La nouvelle Bibliothèque centrale de l'Université de Dakar

Jean Rousset de Pina

L'inauguration solennelle, le 20 novembre I965, de la nouvelle Bibliothèque centrale de l'Université de Dakar, marque le terme d'un projet vieux de dix ans et de six années de travaux. Admirablement située, face à la mer et presque à égale distance des quatre facultés qu'elle a la charge de desservir, elle a apporté des solutions originales aux problèmes - particulièrement ardus dans ces pays - de la climatisation des locaux et de la conservation des documents

Le 20 novembre 1965, M. Léopold-Sédar Senghor, président de la République du Sénégal, inaugurait solennellement, en même temps que la Faculté des lettres sa voisine, la nouvelle bibliothèque centrale de l'Université de Dakar 1. L'histoire de cet édifice, liée à celle de l'Université, reflète celle du développement de l'enseignement supérieur dans ce pays et, comme le proclamait le même jour 2 le président de l'Assemblée nationale, M. Lamine Gueye, elle illustre et couronne un long effort.

C'est le décret du 6 avril 1950, portant création de l'Institut des hautes études de Dakar, qui est à l'origine de ses premières collections dans les quatre disciplines que cet institut avait pour objet d'enseigner, « le droit, la médecine, les sciences et les lettres ». Mais les professeurs et les étudiants de médecine étaient alors les seuls à hériter d'un fonds de livres déjà constitué : il s'agissait de celui de l'ancienne École africaine de médecine. Un inventaire de janvier 1952 évaluait à quatre mille volumes et cent quarante cinq périodiques ce premier fonds, installé alors rue du 18-Juin. Pour les autres disciplines, le besoin d'une bibliothèque apparut bien vite et les achats s'organisèrent selon les besoins des professeurs. Ainsi se constitua un second fonds pour le droit, les lettres et les sciences, dans les locaux du Lycée Van Vollenhoven où étaient donnés les cours. Successivement en janvier 195I, puis en janvier 1952, un premier et un second fonctionnaires du corps enseignant furent chargés de ces sections; en même temps était créé un atelier de reliure. C'est à la rentrée universitaire de novembre 1952 que ces trois sections furent enfin confiées à une bibliothécaire d'état 3. Un registre d'entrée, régulièrement établi, est commencé le 2 janvier de la même année. Environ cinq mille volumes et deux mille périodiques sont alors dénombrés en même temps que sont adoptées les normes d'administration et de fonctionnement des bibliothèques universitaires de la « métropole ». Un règlement est signé par M. le Recteur Camerlinck le 6 janvier 1953. Une commission des bibliothèques s'institue d'abord en médecine, puis dans les autres sections du droit, des lettres et des sciences. En 1954, ces quatre sections s'installent séparément dans des locaux différents, la section du droit et des lettres au rez-de-chaussée d'une aile de la Cité universitaire, celle de la médecine au premier étage de la Faculté nouvellement construite et celle des sciences dans deux modestes salles de l'École supérieure des sciences, installée provisoirement, depuis 1954, dans l'ancien hôpital Jules Carde 4.

En 1956 la bibliothèque fait, pour la première fois, l'objet d'un chapitre particulier dans le budget de l'Institut des hautes études. C'est à ce moment qu'est alertée la Direction des bibliothèques de France et que le Dr Hahn, Conservateur de la Bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris, est envoyé par elle en mission à Dakar. Dans son rapport, ce dernier souligne la nécessité de doter ce qui n'était encore que l'Institut des hautes études d'une bibliothèque centrale. Bientôt M. le Recteur Capelle fixait sur le plan de masse l'emplacement que cette bibliothèque, à peu de chose près, occupe aujourd'hui, au centre et au fond de la perspective du « campus ». Il rêvait pour elle d'une stature qui était à la mesure de l'Afrique occidentale française d'alors, mais qui dut être réduite par la suite. Le projet prit corps avec M. le Recteur Paye qui obtint même du Ministre français de l'Éducation nationale, alors M. Boulloche, qu'il voulût bien poser la première pierre de l'édifice au cours des fêtes de l'inauguration de l'Université, dès le 10 décembre 1959. C'était à ce moment un geste purement symbolique, mais aussi un acte de foi qui engageait l'avenir. Du reste, dès 1958, les architectes, MM. Drouzy et Lainville, avaient été désignés. Leurs projets se succédèrent, subissant sinon les variations du programme, du moins les modifications imposées par les changements intervenus dans la structure des États, devenus indépendants, de l'Afrique de l'Ouest, par les orientations nouvelles comme par les réductions de crédits qui en résultèrent.

Après avoir été conçue comme devant répondre aux besoins d'une Université aux dimensions de la « Communauté » tout en faisant aussi une place à la lecture publique et aux activités culturelles d'une capitale fédérale, elle fut bientôt plus strictement appelée à remplir son rôle d'auxiliaire des études universitaires et ramenée aux proportions et aux besoins du seul Sénégal. C'est ainsi que la « tour » des magasins, prévue d'abord pour quatorze étages et un million de volumes, fut finalement réduite à six, d'une capacité d'environ quatre cent cinquante mille volumes. En outre, les préférences exprimées par le corps professoral des Facultés de médecine et des sciences firent maintenir dans cette bibliothèque centrale une certaine dichotomie, groupant en deux ailes les installations parallèles des quatre sections, jumelant ainsi les sections du droit et des lettres et les sections de médecine et des sciences. Enfin, les incertitudes régnant encore à cette date sur l'emploi de la climatisation firent adopter un plan qui devait assurer par lui-même l'aération et la ventilation des salles de lecture. Au contraire, si la climatisation des magasins fut décidée dès les premiers projets, ce n'est qu'en cours de construction qu'elle fut étendue aux bureaux et aux salles du service intérieur. Faute de pouvoir compter sur des crédits suffisants du premier coup, on envisagea d'abord de réaliser la construction en plusieurs tranches. Dans la perspective de ce fractionnement des opérations et d'un aménagement provisoire de certains locaux, des dispositions furent prises qui, pour avoir été adéquates à ce moment, n'en furent pas moins gênantes par la suite et ne purent pas toutes être redressées quand la totalité des crédits devint tout à coup disponible et que l'exécution tout d'une traite fut enfin décidée en 1962 5.

Au cours même de l'étude des essais relatifs au sous-sol, il fallut composer aussi avec les nouveaux besoins, nés du développement même de l'Université. C'est ainsi que la position d'abord choisie fut déplacée, d'ailleurs sur le même axe, vers le nord, pour permettre l'implantation de la nouvelle Faculté des lettres et des sciences humaines, jusque-là jumelée avec la Faculté de droit et des sciences économiques. La nouvelle bibliothèque n'en fermait pas moins noblement la double enfilade des bâtiments du campus, mais la nature particulièrement plastique du terrain nouveau qui devenait son lot non seulement ne permit pas davantage de construire en sous-sol, mais fit changer le dispositif des fondations : au puissant radier prévu succédèrent des puits de béton cyclopéen profondément enfoncés (4 à 6 m) mais qui rendront l'extension éventuelle, au-delà d'un étage de magasins supplémentaires, difficile sinon impossible. D'autres moyens d'extension ont dû être prévus. Le terrain attenant a été réservé pour la construction éventuelle, le moment venu, d'un magasin où seraient stockés les collections et les ouvrages périmés ou moins consultés 6.

Commencé en mars 1963, l'édifice ne fut à peu près terminé qu'en juillet 1965. La construction, après appel d'offres, échut à un groupe d'entreprises dakaroises, pilotées par la Société Hersent chargée du gros-œuvre et contrôlées par la Direction des travaux publics du Cap Vert, service constructeur 7. La défaillance de l'une de ces entreprises, qu'il fallut remplacer au cours des travaux, fut la cause principale de longs mois de retard dans l'exécution. Les architectes enfin, par suite des circonstances, ne purent suivre la construction de bout en bout : l'un d'eux dut regagner la France en juillet 1964. Six ans s'étaient déjà écoulés depuis les premiers avant-projets; malgré les modifications qu'ils durent subir sur plus d'un point, la réalisation finale que nous avons à décrire en a conservé les traits principaux et, en particulier, la très ample articulation du plan. En dehors des magasins, il n'était pas encore question de climatisation, générale ou partielle, des salles de lecture ou des bureaux. La préoccupation essentielle était alors non seulement de prémunir les collections du danger provenant des parasites de toute espèce mais aussi de préserver les futurs usagers des inconvénients propres au climat tropical. Pour assurer aux salles de lecture ou de travail le maximum de ventilation, on ne ménagea pas la hauteur des plafonds; de plus, par précaution contre les insectes on les éleva au-dessus du sol. Pour en diminuer, du côté de l'ouest, l'insolation redoutable l'après-midi, on les orienta perpendiculairement à la façade principale, donnant ainsi au plus grand nombre des ouvertures une orientation générale nord-sud, la plus favorable en somme sous toutes les latitudes. Même on avait songé d'abord à fermer le carré, pour obtenir, par la double action de l'étagement sur poteaux de béton et du plan en forme de patio, une circulation d'air continue, montante et descendante, dont les heureux effets sont bien connus des habitants des pays chauds.

Le supplément de surface à couvrir fut jugé incompatible avec les règles, un peu étroites sans doute si on les applique en climat tropical, qui la proportionnent au nombre des étudiants à servir, et plus encore avec les crédits prévus, d'autant que la surface au sol, jalonnée par les poteaux porteurs des planchers, était, dans ces calculs, partiellement au moins, comptée comme utile. Il fallut donc y renoncer 8.

La façade de la nouvelle bibliothèque se présente, avec sa décoration de mosaïque bleue, noire et blanche 9, directement ouverte à l'ouest et à la mer. Le bâtiment, parfaitement symétrique, est de conception très simple. A première vue, il se compose essentiellement d'un élément rectangulaire, vertical et central, formé par six étages de magasins superposés et de deux ailes d'un seul étage, juchées sur des poteaux de béton, occupées tout entières par les salles de lecture qui, longeant le petit côté du rectangle des magasins, s'avancent perpendiculairement à la façade, de part et d'autre de l'axe formé par l'escalier d'honneur. Celui-ci donne accès par des portes en glace au vestibule et à une salle, tout en longueur, qui relie les deux ailes en longeant le grand côté ouest du rectangle des magasins. Ses vastes dimensions lui permettent de contenir à la fois la banque d'accueil et de prêt et les catalogues. A l'arrière, un bâtiment symétrique, également sur un seul étage, longe à l'est l'autre grand côté du rectangle des magasins et relie du même coup les extrémités des ailes. Il est réservé aux bureaux du conservateur et des bibliothécaires, à l'administration et au traitement des livres.

On le voit, le bâtiment central, celui des magasins, est le seul qui ait un rez-de-chaussée de plain-pied avec le sol. On y accède, du côté sud, par une porte latérale réservée aux membres du personnel, du côté nord par une porte cochère à glissière qui donne un accès facile à la voiture de service. De part et d'autre des deux ailes, de vastes espaces goudronnés et marqués permettent de garer un assez grand nombre de voitures. Malheureusement, les plantations prévues pour les ombrager n'ont pu encore être entreprises. Pourtant, malgré les lourdes dépenses que comportait leur aménagement, l'ensemble des abords n'a pas été négligé. Des flamboyants ont été plantés dont, bientôt, l'éclat vermeil contrastera agréablement avec les bleus de la façade que doit rehausser encore un quinconce de ces frangipaniers aux tiges et aux fleurs insolites, dont le style végétal est fait pour s'accorder à celui de l'édifice. Mais revenons à celui-ci. C'est donc au rez-de-chaussée qu'ont été groupés les services qui assurent le traitement matériel des livres et des colis à leur arrivée ou à leur sortie. Au point de départ du monte-charge et des deux monte-livres 10 et à côté du standard téléphonique (4 lignes) se trouve le poste de distribution et de répartition du courrier et des arrivages. Le préposé a vue sur toutes les entrées et les sorties. L'espace est suffisant pour que, sous sa surveillance, on puisse procéder au déchargement et à l'ouverture des caisses et des colis, ainsi qu'à l'expédition des imprimés nombreux dont la bibliothèque a la charge. Tout autour de la même salle sont répartis le dépôt des doubles, des dons et des thèses en instance de traitement, des publications de l'Université dont la Bibliothèque assure l'expédition, le dépôt du matériel en réserve, les ateliers de multigraphie, de photographie et de reliure. Des toilettes réservées au personnel féminin et masculin sont réparties de part et d'autre de la porte d'entrée. Un escalier permet au personnel de ne pas emprunter le monte-charge pour gagner les bureaux du premier étage. Ainsi c'est au rez-de-chaussée, dans un espace relativement très restreint pour un édifice de cette importance, mais rationnellement distribué, qu'est rassemblée la plus grande part des dépendances et des services annexes de la bibliothèque.

En position centrale au dessus du rez-de-chaussée, les magasins se superposent. D'un élan plus modeste que la « tour » de trente mètres dont le public dakarois, à l'origine des projets, fut imprudemment entretenu par la Radiodiffusion locale, ils s'élèvent sur six étages. Seules les dalles de béton armé du premier et du quatrième niveaux en supportent et en répartissent la charge. Aux étages intermédiaires ce sont des poteaux métalliques profilés en croix ou en T (suivant qu'ils sont dans la ligne ou à l'extrémité des épis) qui supportent à la fois les planchers et les rayonnages. Par contre, les épis du troisième et du sixième niveau sont simplement posés sur le plancher, sans l'appui de poteaux métalliques structuraux. Il a donc été permis, en différant leur montage dans le quartier sud-ouest du troisième étage qui bénéficie d'un bon éclairage naturel grâce à ses nombreuses ouvertures de libérer ainsi, pour quelques années du moins, l'espace qu'il fallait pour mettre à la disposition du Centre régional de formation de bibliothécaires (C.R.F.B.), qui fonctionne à Dakar sous l'égide de l'Unesco, depuis 1964, la salle de cours et de travaux pratiques qu'il souhaitait 11.

Les rayonnages métalliques ont une profondeur utile de 0,25 m et une hauteur de 2,25 m. Leurs rangées se juxtaposent avec l'écartement nécessaire, de part et d'autre des deux couloirs axiaux, plus larges, à raison d'une trentaine d'épis par étage. Toutes les tablettes ont un mètre de largeur, sont ajourées et munies d'ergots permettant leur accrochage, à hauteur voulue, aux mortaises des crémaillères. Entre la double haie d'un gris « Watteau », des panneaux pleins qui « habillent » l'extrémité des épis, jalonnés par des indicateurs de rangée et des interrupteurs électriques, on circule sur un dallage thermo-plastique vert foncé et marbré, élégant et silencieux.

Tous les étages des magasins sont desservis non seulement par un escalier de secours, mais par un monte-charge (350 kgs) et deux monte-livres. Des récepteurs branchés sur le réseau téléphonique interne et des moyens de signalisation optique et sonore ainsi qu'une horloge électrique sont à proximité de chaque poste de distribution, muni d'un bureau et d'une table de décharge. Presque tous ces magasins prennent jour facilement sur la façade arrière par des hublots qui éclairent l'espace compris entre les épis, sur les façades latérales par des portes-fenêtres qui éclairent plus abondamment les grands axes de circulation. Par contre, le premier et le deuxième étages, masqués par l'aile arrière, sont presque aveugles. En fait, on observe qu'en raison du régime des vents, c'est plutôt le nombre excessif des ouvertures qui est à regretter dans les autres étages : on doit les tenir constamment closes. Du reste, grâce à la climatisation générale des magasins, ceux-ci jouissent d'une température à peu près constante et d'une aération suffisante. Sur les treize kilomètres de rayonnages qui s'y déploient, environ 450 000 volumes pourront prendre place.

L'aile arrière, réservée à l'administration, fait face à l'est. Jouxtant le premier étage des magasins sur toute sa longueur, elle a été conçue pour communiquer de plain-pied avec eux comme avec les salles des professeurs ou des périodiques et, par là, avec le hall des catalogues et du prêt comme avec les salles de lecture. De part et d'autre d'un bloc essentiellement formé par le bureau du Conservateur et ses dépendances sont disposées les deux vastes salles de travail, largement communicantes, respectivement attribuées aux sections droit et lettres et aux sections médecine et sciences. Elles sont faites pour se prêter avec souplesse à tous les aménagements possibles. Dans l'une comme dans l'autre trouvent place des rayonnages, des blocs de fichiers et de classeurs, de vastes meubles d'appui ou de décharge sans aucun cloisonnement. Dans chacune d'elles cinq postes de travail, tous éclairés par la gauche, sont commodément desservis et reliés par une banque de décharge qui longe les baies ouvertes sur la façade est. Au service des quatre sections, des appareils de reproduction instantanée auxquels les lecteurs autorisés ont accès, y trouvent aussi leur place. Le mobilier neuf et les rayonnages également métalliques, utilisés en remploi, font bon ménage dans une harmonie de gris que relève le « skaï » écarlate des sièges. Ces salles souffrent encore d'une insuffisante isolation phonique, bien qu'elles soient équipées de plafonds de staff perforé recouvert par un matelas de laine de verre de quatre centimètres. Elles sont aussi efficacement climatisées et ventilées par brasseurs d'air, et offrent, en somme, bien des commodités pour le traitement des livres qui peut s'y dérouler depuis leur arrivée jusqu'à leur mise en place sur les rayons. Les bibliothécaires, répartis de part et d'autre dans cinq bureaux peuvent, de là, atteindre sans peine aussi bien les magasins que les salles destinées aux catalogues et au service public.

Dans un bâtiment aussi parfaitement symétrique, c'est naturellement au centre, en haut de l'escalier d'honneur, que se trouve, en façade, la principale entrée. La banque d'accueil et de prêt se présente face à celle-ci, à proximité immédiate du magasin du premier niveau et de plain-pied avec lui. Deux portes « va et vient » la font communiquer avec le poste de distribution, à côté des monte-livres et du monte-charge. De part et d'autre de la banque de prêt, se répartissent les catalogues, logés dans quarante huit fichiers au total, de vingt-quatre tiroirs chacun. Ils forment pour le moment une longue rangée adossée aux murs, dont la surveillance, en enfilade, est aisée, à partir de la banque elle-même. L'espace est suffisant pour parer à leur extension future, toujours imprévisible. Aux catalogues proprement dits se joignent en effet les fichiers qui sont le fruit des dépouillements de revues ou du classement d'informations bibliographiques. Ceux de la section du droit et des sciences économiques occupent déjà tout le mur de refend du sud. Près de la porte d'entrée se trouve le poste du préposé au contrôle des entrées et des sorties : de chaque côté sont prévus des sièges et banquettes pour les visiteurs. A chaque bout de la salle, deux portes en glace à double battant se font face et donnent accès, dans les deux ailes, d'un côté à une salle de lecture et de l'autre à une salle des périodiques. Chaque aile étant attribuée aux usagers de deux facultés, droit et lettres au sud, médecine et sciences au nord, les étudiants disposent au total de 216 places dans les salles de lecture et les diplômés de 32 places spacieuses dans les salles de périodiques. Aux professeurs sont réservées 18 places dans chacune de ces dernières; des rayonnages pouvant recevoir cinq mille volumes environ en libre accès, compartimentent leurs emplacements de travail. Une banque de renseignements, de consultation et de prêt, des présentoirs pour près de deux mille périodiques, à proximité des appareils de reproduction situés dans l'aile arrière, complètent cet équipement.

Dans la limite des crédits disponibles, une harmonie a été cherchée entre ces trois salles. Les couleurs du sol et des murs, les formes et la matière du mobilier, le traitement de la lumière des ouvertures semblent avoir réussi à la rendre sensible. Le carrelage en grès cérame jaune est assez pauvre, en vérité, mais il est ourlé de plinthes en majolique noire et rehaussé, au moins dans le hall des catalogues, par deux panneaux aux motifs géométriques noir et grenat, que doit rappeler le ton des sièges d'accueil et qu'on eût voulu pouvoir déployer sur le sol de l'étage entier. Les murs et les plafonds sont simplement enduits d'une peinture vinylique mate. Pour atténuer l'intensité tropicale de la lumière dans les salles de lecture qui la reçoivent de deux côtés, les couleurs choisies, le pourpre dans l'aile nord, le vert dans l'aile sud, ont été résolument foncées. Dans le hall d'entrée, au contraire éclairé d'un seul côté par une verrière en façade, c'est un blanc neutre et sobre qui s'étale. Sur ces diverses dominantes, le gris uniforme des éléments structuraux, poteaux, poutres à double pente, tranche avec elles, rythmant sans monotonie l'unité de l'ensemble.

Cette unité, en dépit de la disparité des éléments en bois et des rayonnages métalliques de remploi, le mobilier, en définitive, ne la rompt pas. Les banques de prêt et de surveillance, les pupitres de consultation en bout de table dans salles de lecture et les présentoirs dans les salles de périodiques ont des formes parentes, peut-être un peu trop compactes. Au dessus des pieds et piètements de fer carré, peints en noir mat, de ces meubles, la teinte chaude de l'acajou local et les revêtements en polyester, façon noyer, des surfaces d'appui, fournissent la note prépondérante, qui se trouve accentuée, derrière la banque de prêt, par l'acajou des deux portes doubles qui donnent accès aux magasins. Seul ornement sur la paroi intermédiaire, au-dessous du cadran mural d'une horloge électrique, un masque gourma 12, surmonté d'une sorte de caducée vertical, porte, par chance, des rehauts patinés aux mêmes couleurs. Ce mariage hasardeux de l'acajou et du noyer est, en somme, heureux. Il atteint même à une véritable élégance dans le mobilier des catalogues que ponctuent, en outre, porte-étiquettes et boutons dorés à l'ancienne; ceux-ci permettant de tirer à soi les tablettes à écrire qui en facilitent la consultation. Les rayonnages métalliques qu'il était raisonnable de vouloir remployer dans les salles des professeurs et des périodiques, pour les livres en libre accès, ont été repeints en gris mat, avec socle et tablettes laqués de noir. Ils s'assortissent, pour leur compte, avec la couleur des portes et annoncent ceux que les usagers retrouveront aussi, autour des appareils de reproduction qu'ils auront à utiliser, dans l'aile arrière.

De jour, la lumière ne posait de problèmes que par son excès possible dans les salles, étant donné la profusion et la hauteur des ouvertures. On a vu comment la peinture des murs et des plafonds a voulu y remédier. La plupart des fenêtres sont en outre munies de verres athermiques qui distillent une lumière dont l'actinisme est ainsi très atténué. Des stores vénitiens permettent même d'en régler l'admission sur la marche du soleil. De la même manière, mais de l'extérieur et à grande échelle, des pare-soleils géants, orientables par manivelle, protègent la salle des catalogues des feux du couchant. A l'opposé du bâtiment où ils s'imposaient moins, il en est de moins hauts qui procurent les mêmes effets à l'aile administrative. Leurs grandes lames verticales d'aluminium anodisé, renflées comme des ailes d'avion et recouvertes d'une laque glycérophtalique mate et blanche, sont un élément mouvant et, si l'on ose dire, « fascinant » de la façade.

De nuit, l'éclairage d'ambiance est le plus généralement distribué par appliques jumelles, appuyées aux poteaux. Il est accru, dans le hall d'entrée et des catalogues, par une série de tubes fluorescents invisibles et de projecteurs sous tulipes, d'un effet moins discret, mais dont on sera heureux de disposer un jour d'exposition. Sur les tables de travail, la lumière est donnée par des lampes orientables, individuelles, chacune étant munie de son interrupteur. Le soir, cet éclairage concentré a un caractère intime qu'accentue celui des meubles d'appui et de consultation dont les rayonnages sont éclairés par un tube fluorescent logé dans les meubles mêmes. Malheureusement, ces dispositifs d'éclairage, alimentés par des canalisations qui se dissimulent dans les épaisseurs du sol et du mobilier, ont créé, par précaution contre l'humidité consécutive à l'entretien du carrelage, la nécessité d'implanter sur celui-ci un quinconce de piédouches de céramique, servant de support aux prises. Leur relief, quoique invisible, diminue beaucoup, théoriquement du moins, la « flexibilité » future de la distribution actuelle.

Il reste à mentionner les dispositions prises pour remédier aux excès du climat tropical et à ses incidences sur la conservation des collections et le confort des usagers.

La climatisation des magasins, décidée dès les premières études, y maintient une température constante de 25° C. et 60 % d'humidité relative 13. Le principe utilisé est celui de la détente directe avec transport et distribution de l'air refroidi par un réseau de gaines et bouches de soufflage. Le même principe est appliqué, dans l'aile est, aux bureaux et salles de travail du personnel 14. Le confort des salles de lecture a été jugé suffisamment assuré par le jeu de leurs vingt-quatre fenêtres opposées, bien protégées des excès de lumière, nous l'avons vu, munies de chassis à l'italienne qui permettent de régler l'admission de l'air et sa circulation naturelle. Dans chacune d'elles, cinq brasseurs d'air de grande dimension viennent y suppléer, en cas de besoin. En fait, c'est la porte-fenêtre, placée en bout de chacune d'elles, qui fournit par simple courant d'air, la ventilation la plus efficace. Un panneau de mosaïque, reproduisant le sceau de l'Université, masque cette ouverture du côté de la façade et la protège, à l'ouest, des feux rasants du soleil.

Dans les salles de périodiques qui n'ont d'ouverture que d'un seul côté, une ventilation mécanique a été réalisée par circulation d'air ambiant extérieur, sans recyclage. L'air est aspiré en terrasse à travers un lanterneau et refoulé dans les locaux par un ventilateur centrifuge et par l'intermédiaire d'une gaine en staff antivibratile et de grilles de distribution 15. De classiques brasseurs d'air fixés au plafond complètent heureusement ce dispositif. Dans la salle des catalogues, démunie de toute réfrigération, aux ventilateurs suspendus devront être substitués, en raison de la hauteur des plafonds, des ventilateurs au sol à déplacement circulaire.

Telle est la nouvelle Bibliothèque universitaire de Dakar. Grâce à ses magasins et ses bureaux climatisés, à ses quelque trois cents places offertes aux professeurs et aux étudiants, à plus de quatre milliers de périodiques courants, joints à plus de cent cinquante mille volumes classés et catalogués sur treize kilomètres de rayons capables d'en contenir plus de trois cent mille autres, grâce à ses catalogues d'auteurs, de matières et de thèses tenus à jour, à ses fichiers de documentation, fruit des dépouillements accomplis ou classés par elle (surtout dans le domaine du droit et des institutions, des sciences économiques et du développement, et aussi dans le domaine de la littérature africaine de langue française), cette bibliothèque universitaire, de plus en plus libéralement ouverte à Dakar à tous ceux qui s'instruisent et à tous ceux qui cherchent, offre déjà un instrument d'étude et de culture qui, jusqu'à présent, n'a pas d'équivalent dans l'Afrique noire francophone.

Cet ouvrage n'aurait pas vu le jour sans les nombreux concours et les efforts prolongés que l'on devine. On trouvera légitime que les premiers à en bénéficier, après des années difficiles dans des installations précaires, en expriment ici leur vive reconnaissance à ceux qui les ont prodigués.

Après MM. les Recteurs Capelle et Paye, auteurs des premières décisions, leurs successeurs MM. Franck et Lelièvre ont dirigé et suivi les étapes de sa réalisation. En en faisant les honneurs au Président de la République sénégalaise, le 20 novembre dernier, M. le Recteur Lelièvre achevait une œuvre de longue haleine à laquelle il n'avait cessé de collaborer lui-même à la Direction des bibliothèques de France, aux côtés de M. Julien Cain, alors directeur général, et de M. Masson, inspecteur général des Bibliothèques. M. Bleton, conservateur en chef, responsable du Service des travaux à la même Direction, fit largement bénéficier les architectes de son expérience. Sa mission à Dakar au printemps de 1964, trop brève à notre gré, permit cependant de mettre au point bien des détails de l'équipement et du financement, et fut féconde en heureux résultats. Rien n'eût été possible, enfin, sans les subventions importantes accordées successivement par la Direction des bibliothèques de France, la Direction générale des enseignements supérieurs du Ministère français de l'Éducation nationale d'une part, et le Fonds d'aide et de coopération d'autre part.

Cet effort financier atteste l'importance de l'aide que la France a voulu apporter ainsi à un jeune état d'Afrique soucieux d'assurer sur place la formation de ses cadres. L'inauguration de la nouvelle Faculté des lettres, célébrée le même jour que celle de la Bibliothèque, porte ainsi presque à son terme une œuvre féconde qui, en moins de quinze ans, a doté le Sénégal et sa capitale d'une Université moderne et bien complète que beaucoup de pays ne manquent pas de lui envier.

Dans cet ensemble imposant, formé par les quatre facultés et leurs annexes, la nouvelle Bibliothèque universitaire occupe une place d'honneur dont elle n'est pas indigne. De l'équilibre heureux qu'en somme elle réalise entre divers partis, également soumis aux servitudes du sol et du climat tropical, est né un monument approprié à ses fins et dont la hardiesse ne fait pas injure à l'esthétique de notre temps.

Illustration
Rez-de-chaussée

Illustration
Premier étage

Illustration
Coupe longitudinale

  1. (retour)↑  Voir B. Bibl. France n° 4, avril 1966, pp. 164-165.
  2. (retour)↑  Au cours de la magnifique réception qu'il offrit, en l'honneur de l'Université, dans les salons de l'Assemblée Nationale.
  3. (retour)↑  Mme Carlier, actuellement encore Conservateur à la Bibliothèque universitaire.
  4. (retour)↑  Avant d'être regroupée (juillet 1965) dans l'actuel édifice, cette section avait suivi le sort de la Faculté des sciences quand celle-ci se transporta dans ses nouveaux locaux sur l'actuel campus. Elle y disposait d'un espace infime et sans extension possible.
  5. (retour)↑  Il était trop tard en particulier pour rétablir les monte-livres d'abord prévus, entre le rez-de-chaussée et les salles de travail de l'aile arrière, pour supprimer les hublots du deuxième étage des magasins. De plus grande conséquence fut la décision qui reporta du rez-de-chaussée au dernier étage, sur la terrasse, la machinerie de climatisation. Les gaines durent être reprises sur l'espace prévu pour le monte-charge qui vit sa capacité diminuée en conséquence. L'édifice se vit surmonté d'un édicule qui rompt la rigueur du plan tripartite.
  6. (retour)↑  L'expérience montrera sans doute qu'une bibliothèque centrale universitaire d'importance moyenne peut se contenter de cette solution. Les ouvrages scientifiques et médicaux sont vite périmés. Une contenance permanente de 500 ooo volumes utiles, en partie renouvelés tous les dix ou vingt ans, ayant à proximité un magasin-stock où seront déposés les livres éliminés, semble devoir répondre longtemps aux besoins essentiels et éviter les constructions démesurées en hauteur, qui rendent tous les services plus onéreux, plus lents, plus vulnérables et plus incommodes à tous les usagers. Une autre solution d'avenir encore plus condensatrice vient d'être préconisée à la suite du colloque tenu sous l'égide de l'Association des Universités entièrement ou partiellement de langue française (AUPELF) à Genève en septembre 1965. Cf. Les Bibliothèques dans l'université. Problèmes d'aujourd'hui, Compte rendu du Colloque tenu à Genève... (27 septembre-Ier octobre 1965, Genève, 1965).
  7. (retour)↑  Ce service fut dirigé aux étapes décisives par M. Cauquy.
  8. (retour)↑  Il fallut renoncer en même temps à affecter cet espace supplémentaire aux cours du Centre régional de formation de bibliothécaires que l'Unesco venait d'instituer à Dakar, à la demande du Gouvernement sénégalais, pour répondre aux besoins de tous les États de l'Afrique francophone. Nous verrons plus loin comment cette difficulté a pu être tournée.
  9. (retour)↑  Œuvre de M. Lainville.
  10. (retour)↑  Tandis que ceux-ci naturellement desservent, comme le monte-charge, les six étages de magasins, deux autres relient le rez-de-chaussée aux salles des périodiques du premier étage.
  11. (retour)↑  Voir plus haut, note 2, p. 296.
  12. (retour)↑  Don de l'Institut fondamental d'Afrique noire, dirigé par M. V. Monteil.
  13. (retour)↑  Pour des conditions extérieures de 3I° C et 75 % d'humidité relative.
  14. (retour)↑  Le matériel utilisé comprend essentiellement, avec leurs compléments, une tour de refroidissement et de ventilation, deux groupes WESPER, modèle C B S 75 et S C Y i 100, avec compresseurs polycylindriques Worthington de 30 et de 10 CV., et une électro-pompe Guinard type GS 15/20, 3 CV.
  15. (retour)↑  L'efficacité de ce dispositif est assez décevante. En pratique elle se révèle inférieure à celle des brasseurs d'air et fait un bruit auquel il est difficile de s'habituer.