Noël Gille, dit La Pistole, « marchand foirain libraire roulant par la France »
Anne Sauvy
Au moment où la librairie et le colportage sous l'Ancien régime font l'objet de nombreuses recherches, l'article de Mme Sauvy s'attache à reconstituer la carrière d'un marchand forain libraire, métier semi-clandestin au sujet duquel les documents sont rares. A partir du livre de comptes de Noël Gille - qui évoque incidemment les goûts littéraires de l'époque -, et de diverses pièces d'archives nées de ses démêlés avec la police, se trouve retracée une existence souvent pittoresque.
Alors que la profession de libraire a fait l'objet de fréquentes études, alors même que l'activité des colporteurs commence à nous être connue, il semble que le métier de forain libraire soit resté presque entièrement dans l'ombre, bien qu'il présente un intérêt certain pour l'étude de la diffusion du livre et des idées dans les provinces. Les libraires forains, qui paraissent avoir été fort nombreux et fort actifs, sont à vrai dire passés sans trop laisser de traces. N'appartenant à aucune communauté syndicale, n'ayant parfois aucun point d'attache, ils ont pour la plupart disparu sans que des documents puissent nous attester leur existence.
Pour l'un d'eux cependant, nous avons eu la chance de retrouver un ensemble de pièces permettant de reconstituer les traits essentiels de sa vie et d'étudier avec précision comment, durant quelques années, il a exercé sa profession : il s'agit de Noël Gille dit La Pistole, « marchand foirin libraire roulant par la France ».
I. Les Origines.
Fils de Noël Gille, maître cordonnier, et de Jeanne Guillé, Noël Gille naquit, sans doute en 1744, à Montsurvent près de Coutances.
Cette origine appelle une parenthèse car, si le rôle des libraires normands est connu au XIXe siècle, il l'est beaucoup moins pour les périodes précédentes. Or il existe un document, daté du 29 juin 1765 2, qui signale des « marchands forains qui vendent des livres dans la campagne et dont quelques-uns en font entrer à Paris ».
Ces marchands sont :
Nicolas Lelong, natif de Montsurvent.
Alexis Marois, natif de Geffosses près de Coutances.
Les frères Roset - dont l'origine n'est pas indiquée - mais qui eurent affaire avec Noël Gille.
Germain Renault, natif de Montsurvent.
« Le nommé Petole, manchot d'un bras, natif de Montsurvent près Coutances, marchand d'estampes et de livres qu'il vend à la Champagne, il les achète de Lelong. » Ce Petole est sans doute Pierre Gille, frère de Noël Gille, et lui aussi libraire forain. Invalide pensionné, il recevait du roi une pistole par mois, ce qui lui avait valu le surnom de « La Pistole » qu'on appliquait aussi à son frère.
Si on joint à cette liste Pierre Blaizot, né à Montsurvent en 1742, qui a fait l'objet d'une étude de F. Evrard 3, et qui est un des créanciers de Noël Gille, Michel Lainé né à Gouville près de Coutances et associé de Lelong 4, Isaac Picam né à Savigny dans le diocèse de Coutances 5, Jean Leclerc né à Montsurvent vers 1747, marchand d'estampes et colporteur de mauvais livres 6, Letournez, ami d'enfance de Noël Gille avec lequel celui-ci entretint des relations professionnelles importantes, et Jean-François Gille, autre libraire forain sans doute parent du nôtre on verra, bien que cet aperçu soit très incomplet, que la région de Coutances était au XVIIIe siècle une véritable pépinière de colporteurs et de marchands de livres ambulants.
Un texte de 1727, État statistique de l'élection de Coutances, qui nous a été indiqué par les Archives départementales de la Manche 7, est d'ailleurs très explicite à ce sujet : « ...dans douze ou quinze paroisses voisines de la mer, du côté de l'élection de Carentan, il sort, tous les ans, au mois de mars, un grand nombre d'habitants, pour aller, les uns vendre dans les provinces du royaume des livres, des estampes et cartes géographiques, les autres porter des balles de mercerie et de quincaillerie... »
Rien d'étonnant donc si, dans ce milieu, Noël Gille fut très jeune entraîné à ce genre de commerce. Vers douze ou quinze ans, il commença à vendre des images ou des almanachs, vers sa vingtième année il quitta Montsurvent et peu après il entreprit le commerce des livres.
2. La condition de libraire forain.
Noël Gille parcourait la France avec une charrette attelée de deux chevaux. Bien qu'il ait déclaré en 1774 dans un interrogatoire de police 8 n'avoir qu'un cheval, il semble bien qu'il ait voulu minimiser alors l'importance de sa situation. En 1776 « ses deux chevaux, sa voiture, bâches et malles » sont en effet estimés mille livres 9 et il déclare à la même date que « ce commerce ne peut se faire qu'avec des frais conséquents attendu la pesanteur des marchandises et pour les transports de ville en ville du Roÿaume affin d'en avoir le débit, il luÿ étoit important davoir des voitures et des chevaux à son compte, il pri donc le partÿ d'acheter une voiture, des chevaux et chargea sa voiture de Marchandises, et se mit en Routte; il parcouru de ville en ville du Roÿaume pour faire la vente de ses dittes Marchandises »'
Sa situation était donc très différente de celle d'un pauvre colporteur se déplaçant à pied en portant sa balle. Certaines dénonciations qui nous donnent un signalement d'autres libraires forains circulant en voiture les décrivent portant redingote et bottines 10.
La condition de libraire forain ne devait pas, malgré tout, être sans nuages. Gille, qui était pourtant alors dans la force de l'âge, indique en 1776 qu'il a, depuis qu'il fait son commerce, essuyé six maladies qui l'ont « réduit prêt de perdre la vie au point que ünne de ses Maladies l'a retenu au lit pendant près de deux mois ». Il explique aussi comment « il a été contraint de faire des voÿages conséquents nayant point le débit de ses marchandises attendu que les marchands en gros les luÿ avoints vendus trop cheres, il seu vii donc contraint de voÿager jour et nuit affin de ne mancquere âucunnes foires nÿ Marchefs cest donc ce qu'il Luÿ a occasionné Les maladies détaillés en Létat cÿ contre, ce qu'il Luy a encor occasionné la perte de unse chevaux » et Gille parle alors des retards qui en résultèrent et des frais pour payer les aubergistes et les maréchaux. Enfin, « étant en route par les pluÿes, et Mauvais tems ä eü des voitures Rompues, il a fallu qu'il cherche à âvoir des secours, il a été contraint en différentes foÿs de déballer, et renballer ses Marchandises sur Les Routtes, et par les pluÿes, il a souffert des dommages conséquents; les pluÿes Luÿ onts gattés une infinité de Marchandises ; il en a encore eü qui ont étés gattés dans les foires, et Marchefs... »
Ainsi que pour les autres marchands forains, ce sont donc les foires qui déterminent ses déplacements. Il déclare lui-même être allé à Béthune pour les foires du mois d'août et de la Chandeleur, et il se trouve à Montargis en juillet 1774 pour celle de la Sainte-Madeleine.
Cela ne l'empêchait point de vendre ses livres ailleurs lorsque l'occasion s'en présentait, ainsi qu'en témoigne l'interrogatoire de 1774 :
« Interrogé s'il ne va pas proposer des livres à acheter dans des châteaux ou dans des maisons de campagne.
« A répondu qu'il va partout. »
Il est difficile de savoir combien il transportait de livres dans sa charrette; il a dit qu'il portait « des caisses tantôt au nombre de deux, de trois ou de quatre » mais sans doute a-t-il, là encore, cherché à réduire l'importance de son commerce car certaines de ses ventes semblent prouver qu'il transportait un grand nombre de volumes.
Voyageait-il seul? Il a déclaré à Joseph d'Hémery, Inspecteur général de la Librairie, qu'il n'avait pas de compagnon. La chose n'est pas prouvée, et certains libraires forains avaient avec eux un, deux ou même trois garçons 11, d'autres se déplaçaient avec leur femme et leurs enfants 12.
Une question se pose à ce sujet : Gille a déclaré ne pas savoir écrire et que sa femme ou [son beau-frère cordonnier se chargeait de sa correspondance. Il a fait cette déclaration à Joseph d'Hémery, auquel il semble s'être ingénié à mentir avec beaucoup d'application. Mais sa signature est en effet fort mal assurée, et cela à des moments où rien ne le poussait à cacher ses capacités, comme lorsqu'il signait son acte de mariage 13. Or nous possédons son livre de crédit, qui est tenu du 22 mai 1770 au 23 juin 1776 et, semble-t-il, par la même personne. L'orthographe en est des plus incertaines mais la main semble être celle de quelqu'un qui a l'habitude d'écrire. Qui a tenu ce livre ? Il est bien difficile de le déterminer.
Comment s'organisait le commerce ? Laissons la parole à Noël Gille 14 : « Le commerce de marchand foirin Libraire occasionne des frais denvoye des marchands en gros, de leurs marchandises à leur destination, ils chargent donc soit les cavalliers publicques, ou Roulliers affin de les faire rendre au domicile de leurs débitants ; ils en donnents âvis à ses derniers par Lettre qu'ils Mettents à la poste. » Il se plaint par ailleurs que « Les négotiants avec lesquelles il avoit traittés, pour luy faire des envoÿes de marchandises, Luy onts occasionné des Retards, attendu leurs lenteurs de lui laire leurs envoÿes; Ledit Sr Gille avait Luy-Meme fait unne partye de ses Reventes ce qu'il Luÿ a occasionné des dommages et interrest à évitter des poursuittes des Marchands avec lesquelles il avoit traittés, de ces mancques luy onts encor empécher la vente en différentes foÿes, et luÿ onts fait mancquere une infinité de foire et marchefs ».
Pendant quelques années, Gille, qui a quitté Montsurvent, n'a pas de domicile fixe; il lui arrive de faire des billets payables à Aire-en-Artois, ou à Paris rue Saint-Martin, mais ce ne sont pour lui que des lieux de passage où il se rend, ou se contente d'envoyer l'argent, pour acquitter ses billets.
Mais à partir de 1773, son mariage lui donne un point d'attache à Montargis. Il épouse en effet, le 19 juillet en l'église de Montargis, Anne-Madeleine Boulmier, fille de Pierre Boulmier, maître cordonnier, et d'Anne Bossard. Pierre Gille, frère de l'époux et libraire forain, est un des témoins. Dès lors, la plupart des voyages de Noël Gille se font dans un rayon de dix lieues autour de Montargis. C'est à Montargis que lui naîtront six enfants entre 1774 et 1782. C'est à Montargis qu'il mourra en 1824, à l'âge de quatre-vingts ans. Et, vers l'époque de son mariage, il ouvre dans cette ville un magasin de livres qui s'ajoute à son commerce itinérant.
3. Les déplacements (voir carte)
Nous possédons, pour étudier de près l'activité de Noël Gille durant six années de sa vie, une source de renseignements très précieuse qui est son livre de crédit 15. Il ne s'agit pas là, précisons-le bien, d'un livre de comptes où chaque achat, chaque dépense se trouveraient indiqués, mais d'un livre où étaient consignés les articles vendus dont le paiement n'était pas acquitté sur le champ. Par la suite, lorsqu'une dette était réglée, l'article correspondant était biffé. Il peut donc se trouver de longues périodes où les paiements étant effectués au comptant, rien n'est inscrit sur le livre, et d'autre part il faut penser que nous ne possédons là de données que sur les ventes les plus importantes et qu'une multitude de petites affaires nous échappe, mais, cette restriction faite, nous pouvons néanmoins puiser dans ce livre de crédit d'intéressantes indications.
Nous étudierons en premier lieu les déplacements effectués par Noël Gille. Le livre est ouvert le 22 mai 1770 à Saint-Omer. Jusqu'au 26 août, Gille reste en Artois où nous le voyons à Aire, à Calais, à Montreuil-sur-Mer, à Hesdin, etc. Puis, jusqu'au printemps suivant, il reste dans la région parisienne, poussant parfois jusqu'à la Loire, vers Gien ou vers Orléans, mais le principal champ de ses activités se trouve au sud de Paris dans la région de Melun, Nemours, Montargis, Dourdan, Étampes. En juin 1771 il retourne dans le Nord jusqu'au mois de septembre, c'est là son dernier voyage dans cette partie de la France qu'il semble avoir fréquentée plus régulièrement auparavant. Ensuite nous le revoyons surtout au sud de Paris dans un périmètre d'action dont les points extrêmes sont Bourges, Amboise, Beaugency, Étampes, Versailles, Poissy, Pontoise, Provins, Nogent-sur-Seine et Saint-Florentin. Il reste souvent une semaine ou quinze jours dans la même ville, parfois un mois, comme à Gien-sur-Loire du 25 novembre au 20 décembre 1773, mais c'est bien entendu à Montargis qu'il fait les plus longs séjours. Nous devons d'ailleurs supposer qu'il effectue des déplacements assez rapides entre deux ventes réalisées au même lieu : ainsi nous le voyons, d'après son livre de crédit, à Nemours les 16, 20 et 25 juillet 1773 mais le 19 il se marie à Montargis.
Il semble, d'après les indications que l'on rencontre, que les forains avaient ainsi une zone d'action à laquelle ils restaient fidèles. C'était, pour Pierre Gille, la Champagne, pour d'autres le Nord, la Lorraine ou la Normandie.
4. Les marchandises.
Avant de nous pencher sur les ouvrages vendus par Gille, remarquons que ce commerce était tout à fait irrégulier. Les seuls libraires membres d'une communauté syndicale avaient le droit de vendre des livres. L'arrêt du Conseil d'État du Roi, rendu le 31 décembre 1748 16, précise qu'il est interdit à toutes personnes autres que les marchands libraires de vendre, débiter ou autrement distribuer des livres, même dans les campagnes, dans les foires ou ailleurs, à l'exception des ABC, almanachs, petits livres d'heures ou de prières n'excédant pas deux feuilles d'impression du caractère Cicero. Cet arrêt ne semble pas avoir préoccupé Noël Gille outre mesure, et ne l'a pas du moins empêché de vendre à plusieurs reprises les Œuvres de Voltaire en 52 volumes...
En fait, il vend de tout, il vend tout ce que sa clientèle lui réclame. Son livre de crédit ne parle guère de petites brochures de littérature populaire, qui étaient plutôt l'affaire des colporteurs ou qui, en raison de leur prix modique, devaient être réglées directement. Il en avait peut-être, mais il transportait surtout des ouvrages plus importants pour des clients aux désirs variés.
Il vend des livres de théologie et de piété en grand nombre : l'Histoire ecclésiastique en 36 ou 40 volumes, les Conférences d'Angers en 14 ou 22 volumes, le Catéchisme de Montpellier, les Œuvres de Saint-Augustin en Io volumes, la Vie des Saints, 33 Apologie de la Religion, 23 Voix des Pasteurs, de très nombreux sermons de Massillon, de Clément, de Bourdaloue, des centaines de Journées chrétiennes, d'Iinitatioit de Jésus-Christ, d'Épîtres et Évangiles.
Il vend tout autant de livres de droit et surtout Denisart, d'autres recueils de Jurisprudence, les Traités des donations, des fiefs, des retraits, du contrat de mariage, 9 Instructions sur les Conventions, II Traités des matières criminelles de Rousseau de la Combe, II Style criminel, les Coutumes de Montargis, de Melun, de Meaux, de Troyes, diverses ordonnances, etc.
Les livres d'Histoire semblent être aussi très demandés et ce sont en général des ouvrages assez volumineux, tels l'Histoire de France en 20 ou en 22 volumes, l'Histoire d'Angleterre en 10, 18 ou 23 volumes, l'Histoire romaine en 16 volumes, l'Histoire des Empereurs en 12 volumes, l'Histoire du Patriotisme, les Révolutions de Suède et de Portugal, l'Esprit d'Henri IV, la Vie de Philippe d'Orléans.
La littérature occupe une place peut-être encore plus importante et est marquée par un caractère de grande diversité : littérature latine - Ovide surtout, mais aussi Virgile et Catulle - littérature italienne - Roland furieux, 14 exemplaires de la Jérusalem délivrée - littérature espagnole - le Don Quichotte - littérature anglaise - 9 Robinson Crusoë, 4 Clarissa Harlowe, 5 Paradis perdu, les Voyages de Gulliver, Grandison, Tom Jones - et, surtout, littérature française. Dans ce domaine encore nous trouvons un grand choix d'ouvrages : Montaigne est le seul représentant du XVIe siècle, mais le XVIIe est extrêmement demandé : 16 Racine, 14 Molière, 18 Corneille, 32 Boileau, 27 La Fontaine, sans oublier Scarron, Madame de Sévigné, La Bruyère. Au XVIIIe siècle nous trouvons Lesage avec II Gil Blas et 4 Diable boiteux, Crébillon, la Vie de Marianne, le Paysan parvenu, Cleveland, les Contes moraux de Marmontel - très appréciés - les Saisons de Saint-Lambert, les œuvres de Jean-Baptiste Rousseau, un très grand nombre de pièces de théâtre dont les titres ne sont pas précisés, et, bien sûr, les Philosophes.
Trois fois Gille vend les œuvres de Voltaire en 52 volumes, et 8 fois l'édition de 32 volumes, 6 fois les œuvres de Jean-Jacques Rousseau. Il vend aussi Montesquieu, Fontenelle, d'Alembert. Il vend séparément 19 Théâtre de Voltaire en 6 volumes, des dizaines de Siècle de Louis XIV et de Siècle de Louis XV, 18 Henriade, 18 Nouvelle Héloïse, de nombreux Contes de Vadé, de Voltaire.
Il a également des livres de sciences et de technique : les Éléments de Mathématiques et le Parfait Bouvier, la Chirurgie de Goulard et la Grammaire de Resteau, les Ordonnances d'Infanterie et la Bonne fermière, des centaines d'arithmétiques, 20 Cuisinière bourgeoise, 8 Histoire naturelle de Buffon, le Parfait Maréchal et le Parfait Écuyer, les Éléments de Pharmacie et le Jardinier Potager, les Maladies des enfants et l'Administration des fabriques, les Accouchements des femmes et la Rhétorique des demoiselles.
Une autre partie de ses livres échappe à ces classifications : ce sont de nombreux livres de voyage parmi lesquels le Voyageur françois semble le plus recherché, des contes de fées, des Alcoran, des Instructions de la jeunesse, des Journées amusantes et autres Amusements sérieux, l'Albert moderne, la Bibliothèque des Jeunes Dames, le Magasin des Enfants.
Enfin il vend un très grand nombre de dictionnaires, ouvrages de consultation facile que sa clientèle semble avoir appréciés tout particulièrement. Au terme de cette longue énumération nous ne pouvons nous attarder trop sur ceux-ci mais ils présentent pourtant un intérêt par la variété des domaines qu'ils couvrent et la fréquence avec laquelle ils sont vendus : Dictionnaires de Richelet, de Morery, de Bayle et de Furetière; Dictionnaires géographique, historique, physique, vétérinaire, apostolique; Dictionnaire des grands hommes, des femmes célèbres, des portraits, des cas de conscience, de la Bible, de l'Antiquité, de la Fable, de la France, des Conciles, de la police, du vocabulaire, des voyages, du cultivateur, de médecine, de musique, de cuisine, etc.
Si les livres constituent très largement le principal objet du commerce de Noël Gille, nous le voyons aussi vendre du papier marbré, des cartes géographiques, des cahiers de musique, des Étrennes mignonnes, des découpures, des dominos et même, par trois fois, des montres en or.
5. La clientèle.
Les clients du libraire forain sont tout aussi divers que les marchandises qu'ils achètent. Les ecclésiastiques sont en grand nombre - curés, vicaires, chanoines, prieurs, doyens, moines - ils achètent surtout des livres de religion, parfois d'histoire. Un abbé de Montereau acquiert des Métamorphoses d'Ovide, c'est exceptionnel. Il ne nous a pas été possible de surprendre un seul homme d'Église en flagrant délit de philosophie.
La Noblesse n'est pas une grosse cliente. Elle s'intéresse surtout à l'Histoire. Nous voyons le marquis de Grimy acheter le 26 août 1770 les 18 volumes de l'Histoire moderne, les Mémoires de Sully, l'Histoire de Malte, l'Histoire de Condé, celle de Henri IV. Parfois, d'autres préoccupations la poussent : M. de la Brulerie, seigneur au Château de Joigny, prend les Lettres et Mémoires de Madame de Maintenon avec l'Esprit de l'Encyclopédie ; M. Lataille, gentilhomme cultivateur, demande le Jardinier fleuriste, la Maison rustique, et 16 volumes qui sont peut-être des livres interdits car les titres n'en sont pas notés; M. le Chevalier de Tristan, garde du corps demeurant à Bourges, achète, en même temps que le Parfait Maréchal et les Éléments de Cavalerie, les 6 volumes de la Nouvelle Héloïse.
Les clients les plus importants sont cependant les officiers civils, les gens de robe, les bourgeois, les médecins. A eux vont tous les livres de Droit. On retrouve parfois leur nom plusieurs fois à des dates différentes : ainsi M. Marian, conseiller au Châtelet de Melun, qui achète le 24 septembre 1770, un Denisart, un Journal des Audiences, un recueil de jurisprudence et un recueil d'arrêts. Il achète deux autres ouvrages de Droit, le 17 avril 1771. Nous le retrouvons le 28 juin 1773, date à laquelle il prend un Dictionnaire des Grands Hommes en 6 volumes, un Voyageur françois en 10 volumes, un Don Quichotte, et un Robinson, et, le 4 novembre 1775, il demande à nouveau un Dictionnaire des Grands Hommes, un Dictionnaire de l'Histoire naturelle et une Histoire romaine en 16 volumes.
Nous voyons M. Dusailly, maire de ville demeurant à Nemours, acheter, le 10 juillet 1773, des livres « pour les prix du Collège » : ce sont Virgile, Boileau, La Fontaine, la Grammaire de Resteau, la Géographie de Lacroix, la Révolution romaine, les Révolutions de Suède et de Portugal.
M. Lefebvre, bourgeois de Montargis, acquiert les 52 volumes des Œuvres de Voltaire en 1772; M. Jenson, avocat à Gien-sur-Loire, achète les mêmes œuvres de Voltaire en 32 volumes, avec quelques livres de Droit; le commandant de Bapaume prend, le 21 juin 1771, un Montesquieu en 7 volumes, un Jean-Jacques Rousseau en II volumes.
Il y a encore des achats purement professionnels : des médecins et des chirurgiens qui veulent des ouvrages médicaux, le directeur de l'École vétérinaire de Charenton qui demande un Parfait Maréchal et un Dictionnaire des plantes, l'aubergiste d'Aire en Artois qui est inscrit pour un dictionnaire de cuisine.
Restent enfin les libraires et les libraires forains avec lesquels Gille traite ses plus grosses affaires : ces ventes sont sans doute toujours faites à crédit et les dettes ne sont pas toujours acquittées par la suite. Elles portent sur un très grand nombre d'ouvrages qui laissent à penser que Gille transportait une quantité de marchandises assez étonnante - mais peut-être faut-il observer que selon les déclarations que nous avons rapportées plus haut, il faisait une partie de ses reventes avant d'avoir reçu les envois des négociants en gros.
Nous le voyons donc vendre à Delorme, le 5 juin 1770, 248 volumes de contenu très varié, pour la somme de 833 livres 14 sols; à Antoine Hibert, libraire à Melun, 696 volumes pour 1154 livres 7 sols; à Côme, d'Orléans, 616 volumes pour 1153 livres 13 sols. Nous trouvons trace ainsi de dix ventes faites à des libraires et de vingt-deux ventes faites à des libraires forains, chacune de ces transactions portant sur des sommes de plusieurs centaines de livres, et fort peu d'entre elles ayant été acquittées en totalité. Gille était-il en quelque sorte spécialisé dans l'approvisionnement d'autres libraires, ou lui arrivait-il aussi de se fournir à des forains de rencontre? La question n'est pas facile à trancher.
6. Le commerce des livres interdits.
Le livre de crédit de Gille nous montre qu'il vendait certains ouvrages prohibés sans nous laisser entendre qu'il avait en ce domaine une activité toute particulière. Mais d'autres documents jettent sur ce sujet un jour différent.
Le 2I juillet 1774, M. de Sartine, Lieutenant général de police de la ville de Paris, envoie à Joseph d'Hémery, Inspecteur de la Librairie, l'ordre de se rendre à Montargis - où a lieu la foire de la Sainte-Madeleine - et d'y faire la recherche et perquisition des livres exposés en vente, de fouiller même les boutiques, de saisir tous livres et manuscrits suspects, et d'arrêter et emprisonner les libraires qu'il aura trouvés en contravention 17.
Le 23 juillet au matin, d'Hémery est à Montargis 18. En l'absence du lieutenant de la maréchaussée, il se fait assister par un exempt, le sieur Constantin. Après avoir averti le lieutenant général de Montargis, tous deux se rendent au chevet de l'église paroissiale où Gille a un étalage de 800 à 900 volumes, reliés ou brochés, parmi lesquels on trouve la première partie du Compère Mathieu, les Pensées de Rousseau, l'Histoire des filles célèbres du XVIIIe siècle, l'Ingénu, et l'Esprit de l'Encyclopédie - tous livres interdits. Ayant été informés que Gille faisait sans qualité le commerce de libraire et qu'il devait avoir chez lui d'autres ouvrages, ils font venir une partie de la brigade de maréchaussée, laissent deux cavaliers à la garde de l'étalage, et se font conduire par Gille rue du Puits de l'Encan. Là se trouve une autre boutique qui contient des livres reliés, vieux ou neufs, des brochures, des livres en feuilles. Parmi eux une nouvelle édition des Bijoux indiscrets. D'Hémery cherche à saisir les papiers de Gille et c'est alors que celui-ci déclare ne savoir ni lire ni écrire, n'avoir ni factures ni papiers, ni même de plumes ou d'écritoire. Cette affectation paraît suspecte. On demande à Gille de vider ses poches, où se trouvent quelques lettres et un catalogue de livres. On perquisitionne ensuite dans le logement, situé au Ier étage et on y découvre, dans des armoires, et dans les poches de Mme Gille, diverses lettres, factures, quittances et catalogues de livres. Tout cela est serré dans un paquet pour être examiné, puis envoyé à Paris. Gille est conduit à la caserne; le soir il est écroué dans les prisons de la ville.
Une autre perquisition est effectuée dans le magasin du libraire Prévost et ne donne pas de résultat. Gille - qui, nous le savons, avait été averti - avait déjà dû prendre certaines précautions. Prévost a sans doute eu, lui, tout le temps de faire disparaître les ouvrages qui l'auraient compromis.
Le lendemain 24 juillet, Joseph d'Hémery procède à l'interrogatoire de Gille dans la prison de Montargis 19 . Il nous est difficile de prendre en considération l'ensemble de cet interrogatoire où Gille se montre d'une évidente mauvaise volonté. Une bonne partie de ses réponses est formulée sous les termes « A répondu qu'il n'en sçait rien et qu'il ne s'en souvient pas ». Il fait même preuve d'impertinence, et, quand il lui est demandé de quel droit il prend la qualité de libraire, il répond « qu'il prend la qualité de libraire parce qu'il vend des livres ».
Joseph d'Hémery s'intéresse tout particulièrement aux correspondants de Noël Gille, et aux affaires que celui-ci traite avec eux. Il détient pour cela les papiers qu'il a saisis et cherche, en vain, à en apprendre davantage, mais si les réponses sont inexistantes ou suspectes, les questions nous fournissent un certain nombre de renseignements.
Nous apprenons ainsi qu'à Paris, Gille est en relation avec la veuve Duchesne, Le Jay, Ruault et Delalain, mais que la plupart des livres qu'il vend ne sont pas parisiens. A Rouen, il fait affaire avec la veuve Machuel, Ferrand, Besogne et Adam. Adam surtout semble intéresser d'Hémery car Gille l'a omis dans une première réponse, alors qu'on a trouvé une lettre de lui. Gille reconnaît lui avoir acheté des Albert ou petits grimoires, et, pressé davantage, mentionne quelques Académie des Dames, en précisant qu'il n'a eu qu'une fois affaire avec lui. Et lorsque d'Hémery objecte qu'une lettre du mois précédent prouve que leurs relations étaient fréquentes, Gille répond que « cette lettre étant dans la poche de sa femme, il n'en avoit pas de connaissance ». Nous n'en saurons pas plus sur Adam, que d'Hémery signalera à Sartine comme « un homme des plus dangereux aussi ».
A Lyon, Gille n'avoue de correspondance qu'avec un nommé Buisson, bien qu'un catalogue prouve le contraire, mais il admet avoir des relations à Orléans, à Lille, à Liège, à Bouillon, et avec les frères Cramer de Genève dont les ouvrages lui parviennent par des rouliers.
Bien qu'il vende essentiellement des livres brochés ou en feuilles, il a plusieurs relieurs, il en signale quatre, à Fontainebleau, à Melun, à Bourges et à Orléans. Ces deux derniers ne sont, d'après d'Hémery, que libraires « très suspects » dont l'activité se dissimule sous une fausse qualité de relieur. A Orléans, surtout, Gille entretient des relations assez obscures avec son ami d'enfance Letourney, qui est peut-être un de ces prétendus relieurs. On a en effet saisi un billet au contenu étrange, et qui fait appel à un langage secret. D'Hémery le reproduit intégralement dans son rapport à Sartine 20. En voici le texte :
« D'Orléans le 16 juillet 1774
Monsieur après vous avoir salué ainsi que Mad. votre Épouse que je vous prie d'assurer de mes très humbles respects. Je vous prie de menvoyer par le Messager un Livre dont voici la notte sur cette petite feuille. Vous y joindrez trois Ciel et quatre Christ pour a legard des livres en feuilles que vous m'aviez parlé ne men envoyez pas je ne pourrois pas les faire relier. Les livres que je vous demande sont spécifié sur cette petite notte. J'ai l'honneur d'être votre serviteur. »
La note qui accompagnait le billet n'a pas été retrouvée. On interroge Gille en vain à ce sujet : il déclare avec une parfaite mauvaise foi qu'il s'agissait d'arithmétiques et de journées chrétiennes; il ne s'explique pas davantage au sujet des Trois Ciel et Quatre Christ, et d'Hémery écrit à Sartine : « Les livres dont il est parlé dans cette lettre qui se rapporte à une notte que je n'ai pas trouvée ne sont pas dans la classe de ceux contre les mœurs et la Religion, ces sortes de livres sont toujours désignés dans les Lettres et papiers par les premières lettres du titre. Il s'agit ici d'autre chose dont on s'entend par un jargon.
« Les livres en feuilles dont on prétend ne pouvoir faire relier, sont sans doute de la même nature et on ne parle de relieur que pour couvrir d'autres obstacles. »
A la fin de l'interrogatoire, d'Hémery a demandé à Gille s'il ne faisait pas « des commissions en librairie pour diverses personnes quand on lui en demande », et celui-ci a répondu « qu'il envoie les livres qu'il a, et qu'il se procure ceux qu'il n'a pas, en exceptant toujours les livres prohibés dont il ne se mêle pas ». Il fallait un certain front pour soutenir pareille affirmation après tant de preuves accablantes, et d'Hémery ne s'y est certes pas laissé prendre. Il écrivit à Sartine : « cet homme ne paroit dans l'âme de toutes les manœuvres et de toutes les fraudes ».
Gille resta en prison près de deux mois. Il a dit plus tard qu'on lui a « donné sa liberté attendu sa justification ». C'était une justification difficile à établir, et dont nous ne savons rien. En tout cas le livre de crédit n'est repris qu'à partir du 19 novembre 1774.
7. La faillite.
Partie en raison de l'interruption due à son emprisonnement, partie à cause des maladies et des difficultés diverses dont nous avons parlé plus haut, sans doute surtout parce que beaucoup de ses débiteurs n'ont pas acquitté leurs dettes - et en particulier la plupart des libraires et des libraires forains -, Gille est hors d'état de faire face à ses propres engagements et doit se déclarer en faillite.
Le 7 août 1776 il comparaît devant les notaires du Roi à Versailles, constitue pour son procureur général et spécial le sieur Eustache Briant, portier des Étangs du Roy, et lui donne pouvoir de déposer au greffe du Consulat de Paris d'une part, au greffe du Châtelet de Paris, d'autre part, l'état de son actif et de son passif 21 : la déclaration du 13 juin 1716 obligeait en effet « ceux qui faisaient faillite à donner à leurs créanciers une parfaite connaissance de l'état de leurs affaires 22 ». Son livre de crédit est en outre déposé au Greffe du Consulat, comme le prescrivait l'Ordonnance de 1673.
Le bilan de faillite de Gille n'est pas une sèche énumération de chiffres, mais un récit détaillé de ses problèmes, de ses malheurs, sans doute légèrement exagérés puisqu'il tente de s'attirer la bienveillance des officiers du Châtelet. Il y raconte comment, après bien des hésitations et des craintes, il a accepté de se déclarer en faillite : « ... Les contraintes par corps l'onts fait frémir, ce qu'il la contraint âvec le plus noire chagrin de quitter son commerce, et d'abbandonner sa femme, et ses enfants, de cherchere unne âsille âssuré pour évitter l'emprisonnement de sa personne, enfin étant en la Capitalle du Roÿaume, désespéré de tant d'accidents, il a été conseillé d'avoir recours aux Loix, pour se procurer la liberté de sa personne. »
Les dettes passives de Gille s'élèvent à 28 874 livres 9 sols, toutes ces dettes étant contractées vis-à-vis de marchands libraires ou de marchands de papier, résidant à Paris et à Rouen pour la plupart, et, pour quelques-uns d'entre eux à Lille, Dunkerque, Toulouse, Orléans, Loudun, Fontainebleau et Versailles. Une somme de 3 430 livres n'est d'ailleurs due par Noël Gille que parce qu'il s'est porté caution pour son frère Pierre.
Les dettes actives se montent à 24 497 livres 19 sols - Gille ne les déclare d'ailleurs que pour 24 097 livres 19 sols à la suite d'une erreur de calcul -, ce sont les sommes que lui doivent ses clients et en particulier ses clients libraires. Nous les retrouvons presque toutes sur le livre de crédit, les autres doivent être antérieures à mai 1770. Ses meubles, linges, hardes, argenterie et glaces sont portés pour 2 ooo livres, ses chevaux et sa voiture pour 1 ooo livres, et l'ensemble des marchandises qui lui restent, tant sur sa charrette que dans son magasin, les rayons et les comptoirs, sont prisés 10 ooo livres.
Gille estime en outre à 25 200 livres le total des pertes qu'il a éprouvées pour diverses raisons : maladies, retards dus aux négociants en gros, marchandises gâtées, frais spéciaux dus à la nature de son commerce, etc. « Partant il est montré claire que si ledit sieur Gille était payé des sommes que Luÿ sonts deues, et quil nut point essuÿé autant de pertes et malheurs, Maladies et frais qu'il a épprouvés, qu'il se trouveroit riche et auroit un âvoir à Luÿ appartenant après le paÿement effectifs de ce qu'il doit dunne somme de trente trois mille cinq cents, vingt trois Livres dix sols. »
Faisant ainsi la preuve de sa bonne foi, et de sa bonne volonté envers ses créanciers, Gille demande à obtenir « sentence portant par provision déffences à La généralité de Messieurs ses créantiers d'attenter à ses personnes, et biens, de poursuivre Linstance jusqu'à sentences deffinitives, par l'enterrinnement des dites Lettres de cessions et de son âbbandons quil fait générallement de tout ce quil peut Luÿ appartenir, que tous créantiers refusants soÿent condamnés d'ainsÿ le souffrir et aux dépens que leurs refus pourroints occasionner ». Il propose en outre à ses créanciers une autre solution qui consisterait à « luy accorder termes et délais suffisants pour Leur paÿer les sommes quil leur doit en principeaux seullement » et « que ledit sieur procureur constitué fasse ordonner par sentence quil soit nommé un sindic d'entre un desdits sieurs créantiers avec la généralité d'iceux, que ledit sieur sindic justifiera en justice de sa solvabilité; quensuitte après ledit sieur sindic touchera de ses débiteurs les sommes qui Luÿ sont deües, quil en donnera bonne vallable quittance et décharges, quil fera faire la vente de ses marchandises restantes de ses chevaux, harnois, que de son mobilier, quil en touchera de même le prix et en donnera bonne vallable quittance et décharges... ».
Quelle fut la solution adoptée ? Aucun document ne nous l'indique. Mais il est probable que les affaires s'arrangèrent et que Gille, dont le livre de crédit portait cette phrase : « Nous aimons les Gens qui sont exacte à rendre ce que on leur preste », parvint lui-même à rembourser ses créanciers. Il reprit en tous cas son métier de libraire.
Ce que fut l'activité de Gille après sa faillite, il nous faut le pressentir à travers les registres paroissiaux de l'église Sainte Marie-Madeleine de Montargis. En 1778 et en 1779, à l'occasion de la naissance de deux de ses enfants, il est qualifié de marchand libraire, en 1782 de libraire en cette ville quand naît sa dernière fille, et encore de libraire en 1784 lorsque meurt celle-ci à l'âge de deux ans.
Le 23 février 1788 son frère Pierre Gille « libraire roulant âgé de quarante-six ans » meurt à Montargis, mais Noël Gille ne signe pas l'acte d'inhumation. En revanche son fils aîné est là; âgé de quatorze ans il semble avoir une bonne pratique de l'écriture, de même qu'une de ses sœurs qui, marraine en 1787, sait également écrire à l'âge de onze ans.
Le II février et le 27 septembre 1789 le sieur Noël Gille dit Pistolle est parrain de deux de ses neveux. Par la suite il n'apparaît plus dans les actes concernant la famille; tout au plus est-il mentionné en 1813 comme père de Jeanne-Françoise Gille, couturière, qui vient de mettre au monde deux jumeaux qui sont des enfants naturels. Il meurt enfin le 26 juillet 1824, âgé de quatre-vingts-ans. Les témoins sont Pierre Crosnier, officier en retraite et gendre du défunt, et Louis Collumeau, marchand sellier, son voisin. Gille est alors désigné comme ancien marchand libraire, domicilié à Montargis et il faut sans doute en conclure que sa vie entière se passa dans les conditions qu'il nous a été donné d'étudier.