La nouvelle Bibliothèque municipale de Vire

Henry Lesage

Suivi d'une note de M. Raymond David, architecte. M. Lesage, bibliothécaire de la Bibliothèque municipale, rappelle les origines et retrace brièvement l'historique de sa bibliothèque, puis décrit les nouveaux locaux. En annexe, M. Raymond David, l'un des architectes de la nouvelle bibliothèque, fournit quelques renseignements complémentaires sur l'ensemble des travaux et les aménagements intérieurs

Le 6 juin 1944, le soir même du débarquement des troupes alliées sur les côtes de Normandie, la Bibliothèque municipale, avec toute la ville de Vire, est détruite sous un déluge de bombes larguées du ciel.

La Bibliothèque de Vire, fondée avant la Révolution de 1789 - ce qui est rare en France - perd toutes ses collections - sauf ses manuscrits - soit plus de 70 ooo volumes inventoriés, dont un fonds ancien inestimable de 70 incunables, plus de 500 volumes du XVIe siècle, des milliers d'ouvrages des XVIIe et XVIIIe siècles, les Alde, les Fraben, les Vostre, les Estienne, les Elzevier, les Plantin..., provenant surtout des couvents de la ville, des abbayes de Saint-Sever et du Plessis-Grimoult.

Dès la Libération, la nouvelle municipalité viroise, que préside M. André Halbout, aujourd'hui député du Calvados, décide de reconstituer une nouvelle bibliothèque publique. L'obligeance de M. André Letondot, principal, permet de récupérer dans un placard de l'hôtel Lahon, rue des Cordeliers, où s'est réfugié le collège, quelque 300 livres prêtés, échappés au sinistre général.

Les dons de livres commencent à arriver de partout, de France et de l'étranger. M. Georges Duhamel, secrétaire perpétuel de l'Académie française, lance, dans le Figaro, un appel en faveur de la bibliothèque sinistrée de Vire. M. André Maurois, aux États-Unis, obtient l'aide du chargé culturel de l'Ambassade de France à Washington, qui nous fait parvenir toutes les publications, en langue française, parues en Amérique pendant les hostilités.

Le Comité américain de Secours civil, que préside Miss Morgan, nous apporte des livres du Nouveau-Monde. Un seul jour de 1948, 43 caisses contenant plus de 4 000 volumes parviennent à la bibliothèque en formation. La Direction des bibliothèques de France, nouvellement fondée, se penche sur notre détresse et MM. Vendel et Masson, inspecteurs généraux, venus à Vire obtiennent, en notre faveur, l'un, la première subvention ministérielle de 100 000 F de l'époque, et l'autre, le premier dépôt de livres de l'État.

Un embryon de bibliothèque publique de 1 ooo volumes environ s'est d'ailleurs ouvert, dès le dimanche 4 octobre 1945, dans une salle du rez-de-chaussée de l'hospice Saint-Louis. C'est la première bibliothèque sinistrée qui rouvre ses portes! Bientôt à l'étroit dans son local de fortune, elle s'installe, le Ier avril 1947, au premier étage de l'ancien hôtel-dieu, où elle restera plus de 17 années. Toutes les pièces des étages de cet immeuble vétuste du XVIIIe siècle sont occupées les unes après les autres. Il faut, pour qu'il ne s'effondre pas, étayer le bâtiment sous la masse des collections qui s'accroissent sans cesse : 35 000 volumes et 5 ooo périodiques, à la fin de 1964.

En 1958 et 196I, les Archives du Calvados rendent les 3 ooo manuscrits déposés, en 194I, pour un reclassement et mis à l'abri, en 1943, dans les caves voûtées de l'abbaye de Juaye-Mondaye, près de Bayeux.

Enfin, en septembre 1962, le nouvel immeuble de la Bibliothèque municipale de Vire, attendu avec tant d'impatience, se profile, hors du sol, sous la direction diligente et éclairée de M. Raymond David, architecte, un Virois de souche, très attaché à sa ville martyre, qui prend à cœur cette reconstruction si longtemps retardée.

La nouvelle bibliothèque est construite en plein centre de la ville à deux pas de la célèbre Porte-Horloge - le seul beffroi de Normandie de la fin du xve siècle - dans la rue Chenedollé (poète romantique virois, ami de Chateaubriand et de Rivarol), rue animée surtout par des élèves des écoles publiques et privées, d'un lycée et d'un institut de jeunes filles. Le choix de l'emplacement est excellent.

Le 6 novembre 1964, les travaux sont achevés et le 4 décembre, la nouvelle bibliothèque ouvre ses portes de verre au public extasié! Plus de 200 lecteurs se donnent rendez-vous et la presse locale traduit la satisfaction de tous, pour la clarté, le goût, l'ordre et le confort de cette nouvelle bibliothèque moderne. La Bibliothèque de Vire sinistrée de guerre, reconstruite l'une des dernières, a eu l'avantage de profiter de l'expérience des autres.

Elle occupe un vaste bâtiment de 30 m de long et de 10 m de large, en granit doré et en ciment bouchardé, ouverte au rez-de-chaussée par de larges baies vitrées, sur une salle commune, pour adultes et jeunes, au mobilier clair et bien adapté à tous les âges. Un entresol asymétrique est formé d'une galerie bordée par des balustres et des panneaux décoratifs de couleur acajou. Deux réserves, au-dessus, communiquant par un ascenseur, peuvent contenir chacune, sur des étagères métalliques, des dizaines de milliers d'ouvrages, les périodiques et les archives de la ville. Le sous-sol renferme le vestiaire, les toilettes, la chaufferie et un atelier de reliure et de désinfection. Un bureau pour le bibliothécaire et un cabinet des manuscrits et des cartes - la salle Maître Georges Roger - complètent cet ensemble bien conçu.

Ce type de bibliothèque, recommandé par la Direction des bibliothèques de France, dont l'implantation au sol est relativement faible (le terrain au centre d'une ville est toujours rare et cher), représente, pensons-nous, une des réalisations modernes les plus réussies.

Le plafond, aux panneaux de laine de verre compressée, et le tissu de fil de verre qui recouvre une paroi, comme sur le paquebot « France », empêchent tous les échos fâcheux, les sonorités désagréables de certaines constructions nouvelles. Les baies vitrées, à doubles parois, entre lesquelles glisse un store vénitien orientable, isolent la salle de lecture de tout bruit extérieur. Un régulateur électronique surveille la marche de la chaudière du chauffage central au mazout. Une étuve électrique au formol permet la désinfection des livres contaminés.

Cette création heureuse et utile est due à l'initiative de M. Masson, inspecteur général, à la diligence de M. Bleton, conservateur à la Direction des bibliothèques de France, au zèle des architectes MM. Raymond David et Claude Herpe, à l'appui moral de M. le Dr Le Chevrel, maire de Vire, et de son prédécesseur, M. André Halbout, député du Calvados, de tous les membres des Comités de la Bibliothèque qui se sont succédé, en particulier à l'action désintéressée de feu Maître Georges Roger, érudit virois, adjoint au maire et président de la Commission de la Bibliothèque, de 1948 à 1959, président d'honneur de 1959 à 1963.

Cette réalisation est le fruit du travail consciencieux des entrepreneurs virois et étrangers à la ville et à leurs ouvriers qui ont collaboré à cette œuvre magnifique. Elle est aussi la marque de la générosité des donateurs de partout qui, en vingt années, avec ferveur et amour, ont contribué à cette reconstitution.

La ville de Vire est fière de cette nouvelle réussite. Sa bibliothèque municipale toute neuve est vraisemblablement, comme l'a écrit la presse à l'occasion de sa mise en service, l' « une des plus modernes de France ».

Note de M. Raymond David, architecte

La reconstruction du nouvel édifice a été réalisée suivant le programme défini par la Direction des bibliothèques de France. Lors de l'élaboration des plans, toutes les études ont été soumises au Service technique, en particulier à M. Jean Bleton, conservateur chargé des travaux. Elles ont été également examinées, discutées et acceptées par le Maire de Vire, lors des visites de MM. les inspecteurs généraux Brun et Masson. Grâce à ce travail en commun et à une compréhension réciproque, il a été possible d'éviter un certain nombre d'erreurs.

La situation de la Bibliothèque dans la ville étant une des conditions de son efficacité, il était important qu'elle fût facilement accessible à tous les usagers. L'emplacement a donc été choisi aussi central que possible, dans une zone calme à l'écart de la circulation automobile, près d'un Centre culturel avec salle de sports, Maison des jeunes et, plus tard, piscine. Les jeunes pourront ainsi trouver des salles d'activités et de détente à proximité de la bibliothèque.

Le plan adopté est rectangulaire. Il utilise, dans son entier, la parcelle déjà restreinte de terrain. Faute d'une surface suffisante au sol, les magasins à livres ont été disposés au niveau supérieur, au-dessus des salles de lecture. Les liaisons sont assurées entre services publics et magasins par un monte-charge accompagné, ce qui évite la présence d'une personne à chacun des niveaux à desservir. Les magasins comportent deux étages de 2,25 m de hauteur chacun; leurs rayonnages sont métalliques, à montants pleins. En raison de l'orientation vers le sud, l'éclairage naturel a été très réduit, il est suffisant pour y circuler. La capacité de ces magasins est d'environ 80 000 volumes.

La grande salle réservée au public a une hauteur de 4,80 m sous-plafond. Elle représente une surface de 200 m2 environ. Elle est entresolée en partie par une galerie permettant d'augmenter l'importance des rayonnages pour les livres en libre accès mis à la disposition des usagers (7 à 8 000 volumes). Une petite salle située à l'entresol, au bout de la galerie, est réservée au fonds virois et autres livres rares. A la demande de M. le Maire, les aménagements intérieurs de la grande salle du public ont été étudiés avec soin, sous l'angle du confort pour le lecteur. Afin de créer une atmosphère de travail et de silence, certaines dispositions ont été prises. Il a été prévu un plafond en plaques acoustiques Saint-Gobain, atténuant les bruits des allées et venues à l'intérieur.

Le sol est constitué par un revêtement plastique de qualité, assez souple et résistant, solide pour un usage normal. Tout le mobilier ainsi que les revêtements de murs sont en bois naturel. Le mur plein vers l'ouest a reçu un tissu qui améliore également l'isolation acoustique. Pour se protéger des bruits extérieurs provenant de la circulation urbaine, les baies sont à double vitrage avec stores solaires incorporés.

Certains services intérieurs ont été disposés en sous-sol, notamment lavabos, vestiaires, local de réparation et triage des livres, chaufferie.

Le chauffage est à eau chaude, avec régulation permettant de maintenir une température de 12° pour la conservation des ouvrages, avec accélération pendant les heures d'ouverture pour assurer le confort dans les salles recevant le public. L'éclairage artificiel est à incandescence. Il a l'intensité désirable (150 lux) à hauteur des tables de lecture.

Les travaux commencés en septembre 1962 ont été terminés en avril 1964. Depuis, les travaux d'aménagement intérieur, mobilier et finitions, ont été réalisés dans les derniers mois de l'année. Lors des réceptions, les travaux n'ont donné lieu à aucune réserve. C'est là un maître mot qui, pour des entreprises, est le meilleur des compliments.

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Coupe Sud-Nord

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Rez-de-chaussée