Nécrologie

Marguerite Dreyfus-Drevet

Paule Salvan

En novembre dernier, au terme d'un combat lucide sans espoir contre une implacable maladie, Marguerite Dreyfus-Drevet, conservateur honoraire à la Bibliothèque de la Sorbonne nous a quittés.

Née en 1901, Marguerite Dreyfus-Drevet s'était orientée vers la licence en droit puis vers l'École du Louvre.

Ceux d'entre nous qui l'ont connue vers 1926 à la Sorbonne, alors qu'elle effectuait son stage de préparation au Certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaire universitaire, se souviennent du climat de joie laborieuse qui régnait autour de l'hispanisant Louis Barrau-Dihigo, conservateur de la bibliothèque, dont la mort prématurée devait laisser dans nos rangs un vide que rien n'a pu combler. Cette préparation offrait à la jeune stagiaire la possibilité de suivre entre deux séances de travail les cours prestigieux d'Henri Focillon. Prolongeant ainsi ses études d'enseignement supérieur, Marguerite Dreyfus-Drevet s'initiait par ailleurs aux tâches d'une profession dont elle appréciait avant tout l'aspect social. Admise à l'examen en 1926, elle prolongeait son stage par un travail bénévole à la Bibliothèque de la Sorbonne où elle devenait, en 1932, bibliothécaire auxiliaire. En 1936, après un an de service à la Bibliothèque universitaire de Lille, elle revient à la Sorbonne où elle est chargée de réorganiser le service de prêt. A dater de 1939, nommée à la B.D.I.C. mais détachée à la Sorbonne, elle assure successivement divers services dans ce vénérable établissement dont elle a appris à la longue tous les secrets. Les habitués de la bibliothèque apprécient à la fois sa connaissance du fonds et la « disponibilité » totale dont elle fait preuve en pratiquant avec une amabilité chaleureuse l'aide aux lecteurs français et étrangers.

Une union heureuse, puis la naissance de deux enfants, lui avaient permis, dès le début de sa carrière, de concilier la vie de famille avec l'exercice d'une profession qu'elle aimait. Elle avait, semblait-il, devant elle des années de bonheur et de paix.

La seconde guerre mondiale devait brutalement bouleverser ces perspectives. Pour elle comme pour tant d'autres, l'occupation allemande signifie l'exil ou plutôt ce serait l'exil si, dans ce climat nouveau de violence et de haine officiellement encouragé, elle n'avait su, en Languedoc où elle s'était réfugiée, trouver autour d'elle aide et sympathie et reconstituer tant bien que mal un bonheur fragile.

En mai 1944, alors qu'elle pouvait espérer retrouver un jour une vie normale, elle est cruellement frappée par la déportation de son mari. Alors commence pour elle une longue attente et il lui faut un jour accepter l'idée que le disparu ne reviendra pas.

Après avoir travaillé aux Archives départementales et à la Bibliothèque de Carcassonne, elle revient enfin s'installer à Paris avec ses deux enfants et reprend ses fonctions à la Bibliothèque de la Sorbonne où elle devait notamment assurer le service du catalogue alphabétique de matières. Toujours soucieuse de servir, elle accepte, en 1950, une mission qui lui est confiée par la Direction des bibliothèques de France et qui lui permet d'aider à la remise en ordre de la bibliothèque sinistrée de Valognes en dirigeant, avec autorité et compétence, une équipe bénévole d'étudiants scandinaves.

Elle devait ultérieurement assurer la publication tant attendue d'une nouvelle tranche du « Thieme » : Bibliographie de la littérature française 1940-49. -Genève, Droz, 1954. - XVI-644 p.

Enfin, sur la base de l'expérience professionnelle qu'elle avait acquise, en collaboration avec Jenny Delsaux qui avait créé, sous la direction de L. Barrau-Dihigo, le remarquable instrument de travail que constitue le Catalogue alphabétique de matières de la Bibliothèque de la Sorbonne, elle rédigea, à l'intention du bibliothécaire débutant, un précieux guide qui mériterait d'être réédité : Suggestions pratiques pour la rédaction du catalogue alphabétique de matières. - Paris, Serv. de multigraphie, 1957. - 27 cm, 54 p., multigr.

Mais Marguerite Dreyfus-Drevet ne saurait se contenter de l'accomplissement régulier d'une tâche professionnelle. Au cours de lointains voyages, sensible sans doute à la beauté des paysages qu'elle a la joie de découvrir, elle s'interroge surtout sur les problèmes angoissants qui sollicitent son attentive solidarité : l'Inde, à cet égard, lui offre un spectacle qui ne cessera de la hanter. L'action sociale l'attire et une certaine forme d'engagement qui ne relève pas d'un parti idéologique mais d'un sens particulièrement aigu de la fraternité humaine. Membre de l'Association internationale des femmes diplômées, elle participe activement aux colloques de Royaumont et saisit toutes les occasions de nouer de durables amitiés internationales.

Ses collègues et ses amis sont particulièrement frappés par l'exemple de courage et d'optimisme qu'elle a constamment donné, étant de ceux qui ne sauraient dissocier leur vie familiale et professionnelle de ces responsabilité sociales qui incombent aux plus lucides et aux plus conscients.