Enseignements nouveaux dans les techniques de l'information scientifique
Aperçu des réformes apportées récemment aux programmes d'enseignement dans le domaine des techniques de la documentation, notamment aux États-Unis et en U.R.S.S.; les principaux instituts où ces nouveaux programmes sont appliqués; nature des cours, conditions d'admission, diplômes décernés
Redire une nouvelle fois que devant l'accroissement intensif de la documentation scientifique et technique, le recours aux moyens mécanisés semble inévitable est sans doute inutile. Tout le monde a son point de vue, plus ou moins arrêté, sur le sujet; mais il semble bien qu'une aide mécanisée, au moins partielle, fasse partie des projets de l'ensemble des organismes de documentation. Certains centres de documentation utilisent, d'ores et déjà, des équipements nouveaux; d'autres recherchent les moyens et méthodes permettant d'envisager la mécanisation dans un délai plus ou moins rapproché. Tous ressentent le besoin d'un personnel au courant des méthodes nouvelles, et capable, le cas échéant, de mettre en œuvre les équipements voulus pour l'ensemble des travaux documentaires.
Les documentalistes habitués aux méthodes traditionnelles doivent généralement, lorsqu'une mécanisation intervient, être instruits « sur le tas ». La mise au courant est longue, et par suite onéreuse; de plus, ces techniciens manquent parfois de formation générale, seules les méthodes et techniques employées dans leurs centres leur étant familières.
Cet état de choses a été maintes fois constaté et l'initiation des documentalistes aux nouvelles méthodes a été entreprise, avec plus ou moins de bonheur, dans différents pays d'Europe et aux États-Unis.
Une première phase a été, dans ce domaine, l'organisation de séminaires de dix à quinze jours, visant à perfectionner les documentalistes et plus généralement les techniciens travaillant dans cette branche.
Puis, certaines écoles de bibliothécaires ou de documentalistes, sans pour autant changer l'ensemble de leur enseignement, mais désireuses de le moderniser, ont introduit quelques cours sur les méthodes nouvelles : ainsi la « School of Library Service » à l'Université de Columbia, la « Graduate Library School » à Chicago et à Cleveland, et en France, l'I.N.T.D. (Institut national des techniques de la documentation).
Enfin, depuis peu, l'on voit apparaître des établissements spécialisés dans l'enseignement de ces méthodes. Citons notamment, en U.R.S.S., l'exemple du VINITI (Institut fédéral de l'information scientifique et technique), dont l'enseignement, très complet et très concret, permet la formation de spécialistes ayant des connaissances pratiques dans tous les aspects des méthodes nouvelles; et aux États-Unis, le « Center for the Information Sciences », à Lehigh (Pennsylvania), le « Georgia Institute of Technology » à Atlanta (Georgia), l'Institut Drexell à l'Université de Pittsburgh, etc.
Nous tenterons ici de passer en revue les principaux établissements de ce genre, et les divers aspects des techniques documentaires qui y sont enseignées. Auparavant, qu'il nous soit permis de remercier les spécialistes qui ont bien voulu nous fournir les matériaux nécessaires à cet inventaire, en particulier :
En France :
Mr Y. Cros, de la Faculté des lettres et sciences humaines de Toulouse.
Mr P. Poindron, conservateur en chef, chef du Service technique de la Direction des bibliothèques et de la lecture publique, directeur des études de l'Institut national des techniques de la documentation.
Aux États-Unis :
Mr Atchison, Georgia Institute of Technology (Atlanta).
Mr W. Beadle, Graduate Library School (Chicago).
Mme D. M. Crosland, Georgia Institute of Technology (Atlanta).
Mr Goldhor, Graduate School of Library Science, Illinois.
Mr Goldwyn, Western Reserve University (Cleveland).
Mr Hines, School of Library Service, Columbia University (New York).
Mr E. J. Humeston et J. F. Harvey, Drexel Institute of Technology (Pittsburgh).
Mr Jahoda, The Florida State University (Tallahassee).
Mr A. Kent, University of Pittsburgh.
Mr G. Kirk, School of Library Service, Columbia University (New York).
Mr G. Salton, The Computation Laboratory of Harvard University (Cambridge).
Mr J. M. Shera, Western Reserve University (Cleveland).
Mr Swanson, Graduate Library School (Chicago).
Mr R. S. Taylor, Center for the Information Sciences (Lehigh).
En U.R.S.S. :
Mr A. A. Fomine, VINITI (Moscou).
A. Quelques exemples d'enseignements par pays.
I. Commençons tout d'abord par les ÉTATS-UNIS, où les projets d'enseignement spécialisé dans la « Science de l'information » paraissent actuellement les plus nombreux; l'ordre dans lequel nous les citerons est cependant tout à fait arbitraire.
a) Georgia Institute of Technology, Atlanta (Georgia)
A la suite d'une étude préliminaire financée par la « National Science Foundation», aux États-Unis, sur les problèmes de formation dans les techniques documentaires 1, le « Georgia Institute of Technology » a entrepris de préparer les étudiants aux carrières de chercheurs et de praticiens dans ce domaine.
Deux degrés d'études sont prévus. Le premier degré (« Master's program ») répond à deux objectifs : d'une part, préparer les étudiants à la pratique professionnelle et à la recherche dans le domaine de l'information scientifique; d'autre part, fonder les bases d'un enseignement supérieur éventuel, sanctionné par un doctorat. Le second degré est le doctorat. Son programme correspond à une évolution et un développement du programme pour le degré de « Master of Science ».
Pour le premier degré, les étudiants doivent justifier d'études dans une discipline scientifique, ou dans les sciences de l'ingénieur; le grade de bachelier est nécessaire. Deux options sont par ailleurs prévues : le but de la première est de développer la compétence des étudiants dans trois vastes domaines : l'information scientifique, la connaissance des langues modernes et une spécialisation dans un domaine particulier de la science, déjà connu de l'étudiant. L'ensemble de ce programme comprend cinquante heures de cours, pendant lesquelles sont étudiés les propriétés et fonctions de la littérature scientifique et technique, l'organisation et la mécanisation du stockage et de la recherche de l'information, les calculateurs, les techniques de recherche et d'analyse documentaires. Une grande partie des heures de cours est réservée aux domaines de spécialisation de l'étudiant. Quant à la seconde option, elle vise à développer chez l'étudiant une connaissance plus théorique, pour le préparer à des travaux de recherche dans le domaine de l'information scientifique. Les études comprennent, comme pour la première option, les caractéristiques de la bibliographie scientifique et technique, les méthodes de stockage et de recherche de l'information, mécanisées ou non, ainsi que les techniques de traitement sur calculateurs, y compris la programmation.
D'autres cours, plus spécialisés, concernent les fonctions de l'information dans l'évolution de la science et de la technologie, la communication de l'information, les modèles théoriques d'analyse documentaire, et l'exploitation mécanisée de textes en langage naturel. Une dernière catégorie d'enseignements, enfin, porte sur les mathématiques (logique, algèbre moderne, théorie de l'information), et, à titre facultatif, la recherche opérationnelle, la statistique et l'automatisation.
b) Center for the Information Sciences, Lehigh University (Pennsylvania).
Fondé en avril 1962, cet organisme se propose trois objectifs : étudier les propriétés et les flux de l'information scientifique, former des spécialistes capables d'organiser l'information et de mettre au point les systèmes de traitement nécessaires, et développer des centres d'information comme sources d'expériences dans ce domaine. Les étudiants doivent, pour pouvoir suivre ces cours, avoir une formation scientifique ou d'ingénieur; une préparation mathématique poussée est souhaitable. L'enseignement est à la fois théorique et pratique, mais l'accent semble mis sur les théories fondamentales plutôt que sur les techniques.
Le programme comprend un minimum de quarante-quatre heures de cours et une thèse. Quinze heures doivent en plus être consacrées à une option dans l'un des trois domaines suivants : l'étude des techniques et des possibilités humaines et mécaniques, l'étude de l'environnement social et psychologique de la communication, la théorie logico-mathématique des systèmes d'information.
Le programme obligatoire comprend des cours sur la linguistique générale, les problèmes syntaxiques, l'analyse de l'information, ainsi que sur l'objet particulier de la thèse choisie par l'étudiant. Le grade obtenu est celui de « Master of Science ».
c) Drexel Institute of Technology, Philadelphia (Pennsylvania).
Ici, le programme vise l'enseignement de toutes les méthodes et procédés mécaniques pouvant faciliter les recherches dans la littérature scientifique. Les candidats doivent avoir le grade de bachelier, une spécialisation dans les sciences physiques, biologiques ou mathématiques, et justifier de deux années d'études d'une langue étrangère; il est en outre très recommandé qu'ils aient suivi des études poussées en mathématiques, électronique, psychologie et sociologie, ou tout au moins dans l'un de ces domaines. Les cours comprennent quarante heures par semestre. Une thèse est exigée, de même que la participation aux cours sur l'information scientifique, la programmation, les méthodes de recherche documentaire, l'édition et la publication, les matériaux de référence.
d) Graduate Library School University of Pittsburgh (Pennsylvania).
Le programme prévoit la formation de spécialistes de l'information scientifique à quatre niveaux. Le premier niveau, le plus élevé, vise la formation d'enseignants et de directeurs de recherche spécialisés dans la gestion de bibliothèques et de centres d'information. Le deuxième niveau concerne les instructeurs, les chercheurs et le personnel supérieur des bibliothèques et des centres d'information. Le troisième niveau est destiné aux personnes pouvant assumer les diverses tâches d'analyse, stockage et circulation de l'information. Au quatrième niveau sera formé le personnel nécessaire à l'exécution des travaux techniques. Le programme d'études comprend les mêmes disciplines pour les quatre niveaux : sciences de l'information, depuis les problèmes d'analyse jusqu'au traitement des données, en passant par la philosophie et la logique, domaines scientifiques particuliers et techniques de la bibliothéconomie. Mais ces sujets sont traités proportionnellement à la formation plus ou moins pratique que l'on entend donner aux étudiants; ainsi, les sciences de l'information occupent la majeure partie des heures de cours consacrées aux étudiants du premier niveau, et les procédés techniques la plus petite partie, alors que pour le quatrième niveau, la situation est l'inverse. Pour les deux autres niveaux, toutes les disciplines occupent des positions intermédiaires. Seule la bibliothéconomie occupe la même quantité d'heures dans le programme des quatre niveaux.
e) School of Library Science, Western Reserve University, Cleveland (Ohio).
Il s'agit ici d'une école de bibliothécaires traditionnelle, mais qui offre un grand nombre de cours spécialisés dans les méthodes nouvelles. En fait, un programme d'enseignement spécialisé s'est développé parallèlement au « Center for Documentation and Information Research », créé en 1955 pour étudier les méthodes non-conventionnelles d'analyse, de recherche, de stockage et de circulation de l'information scientifique. Ce centre se propose à présent la formation de techniciens spécialisés. Le programme d'été de 1964, par exemple, comprend des cours intitulés : documentation, systèmes de recherche de l'information, traitement automatique du langage, quelques méthodes mathématiques nécessaires à l'élaboration de modèles dans le domaine de l'information scientifique; mais on relève dans le programme général d'enseignement, d'autres cours intéressant les classifications, le traitement de l'information par calculateurs et la mécanisation des travaux de bibliothèques.
f) School of Library Science, University of Columbia (N. Y.).
Cet établissement relève d'abord de l'enseignement traditionnel. Quelques cours sur les méthodes nouvelles de traitement de l'information y sont adjoints, mais ils sont dans l'ensemble peu nombreux. Citons toutefois, parmi les sujets de séminaires, l'organisation des données documentaires, les systèmes de documentation et d'information; et dans les cours spéciaux, la photo-reproduction, ainsi que les méthodes de condensation et d'indexation.
g) Graduate Library School, University of Chicago (Illinois).
Cet établissement, également de type traditionnel, proposait jusqu'à présent l'étude des services d'information scientifique, des problèmes de bibliographie et, sous forme de séminaires, l'étude des classifications. Parmi les cours de préparation aux thèses, signalons cependant un enseignement sur les systèmes d'information et les applications sur calculateurs. Par ailleurs, le nouveau programme d'enseignement pour l'année 1964/65 aborde d'autres matières, telles que les méthodes d'indexation et de classification, le traitement mécanisé de l'information dans son ensemble, orienté toutefois vers une utilisation par les bibliothèques.
h) Computation Laboratory of Harvard University, Cambridge (Massachussetts).
Ici, les méthodes documentaires sont enseignées dans le cadre des mathématiques appliquées. Le programme d'enseignement comprend l'organisation et la recherche de l'information, le traitement automatique des données, une introduction à la linguistique mathématique et un séminaire plus spécialisé sur le même sujet.
i) Library School, Florida State University, Tallahassee (Florida).
Cet établissement d'études traditionnelles a introduit un enseignement de « Science de l'information », destiné aux étudiants ayant le grade de bachelier, une qualification dans le domaine des sciences physiques, biologiques ou mathématiques, et ayant étudié une langue étrangère pendant deux ans. Quarante-cinq heures de cours par semestre conduisent, en quinze à dix-huit mois, au grade de « Master of Science ». L'enseignement, outre les disciplines traditionnelles des écoles de bibliothécaires, comprend l'étude des méthodes de condensation et d'indexation, les méthodes de recherche bibliographique, les systèmes d'information, les méthodes d'administration des centres d'information.
2. En GRANDE-BRETAGNE, l'Institute of Information Scientists a pour but la spécialisation de scientifiques dans les travaux documentaires pour des domaines variés. L'enseignement comprend deux heures de cours, deux fois par semaine; il est administré au « Northampton College of Advanced Technology ». On y distingue trois grandes parties : tâches d'information, flux d'information, techniques de l'information; mais les méthodes vraiment nouvelles - mécanisation et automatisation - ne semblent en occuper qu'une petite partie. L'enseignement dure trois ans; il est sanctionné par des examens et un diplôme.
3. En U.R.S.S., l'établissement d'enseignement des méthodes documentaires est essentiellement l'Institut fédéral de la documentation scientifique et technique, le VINITI, à Moscou. Cet institut a mis au point, depuis un an, un enseignement très complet, qui englobe pratiquement tous les domaines ayant un rapport avec l'information scientifique et le traitement des données documentaires. Cet enseignement s'adresse à des personnes travaillant déjà dans le domaine de la documentation, y compris les directeurs et les responsables de centres d'information spécialisés ou non dans tel ou tel domaine particulier de l'économie nationale. Tout l'enseignement porte de ce fait l'empreinte d'une volonté très concrète et pratique. Les sujets principaux sont l'étude théorique et pratique de l'information scientifique, la mécanisation des systèmes de recherche, la classification décimale universelle. Ces trois disciplines font l'objet d'un examen. Les autres cours comprennent l'économie des services d'information, la bibliographie, les techniques de polygraphie, les bases de la rédaction de la littérature scientifique, et l'information scientifique dans l'ensemble des domaines particuliers de l'économie nationale. Outre cet enseignement, il existe dans les universités, académies et établissements d'enseignement supérieur, des cours de technologie des calculateurs, automatisme et programmation, qui sont destinés soit à la formation de spécialistes dans les diverses branches de la cybernétique, soit à des spécialistes d'autres domaines désireux de se familiariser avec la théorie et la pratique des machines automatiques.
4. En FRANCE, il faut naturellement citer l'Institut national des techniques de la documentation (I.N.T.D.) qui prévoit un enseignement de deux ans, réservé aux licenciés et aux bacheliers, ces derniers après passage d'un examen probatoire. Cet examen comporte une épreuve de langue vivante et une épreuve-témoin de culture générale. L'enseignement de première année comprend l'étude des techniques documentaires telles qu'elles sont utilisées dans les différents organismes de documentation, et comporte soixante-douze heures de cours environ. En seconde année, l'élève doit se familiariser avec la recherche et la documentation dans les différentes disciplines scientifiques et techniques d'une part, économiques et sociales d'autre part. Soixante et une heures de cours environ sont prévues, comprenant des recherches dans de nombreuses disciplines de ces deux groupes. Sept travaux pratiques de recherche documentaire sont exigés, soit dans le domaine des sciences et techniques, soit dans celui des sciences économiques. L'enseignement semble viser ici la description des différentes méthodes et techniques en usage, plutôt que le développement même de ces méthodes.
Par ailleurs, les Universités de Lyon, Toulouse et Nancy ont créé ou sont en voie de créer un certificat de technologie « Techniques documentaires » qui s'adresse aux étudiants pourvus du Certificat d'études littéraires générales. Ces étudiants doivent préparer en outre soit un certificat de philosophie générale, logique ou psychologie sociale à l'Université de Lyon, soit, dans les deux autres universités, un certificat de langue et civilisation étrangères contemporaines, histoire moderne et contemporaine, géographie, ou histoire de l'art moderne. Le diplôme obtenu est un diplôme d'études littéraires pratiques. Les techniques documentaires enseignées se situent surtout au niveau de l'analyse documentaire traditionnelle.
Signalons enfin, dans d'autres pays d'Europe, notamment en SUÈDE et en SUISSE, l'organisation récente d'un cours spécialisé dans les techniques documentaires nouvelles, selon un programme mis au point aux États-Unis, sur l'initiative de l' « Engineers Joint Council » (Fédération des associations d'ingénieurs). Deux premières séances ont eu lieu en 1964, l'une à Stockholm, l'autre à Genève; d'autres sont prévues, en particulier en France.
Nous n'ignorons pas, certes, qu'il existe dans d'autres pays européens nombre d'enseignements spécialisés dans les techniques de la documentation; toutefois, à notre connaissance, ceux-ci n'accordent pas encore une place centrale aux méthodes nouvelles étudiées dans cet article.
B. Les principales matières enseignées.
Les quelques exemples ci-dessus suffisent à prouver l'importance que l'on attache, principalement en U.R.S.S. et aux États-Unis, à la formation de spécialistes d'un haut niveau de qualification dans la « science de l'information ». Les programmes d'enseignement manifestent eux-mêmes une grande similarité de vues sur le contenu de cette science nouvelle; c'est ce que nous essayerons maintenant de montrer, en examinant successivement les principales matières inscrites à ce programme. Pour la commodité de l'exposé, nous les avons ici groupées sous quatre rubriques :
I. Étude de la documentation primaire.
2. Méthodes et produits de la documentation secondaire.
3. Calculateurs, programmation.
4. Reproduction, diffusion.
1. Étude de la documentation primaire.
Bien que l'étude de la documentation primaire ne soit pas liée aux techniques de traitement de l'information, il est intéressant de noter qu'elle est souvent incluse dans les programmes d'enseignement consacrés à ces techniques. On voit là une preuve de l'effort poursuivi pour ne pas dissocier les différents aspects de la formation des documentalistes, malgré la séparation fréquemment évoquée entre les voies « traditionnelles » et les voies « modernes » de la documentation.
Sous le titre de ce paragraphe, nous citerons essentiellement deux sujets.
a) Les questions relatives à la rédaction et à l'édition des textes scientifiques.
Au VINITI, par exemple, un cours spécial est consacré aux « Bases de la rédaction de la littérature scientifique et technique », en deux parties : tout d'abord, les principes généraux de rédaction, processus d'édition, fonction de l'éditeur, etc...; puis les différents types de publications, du point de vue du contenu (observations, comptes rendus d'expériences) et de la forme (normes littéraires, particularités lexicales et stylistiques, questions de terminologie). Une place spéciale est réservée à certains détails de présentation, tels que notation des références, abréviations, tableaux, formules, etc.
Sous le titre de « Langue pour la science et la technologie », le « Georgia Institute of Technology » traite plutôt de questions linguistiques : écriture, système phonétique, description sommaire des principales langues d'édition scientifique, y compris le japonais, le chinois, etc...
Ces deux catégories de problèmes, méthodologiques et linguistiques, se retrouvent également dans un cours de l' « Institute of Information Scientists », en Grande-Bretagne, consacré aux tâches de rédaction et d'édition.
b) L'inventaire des principales sources d'information scientifique et technique.
Le but est ici de décrire l'organisation générale de la documentation primaire pour l'ensemble des sciences et des techniques, ou au contraire par domaines spécialisés. La création de documents scientifiques est étudiée sous deux aspects : fonctionnel en premier lieu, mais aussi sociologique ou historique comme par exemple aux « Georgia » et « Drexel Institutes of Technology ». Le même enseignement apparaît dans le programme du VINITI, en U.R.S.S., ainsi que dans nombre d'autres établissements, où la description semble généralement ordonnée par domaines scientifiques (ainsi à l'université de Pittsburgh, et plus encore à la « Western Reserve University », où l'on sépare science et technologie, humanités, sciences sociales, droit, médecine, musique, etc...).
2. Méthodes et produits de la documentation secondaire.
Par documentation secondaire, l'on entend l'ensemble des matériaux élaborés à partir des travaux scientifiques originaux : résumés, bibliographies systématiques, index, etc... Une première catégorie de cours, proche de la précédente, vise seulement à décrire les différents produits documentaires de ce genre, soit du point de vue de leur nature ou de leur fonction, soit plutôt sous l'angle d'un inventaire, par domaines scientifiques particuliers. « Bibliographie et connaissance des sources », « Description bibliographique de la littérature scientifique et technique », « Sources et services d'information », tels sont par exemple les titres que l'on donne à cette matière au VINITI, au « Georgia Institute of Technology », et à la « Western Reserve University », où elle ne constitue cependant qu'une partie secondaire d'un enseignement orienté davantage vers les problèmes de méthode.
C'est en effet sur les méthodes de la documentation secondaire que porte l'effort principal, dans presque tous les programmes évoqués précédemment. La manière la plus générale de les aborder est sous l'angle de l'« organisation de l'information en vue des opérations de stockage et de recherche » - titre de cours donnés au VINITI et au « Georgia Institute of Technology ».
Par organisation, il faut entendre toute forme de « re-présentation » des documents de nature à faciliter l'accès aux informations qu'ils contiennent, plus particulièrement la condensation (établissement de résumés) et l'indexation (établissement de fichiers-matière, sur quelque support que ce soit : fiches ordinaires, cartes perforées, bandes magnétiques, etc...). Les méthodes de condensation, cependant, ne paraissent guère se prêter à des exposés didactiques; et l'on trouve peu de cours systématiques sur ce sujet, sauf au VINITI. En revanche, l'indexation fait l'objet de tous les soins... et l'on ne risque guère de commettre une erreur d'appréciation en affirmant que c'est là sans doute le point le plus marquant dans les nouveaux programmes d'enseignement en matière de documentation.
Sous des titres variés - « analyse de l'information », « théories de l'indexation et de la classification », etc... - tous les établissements précités abordent les mêmes sujets, jusqu'alors passés à peu près entièrement sous silence dans l'enseignement des techniques documentaires : fondements et caractérisations théoriques des classifications, typologie des « systèmes d'indexation » (par matières, par descripteurs, etc...), organisations à facettes, thesaurus, procédés syntaxiques, codification, etc... Les seules différences observées d'un programme à l'autre concernent la place particulière qu'occupe parfois telle ou telle méthode (au VINITI par exemple, un cours spécial est consacré à la C.D.U.) et le caractère plus ou moins théorique de « l'analyse des systèmes » considérés. Quelques établissements semblent en effet donner à leur enseignement une orientation plus spéculative que pratique; ou du moins, les modèles formels d'analyse documentaire y sont étudiés parallèlement aux méthodes empiriques d'indexation. Tel est le cas par exemple aux Universités de Chicago, Lehigh, Pittsburgh, Cleveland, où ont été nouvellement créés des cours de linguistique appliquée souvent très spécialisés (ex. : concepts syntaxiques, à Lehigh), à l'intention des techniciens de la documentation ; de même aux universités de Lehigh, Harvard, au « Georgia Institute of Technology », etc..., où sont exposés, pour le même public, les travaux récents en matière de modèles mathématiques appliqués à l'analyse du langage en général, et à l'analyse documentaire en particulier.
Contrairement à l'idée qu'on s'en fait parfois, du moins en France, ces problèmes de méthode n'intéressent pas seulement la documentation automatique ; et il est inutile de souligner que nombre des cours spécialisés que l'on vient de citer, sur les systèmes de classification et d'indexation, s'adressent à des documentalistes et à des bibliothécaires de l'école dite « traditionnelle », loin de toute référence à la mécanisation. Celle-ci est en fait étudiée, comme il convient, dans des cours distincts, que l'on retrouve également dans la plupart des établissements cités plus haut : « mécanisation et automatisation des processus de traitement de l'information » au VINITI, « systèmes mécanisés de stockage et de recherche de l'information » au « Georgia Institute of Technology », etc... Le contenu de ces cours n'appelle aucun commentaire particulier; on y passe en revue les différents types d'équipement, depuis les plus simples (cartes à perforations marginales, procédés « peek-a-boo », etc...) jusqu'aux sélecteurs photo-électriques, calculateurs électroniques, etc..., ainsi que les méthodes de recherche appropriées (communication homme-machine, systèmes demande-réponse, « stratégies de recherche », etc.).
Signalons cependant une branche distincte de l'automatisation, encore pratiquement inconnue en France, et qui fait cependant déjà l'objet de cours réguliers aux États-Unis sous le titre de mécanisation des bibliothèques (« Western Reserve University », Universités de Chicago, d'Illinois, etc.); il s'agit ici non plus de documentation automatique à proprement parler, mais de travaux de gestion (tenue à jour de fichiers, établissement de catalogues, etc.) dont la mécanisation fait appel à des « études de système » et à des techniques particulières qui justifient pleinement un enseignement propre.
Ces cours sur l'emploi de moyens mécaniques dans les centres de documentation et dans les bibliothèques constituent, après ceux qui visent les méthodes d'analyse elles-mêmes, la partie centrale des nouveaux programmes d'enseignement. Il est dès lors d'autant plus frappant de constater que sur le premier point comme sur le second, il n'existe en Europe aucun cours approfondi et régulier du même genre, même dans le cadre de certains programmes nouveaux comme ceux des universités de Lyon, Nancy et Toulouse, préparant à un diplôme supérieur de documentaliste 2.
3. Calculateurs, programmation.
Ces cours sur la mécanisation ne sont pas à proprement parler des cours sur les machines, dans la mesure où l'on y traite plus de fonctions générales que de technologie. L'emploi croissant des calculateurs à des fins documentaires, principalement aux États-Unis, a cependant conduit à instituer des cours spécialisés sur les problèmes de programmation, dans le cadre même des enseignements destinés aux bibliothécaires et documentalistes.
Tel est le cas par exemple au :« Georgia Institute of Technology », au « Drexel Institute of Technology », aux Universités de Pittsburgh, de Cleveland, de Harvard, de Chicago. Les sujets abordés sont les éléments des calculateurs, leur fonctionnement et d'autre part la programmation (langage-machine, langages symboliques, problèmes de codification, de compilation).
Il est remarquable de constater qu'en U.R.S.S., où les calculateurs sont pour le moment moins répandus qu'aux États-Unis dans les bibliothèques et centres de documentation, une partie fort importante de l'enseignement du VINITI est consacrée aux mêmes sujets : fondements algébriques des machines à calculer, technologie des constituants, principes d'organisation interne, équipements d'entrée-sortie, programmation, et exemples variés d'applications dans le domaine non-numérique en particulier (traduction automatique, « résolution de problèmes »). Ce fait suffit à marquer l'orientation et le développement que l'on entend imprimer aux techniques automatiques du traitement de l'information en U.R.S.S., même si leur emploi n'est pas encore aussi étendu qu'aux États-Unis.
Il n'en va pas de même en Europe, où aucun établissement voué à l'enseignement des techniques documentaires n'a encore prévu de cours spécial sur les calcu
lateurs et la programmation. A l' « Institute of Information Scientists », en Grande-Bretagne, le sujet est évoqué, mais non pas véritablement traité; ailleurs, il est, semble-t-il, passé entièrement sous silence 3.
4. Reproduction, diffusion.
Nous avons regroupé sous ce titre, d'une façon quelque peu artificielle, l'examen des aspects matériels et institutionnels de la diffusion des informations. Par aspects « matériels », il faut entendre les questions de « polygraphie » au sens large : procédés de reproduction, sur des « supports » variés, mérites respectifs de ces procédés, du point de vue du coût, de la rapidité, de la qualité... Ces questions sont abordées depuis plusieurs années déjà dans les programmes d'enseignement à l'intention des documentalistes (par exemple, à l'I.N.T.D., en France, à l' « Institute of Information Scientists » en Grande-Bretagne, au « Drexel Institute of Technology »). Toutefois une place particulière est aujourd'hui réservée aux techniques nouvelles d'édition (procédés photo-électriques de reproduction, miniaturisation, composition automatique, connections entre calculateurs et matériel d'imprimerie); et certains cours sont consacrés exclusivement à ces procédés modernes d'édition, notamment au VINITI, en U.R.S.S. (« Nouvelles techniques de polygraphie »), et à la « Graduate Library School de Chicago ».
Quant à l'aspect « institutionnel » de la diffusion des informations, il se manifeste par l'intervention croissante des gouvernements et des organismes internationaux, dans le domaine de la documentation. Ce sont les différentes formes de cette intervention, et plus généralement la place de l'information scientifique dans l'organisation d'un état moderne, qui font au VINITI l'objet d'un cours spécial : étude des principales associations nationales et internationales de documentation, moyens de « propagande scientifique et technique » (conférences, écoles inter-usines, expositions), rôle de l'information scientifique dans l'économie nationale. Par certains côtés, ce cours se rapproche de ceux que l'on a évoqués plus haut, sous le paragraphe Ib (inventaire des sources d'information scientifique et technique) ; mais si l'on est parfois conduit à décrire ici l'organisation de la documentation dans les différentes branches d'activité, c'est moins, semble-t-il, dans un souci d'inventaire systématique, comme précédemment, que pour illustrer la fonction primordiale de l'information scientifique dans le développement général de la société.
Il n'est pas surprenant que cet aspect du sujet reçoive une attention particulière en U.R.S.S. Ailleurs, le seul cours systématique à peu près équivalent paraît être celui que propose l' « Institute of Information Scientists », en Grande-Bretagne, sous le titre de « Flux de l'information ». On y passe en revue, comme au VINITI, les courants d'information dans l'industrie, le commerce, la recherche, les administrations publiques, ainsi que les méthodes de dissémination à l'intérieur d'organismes divers, ou entre organismes, à l'échelle nationale et internationale. Quant aux États-Unis, ces faits semblent y être abordés seulement dans le cadre d'enseignements plus généraux sur les organismes de documentation existants, envisagés plutôt sous l'angle de l'inventaire (supra § 1 b).
C. Les conditions d'enseignement.
L'on ne saurait décrire en détail les règles suivies par chacun des établissements précités, quant à la scolarité : conditions d'admission, durée des études, titres décernés. Ces règles varient d'ailleurs sensiblement d'un cas à l'autre; mais certaines tendances communes n'en apparaissent pas moins, qui méritent d'être signalées.
L'observation la plus évidente porte sur les exigences nouvelles que l'on pose en matière de recrutement : à la différence des écoles de bibliothécaires, où les candidats viennent souvent d'horizons littéraires, les écoles dites d' « information science » 4 insistent sur la formation scientifique dont doivent justifier les étudiants : sciences de l'ingénieur ou sciences théoriques en général : ( ex. : Lehigh, Georgia), parfois spécifiées (ex. : biologie ou physique, à l'université de Floride), l'aspect mathématique de cette formation préalable étant souvent mis en relief (Universités d'Illinois, de Floride, de Lehigh). Dans certains cas, même, une certaine expérience des calculateurs est recommandée, avant la participation aux cours (ex. : à Lehigh).
Cette orientation scientifique plutôt que littéraire est confirmée par la nature des titres décernés au terme des études : « Bachelor of science » ou plus souvent « Master of science », après une période d'au moins deux ans, parfois trois.
Quant au nombre d'heures de cours, il paraît éminemment variable; il n'est nulle part aussi élevé qu'en U.R.S.S., où le chiffre indiqué pour l'ensemble complet des cours cités plus haut est de 54I heures, soit probablement cinq à dix fois plus que la moyenne observée dans d'autres pays.
Dans nombre de cas, il est vrai, l'enseignement est gradué, et tous les cours ne s'adressent pas au même public. Une distinction fréquente, bien que diversement formulée, est entre théoriciens (« [information scientists », chercheurs responsables de tâches de direction, etc.) et praticiens (« technical analysts », documentalistes, exécutants qualifiés). On la retrouve par exemple dans les quatre niveaux de l'Université de Pittsburgh, décrits plus haut (§ 3.I), et au « Georgia Institute of Technology ». Parfois, en revanche, l'enseignement est destiné à une catégorie précise de spécialistes :
a) soit au niveau le plus élevé, comme en U.R.S.S., où l'on vise explicitement à former des « directeurs d'instituts d'information, des chefs de département dans les instituts centraux ou régionaux d'information..., des ingénieurs responsables des bureaux d'information technique ».
b) soit au contraire au niveau des tâches d'exécution.
Au risque d'ouvrir une querelle, c'est dans cette dernière catégorie que nous serions portés à ranger les enseignements français. Qu'il s'agisse des cours de l'I.N.T.D, ou des nouveaux programmes créés auprès des Facultés des lettres de Nancy, Toulouse et Lyon sous le titre de « techniques documentaires », les caractéristiques même de l'enseignement (condition d'admission, nombre d'heures de cours, sujets traités) montrent qu'on ne peut songer à le comparer aux programmes récemment mis en œuvre en U.R.S.S. et aux États-Unis sur le même sujet. Il n'y a là d'ailleurs rien qui doive étonner, dans la mesure où les problèmes d'information scientifique ont été repensés dans ces deux pays quelque dix à quinze ans avant qu'ils ne fassent en France l'objet d'une recommandation ou d'une action concertée.
C'est sur cette constatation que nous nous arrêterons, conscients néanmoins du caractère fort superficiel et incomplet de l'inventaire : une enquête plus exhaustive n'eût fait qu'accuser le contraste entre un « réformisme », que d'aucuns jugent outrancier, et cette espèce « d'attentisme », que d'autres ne trouvent pas moins inquiétant, dans la manière de concevoir l'enseignement des techniques de l'information scientifique.