sont au fond de la salle. Ici, tous les murs sont garnis de rayonnages à portée des enfants; 3 épis augmentent la capacité de la pièce. Les tables rondes de deux hauteurs sont accompagnées de sièges de proportions assorties. Une assez vaste alcôve est réservée aux activités d'animation.

Des dalles de caoutchouc noir pour le vestibule, la bibliothèque de prêt des adultes et la discothèque, blanc avec de place en place un rappel noir pour la salle des enfants, recouvrent le sol. Un matériau insonorisant a été utilisé pour les plafonds, sauf pour celui de l'« Heure du conte » qui est en pin d'Orégon. La discothèque est fermée par une cloison de verre et de bois de même essence, et le pin d'Orégon se trouve aussi en revêtement sur la cloison ouest du vestibule, apportant une note chaleureuse. Tous les meubles sont en afromosia clair avec pieds de métal noir, les sièges sont en skai rouge, bleu, blanc pour les enfants, en vinyle expansé vert pivert pour les adultes. Les chauffeuses sont blanches. Les couleurs du vestibule et de la bibliothèque de prêt des adultes se retrouvent au Ier étage où l'on accède par un escalier en spirale revêtu de tapiflex vert olive et enrichi d'une lourde rampe d'acajou taillée en plein bois.

Premier étage.

Cet étage est entièrement occupé par la salle des catalogues, la grande salle de lecture, la salle des périodiques et la salle d'exposition.

La banque de prêt occupe tout le fond de la salle des catalogues; elle est légèrement surélevée. Les cloisons vitrées qui délimitent chacune des pièces permettent d'assurer la surveillance avec un minimum de personnel, les employés pouvant de la banque voir l'ensemble des salles.

Les tables de 4 lecteurs sont groupées par deux et l'ensemble de ces salles contient 180 places. En resserrant les allées de circulation qui ont été prévues très larges, il serait possible d'ajouter quelques tables.

La salle de lecture est tapissée d'usuels classés dans des meubles qui ne dépassent pas 2 mètres de hauteur. Comme la salle des enfants, elle est orientée nord-sud; un pare-soleil protège les ouvertures du sud, alors que par les baies de la façade nord on jouit d'un vue reposante sur le jardin.

La salle des périodiques est équipée d'un grand meuble à périodiques avec tablettes d'exposition basculant pour libérer tous les numéros de l'année en cours. Dans cette pièce, prennent place aussi le Journal officiel, les collections Dalloz et Sirey, les jurisclasseurs.

Il existe enfin à cet étage une petite salle d'exposition fermée au sud pour éviter le soleil dangereux pour les livres précieux et ouverte à l'est. Une moquette gris éléphant, 2 vitrines encastrées, soulignées par un cadre de métal doré, d'autres vitrines rectangulaires en glace aux fonds gainés de velours rouge ou vert, aux pieds de métal noir, composent un ensemble raffiné qui met en valeur manuscrits et objets précieux.

En demi-étage, au-dessus du vestibule et se terminant à l'est par un balcon d'où la vue plonge sur la salle d'exposition, est une salle de détente où il est possible de parler et de fumer.

Le plafond de tout l'étage est entièrement en pin d'Orégon. Dans la grande salle de lecture, il est légèrement incurvé comme la nef d'un vaisseau; dans la salle des catalogues des sheds lui donnent l'aspect mouvementé d'un plafond de chalet de montagne.

Services intérieurs et magasin à livres.

Le point de jonction entre la partie publique que nous venons de décrire et le bloc magasin est, au rez-de-chaussée, la discothèque, au Ier étage, la banque de la salle des catalogues. Ce bloc de 4 étages contient en plus des magasins à livres, les bureaux groupés à l'ouest sur le jardin; le bureau du service de prêt aux adultes se trouve à l'est et communique avec la salle de prêt. Le bureau de direction du Ier étage est également orienté à l'est et donne par un petit secrétariat sur la salle des catalogues, une autre porte conduisant aux services intérieurs. Une salle d'arrivée des livres et de manutention, le garage du bibliobus et son magasin à livres, des toilettes et des douches pour le personnel, un réfectoire, des ateliers de photographie et de reliure occupent le rez-de-chaussée de cette partie privée.

Dans le magasin à livres les planchers dalles sont portés par des poteaux métalliques mis en place suivant la trame des rayonnages. Les murs rideaux ont à l'est et à l'ouest d'étroites ouvertures garnies de verre spécial filtrant la lumière. Le magasin, lorsqu'il sera complètement équipé, comptera 14 kilomètres de rayonnages métalliques; des enclaves destinées à recevoir tables et chaises permettront à certains lecteurs privilégiés de venir travailler au milieu des collections de journaux et d'annuaires. La réserve des livres rares constitue une partie des magasins; elle communique avec la salle des manuscrits dans laquelle ont été regroupés les meubles de chêne de la Réserve de la rue Ancelot. Une table et quelques chaises y seront installées à l'intention des érudits qui consultent les manuscrits et les livres rares, mais cela supposera la présence d'un surveillant.

L'éclairage fluorescent dans les salles publiques est souvent combiné avec l'éclairage incandescent. Le chauffage est à air pulsé dans les parties publiques; les bureaux et magasins à livres, le logement du concierge qui se trouve à gauche de l'entrée principale rue Jules Lecesne, sont chauffés par radiateurs à eau chaude.

Commencée, nous l'avons dit, à la fin de 1963, la construction de la bibliothèque qui devait durer 2 ans, fut retardée par de nombreuses vicissitudes.

En juin 1967 on put procéder au déménagement qui se prolongea jusqu'à la mi-octobre. L'inauguration ayant été fixée au samedi 2I octobre, le lundi suivant, 23 octobre, les salles du premier étage étaient ouvertes au public. Le 2 novembre s'ouvraient les salles de prêt des adultes et des enfants. Nous espérons qu'avant la fin de cette année la discothèque sera en mesure de fonctionner au moins pour l'écoute sur place. L'équipement du bibliobus urbain suivra sans doute en 1969.

Conclusion.

Après six mois d'utilisation, que penser de cette nouvelle bibliothèque ?

Tout d'abord, reconnaissons qu'elle est extrêmement bien située. Les bruits extérieurs ne sont pas gênants car les parois de glace sont un excellent isolant et les plafonds insonorisés sont efficaces. Le fait que les architectes aient « pensé » l'intérieur de la bibliothèque, qu'ils soient partis de son fonctionnement avant de « penser » la façade n'a nullement nui à l'aspect extérieur : les volumes sont harmonieux et l'architecture heureuse.

Les lecteurs sont satisfaits : les jeunes apprécient les grandes salles claires, les tables sur lesquelles ils peuvent étaler beaucoup de livres et de cahiers, les usuels faciles à consulter, le fumoir où ils peuvent aller bavarder sans déranger leurs voisins. Les lecteurs plus âgés ont d'abord regretté l'ancienne salle de lecture bien close; ils craignaient, derrière ces vastes baies vitrées, d'être exposés à tous les regards, mais ils ont rapidement apprécié le confort qui leur était offert.

Le personnel de la bibliothèque a été conquis d'emblée; il dispose de bureaux agréables et si les distances à parcourir sont trois fois plus longues que dans l'ancienne bibliothèque, le monte-livres et l'ascenseur épargnent beaucoup de fatigue.

Le plan très clair avec des entrées distinctes pour le public, pour la réception et l'expédition des livres, pour le bibliobus, avec circulations verticales et horizontales des livres s'avère fonctionnel et c'est grâce à cela qu'une équipe réduite parvient à animer cette lourde machine.

Nous avons constaté que la fréquentation augmente; les jeudis et samedis en particulier, les salles de lecture ont l'activité de ruches silencieuses.

Laissons maintenant parler les chiffres.

Si la bibliothèque d'étude n'a encore enregistré que 300 inscriptions pour le prêt à domicile, les entrées atteignaient le 30 avril 1968, c'est-à-dire après quatre mois, le chiffre de 13 804 et II 633 livres avaient été communiqués sur place à la même date. Pour l'année 1966 entière nous avions eu 15 750 entrées et nous avions communiqué 12 316 livres. La bibliothèque de prêt aux adultes compte près de 4 500 abonnés qui ont emprunté, en six mois, 47 595 volumes.

La bibliothèque d'enfants, qui est une création, a maintenant 2 619 abonnés; ils ont emprunté 23 508 livres, bien que chaque enfant ne puisse emporter qu'un livre à la fois, les collections ne permettant pas de faire mieux pour l'instant.

Pour permettre le plein épanouissement des sections de lecture publique, il faudrait accélérer le rythme de mise en circulation des livres nouveaux, allonger les heures d'ouverture du prêt aux adultes, simplifier la technique du prêt pour gagner du temps et organiser une animation des différents services. Cela a été commencé pour la bibliothèque d'enfants et nous espérons l'année prochaine étendre cette animation à la section de prêt aux adultes.

C'est donc avec un certain optimisme que nous envisageons l'avenir pour la nouvelle Bibliothèque du Havre, si toutefois l'effectif du personnel et les crédits d'achat de livres permettent de répondre à l'empressement manifesté par les lecteurs.

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Plan du rez-de-chaussée

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Plan du 1er étage