Circulaire du 10 avril 1968 adressée aux conservateurs en chef et conservateurs des bibliothèques municipales classées

Étienne Dennery

Le rapport du groupe de travail sur la lecture publique vous a informés des grandes lignes de la politique de développement de la lecture publique que veut engager et poursuivre le Gouvernement et qui a été approuvée par le Comité interministériel du 25 janvier.

Je tiens à vous indiquer, notamment, les points sur lesquels je souhaite faire porter, dès cette année, un effort particulier et les moyens que je pourrai mettre à votre disposition pour atteindre les buts fixés.

Responsables de la bibliothèque de votre ville, vous ne pouvez douter du rôle essentiel qui vous revient dans l'extension du service public de la lecture. Mieux que personne, vous vous rendez compte de tout ce qui reste à faire pour que votre action soit connue et pour étendre votre public. Vous êtes également conscient des immenses progrès qui doivent être réalisés tant au point de vue des locaux que des collections de livres et du personnel.

La population urbaine s'accroît, parfois avec une rapidité étonnante; la structure de la ville se modifie et vous voyez naître à la périphérie de votre commune de véritables agglomérations, particulièrement déshéritées au point de vue culturel.

Vous avez à cœur d'informer vos municipalités de vos vœux et de leur dire quelles initiatives devraient, selon vous, être prises dans le domaine de la lecture publique. Il est bon qu'elles sachent que l'État cherchera à les aider dans l'accomplissement de leur tâche.

C'est par son aide financière que l'État peut essentiellement agir, soit en appuyant l'effort déjà accompli par les villes, soit en incitant les villes à un effort accru.

Cette aide peut porter et sur l'équipement et sur le fonctionnement.

Équipement.

Le succès d'une bibliothèque de lecture publique est souvent dépendant de l'emplacement et de la disposition du local. L'accès direct du public à un choix important de livres ainsi qu'aux sources d'information, l'installation d'une section enfantine, l'ouverture d'une discothèque supposent des possibilités d'aménagement que n'offrent pas toujours les bibliothèques léguées par le passé.

Que la ville décide d'améliorer les locaux existants si les conditions s'y prêtent, ou, mieux, qu'elle décide de construire une bibliothèque centrale, l'État peut participer, désormais, aux frais à concurrence de 50 % et non plus seulement de 35 %. Il y a là une réelle stimulation à la construction de bibliothèques publiques modernes, base primordiale de la lecture publique dans les villes.

Dès que la ville connaît une certaine extension, la bibliothèque centrale ne suffit point à la desservir. La création d'annexes est alors souhaitable. Ces annexes, qui n'ont pas les mêmes servitudes qu'une véritable bibliothèque, peuvent se présenter comme d'agréables boutiques qui, de l'extérieur, appellent le visiteur. Tant par son aspect différent de celui de la centrale que par son implantation dans des quartiers plus ou moins éloignés du centre, l'annexe doit vous permettre de recruter de nouveaux lecteurs. Il en est, bien entendu, de même des annexes consacrées aux sections enfantines.

J'appelle votre attention de façon très particulière sur l'implantation de centres de lecture dans les grands ensembles urbains; vous trouverez, ci-joint, deux circulaires adressées aux Préfets par le Ministre en vue de prévoir à moyen terme les créations possibles de tels centres dans les Z.U.P. Je sais que, sous l'autorité du Maire et en liaison avec nous, vous suivrez très attentivement cette question qui est, à mes yeux, de la plus grande importance.

Dans le budget de 1968, les crédits permettant la participation de l'État, jusqu'à concurrence de 50 % à l'équipement des bibliothèques sous toutes ses formes (construction ou aménagement de centrales, d'annexes, de succursales dans les grands ensembles), ont été accrus. Sur le chapitre 35-61, ils passent de 150 000 F inscrits au budget de 1967 à 262 000 F; quant aux crédits d'autorisations de programme pour les bibliothèques municipales (chapitre 66-70), ils étaient de 9 000 000 F en 1967 et ils s'élèvent à 15 000 000 F en 1968.

La mobilité démographique et le renouvellement constant des zones d'habitation rendent, parfois, difficile le choix définitif des centres de lecture fixes. Pour parer à cet inconvénient, le bibliobus urbain de prêt direct est d'un heureux emploi. Il a, de plus, l'avantage d'attirer l'attention du public et, aussi, dans certains cas, d'aller au devant des lecteurs. L'État, cette année, fera don à cinq villes 1 de France, d'un bibliobus d'ample contenance, spécialement aménagé, et doté de livres. Quant aux villes qui décident de faire l'achat d'un bibliobus urbain, elles peuvent bénéficier de l'aide de l'État à concurrence de 50 % des frais.

Fonctionnement.

Attirer le public dans les bibliothèques, c'est s'engager à lui offrir un choix d'ouvrages et de documents qui répondent à la diversité de ses besoins et de ses curiosités. C'est dire la nécessité de pouvoir consacrer aux acquisitions d'ouvrages des sommes suffisantes, faute de quoi le lecteur repartirait déçu.

En ce domaine, l'aide financière de l'État peut multiplier l'effort des municipalités, qu'elle se manifeste sous forme de subventions financières ou de dotations de livres. Le budget de 1968 a très sensiblement accru ce crédit de fonctionnement accordé par l'État. Il passe de 504 450 F en 1967 à la somme de 3 729 450 F cette année. Les modalités d'octroi des subventions en espèces sont définies dans la circulaire du Ministre de l'Éducation nationale du 14 mars 1968 2 (B. O. E. N., n° 12, 2I-3-68, p. 945 à 947) dont le texte est ci-joint. Cette circulaire a été adressée sous le couvert des préfets à 500 maires environ. Il vous revient, bien entendu, d'attirer l'attention de vos municipalités sur les possibilités que leur donne ce texte et, aussi, sur les critères qui décideront de l'octroi des subventions.

Des dotations en livres pourront être faites par l'État aux villes qui ouvriraient des services de lecture publique nouveaux soit bibliothèques, soit sections enfantines, soit annexes et succursales.

Personnel.

La compétence du personnel des bibliothèques municipales a été reconnue par le groupe interministériel comme une des conditions du développement de la lecture publique.

Des mesures de révision indiciaire ont été proposées au Ministre des Finances en vue d'améliorer et garantir le recrutement de ce personnel. J'espère pouvoir vous donner prochainement des précisions à ce sujet.

Il a été décidé que les élèves de l'Ecole nationale supérieure de bibliothécaires destinés à diriger des bibliothèques de lecture publique feraient des stages dans des centres orientés vers la formation d'animateurs. Il a été prévu, en outre, qu'un personnel nouveau serait créé : les bibliothécaires de lecture publique. Il serait chargé, sous la responsabilité du conservateur, des tâches d'animation. Ces tâches, dont la nécessité ne vous échappe pas mais que vous pouvez difficilement accomplir actuellement, faute de collaborateurs, pourront, je l'espère, être assumées plus complètement. Ce personnel de bibliothécaires de lecture publique, dont le statut est encore à l'étude, sera, qu'il soit affecté dans les bibliothèques municipales classées ou dans les bibliothèques centrales de prêt, du personnel d'État. Mais il ne pourra, bien entendu, être effecté dans des bibliothèques municipales qu'à la demande des collectivités locales, qui participeront à sa rémunération. Il jouera un rôle essentiel dans l'accueil et l'orientation du public des bibliothèques, des sections enfantines, des annexes de quartiers et de grands ensembles, des bibliobus urbains de prêt direct. Il organisera des expositions, des débats et des manifestations culturelles autour du livre. Je vous engage vivement, par ailleurs, à maintenir les meilleurs contacts avec les services publics et associations qui exercent des activités socio-culturelles et, en gardant toujours votre personnalité de bibliothécaire, à collaborer utilement avec elles.

Vous devez être très spécialement attentif à l'évolution actuelle des communes, à l'instauration possible de secteurs de coopération intercommunale et même de structures administratives nouvelles, telles que les communautés urbaines pour les grandes métropoles. Il y a là un mouvement dont les conséquences pour l'équipement culturel, donc pour la lecture publique, peuvent être très importantes.

Au fur et à mesure que les moyens nécessaires vous seront accordés tant par l'État que par la collectivité locale, vous aurez à donner un nouveau visage au Service de la lecture publique urbaine.

Je compte sur votre initiative et votre ingéniosité pour faire connaître au plus large public votre existence et les ressources que vous offrez et pour utiliser, au mieux, les moyens de publicité que procurent la presse, les émissions de radio et de télévision, les affiches, les tracts... L'appui de l'opinion peut être, pour notre œuvre, d'une importance qui ne saurait être exagérée.

A la Direction des bibliothèques et de la lecture publique a été créé un service de la lecture publique dirigé par Mlle Garrigoux, conservateur en chef. Il vous aidera dans toute la mesure de ses moyens.

Les expériences nouvelles qui seront tentées en 1968, tant par vous que par vos collègues des B.C.P., doivent jouer un rôle décisif d'impulsion et d'émulation. Aucune réussite ne doit rester ignorée. La connaissance des succès remportés hâtera, je l'espère, le départ du plan de développement qui permettra, dans quelques années, de doter la France d'un réseau de lecture publique efficace qui lui fait actuellement défaut.

Il va sans dire que le programme de travail, que je vous ai exposé, sera étudié sous l'autorité du Maire de votre ville.

  1. (retour)↑  Créteil, Lyon, Mulhouse, Reims, Roubaix.
  2. (retour)↑  Voir pp. 179-181.