Le prêt entre bibliothèques en France

Michel Nortier

Historique. - Les groupes de prêteurs : le prêt des manuscrits; le prêt inter-universitaire ; le prêt des bibliothèques municipales; le Service central des prêts et les bibliothèques parisiennes

Historique

Le prêt entre bibliothèques est pour la France comme pour les autres pays d'Europe une pratique plus que centenaire. Une note parue au Journal officiel de la République française en 1872 1 disait déjà, à propos des envois de manuscrits consentis de 1863 à 1870 par la Bibliothèque nationale à l'Université de Berlin en faveur du savant Mommsen, que « ces prêts et ces expéditions » étaient « conformes aux usages de toutes les bibliothèques de l'Europe ». En 1895, la Bibliothèque nationale autorise le prêt à Saint-Petersbourg d'un manuscrit sanscrit et on note en 1897 l'envoi d'environ 150 manuscrits français à l'étranger 2. Effectivement c'est sans interruption que depuis 100 ans les communications de volumes entre bibliothèques ont permis aux chercheurs d'utiliser sur place la documentation de dépôts plus ou moins lointains. Mais en fait, bien que centenaire, le prêt ne s'est développé que peu à peu, ne s'est étendu que progressivement à l'ensemble des bibliothèques, n'a atteint que lentement l'ampleur qui le caractérise aujourd'hui. Il apparaît même que son extension actuelle est freinée, que des difficultés de diverses sortes subsistent qui entravent ce développement et gênent ses bénéficiaires. Nous nous proposons de faire ici le point actuel de la situation en ce qui concerne la France et d'étudier les possibilités les plus immédiates d'amélioration.

L'organisation actuelle du prêt entre bibliothèques en France ne semble pas complètement dégagée des circonstances qui lui ont donné naissance; aussi est-il utile de rappeler les grandes étapes de son développement.

Bien que l'on puisse trouver dans les communications de manuscrits entre monastères au Moyen âge et sous l'Ancien Régime des antécédents au prêt entre bibliothèques, celui-ci s'est en fait dégagé - seulement vers le milieu du XIXe siècle - du prêt aux particuliers. Le prêt à domicile dont on sait quel développement, plus tard limité par les règlements, il avait pris dans les grandes bibliothèques était sauf exception 3 réservé aux personnes domiciliées dans la ville même 4. Quand la nécessité apparut de faire bénéficier de ses avantages les travailleurs lointains tout en limitant les risques, on songea à l'envoi dans une autre bibliothèque. Le prêt entre bibliothèque n'a donc pas été conçu comme une restriction mais plutôt comme un élargissement du prêt à domicile. Mais cela supposait des liaisons étroites entre des établissements qui jusque-là n'avaient que peu de contacts. Aussi bien le prêt entre bibliothèques ne fut-il au début que l'apanage de privilégiés, professeurs ou savants. La circulaire qui accompagna l'arrêté du 20 novembre 1886 portant règlement des bibliothèques universitaires le dit nettement dans son commentaire de l'article 23 concernant - pour la première fois 5 - le prêt de bibliothèque à bibliothèque : «Il est souvent arrivé qu'un professeur, transféré dans une autre académie, n'a plus trouvé dans la bibliothèque universitaire les instruments de travail qu'il avait précédemment à sa disposition et que parfois il avait fait acquérir en vue de recherches spéciales. Les inconvénients résultant de cette situation m'ont souvent été signalés. Il y sera obvié dans la mesure de ce qui est possible par le prêt de bibliothèque à bibliothèque. Le nouveau service présentera encore bien d'autres avantages, et en particulier celui d'établir des communications suivies entre nos diverses bibliothèques universitaires, restées jusqu'à présent beaucoup trop isolées l'une de l'autre ».

Par cet article du règlement de 1886, se trouvait instauré officiellement un mécanisme qui a marqué considérablement le développement du prêt : la circulation des demandes entre bibliothèques universitaires. Le prêt entre bibliothèques universitaires s'est grâce à lui développé depuis lors sans interruption et ses résultats sont remarquables ainsi que nous le verrons. Il a fait naître entre temps un précieux instrument de travail dont la réalisation, vu sa complexité, ne pouvait sans doute se prolonger indéfiniment mais qui reste toujours utile, la Liste alphabétique annuelle des nouvelles acquisitions 6. On peut probablement regretter qu'aucun texte nouveau n'ait dès le début du xxe siècle, alors que les besoins à satisfaire s'étaient accrus considérablement, donné au prêt des bibliothèques universitaires une nouvelle dimension en l'incitant à s'étendre davantage aux bibliothèques municipales françaises comme aux bibliothèques étrangères. En ce qui concerne les relations avec ces dernières, Ch. Mortet regrettait en 1909 « la timidité et le peu d'empressement que les bibliothécaires français mettaient à suivre à cet égard l'exemple de la plupart des grandes bibliothèques européennes ».

Il notait alors - mais toutefois à une époque où une grande université très libérale, Strasbourg, ne faisait pas partie du territoire français - que parmi les bibliothèques universitaires quatre seulement prêtaient à l'étranger, la Sorbonne, la Bibliothèque de la Faculté de médecine, la Bibliothèque de l'Université de Dijon et celle de Lille 7. Le prêt aux bibliothèques municipales était aussi restreint. Actuellement cet élargissement souhaité est universellement réalisé.

Pour l'ensemble des établissements français, le prêt entre bibliothèques a fait l'objet anciennement d'une réglementation qui, à côté de certains aspects libéraux, comporte surtout des éléments restrictifs.

A l'origine, seul le prêt des manuscrits entre bibliothèques avait été reconnu 8 et c'est là un fait qui devait marquer longtemps l'avenir 9. C'est pour en limiter les risques que dès 1839 est réservée au Ministre de l'Instruction publique la fonction d'approuver toute sortie de manuscrits 10. Peu à peu toutefois, a dû s'imposer la nécessité de prêter également des imprimés; la règle que la Bibliothèque nationale avait adoptée en 1868 de limiter leurs prêts aux doubles est alors devenue encore plus impérative. Il semble que, pour les imprimés comme pour les manuscrits, les envois ne se soient faits dès cette époque que par l'intermédiaire du Ministère où fonctionnait déjà ce qui deviendra plus tard le « Service central des prêts ». Cela ne pouvait guère faciliter le développement de ces échanges; aussi bien assiste-t-on à partir de 1889 aux efforts des savants français et de Léopold Delisle en particulier pour faire admettre le prêt direct des manuscrits et des livres entre les bibliothèques des divers pays 11.

Ce n'est qu'en 190I qu'ils devaient obtenir partiellement satisfaction. Un arrêté du 24 décembre de cette année 12 autorisait les grandes bibliothèques publiques de Paris et les bibliothèques universitaires à se prêter directement manuscrits et imprimés, et prévoyait que ces dispositions pourraient s'étendre aux bibliothèques municipales. Mais le prêt des imprimés restait en principe limité aux doubles.

Le prêt à l'étranger, bien qu'il ne fût pas envisagé dans cet arrêté, continua à s'exercer par l'intermédiaire du Ministère et l'on sait que quelques bibliothèques municipales (celles d'Amiens et d'Avignon) y participaient 13 en même temps que les bibliothèques universitaires déjà citées. Il ne fit l'objet d'une réglementation qu'en 1927 14 : le Service central des prêts, transféré depuis 1922 à la Bibliothèque nationale (avec le bénéfice de la franchise postale), devait centraliser obligatoirement toutes les demandes, qu'elles concernent les imprimés ou les manuscrits; mais alors que ces derniers continuent d'être transmis par ses soins et celui des ambassades des pays emprunteurs, les imprimés peuvent dorénavant être adressés directement de bibliothèque à bibliothèque. Le 12 décembre 1935 un nouvel arrêté 15, charte actuelle pour la France du prêt entre bibliothèques, accordait aux bibliothèques la liberté de correspondre directement avec tout autre établissement en ce qui concernait la communication des imprimés ordinaires. Lentement, on était ainsi arrivé au moment précis où se réglementait à l'échelon international le prêt entre bibliothèques, à une situation libérale qui mettait enfin la France à l'unisson des pays de l'Europe occidentale où le prêt était en général plus largement pratiqué 16. Depuis lors, beaucoup de bibliothèques municipales ont correspondu sans interruption directement avec les bibliothèques étrangères comme elles le faisaient entre elles.

Il semblait dès lors que le Service central des prêts, auquel toutefois était laissée la charge de veiller au bon fonctionnement de tout ce qui concernait le prêt entre bibliothèques, dut se limiter à assurer le contrôle des prêts des manuscrits et ouvrages précieux qui était dorénavant son rôle principal. En fait, diverses causes contribuèrent à laisser au Service un rôle important dans le prêt des imprimés. Ces causes furent principalement les suivantes : une certaine hésitation des bibliothèques françaises à s'engager dans le domaine international alors que l'organisation du prêt à l'intérieur même du pays n'en était qu'à ses débuts 17; le fait que le prêt direct par les bibliothèques municipales restait grevé de la charge des frais de port, alors que la transmission par le Service central assurait la franchise; le besoin latent des bibliothèques françaises et des correspondants étrangers de pouvoir recourir à un organisme capable de diriger utilement les demandes de prêt, comme le prévoyait le règlement international de Varsovie qui recommandait déjà la création de centrales pour le prêt international.

De toutes ces raisons, la dernière sans aucun doute devait après la dernière guerre déterminer le plus fortement le Service central des prêts à rechercher les moyens de satisfaire les demandes de prêt qui arrivaient de plus en plus nombreuses à la Bibliothèque nationale. Beaucoup de bibliothèques françaises ou étrangères à la recherche d'ouvrages ne pensaient pas pouvoir mieux s'adresser qu'à cet établissement dont la richesse est bien connue : les prêts de ce dernier étant limité aux doubles, toutes les demandes non satisfaites furent alors orientées vers d'autres bibliothèques susceptibles d'y donner suite. A l'heure actuelle, le Service central des prêts s'est transformé en fait - en droit même vis-à-vis de la « National Central Library » de Londres - en un véritable centre de prêt, dont le rôle précis sera tout à l'heure défini.

Les groupes de prêteurs

L'évolution du prêt entre bibliothèques en France a ainsi déterminé quatre courants principaux d'activité, sans doute étroitement interdépendants les uns des autres, mais qui ont chacun leur domaine particulier, leurs règles et leurs habitudes propres. Il s'agit de la communication des manuscrits, du prêt entre bibliothèques universitaires, du prêt des bibliothèques municipales et du prêt d'imprimés assuré par le Service central. Avant d'essayer de donner une vue d'ensemble du fonctionnement actuel en France du prêt entre bibliothèques et de réfléchir sur son développement futur, il apparaît utile de préciser l'activité de ces diverses branches.

I. Le prêt des manuscrits

Le prêt des manuscrits, centralisé obligatoirement par le Service des prêts, semble donner satisfaction. La France, ainsi que nous l'avons souligné, a toujours apparu comme très libérale en ce domaine.

Le tableau ci-après, limité aux prêts de la Bibliothèque nationale, montrera tout d'abord les différences qui ont pu survenir depuis le début du siècle dans la répartition des prêts.

On voit par ce tableau que le prêt à l'étranger a fortement diminué alors que le prêt à la province a depuis soixante ans nettement augmenté. En ce qui concerne l'étranger, diverses raisons peuvent expliquer cette diminution : nos manuscrits sont maintenant mieux connus; de bons catalogues en détaillent le contenu et ils ont fait l'objet de diverses éditions; le microfilm peut être substitué dans beaucoup de cas à la communication des volumes sans entraîner trop de frais et sans augmenter les délais. Cette substitution est d'ailleurs de règle dans de nombreux établissements chaque fois que seul un passage d'un recueil intéresse le lecteur.

Il faut dire aussi que les chercheurs étrangers se déplacent aujourd'hui plus facilement et que beaucoup de savants n'hésitent pas à venir consulter à Paris des manuscrits de divers dépôts de province dont ils ont demandé par avance le regroupement dans une grande bibliothèque.

C'est dans ce sens d'ailleurs qu'apparaît la plus grande activité du prêt des manuscrits. Paris continue d'être un centre vers lequel affluent les documents de province, que ce soit pour étude, à la Bibliothèque nationale surtout, pour examen systématique dans un institut, comme l'Institut de recherche et d'histoire des textes, pour reproduction 18 ou pour restauration 4. En 1960, la Bibliothèque nationale a reçu 783 manuscrits d'autres établissements et les autres bibliothèques parisiennes 167; la province a demandé seulement 264 manuscrits.

Les améliorations souhaitées portent presque uniquement sur les délais de transmission dans les relations avec l'étranger; les manuscrits circulant par l'intermédiaire des valises diplomatiques des pays emprunteurs, ces délais sont plus ou moins longs suivant les pays et surtout suivant l'éloignement de la bibliothèque emprunteuse ou prêteuse par rapport à la capitale. Les services culturels de certaines ambassades, comme d'ailleurs plusieurs bibliothèques étrangères, seraient plutôt favorables à l'envoi des manuscrits par les services postaux. On ne saurait pourtant oublier que les raisons qui ont déterminé la France à adopter la transmission par la voie diplomatique sont toujours valables, bien que l'on mette actuellement l'accent moins sur des considérations théoriques (l'utilisation de la valise diplomatique d'un pays implique la responsabilité de l'ambassade et la prise en charge en quelque sorte officielle du volume par le pays emprunteur) que sur les raisons pratiques : ce mode d'envoi est en effet le seul acceptable pour certains manuscrits dont les dimensions ou le poids dépassent les limites admises par les services postaux; la transmission par les compagnies de chemin de fer impliquerait alors un séjour dans les entrepôts douaniers qui peut se prolonger pendant plusieurs semaines; de toute façon, la responsabilité des postes, même en cas d'envoi en valeur déclarée, est limitée à des chiffres assez faibles.

D'ailleurs la faible importance actuelle du prêt international des manuscrits - limité en fait en ce qui concerne la France aux pays limitrophes - ne met aucune urgence à modifier le mode d'acheminement suivi depuis plus d'un siècle.

II. Le prêt des bibliothèques universitaires

Le corps des bibliothèques universitaires françaises comporte actuellement, répartis entre 20 académies, 60 établissements ou sections (dont 9 pour Paris) ayant chacun un service de prêt. Ces établissements ont entre eux des relations de prêt fréquentes et participent également, comme nous l'avons vu, au prêt inter-bibliothèque français ou étranger, soit directement, soit par l'intermédiaire du Service central des prêts.

Le prêt inter-universitaire connaît depuis la guerre une importance croissante; il a fait l'objet de divers rapports; des statistiques en ont été données à diverses reprises; des instructions officielles ont été diffusées récemment en vue d'améliorer son fonctionnement, d'unifier les méthodes et d'obtenir une meilleure coordination des relations entre les bibliothèques universitaires 19.

a) Prêts et emprunts entre bibliothèques universitaires françaises.

Le volume des prêts effectués par les bibliothèques universitaires françaises entre elles est remarquable puisqu'il porte pour l'année scolaire 196I-1962 sur un total d'environ 13 ooo volumes. Si les petites sections ne prêtent que 200 à 700 volumes, les prêts des plus importantes, comme la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg ou la Sorbonne, atteignent respectivement 2 388 et 1 135 volumes. Les chiffres de prêt de l'ensemble des sections d'une université de province sont de l'ordre de 1200 (I 249 pour Aix-Marseille; 1 243 pour Bordeaux; 1 166 pour Lyon; 1 15I pour Montpellier).

Les bibliothèques universitaires utilisent pour leurs emprunts une feuille de demande d'un modèle qui leur est strictement particulier. C'est un bulletin « en hauteur » 20, de 13,5 X 21 cm, portant l'en-tête de la section emprunteuse, et comportant au verso un ensemble de cases (36 en général) réservées chacune soit à une des sections des bibliothèques universitaires soit à un organisme de recherche comme le Catalogue collectif des ouvrages étrangers ou l'Inventaire permanent des périodiques en cours 21. La demande circule de bibliothèque à bibliothèque dans un ordre préétabli par le demandeur ou simplement dans un ordre géographique. Dans la majorité des cas, à l'aide aussi des indications fournies par le « Catalogue de Montpellier » ou par les catalogues collectifs des ouvrages étrangers et des périodiques, la demande est satisfaite assez vite. Dans d'autres cas, elle doit parcourir la totalité du circuit des bibliothèques universitaires et peut revenir au point de départ sans avoir été satisfaite. Un tel système, pratique à beaucoup d'égards, n'est donc pas sans présenter, ainsi que nous le verrons plus en détail, un certain nombre d'inconvénients.

b) Prêts et emprunts aux autres bibliothèques françaises et à l'étranger.

Les bibliothèques universitaires ont encore recours, il va de soi, aux autres bibliothèques françaises pour des publications spécialisées (publications locales) ou anciennes; elles font appel aussi aux bibliothèques étrangères. Inversement et de façon plus large, bibliothèques municipales françaises et bibliothèques étrangères ont recours aux richesses de nos bibliothèques universitaires. Les statistiques ci-jointes indiquent que les prêts des bibliothèques universitaires aux bibliothèques étrangères sont trois fois plus importants que leurs emprunts : cette proportion, en ce qui concerne les rapports des universités avec les bibliothèques municipales françaises est de l'ordre de 4 prêts pour 1 emprunt.

De tels chiffres montrent quelle place tient le prêt consenti par les bibliothèques universitaires françaises aux autres bibliothèques françaises et aux bibliothèques étrangères.

III. Le prêt des bibliothèques municipales

Les bibliothèques municipales françaises participent dans leur ensemble très largement au prêt entre bibliothèques. Le nombre de volumes prêtés en 1962 s'élève, pour les quarante et une plus importantes bibliothèques municipales, à 3724, dont 982 pour l'étranger; le nombre des emprunts est de 2742 dont 108 en provenance de l'étranger. On constate donc qu'ici comme pour les bibliothèques universitaires les prêts à l'étranger sont beaucoup plus importants que les emprunts.

Une grande partie des envois des bibliothèques municipales sont effectués, non pas directement, mais par l'intermédiaire du Service central. Les bibliothèques municipales n'ont pas en effet, comme les bibliothèques universitaires, le bénéfice de la franchise postale pour les envois qu'elles se consentent entre elles; pour éviter de faire l'avance des frais de port, beaucoup préfèrent demander au Service central d'assurer la transmission des volumes; l'intermédiaire du Service central permet effectivement de décharger la bibliothèque emprunteuse des dépenses dont la charge retomberait en dernier ressort sur le lecteur. Mais ce processus a pour contrepartie d'allonger les délais et d'augmenter les responsabilités et le travail du Service central.

L'avantage de l'envoi par l'intermédiaire du Service central s'est avéré d'ailleurs plus fort encore en ce qui concerne les prêts à destination de l'étranger. Étant donnée la difficulté de se faire rembourser les frais de port, les bibliothèques municipales, comme d'ailleurs une partie des bibliothèques universitaires, souhaitent que le Service central prenne en charge la transmission des volumes.

Importante, sans aucun doute, la participation des bibliothèques municipales au prêt entre bibliothèques reste toutefois très inégale.

En ce qui concerne les emprunts, seules quelques bibliothèques connaissent suffisamment toutes les ressources sur lesquelles elles peuvent compter pour donner satisfaction à leurs lecteurs. Beaucoup hésitent à solliciter des prêts dans la crainte d'entreprendre des démarches qui parfois mal dirigées n'aboutissent pas. D'autres lancent des demandes trop incomplètes qui n'ont effectivement que peu de chances d'être satisfaites. Sur ce point un effort d'information est à entreprendre dont nous essayerons tout à l'heure de donner les grandes lignes.

IV. Le service central des prêts 22 et les établissements parisiens

Centre de recherche et non bibliothèque de prêt, le Service ne se situe pas sur le même plan que le corps des bibliothèques universitaires ou l'ensemble des bibliothèques municipales dont nous avons souligné l'apport capital au prêt entre bibliothèques.

Ce Service n'est en fait pour une grande partie que l'expression, le moyen d'action des bibliothèques françaises, dont il oriente dans de nombreux cas l'activité. Les statistiques de ses envois ne sont pas autre chose que celles des bibliothèques françaises. Toutefois, à cette place, le Service central a des préoccupations particulières qu'il est bon de souligner et des moyens d'action très différents dont il convient de montrer ici les rouages.

C'est devant l'afflux des demandes de prêt que le Service central, dont la fonction première reste le contrôle des prêts de manuscrits et d'ouvrages précieux, a été amené à s'organiser en centre de recherche des ouvrages imprimés ordinaires au profit des bibliothèques françaises et étrangères. Pour ce faire, il a dû peu à peu s'équiper : réunir des instruments de travail, constituer un fichier, lancer des cartes de recherches en vue de donner satisfaction aux demandes des correspondants les plus divers, servir de liaison entre les bibliothèques et les établissements spécialisés, surtout ceux de Paris. Grâce aux instruments de travail dont il dispose ou qu'il peut consulter à la Bibliothèque nationale, le Service est en mesure de vérifier l'exactitude des références qui lui sont indiquées; en ce domaine, c'est surtout aux petites bibliothèques souvent démunies d'ouvrages de références ou aux établissements étrangers qu'il peut ainsi rendre service, à l'instar d'ailleurs des grandes bibliothèques.

D'autre part le service a commencé il y a dix ans à constituer un fichier collectif où sont insérées régulièrement des fiches de tous les ouvrages français faisant l'objet d'une recherche, avec l'indication du résultat de ces recherches. Y sont intercalées également les notices du catalogue de Montpellier dont la mise sur fiche et le classement alphabétique sont en grande partie réalisés. Ce fichier reçoit aussi 23 une fiche de tous les ouvrages figurant au fonds de doubles de la Bibliothèque nationale et pouvant être utilisés pour le prêt entre bibliothèques. Il est également alimenté par les fiches de tous les ouvrages d'études annoncés chaque semaine par La Bibliographie de la France ; on sait que ces fiches, qui serviront de support pour des renseignements ultérieurs, présentent l'avantage d'indiquer le lieu d'impression de l'ouvrage et de faire connaître ainsi la Bibliothèque qui reçoit le dépôt légal d'imprimeur.

Grâce à ce fichier une partie des demandes reçues par le Service peut être immédiatement transmise à des bibliothèques qui possèdent l'ouvrage sollicité. Pour les autres demandes, des recherches s'imposent; c'est en général auprès des établissements parisiens que l'on s'adresse en premier lieu suivant leur spécialisation. Par la suite, on peut être amené à solliciter les bibliothèques de province aux richesses si diversifiées; pour éviter d'entreprendre un circuit de transmission souvent fort long et inefficace, l'on sait qu'a été imaginé un bulletin de recherche dit carte verte, portant un certain nombre de titres d'ouvrages sollicités par des correspondants souvent très divers 24, et envoyé simultanément à plus de 110 établissements. Les réponses obtenues permettent de satisfaire plus des 3/4 des demandes, ce qui est important si l'on pense que ce sont les titres des œuvres les plus difficiles à se procurer qui sont réservés pour les cartes vertes.

Centre de recherches, le Service est également un centre de transmission des prêts de la majorité des établissements parisiens. En tête de ceux-ci se place la Bibliothèque nationale. On sait que le règlement de cet établissement limite le prêt aux ouvrages en double; et d'ailleurs cette règle qui, dans certains cas, et notamment quand il s'agit d'ouvrages étrangers qu'aucune autre bibliothèque française n'a acquis, peut paraître sévère, se révèle, au fur et à mesure que se développe le prêt entre bibliothèques, de plus en plus légitime; si c'était aux collections de la Bibliothèque nationale que le service empruntait les quelques 50 volumes qui lui sont en moyenne quotidiennement demandés, comment pourrait être assuré le rôle de conservation nationale du patrimoine littéraire qui est le sien ? En fait, grâce à un fonds de doubles particulièrement riche 25, la Bibliothèque nationale arrive néanmoins à se placer quant au prêt entre bibliothèques au second rang des établissements français (2 369 volumes prêtés en 1963) après la Bibliothèque nationale de Strasbourg (2 388 volumes).

L'apport des bibliothèques parisiennes est également considérable. Le Service central serait tout à fait démuni s'il ne pouvait compter, comme il peut le faire depuis plusieurs années, sur le large concours des grands établissements de la capitale, bibliothèques de l'Université de Paris (bibliothèques des facultés, bibliothèque Sainte-Geneviève, B.D.I.C.), bibliothèque de l'Arsenal, bibliothèque Mazarine, bibliothèque de l'Institut de France. D'autre part les bibliothèques spécialisées de Paris, publiques ou même semi-publiques, ont accepté elles aussi de participer au prêt entre bibliothèques, et parfois même sans avoir l'occasion de profiter de la réciprocité.

Les ressources qu'offre au Service l'éventail de ces établissements sont inappréciables ; pour chacune des disciplines, se trouve une ou parfois plusieurs bibliothèques auxquelles le Service peut utilement faire appel, tout en tenant compte que la spécialisation même de l'établissement sollicité peut dans certains cas rendre impossible la sortie des ouvrages les plus importants. On peut à titre d'exemple mentionner, dans le domaine religion, la part prise par la bibliothèque de l'Institut catholique, et celle des Études; dans le domaine des pays d'outre-mer, le concours de la bibliothèque de la Section d'outre-mer des Archives nationales, de celles d'Afrique et d'outre-mer et de l'Institut des hautes études d'outre-mer; dans le domaine des Beaux-Arts, l'apport de la bibliothèque Forney et de l'École nationale des Beaux-Arts.

Le nombre des bibliothèques de Paris qui ont ainsi pu être sollicitées doit approcher de la centaine; le nombre de leurs prêts a atteint, en 1963, 2 707 volumes.

Cette large participation a été grandement facilitée par le fait que le Service central assure lui-même la prise en charge, à domicile, des volumes qui lui sont prêtés. Une partie des établissements parisiens et notamment les bibliothèques semi-publiques n'ont pas en effet le personnel suffisant pour assurer eux-mêmes les opérations d'emballage et d'expédition; la prise en charge par le Service les libère de ces soucis comme de tout ce qui concerne les frais postaux.

Diverses circonstances ont enfin amené le Service central à former un fonds d'ouvrages réservés au prêt entre bibliothèques. A l'usage, ce fonds constitué en majorité d'ouvrages très récents s'est révélé d'une utilité incontestable. Pouvoir disposer d'un exemplaire d'un ouvrage demandé, sans délai, sans avoir à faire de recherche, ni risquer de priver un lecteur est certes la solution idéale. A l'heure actuelle ce fonds de prêt comporte 10 ooo volumes et s'accroît continuellement grâce aux apports du Centre national de la recherche scientifique transmis par la Direction des bibliothèques et de la lecture publique et de différents services de la Bibliothèque nationale (Échanges internationaux, Thèses, Dons). D'autres établissements ont également offert des doubles qu'ils ne voulaient pas conserver, et l'expérience prouve que ces dons peuvent se multiplier assez facilement. Par ailleurs, le Département des périodiques de la Bibliothèque nationale amis à la disposition du Service une collection très variée de revues (depuis 1950 environ), collection qui s'accroît sans interruption. Grâce à ces fonds de prêt, grâce au fichier collectif qu'il constitue, le Service central possède des moyens sans cesse accrus de mieux répondre à ce que ses correspondants attendent de lui.

Il ne s'agit là que des volumes transmis effectivement par l'intermédiaire du Service des prêts; c'est donc une moyenne de 60 volumes (3° en « aller », 3° en « retour ») qui passent chaque jour ouvrable par le Service. Le chiffre des envois faits directement à la demande du Service reste toujours faible en regard des envois transmis par lui puisqu'il n'est que de 1 500 volumes environ par an, soit le 1/6 de la masse totale des envois d'imprimés contrôlés par le service qui se montent ainsi à 9 ooo volumes. (A suivre.) 26  27

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Prêts de la Bibliothèque nationale

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Rapports des bibliothèques universitaires

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Statistiques des prêts adressés en 1963 par l'intermédiaire du Service central

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  1. (retour)↑  J. O. 26 janvier 1872, p. 557.
  2. (retour)↑  Statistiques de 1897 à 1906 dans la Revue internationale de l'enseignement, 2e semestre 1907, pp. 65-70. C'est presque dix fois plus qu'aujourd'hui !
  3. (retour)↑  Léopold Delisle, dont l'action pour le développement du prêt ne saurait être méconnue, prenait sur lui, en 1902, de faire adresser à Gaston Paris, alors au repos à Cerisy, un manuscrit de saint Alexis. Lettre du 2 août 1902, Bibl. nat., ms. franc. nouv. acq. 24437, fol. 349.
  4. (retour)↑  « Tout emprunteur qui doit s'absenter de Paris est tenu de rapporter ... les livres » (art. 132 du règlement de la Bibl. nat. de 1894).
  5. (retour)↑  L'arrêté du 3I janvier 1879 mentionne pourtant déjà les demandes de prêt de faculté à faculté ou à l'étranger sur lesquelles la commission centrale des bibliothèques académiques doit donner son avis.
  6. (retour)↑  Catalogue dit de Montpellier, qui a paru de 1893 à 1913 puis de 1925 à 1933. Les fiches constitutives ont continué d'être rassemblées jusqu'en 1937.
  7. (retour)↑  Le Prêt de bibliothèque à bibliothèque en France et à l'étranger. [In Bull. de l'Assoc. des bibliothécaires français, n° d'oct.-déc. 1909. Tiré à part, p. 6.]
  8. (retour)↑  « Il ne peut être prêté à l'étranger que des volumes manuscrits » (art. 108 du règlement de la Bibliothèque impériale du 5 mai 1868).
    « Les manuscrits... peuvent être prêtés dans les départements et à l'étranger » (art. 132 du règlement de la Bibl. nat. de 1894).
  9. (retour)↑  « A l'inverse de ce qui se passe dans beaucoup de pays, les bibliothèques françaises sont relativement plus disposées à communiquer à l'étranger leurs manuscrits, incunables ou ouvrages précieux que leurs imprimés. » (Rapport sur le prêt international en France. Actes du Comité international des bibliothèques, 5e session, Berne 1932, page 161.)
  10. (retour)↑  Ordonnance du 2 juillet 1839 concernant la Bibliothèque royale.
  11. (retour)↑  Voir notamment un brouillon de lettre de Delisle (Bibl. nat., ms. Nouv. acq. franç. 13012, fol. 66) datée du 18 juillet 189. (sic) : Vous savez sans doute que j'aurais voulu faire aboutir les pourparlers échangés il y a quelques années pour simplifier et accélérer les communications de manuscrits entre les bibliothèques de la France et de l'Allemagne. Je suis dans les mêmes dispositions... Dans son testament, Léopold Delisle avait précisé : Je donne à la Bibliothèque nationale toute ma bibliothèque personnelle... pour organiser le fonds de double dont j'ai à plusieurs reprises essayé de faire comprendre l'utilité, principalement pour les travailleurs de province et de l'étranger (Ms. Nouv. acq. franç. 23910, fol. 259).
  12. (retour)↑  J. O. 1901, p. 8035. - E. Coyecque, Code administratif des bibliothèques d'étude, t. I, pp. 246-247.
  13. (retour)↑  Ch. Mortet, op. cit., p. 8.
  14. (retour)↑  E. Coyecque, op. cit., pp. 247-248.
  15. (retour)↑  J. O. 22 décembre 1935, p. 13425.
  16. (retour)↑  C'est à la 9e session du Comité international des bibliothèques tenue à Varsovie en juin 1936.
  17. (retour)↑  Cf. Actes du Comité international des bibliothèques, ioe session 1937, pp 22-23.
  18. (retour)↑  Un certain nombre d'établissements de province ne sont pas encore en mesure de faire d'une façon satisfaisante les reproductions qui leur sont demandées. 4, En dehors de l'atelier de restauration de la Bibliothèque nationale, deux ateliers provinciaux, à Dijon et à Toulouse, ont reçu par l'intermédiaire du Service central des prêts des volumes à restaurer. i. Rapport de Mlle Paul présenté aux journées d'études de décembre 1952 et diffusé en mai 1953. « Instructions pour le prêt entre les bibliothèques universitaires », II octobre 1954. Statistiques données dans le Bulletin d'informations de la Direction des bibliothèques de France, avril 1954, pp 96-10I; juillet-août 1955, pp. 216-226 et tableau, et dans le Bulletin des bibliothèques de France, n° i 1 de 1956.
  19. (retour)↑  Rapport de Mlle Paul présenté aux journées d'études de décembre 1952 et diffusé en mai 1953. "Instructions pour le prêt entre les bibliothèques universitaires", 11 octobre 1954. Statistiques données dans le Bulletin d'informations de la Direction des bibliothèques de France, avril 1954, pp. 96-101 ; juillet-août 1955, pp. 216-226 et tableau, et dans le Bulletin des bibliothèques de France, n° 11 de 1956.
  20. (retour)↑  Les bibliothèques universitaires de Lyon et de Strasbourg ont adopté récemment le type de demande (en longueur et à double exemplaire) du service central des prêts.
  21. (retour)↑  Il peut être utile de rappeler ici que les bibliothèques françaises n'utilisent les bulletins internationaux de demandes de prêt que pour leurs emprunts à l'étranger, alors que la majorité des autres pays se servent de ce même bulletin pour les relations intérieures comme pour les relations extérieures. Ce modèle dit international varie dans ses dimensions : Suède : 105 × 150 sans talon (dimensions préconisées en 1935 comme coïncidant avec les dimensions maximum autorisées pour les cartes postales); Danemark, Autriche : 110 × 175; France : 110 × 210; Grande-Bretagne : 125 × 280; U.R.S.S.: 140 X 300 ;Hongrie : 150 X 205. Tous ces types ont pour points communs d'êtres plus long que haut et d'avoir (sauf exception) sur le côté droit un talon détachable (quelquefois 2 comme en Suisse), à joindre au volume.
  22. (retour)↑  Nous présentons ici le Service des prêts comme un organisme central indépendant. En fait, on sait que son fonctionnement est assuré par la Bibliothèque nationale dont lui-même assure les prêts consentis tant pour étude que pour exposition.
  23. (retour)↑  Pour ne pas grossir démesurément ce fichier, certaines indications (dont l'existence d'un double à la Bibliothèque nationale) sont portées directement dans les marges de l'exemplaire du Catalogue général des imprimés de la Bibliothèque nationale utilisé par le service.
  24. (retour)↑  Chaque carte verte peut contenir jusqu'à 24 titres. En moyenne il n'y a que le 1/5 des demandes provenant d'établissements français. Toutefois, certaines cartes vertes sont entièrement consacrées à des recherches particulières sollicitées par des chercheurs français, tel le recensement des ouvrages d'un même auteur, ainsi qu'il a été fait pour Gustave Kahn et pour Descartes.
  25. (retour)↑  Les exemplaires de ce fonds ne sont pas indiqués dans le Catalogue général des imprimés. L'indication « 2 exemplaires » qui parfois figure dans ce catalogue peut constituer une possibilité supplémentaire de prêt.
  26. (retour)↑  Référence donnée supra note 2, p. 119.
  27. (retour)↑  Ce chiffre devait comprendre une grande partie de prêts à domicile.
  28. (retour)↑  Ces statistiques ne s'appliquent qu'aux prêts pour étude ou pour reproduction. En sont exclus les prêts en faveur d'exposition dont a également à s'occuper le Service central.