Les bibliothèques et la documentation en Belgique

Avant-propos

Herman Liebaers

L'auteur situe, dans un contexte général, les quatre articles qui suivent où chaque collaborateur s'est efforcé de saisir « l'actualité belge ». Ensuite, il aborde différentes questions relatives aux bibliothèques universitaires et publiques en Belgique et émet quelques considérations générales sur la profession

Les bibliothécaires belges estiment à sa juste valeur l'hospitalité qui leur est accordée généreusement par le Bulletin des bibliothèques de France. Ils apprécient l'occasion, qui leur est ainsi offerte de faire connaître à un public, large et averti, les problèmes qu'ils rencontrent et les solutions qu'ils y proposent. Encore que l'activité professionnelle soit marquée, en Belgique comme ailleurs, par une internationalisation croissante, les auteurs se sont efforcés, dans les pages qui suivent, de présenter les aspects spécifiquement « belges » des questions traitées.

Comme ce fascicule belge ne devait pas dépasser l'étendue moyenne des autres numéros, il était évident qu'il fallait opérer un choix parmi les sujets qui s'offraient en trop grande abondance. Un souci d'actualité imposa une première élimination. Comme toute limitation, elle entraîne des conséquences injustes. Citons, à titre d'exemple, le grand effort de développement d'un système régional de bibliothèques publiques 1 dans la province du Limbourg.

Les quatre articles auxquels se réduit finalement ce fascicule donnent donc une image tronquée de la vie professionnelle en Belgique. Ils ont toutefois l'avantage soit d'être d'abord des sujets neufs, du moins sur le plan national, soit de traiter de questions qui viennent d'être posées ou reposées tout récemment. Le dépôt légal, institution cinq fois séculaire en France, est entré en vigueur en Belgique le Ier janvier 1966. Le législateur s'est naturellement inspiré de l'expérience étrangère, surtout de celle de la France, dont les cadres institutionnels généraux marquent fortement ceux de la Belgique. L'originalité la plus frappante de la loi belge est l'obligation du dépôt imposée aux auteurs belges qui publient à l'étranger, mais qui résident en Belgique. Dans le domaine littéraire, nombreux sont en effet les auteurs qui se font éditer à l'étranger. Démocratiquement consultées, les principales associations d'écrivains ont donné leur accord préalable à cette innovation.

La manière dont le Centre national de documentation scientifique et technique vient d'être créé sera sans doute considérée, au-delà des frontières, comme typiquement « belge », avec ce que cela suppose de louable et de critiquable. A une situation inextricable, on a donné une solution empirique. Ne revenons pas ici sur les multiples aspects de la documentation et de l'information scientifiques et techniques. Mais constatons qu'un pays comme le nôtre a dû, depuis toujours, fonder sa recherche sur les ressources documentaires étrangères, alors que la plupart des grands pays ont pendant longtemps pu se contenter d'un cadre national. Le résultat en fut la présence dans les bibliothèques de recherche d'un potentiel documentaire international important, quoique insuffisant et surtout mal exploité. Ceci valait en particulier pour la Bibliothèque royale. Le Centre n'a pas encore de statut, mais il a l'immense avantage d'exister. Avec un esprit neuf, il s'est mis à la disposition de la recherche, tant publique que privée. L'optimisme qui marque l'article de son directeur est un témoignage de la foi dans son utilité et dans son avenir. Le Centre n'en est qu'à ses débuts, mais il a entamé son travail sur des bases très pragmatiques, ce qui doit lui assurer une souplesse suffisante pour faire face à des besoins aussi croissants que mouvants. Il ne fait aucun doute que de grands problèmes vont se poser à lui, avec une fréquence de plus en plus rapide, et il faut espérer que les réponses de demain justifieront l'optimisme d'aujourd'hui.

Le Centre est belge aussi, en ce sens qu'il pratique une politique inspirée par des expériences autant anglo-saxonnes et germaniques que françaises. L'image traditionnelle de la croisée des chemins, pour définir la Belgique, est aussi d'application ici.

On peut en dire de même des solutions, en fait peu satisfaisantes, apportées au problème de l'enseignement professionnel. Empiriques, certes, les différentes initiatives, et de plus, peu ou pas coordonnées. Selon les hommes qui s'y consacrent, elles sont modelées sur des exemples américains, anglais, allemands, néerlandais ou français. Une commission nationale pour la réforme de l'enseignement a fait récemment des propositions de coordination. La qualité de l'enseignement, à n'importe quel niveau, et la valeur des bibliothèques, de n'importe quel type, sont corollaires. Le progrès sera donc l'œuvre des bibliothécaires eux-mêmes, mais ils ne réussiront que dans la mesure où ils pourront convaincre les divers cadres administratifs, ce qui n'est chose aisée ni en Belgique ni ailleurs.

Il est sans doute peu orthodoxe de classer les pays en deux groupes : ceux où le livre est plus ancien que la bibliothèque et ceux où le contraire est vrai. Que les textes soient manuscrits ou imprimés, des pays comme la Belgique conservent, malgré les vissicitudes de nombreuses guerres et de longues occupations étrangères, relativement beaucoup de livres anciens. L'attention que l'on porte aujourd'hui aux moyens modernes de communication dans les bibliothèques ne remplace pas les soins constants que réclament les documents précieux. Des charges nouvelles sont venues s'ajouter aux obligations traditionnelles, mais celles-ci se sont aussi adaptées aux circonstances nouvelles. L'article de Georges Colin en témoigne. Les préoccupations ne sont plus limitées à une institution ou à un département. On travaille par exemple dans l'intérêt commun de Mariemont, du Musée Plantin-Moretus et de la Réserve de la Bibliothèque royale.

Le Centre national de l'archéologie et de l'histoire du livre, dont certaines activités sont mentionnées dans l'article précité et dont d'autres travaux ont été décrits par François Masai dans La Création d'un centre belge d'archéologie et d'histoire du livre (Miscellanea Mediaevalia, II, Berlin, 1963), est une institution belge qui mérite sans doute un mot d'explication. Pour son programme, le Centre s'est fortement inspiré de l'Institut de recherche et d'histoire des textes de Paris. Pour son statut et sa filiation administrative, il s'est inscrit dans une branche nouvelle de l'organisation de la recherche scientifique en Belgique dont la brève histoire n'a pas été sans heurts et qui est actuellement connue sous la dénomination de recherche fondamentale collective. Cette branche se divise en deux groupes de centres. Celui auquel appartient le Centre national de l'archéologie et de l'histoire du livre est financé directement par le Ministère de l'Éducation nationale, sous la rubrique « recherche fondamentale collective d'intérêt public ». Le Centre national de documentation scientifique et technique émarge au même budget. En fait, il s'agit d'activités de recherche qui, d'une part, sont le prolongement de celles pratiquées par des institutions du genre de la Bibliothèque royale, et qui, d'autre part, bénéficient de la collaboration permanente d'autres institutions, par une représentation valable au sein des conseils d'administration. Il y a là une symbiose bénéfique entre les centres d'une part et certaines institutions de l'autre.

Le sommaire du présent Bulletin est fortement inspiré - peut-être trop -par les problèmes de la Bibliothèque royale. La longueur de cette présentation n'est pas de nature à corriger cette déviation et on s'en excuse. Il est pourtant des questions très belges qui auraient dû être traitées ici, mais elles aussi auraient ramené les lecteurs du Bulletin vers la Bibliothèque royale : songeons par exemple au bilinguisme dans les bibliothèques. Il faut pourtant mettre à profit l'occasion ici offerte pour aborder deux ou trois problèmes, au risque d'accentuer le déséquilibre en faveur de la bibliothèque nationale.

La revalorisation professionnelle est à l'ordre du jour d'une manière permanente dans tous les métiers. A titre d'exemple et sans prononcer un jugement de valeur, ni sur les moyens ni sur le but, il peut être utile de décrire la récente revalorisation en Belgique, dont ne bénéficie que provisoirement le personnel scientifique de la Bibliothèque royale. Celle-ci s'est déclarée solidaire, il y a quelques années, des autres établissements scientifiques de l'État - tels les Archives générales du Royaume, l'Institut d'aéronomie spatiale, l'Institut royal météorologique, l'Institut royal des sciences naturelles, le Musée royal de l'Afrique centrale et l'Observatoire royal - qui relèvent de la Direction de la recherche scientifique au Ministère de l'Éducation nationale. Trois arrêtés royaux, des 20 et 2I avril 1965, publiés au Moniteur belge du 15 mai 1965, reconnaissent quelques principes fondamentaux auxquels les bibliothécaires ont de tout temps accordé beaucoup d'importance. Il y a d'abord la carrière « plane », ce qui signifie que les promotions dans la carrière scientifique ne dépendent plus de vacances dans le cadre organique du personnel accordé à l'institution. Ainsi, par exemple, on peut passer d'un niveau inférieur à un niveau supérieur, à la condition d'être docteur à thèse, d'avoir quatre années de service dans le grade inférieur et d'obtenir un avis favorable d'un jury sur les travaux scientifiques présentés. Cette carrière « plane » est assimilée à celle de l'université, du grade d'assistant à celui de professeur ordinaire. En outre, sont prévues, parallèlement, des fonctions de direction, assimilées elles aussi aux grades de l'enseignement universitaire, mais évidemment liées à des vacances dans le cadre organique. En ce moment, le système se construit graduellement et, pour pouvoir se prononcer sur sa valeur, il faudra attendre la fin d'une période de transition. Ceux qui ont la responsabilité des établissements énumérés ci-dessus ont le sentiment que les nouvelles dispositions constituent un progrès très net par rapport à la situation qui a existé depuis la fin de la guerre. Mais pas de soleil sans ombre : des deux missions qu'un établissement comme la Bibliothèque royale accomplit traditionnellement, celle d'institution de recherche et celle de service public, la seconde ne semble pas aussi bien assurée que la première. Le service public ne sera pleinement garanti que le jour où le personnel non-universitaire, auxiliaire de la recherche, aura également obtenu une revalorisation morale et matérielle. Sans préjuger des rénovations qui s'annoncent, il apparaît que les principes de carrière plane et fonctions dirigeantes, jugées indispensables pour le personnel de formation académique, le sont aussi pour ceux que l'évolution même de la recherche accable de responsabilités de plus en plus grandes. La solution adoptée par et pour la Bibliothèque royale sera-t-elle bienfaisante pour les autres bibliothèques scientifiques ou restera-t-elle en deçà de leurs espoirs ? Le proche avenir nous le dira.

Comme les autres pays du monde occidental, la Belgique a reconnu, après une période de reconstruction qui a suivi la guerre, qu'une démocratisation de l'enseignement et une expansion universitaire étaient indispensables au maintien, voire à l'élévation du niveau de vie. L'une et l'autre se sont faites dans l'ignorance totale des besoins de lecture publique nouveaux, créés par un enseignement élargi et une recherche scientifique accrue. La démocratisation de l'enseignement, surtout de l'enseignement secondaire, normal et technique, aurait dû s'accompagner naturellement de la création d'un réseau de bibliothèques d'enseignement satisfaisant, mieux, prévoyant les besoins de lecture et de formation de la jeunesse pré-universitaire. L'État, qui consacre un cinquième de son budget à l'éducation nationale, n'y a prêté aucune attention. La qualité de la démocratisation, que chacun refuse cependant d'appeler nivellation, s'en ressentira à brève échéance. Les besoins nouveaux, qu'une myopie administrative feint d'ignorer, sont réels et pèsent effectivement sur les bibliothèques existantes, lesquelles, bon gré mal gré, se répartissent les charges entre elles. Comme aucune bibliothèque n'a pour mission de résoudre les problèmes de lecture non récréative et de documentation des jeunes gens de quinze à dix-huit ans, cette répartition des charges donne lieu à des solutions plus originales que logiques. La Bibliothèque royale se refuse à se substituer, une nouvelle fois, à une bibliothèque locale inexistante. Plus que toute autre bibliothèque nationale, elle s'est déjà trop profanée. Avec les moyens d'action ridiculement modestes dont elle dispose, elle finira par avoir le choix entre le rôle d'une bibliothèque populaire immobilisée par une immense collection inutilisable, et celui d'une bibliothèque nationale au sens étroit du mot. Sans hésiter, elle doit opter pour la seconde solution, sachant qu'elle reniera sa vocation de bibliothèque scientifique centrale du pays. Or à l'échelon des dimensions actuelles de la documentation scientifique, un seul dépôt central, pour un pays comme la Belgique et même pour des pays plus grands, est déjà une réponse qui ne manque pas d'ambition. Il est toutefois de bonnes bibliothèques publiques qui aident les jeunes lecteurs. Il en est surtout qui s'améliorent au contact des exigences de cette partie extrêmement importante de la jeunesse du pays. On peut citer nombre de villes belges des deux côtés de la frontière linguistique, où les adolescents représentent un pourcentage exceptionnellement élevé des usagers de la bibliothèque publique. A cette liste de noms de villes, on ne peut, hélas! ajouter celui de la capitale.

Afin d'en finir avec les bibliothèques publiques, signalons ici l'existence au Ministère de la Culture, pour chaque régime linguistique, d'un Conseil supérieur des bibliothèques publiques et d'un service des bibliothèques auprès de la Direction générale de la jeunesse et des loisirs. Ce service a surtout une responsabilité administrative. Mais, grâce à un corps d'inspecteurs, il joue un rôle technique, encore que dans le pays flamand surtout on considère trop aisément ces inspections comme des sinécures pour des écrivains en mal d'inspiration. Les Conseils veillent, ou mieux, sont destinés à veiller sur la destinée des bibliothèques publiques. Ils n'ont qu'un pouvoir consultatif, c'est-à-dire très négligeable. Depuis des années, les deux Conseils proposent une nouvelle loi pour remplacer la loi Destrée de 192I, dépassée sur tous les points. Leurs avis, cependant autorisés, cherchent depuis des années à vaincre la résistance administrative. C'est une maigre consolation pour les bibliothécaires de voir qu'ils ne sont pas seuls à affronter ce combat. Au-delà de l'administration centrale, deux fois unilingue, les pouvoirs que le droit constitutionnel belge appelle subordonnés - les provinces, les villes, les communes - ont pris une série d'initiatives qui connaissent d'heureux résultats. Mais les succès des uns ne suffisent pas à compenser les défaillances de l'autre.

Avant de conclure ces propos liminaires, qui tentent de décrire les principaux aspects du monde des bibliothèques belges, avec des lacunes évidentes, mais avec un souci d'objectivité, sans chauvinisme fanfaron et sans fausse modestie à l'égard des réalisations valables, il faudrait consacrer un long chapitre aux bibliothèques des universités. En Belgique comme ailleurs, les universités ont les bibliothèques qu'elles méritent. Aujourd'hui comme au Moyen âge, les meilleures universités ont les meilleures bibliothèques. Il est opportun de rappeler, quand on tente d'analyser la situation belge, un ou deux préalables. Jusqu'à l'année dernière, il y avait en Belgique quatre universités et quelques institutions d'enseignement supérieur spécialisé. Le 9 avril 1965 une loi sur l'expansion universitaire a étendu le rôle de l'État et celui du secteur privé en matière d'enseignement supérieur et de recherche. On se trouve donc, sur le plan national, devant des institutions qui ont une certaine tradition - tradition bien modeste à l'échelon international, sauf peut-être pour l'Université catholique de Louvain où cependant les deux guerres mondiales ont deux fois détruit les collections de la bibliothèque - et d'autres qui n'en ont pas du tout. Et l'on n'oubliera pas combien féconde est la tradition académique.

Les quatre universités les plus anciennes se répartissent comme suit : deux universités « libres », l'une catholique à Louvain et l'autre rationaliste à Bruxelles; la première est dédoublée linguistiquement, la seconde suit lentement cet exemple et organise tant bien que mal son régime néerlandais ; deux universités de l'État, une flamande à Gand et une française à Liège. Ces quatre universités ne présentent pas un même système de bibliothèques, encore qu'il y ait évidemment des traits communs. Elles ont chacune une bibliothèque centrale et un réseau de bibliothèques spécialisées dans les instituts, laboratoires et séminaires. Les relations entre la bibliothèque centrale et les autres bibliothèques diffèrent d'une université à l'autre, l'autorité de la première étant la plus marquée à Louvain. Dans chacune des quatre universités, toutes les bibliothèques relèvent uniquement de l'administration de l'université.

Dans les universités libres, les bibliothécaires en chef ont un rang plus élevé (celui de professeur ordinaire) que dans les universités de l'État. Bien que dans les quatre cas ils aient une charge d'enseignement, d'ailleurs d'un poids différent, il est évident que le niveau le plus élevé apporte le plus d'avantages à l'ensemble des bibliothèques de l'Université. A ce titre, il est regrettable que Louvain soit l'exemple unique où le bibliothécaire en chef siège de plein droit au conseil rectoral. Parmi les caractéristiques qui différencient les bibliothèques universitaires belges entre elles, on peut citer : la proportion de personnel de formation académique, le mode d'acheminement des propositions d'acquisitions et de s achats, le degré de décentralisation des collections, la position administrative au sein de l'université et le rôle des conseils scientifiques.

Que dire des nouveaux centres universitaires de l'État, à Mons et à Anvers, et de l'expansion de l'enseignement libre, plus particulièrement catholique, à Courtrai ? A l'heure où ces lignes sont écrites, il est encore impossible de parler d'une politique de nouvelles bibliothèques universitaires, voire d'une tendance. A Courtrai, une série de décisions précises ont été prises pour inscrire la nouvelle bibliothèque dans le cadre de la faculté universitaire, qui se veut elle-même expérimentale pour une période de trois ans. Dans les centres universitaires de l'État, qui groupent des institutions d'enseignement universitaire existantes tout en y ajoutant de nouvelles facultés, on se trouve devant quelques collections spécialisées et, précisément à Mons et à Anvers, deux bibliothèques de ville importantes, disposant surtout de fonds historiques de grande valeur. A Anvers la structure technique de la bibliothèque est toutefois plus développée qu'à Mons.

Peut-on substituer une prospection à une politique défaillante? Les autorités responsables auraient pu se rappeler que déjà au Moyen âge la bibliothèque existait avant l'université et qu'aujourd'hui encore la documentation scientifique précède la recherche. Il est évident que la bibliothèque est le cadet des soucis des nouvelles universités, où les structures doivent être mises en place dans la précipitation. Les mêmes autorités responsables auraient aussi pu s'inspirer de nombreux exemples étrangers, où la programmation donne à la bibliothèque la place qui lui revient, tant dans l'ordre chronologique des réalisations que réclame l'implantation d'une université nouvelle, que du point de vue des moyens d'action à mettre à sa disposition.

Enfin il y a une dernière raison qui s'oppose aux prévisions les plus prudentes et qui, d'ailleurs, influe directement sur les bibliothèques existantes, surtout sur les bibliothèques de recherche. Il s'agit du manque d'organisation de la profession. En dehors de contacts personnels entre bibliothécaires appartenant à des institutions différentes, on chercherait vainement un corps constitué vers lequel se tournerait spontanément un conseil académique pour résoudre ses problèmes de bibliothèque. Chaque bibliothèque travaille isolément, avec les inconvénients, disons les gaspillages de temps, d'argent et d'énergie que cela comporte. La Bibliothèque royale, on l'a vu, n'a aucun lien administratif avec les autres bibliothèques ; elle s'appuie, d'une part sur d'autres établissements scientifiques que des bibliothèques, et de l'autre sur les bibliothèques nationales étrangères. Les bibliothèques universitaires dépendent du pouvoir discrétionnaire de l'autorité académique de leur université.

Il n'y a pas de direction générale des bibliothèques et de la lecture publique, contrairement à l'exemple de la France, où la centralisation administrative même apporte des solutions collectives. Jusqu'à une date récente, les bibliothèques scientifiques étaient unies cependant par quelques modestes liens. Auprès de la Fondation universitaire fonctionnait un Comité permanent des bibliothèques scientifiques fondé en 1928. Il a surtout distribué, entre les bibliothèques belges, des revues scientifiques étrangères. Puis il s'est attaché à la réalisation d'un catalogue collectif des périodiques. La récente publication même de la dernière édition de ce catalogue a mis un terme à l'existence du Comité. On peut regretter cette décision, d'autant plus que des bibliothécaires responsables d'institutions différentes y siégeaient avec des représentants des autorités académiques.

Le dernier lien qui unissait les bibliothécaires fut rompu, d'une manière implicite, par les arrêtés royaux précités des 20 et 21 avril 1965. Les dispositions réglementaires antérieures, rappelées ci-après dans l'article consacré à l'enseignement professionnel, obligeaient en effet une grande partie des bibliothécaires travaillant dans des institutions de l'État à faire un stage et à passer un examen professionnel à la Bibliothèque royale.

Pour conclure, posons la question de savoir si les associations professionnelles peuvent, en dernier ressort, suppléer à la carence d'une expression collective de la profession. Comme en France, la libre association des bibliothécaires ne joue guère de rôle important dans la vie professionnelle et ne dispose pratiquement d'aucun pouvoir exécutif. A la différence de la France, il y a plusieurs associations, il y en a même trop, qui se partagent les membres d'une profession peu répandue. Une tendance vers une meilleure coordination s'annonce et permet d'augurer un avenir meilleur. L'Association nationale des bibliothécaires scientifiques, unie traditionnellement aux archivistes, devrait prendre conscience du fait que seuls des liens académiques peuvent encore justifier cette union et que, par contre, la technique professionnelle distingue d'une manière de plus en plus marquée les deux professions. L'Association des bibliothécaires flamands groupe, depuis longtemps, sur une base linguistique, tous les types de bibliothécaires, avec une prédominance de ceux qui exercent leur profession dans une bibliothèque publique. L'Association des bibliothécaires d'expression française, de création plus récente, est encore plus nettement marquée par cette même prédominance. Comme les bibliothèques elles-mêmes, ces associations veulent ignorer les préférences idéologiques ou confessionnelles. Il est souhaitable, dans l'intérêt même du développement des bibliothèques en Belgique, que ces trois associations établissent des liens plus étroits de coopération, définissent elles-mêmes la structure de la lecture publique et de la documentation scientifique qu'elles estiment la plus valable pour le pays, et s'efforce de répartir les tâches entre les initiatives qu'elles peuvent elles-mêmes mener entièrement ou partiellement à bonne fin et celles que doivent se répartir l'État, la province ou la commune.

Aujourd'hui, plus qu'hier, la Belgique est difficile à expliquer à l'étranger, qu'il s'agisse de bibliothèques ou d'autres problèmes. Le pays se dégage difficilement de la centralisation administrative, sans doute copiée trop servilement en 1830 sur la France. Une direction générale des bibliothèques comme en France, avec ou non l'union personnelle de la direction de la bibliothèque nationale, n'a aucune chance de réussir. Il en est bien ainsi. On ne peut ignorer impunément la vocation d'un pays, composé de deux communautés, liées sans doute par une histoire commune, mais restées ou redevenues conscientes de leurs apports propres.

  1. (retour)↑  Dans cet article, on entend par bibliothèques « publiques », selon l'usage belge, celles qui ne sont pas scientifiques.