La bibliothèque municipale de Lille
L'historique de la Bibliothèque municipale de Lille est brièvement retracé. Les nouveaux bâtiments et leurs aménagements intérieurs sont décrits en détail; ils doivent permettre à la Bibliothèque lilloise de jouer son triple rôle de bibliothèque d'étude, de conservation et de lecture publique
L'inauguration des nouveaux locaux de la Bibliothèque municipale de Lille 1, le 6 novembre 1965, marque un renouveau dans l'histoire d'un établissement riche, pourtant, d'un long passé.
Prenant la suite de la bibliothèque du chapitre de Saint-Pierre de Lille qui, sous l'impulsion intelligente des chanoines Raymond Louis de Valory, trésorier, et Paul de Valory, son neveu, alors doyen, avait été ouverte libéralement aux Lillois dès 1726, la Bibliothèque municipale de Lille, solennellement inaugurée le 15 août 1809, peut prétendre au titre de plus ancienne bibliothèque publique du département.
Installée d'abord dans le choeur de l'église des Récollets, puis transférée en 1848 dans le nouvel hôtel de ville, elle y connaît, en dépit de conditions matérielles d'installation assez précaires, une période de plein épanouissement pendant laquelle des lecteurs sans cesse plus nombreux ont recours à des fonds constamment enrichis par des achats ou des dons et legs exceptionnellement importants.
C'est donc une bibliothèque en pleine expansion que paralysent la déclaration de guerre de 1914 et l'invasion, et que ruine l'incendie de l'hôtel de ville le 23 avril 1916.
Les fonds de la bibliothèque, à l'exception des manuscrits, des incunables, et de la réserve, à l'abri dans le Palais « Rihour » des Ducs de Bourgogne, sont partiellement détruits par le feu et l'eau.
Le bibliothécaire de la Bibliothèque universitaire, Paul Van Ryke, offre à ce qui peut être sauvé une hospitalité généreuse : les livres intacts sont immédiatement reclassés dans les magasins de la Bibliothèque universitaire, les livres mouillés sont séchés et ventilés et les achats massifs, entrepris dès la libération de Lille, permettent bientôt de reconstituer un fonds important dont le catalogue est aussitôt établi. Il ne manque plus, à cette bibliothèque si patiemment remise en ordre, qu'un local pour pouvoir s'épanouir. Mais les projets de construction ou d'aménagement de bâtiments se succèdent et la guerre de 1939 empêche la mise en œuvre d'un plan qui paraissait pourtant près d'aboutir. Pendant des années encore, la Bibliothèque municipale poursuit, à l'ombre de la Bibliothèque universitaire qu'elle gêne dans son expansion, une vie étriquée que la création, en 1946, d'une annexe de prêt dans le centre de la ville parvient à peine à aérer.
Cependant l'administration municipale, soucieuse de trouver une solution au problème, étudie la possibilité d'installer la bibliothèque dans un nouveau local tout en développant chaque année son personnel et ses crédits. Dès 1952, on envisage une construction sur le terrain de la « Salpêtrière », et c'est ce projet qui, un moment abandonné, prévaudra en 1956. En 1957, MM. Paul et Maurice Lenglart sont désignés comme architectes et, après une étude minutieuse des plans et des devis en étroite coopération avec le Service d'architecture de la ville et avec le Service technique de la Direction des bibliothèques - et particulièrement M. Bleton, Conservateur en chef-, les travaux commencent en 1960. Ils sont, en 1964, assez avancés, au moins dans les magasins, pour permettre le déménagement, en deux mois, de toutes les collections de la bibliothèque. La mise en ordre de ces collections se poursuit tandis que s'achève l'aménagement des salles destinées au public.
En mai 1965 s'ouvre la première salle de lecture, en juin celle des périodiques et celle du prêt, en novembre enfin, celle de la bibliothèque des jeunes.
La nouvelle bibliothèque.
Bibliothèque de conservation avec ses quelque 2 ooo manuscrits et incunables, sa réserve, ses collections locales précieuses, bibliothèque encyclopédique de travail qui compte plus de 300 000 volumes auxquels s'ajoutent périodiques et journaux, mais aussi bibliothèque de lecture publique pour adultes et enfants, la nouvelle bibliothèque devait être centrale et fonctionnelle.
Le terrain proposé, de dessin irrégulier, encastré dans des immeubles et, donc, soumis à des servitudes sur le plan de l'urbanisme, présentait, certes, des inconvénients (c'est ainsi que la bibliothèque n'a pu être dégagée des constructions environnantes, ni même isolée de la rue par un espace vert). Mais, seul emplacement alors disponible dans le centre de la ville, il a cependant été retenu en raison des avantages considérables de sa situation. Bordant une rue peu bruyante, mais à moins de 100 mètres de deux grands axes de circulation, cerné par un réseau dense d'autobus urbains, il est proche aussi bien de la gare que des grandes administrations, aussi bien des Facultés des lettres et de droit que du Musée et des artères les plus animées de la ville.
La bibliothèque est donc implantée au cœur même de Lille, aisément accessible et elle jouit d'un calme appréciable.
Appuyé sur des fondations de pieux forés descendus, en raison de la nature du sol, à des profondeurs de II à 13 mètres, le bâtiment utilise dans sa structure et son aménagement des matériaux modernes : béton armé, ossature métallique pour les magasins, revêtements extérieurs lumineux et robustes, adaptés au climat du Nord : mosaïques de pâte de verre ou panneaux de glace émaillée, grandes surfaces vitrées.
Lors de l'établissement du plan, le souci prédominant des architectes a été de concilier les nécessités de l'accueil et du confort des lecteurs avec celles de la conservation et de la communication des documents; les circuits intérieurs, les liaisons entre des services qui doivent se compléter sans jamais se gêner ont fait l'objet d'études attentives.
Compte tenu de la configuration et de l'orientation du terrain, ainsi que des contraintes de l'urbanisme, le plan en T s'est révélé être le plus apte à satisfaire les impératifs du schéma directeur. Il groupe, en façade, sur deux étages (avec la possibilité de les surélever d'un étage), les services du public. Perpendiculairement, la tour aux livres, sur laquelle s'appuient les bureaux, dresse ses neuf niveaux, auxquels trois supplémentaires pourront s'ajouter. L'emploi de demi-niveaux dans certaines parties du bâtiment a permis de trouver des pièces supplémentaires (au Ier étage par exemple, la future discothèque et une salle de réunion), d'assurer à des services existants des possibilités d'extension (c'est le cas pour la salle d'exposition), voire de réserver aux lecteurs un coin de détente; tout en apportant un élément de diversité architecturale intéressant, cette solution permet donc une utilisation très souple de l'ensemble.
De plain-pied sur la rue, le hall d'entrée, de bonnes proportions, est cependant, dans la douceur dorée de son revêtement de travertin, avec ses chauffeuses et ses guéridons, plus accueillant que solennel. Il donne accès, à droite, à la salle d'exposition - qui, dégagée de ses vitrines, peut se transformer en une salle de conférence de 90 places - et, à gauche, à la salle de prêt dont les rayons muraux et en épis brisés ont une capacité de 13 ooo volumes environ. Dans le prolongement de la salle de prêt, la bibliothèque des jeunes a son entrée indépendante. Elle offre 4000 volumes aux 50 lecteurs qu'elle peut accueillir. Complétée, en loggia prise au-dessus du vestiaire et des lavabos, par une salle de « l'heure du conte », elle s'ouvre sur un jardin abrité, ensoleillé et égayé de sièges multicolores. L'étage est réservé aux salles de lecture sur place que des parois vitrées isolent à peine les unes des autres. Une grande banque, garnie intérieurement de rayons et de casiers, accentue l'impression d'unité de l'ensemble, tout en séparant les services accessibles au public des services intérieurs.
Face à l'arrivée de l'escalier, le lecteur trouve d'abord un bureau de renseignements, puis, à droite, la salle des périodiques, de 37 places, dont les murs sont équipés de présentoirs pour les revues et de rateliers pour les journaux. A gauche, le catalogue, d'une capacité de plus de 500 mètres de fiches, précède la salle de lecture, de 144 places, garnie de rayons muraux pour 3 000 usuels. A l'entrée, un box, isolé par une paroi partiellement vitrée et sous la surveillance directe du responsable de salle, est occupé par trois tables individuelles réservées aux lecteurs des manuscrits ou des ouvrages de la réserve.
Des neuf niveaux que comporte la tour des magasins, perpendiculaire aux services du public, huit sont actuellement aménagés. Les marges d'accroissement des collections ont été très largement prévues puisque, sans tenir compte des extensions possibles, on peut, dès maintenant abriter deux fois plus de volumes que n'en possède la bibliothèque. Le gris un peu froid des rayonnages métalliques est réchauffé par le rouge de l'enduit du sol-métal. L'éclairage naturel est satisfaisant bien que la façade Sud ne présente que des ouvertures de petites dimensions, garnies de verre spécial, et protégées par un pare-soleil. Un monte-charge puissant et un escalier principal assurent la liaison verticale entre les niveaux tandis que l'escalier de secours, incorporé à la construction peut être utilisé comme escalier complémentaire pour le fond du magasin. Enfin l'installation ultérieure de deux monte-livres a été prévue.
Le bâtiment des bureaux flanque, au sud, la tour des magasins. Le sous-sol abritera l'atelier de photographie et l'atelier de reliure; le rez-de-chaussée est réservé au bureau des entrées et à la salle de manutention, tandis que des bureaux de catalogage occupent l'entresol, et le bureau du conservateur et le secrétariat, le premier étage. Les différents services sont reliés entre eux par un escalier intérieur et un monte-livres. Les bibliothécaires responsables de la Bibliothèque des jeunes et de la Bibliothèque de prêt ont chacun un bureau intimement incorporé à leur service et que seule une glace sépare des salles du public.
Le logement du conservateur, dans le prolongement des bureaux, celui du concierge, des douches, un vestiaire, un petit réfectoire à l'usage du personnel, au rez-de-chaussée du bâtiment principal, complètent la bibliothèque. Dans la cour et derrière la chaufferie ont été aménagés trois garages, dont un pour un bibliobus.
Les aménagements intérieurs ont fait l'objet d'une recherche particulière et ont été dictés par le souci de l'efficacité et du bien-être des lecteurs et du personnel. La sécurité du bâtiment a été spécialement étudiée (portes coupe-feu, détecteurs de fumée, sonnerie d'alarme).
Le chauffage, fourni par une chaufferie indépendante, comporte trois circuits différents : chauffage par le sol dans les magasins, à forte inertie thermique, chauffage par le plafond dans les salles du public et les bureaux, chauffage par radiateurs dans les services annexes, les couloirs et les vestibules.
L'éclairage est, lui aussi, diversifié : à fluorescence dans la salle de lecture, la salle de prêt, les magasins, à incandescence dans la salle des périodiques, le catalogue, la bibliothèque des jeunes, la salle d'exposition, les bureaux et les services annexes.
L'insonorisation des salles réservées au public et des bureaux se révèle fort efficace, ainsi que la ventilation refroidie de la grande salle de l'étage, largement ensoleillée.
A l'exception du comblanchien dans le hall et du ciment des magasins, les sols sont partout revêtus d'un caoutchouc jaspé, robuste, relativement insonore et d'un entretien facile, qui apporte une note de couleur non négligeable.
On s'est efforcé, en effet, de créer, pour les usagers de la bibliothèque, un cadre de travail agréable, clair sans être excessivement lumineux, confortable mais discret. Les différents services ont été traités dans un esprit d'unité, mais sans monotonie. Si le chêne clair a été partout utilisé pour les rayonnages, les banques et les tables, les sièges, différents de salle en salle, animent l'ensemble de taches diversement colorées, tandis qu'ici et là quelques « chauffeuses » confortables, autour d'un guéridon, créent un coin plus intime.
Bilan d'une année de fonctionnement.
La bibliothèque, à l'exception de la Section des « jeunes », est ouverte depuis un an. A la fin de cette année de « mise en route », on peut déjà affirmer qu'elle est fonctionnelle et que, de l'avis du personnel comme de celui des lecteurs, il fait bon y travailler.
Magasiniers, employés de salle, bibliothécaires, tous se sont rapidement adaptés au nouveau bâtiment. Sans doute découvrent-ils à l'usage tel ou tel détail mineur qu'il faudra améliorer; mais dans l'ensemble, ils apprécient le plan clair, le confort des bureaux vastes et lumineux, les nombreux éléments de rangement, et, plus encore, les liaisons intérieures faciles, les conditions aisées de communication des livres et de surveillance des salles.
Les lecteurs, eux aussi, dans leur très grande majorité, se déclarent satisfaits de la situation de la bibliothèque et de la distribution des services. Mais ils sont sensibles surtout à l'impression de calme et d'espace, ces biens si précieux au xxe siècle, que donnent les salles de travail.
Ils trouvent bon de s'asseoir à des tables spacieuses, de disposer d'usuels nombreux, bien signalisés, d'être assurés de recevoir rapidement les livres demandés, de n'avoir à venir au bureau de distribution qu'à coup sûr, puisqu'un système d'appel lumineux les avertit du retour de leur bulletin. Les jeunes, de leur côté, aiment leur salle gaie et claire et, plus encore, le jardin où ils vont lire, sans contrainte et nombreux, dès que le temps le leur permet.
D'autre part, les lecteurs s'accommodent sans peine d'un règlement assoupli. Certes, dans les salles de travail (où seule est autorisée la consultation sur place), l'inscription demeure obligatoire, mais elle est gratuite et rapide; le prêt reste payant pour les adultes, mais il est gratuit pour les enfants.
Tous s'accommodent également d'un horaire pour lequel, et non sans peine sur le plan du personnel, un gros effort d'élargissement et d'aménagement a été tenté. Fermés le dimanche et le lundi, tous les services de la bibliothèque fonctionnent les autres jours jusqu'à 19 h et certains (les salles de travail et, une fois par semaine, la salle de prêt), dès 13 h, avec, aussi, des ouvertures en matinée. La bibliothèque reste ouverte toute l'année, avec une permanence à Noël, à Pâques et au mois d'août.
A l'effort des architectes, de l'administration municipale et de la bibliothèque, la satisfaction des lecteurs répond, que l'étude des statistiques d'une année de fonctionnement permet d'apprécier.
Les salles de lecture ont, en un an, accueilli 32 000 lecteurs. Ce nombre peut paraître dérisoire par rapport à la population de Lille, mais il est extrêmement encourageant si on le rapproche des statistiques antérieures. En 1963, dernière année de fonctionnement dans les anciens locaux, le nombre total des lecteurs pour l'année était de 2 086. La progression est constante : pour le seul mois de mai 1966, nous avons enregistré 200 entrées.
Le transfert de la section de prêt dans les nouveaux locaux a entraîné également une reprise immédiate de l'activité de ce service. Dès les deux premiers mois, nous avons enregistré 700 inscriptions nouvelles et ce rythme des adhésions ne ralentit pas. La moyenne des prêts a triplé depuis un an.
Pour la bibliothèque des jeunes, il n'y a pas de point de comparaison (puisqu'il s'agit d'une création) mais, déjà, près de 700 lecteurs y sont inscrits. Nombreux, ils ont lu et travaillé sur place et ils ont emprunté 10 516 volumes en six mois.
Perspectives d'avenir.
Les Lillois, et bien sûr parmi eux de nombreux étudiants, - mais aussi des retraités, des membres des professions libérales, des fonctionnaires, des artisans, des commerçants, - réapprennent donc, progressivement et après une interruption de 50 ans, le chemin de leur bibliothèque; ils y viennent soit individuellement, entraînés par la curiosité que suscite une construction nouvelle ou sollicités par des avis de presse ou de radio (car les journalistes locaux redécouvrent, eux aussi, les ressources de la bibliothèque), soit en groupe, invités par des associations culturelles ou des sociétés savantes, conviés à des rassemblements de professeurs, de responsables de lecture publique (par exemple la « Distraction aux malades »), de mouvements civiques ou de jeunesse. Nombre d'associations tiennent en effet leurs assemblées dans notre salle de conférence, se réunissent pour une visite commentée du bâtiment, ou même participent plus ou moins directement à de petites expositions temporaires.
Lorsque la bibliothèque aura été complétée par un atelier de photographie et un atelier de reliure, dont l'aménagement est à l'étude, et, ultérieurement, par une discothèque, elle sera un instrument de culture ouvert, solide et très souple.
Mais cette bibliothèque sera-t-elle à l'échelle de la future métropole lilloise ? La tour des magasins suffira, à coup sûr, pour des décennies; par contre, l'avenir est moins assuré pour les salles de travail, d'autant que la prochaine dispersion des différentes facultés dans les environs de Lille accroîtra encore le nombre des étudiants usant de la Bibliothèque municipale.
On pourra, en ajoutant des tables supplémentaires, augmenter la capacité d'accueil des salles sans gêner aucunement la circulation. Pour étaler l'afflux des lecteurs, l'horaire sera élargi, selon les possibilités en personnel, davantage, du reste, dans le sens d'une ouverture continue que d'une ouverture plus tardive qui correspondrait peu aux habitudes de la région.
Enfin, la surélévation de tout le bâtiment de façade a été prévue par les architectes et cette solution ferait plus que doubler le nombre de places actuellement disponibles.
La bibliothèque de prêt et la bibliothèque des jeunes ont été voulues de dimensions moyennes car, dès le départ, on a préféré, à une seule salle trop vaste, l'implantation dans les quartiers excentriques de bibliothèques annexes avec, au moins, un coin pour les jeunes, particulièrement dans les nouveaux quartiers périphériques à très forte densité de population.
Dans cette perspective, une centrale urbaine, dépôt général de livres, est déjà aménagée au rez-de-chaussée de la tour des magasins et le garage pour le bibliobus est construit.
Déjà Lille peut de nouveau, comme aux XVIIIe et XIXe siècles, s'enorgueillir de sa bibliothèque « belle, nombreuse et bien choisie ». Avec les extensions possibles, et complétée par le futur réseau de lecture publique dans les quartiers, cette bibliothèque pourra continuer à se développer. Elle est prête à tenir son rôle sur le plan de la culture et de la promotion sociale dans la perspective d'une civilisation qui tend à être, de plus en plus, une civilisation des loisirs.