Les sections pour la jeunesse dans les bibliothèques municipales de province
Tableau d'ensemble des « coins », sections et bibliothèques pour la jeunesse dans les bibliothèques municipales de province (installation et fonctionnement) d'après les réponses à une enquête menée auprès de ces établissements. Points de vue des bibliothécaires sur le choix des livres et des périodiques pour enfants, et sur les activités annexes. Avis des enfants eux-mêmes sur la bibliothèque des jeunes
Disséminées dans tous le pays, des sections pour la jeunesse ont été créées à des époques diverses dans un certain nombre de bibliothèques de province. Elles vont du simple « coin » pour les enfants jusqu'à de véritables bibliothèques spécialisées et indépendantes. Il en existe actuellement une soixantaine.
Afin de pouvoir en dresser un tableau d'ensemble, nous avons envoyé un questionnaire détaillé à chacun des services intéressés et, d'après les réponses reçues, voici ce qui peut en être dégagé.
Dans leur sécheresse, les chiffres manquent peut-être d'agrément. Ils ont pourtant une éloquence qui n'est pas négligeable. Sur 62 bibliothèques interrogées, 2 n'ont pas répondu, 1 n'a donné aucun renseignement, par manque de temps et de personnel; 2 sont en projet, 1 enfin vient à peine de démarrer. C'est donc sur 56 bibliothèques que l'enquête a pu porter.
En ce qui concerne l'installation matérielle, les locaux sont extrêmement diversifiés. Si certaines sections ont le bonheur d'être agréablement situées dans un jardin comme à Nice ou à La Rochelle, d'autres ne peuvent disposer que de quelques mètres carrés dans le sein même de la bibliothèque générale. Des réponses reçues, il ressort en effet que 9 sections seulement fonctionnent dans un bâtiment indépendant, contre 41 situées dans la bibliothèque municipale. Les « coins » de jeunes sont au nombre de 7 auxquels il faut inclure ceux des annexes de bibliothèques de certaines grandes villes : 3 à Grenoble, 1 à Toulouse, en plus de la section des jeunes de l'organisme central. En dehors de ces locaux fixes, il existe des services ne faisant que le prêt à domicile. Ce sont les 8 annexes de la Bibliothèque municipale de Bordeaux et des bibliobus urbains de Boulogne, Grenoble, Marseille, Toulouse et Saint-Brieuc. De plus, le bibliobus scolaire de la ville de Tours est spécialisé dans le prêt des livres aux élèves des écoles. Versailles a commencé un dépôt de caisses renouvelables dans 25 groupes scolaires.
De quand datent ces installations ? Les premières bibliothèques pour la jeunesse ont été créées à l'exemple de celles que la Dotation Carnegie avaient fondées à la suite de la guerre de 1914-1918 sur le type des « Heures joyeuses » américaines et dont le prototype est la Bibliothèque pour la jeunesse située 3, rue Boutebrie à Paris et qui fut ouverte dès 1924. A sa suite, la province a vu la création de la section de Soissons dans sa bibliothèque municipale entièrement reconstruite après la guerre, en 1926; elle n'a été tout d'abord qu'un simple coin pour les jeunes qui s'est transformé en section intérieure en 1937. Le rythme des créations a été lent et inégal, au cours des années qui suivirent. Depuis 1962 il semble qu'un effort sensible ait été fait. On a vu les naissances des sections de Chartres, Dijon, Dunkerque et Perpignan. Celles de Cognac et de Rouen ont démarré tout récemment. Certaines bibliothèques déjà existantes viennent de créer des annexes. On en compte 2 à Grenoble, 2 à Mulhouse et 1 à Nice. Enfin, certaines sections trop à l'étroit, ont l'espoir de s'agrandir dans un avenir prochain. Ce sont : Châlons-sur-Marne, Cherbourg, Clermont-Ferrand, Pau, Roanne, Soissons et Tulle. Grenoble prévoit deux annexes de plus.
Il est évident que l'importance des fonds de livres varie beaucoup d'une ville à l'autre. La section la plus riche est celle de Tours avec 32 ooo volumes, mais Nice qui possède des annexes dans divers quartiers de la ville compte environ 50 ooo volumes en tout. Cinq autres bibliothèques seulement ont entre 10 et 20 000 livres. La majorité s'étale entre 2 000 et 10 ooo.
Le plus petit dépôt est celui de Hagueneau avec ses 1 090 ouvrages placés dans une école de garçons sous la responsabilité d'un instituteur.
Car le personnel s'occupant des sections pour enfants est d'une grande variété. Il semble qu'aucune norme n'existe pour son recrutement qui va de responsables ayant des titres techniques jusqu'à la simple femme de service. Son importance est liée aux possibilités de la bibliothèque municipale. Si elle dispose d'un personnel suffisant, elle pourra affecter une ou plusieurs personnes à la section des jeunes et, par là, ouvrir celle-ci plus ou moins grandement. Or il n'existe que 22 sections qui peuvent ouvrir tous les jours et dont 7 seulement le sont à temps complet. Les 15 autres ne fonctionnent que l'après-midi et, généralement, le jeudi matin. Parmi ces bibliothèques ouvertes tous les jours, 20 sont dirigées par un personnel affecté spécialement à ce service, dont 7 ayant des diplômes techniques (D. S. B., C. A. F. B.) ou bien ayant passé un concours de recrutement municipal, en général celui de sous-bibliothécaire. Les autres offrent un éventail largement ouvert; il vont d'un ou plusieurs certificats de licence au simple certificat d'études primaires. Le restant ne peut justifier d'aucun diplôme.
Ce personnel est aidé dans certains cas par des instituteurs comme à Boulogne et Hagueneau. A Chartres et à Douai, des élèves des Écoles normales d'instituteurs apportent leur concours bénévole. Des élèves jardinières d'enfants aident la bibliothèque de Villeurbanne. Les sections qui n'ouvrent que quelques heures par semaine (le jeudi dans la plupart des cas et quelquefois le samedi après-midi) sont animées par du personnel détaché provisoirement de la bibliothèque municipale générale.
Après avoir vu l'importance de chacune de ces sections, tant au point de vue du local et du fonds ainsi que de leur personnel, il faut se pencher sur le problème de leur installation intérieure. Dans l'ensemble, celle-ci paraît adaptée aux besoins du service. Presque toutes sont meublées de bois qui est préféré au métal à cause de son aspect plus attrayant, tant pour les tables, sièges et fichiers que pour les rayonnages. Ceux-ci n'excèdent pas 1,70 m de hauteur totale, sauf pour les sections d'adolescents où ils peuvent atteindre 2 mètres. Très souvent ils sont de tailles multiples. A Pau, par exemple, les contes sont classés dans de petits rayonnages de o,80 m seulement mais dont la tablette du dessus sert à exposer les grands albums exclus du prêt. Les rayonnages à l'usage du public moyen mesurent 1,20 m. Pour les adolescents, ils atteignent la hauteur pour adultes, soit 2 mètres. Enfin, des épis centraux, réservés aux usuels, sont à 1,20 m de hauteur afin de permettre la surveillance depuis les extrémités de la salle.
Pour les tables, on constate que les dessus stratifiés sont en faveur, mais elles sont de tailles et de formes variées. Deux hauteurs les mettent à la mesure des lecteurs : 0,65 m pour les petits, 0,75 m pour les autres. Les tables rectangulaires sont utilisées soit en fonction de la forme du local, soit parce qu'elles sont réservées aux enfants qui viennent écrire ou dessiner. Les tables rondes servent le plus souvent à la simple lecture. Elles sont aussi plus spécialement adaptées aux plus jeunes enfants. Telles sont par exemple, celles qui présentent trois encoches verticales destinées à classer des albums, comme à Mulhouse et Bagnolet.
Les sièges sont de deux hauteurs différentes adaptées aux dimensions des tables. Ils vont du fauteuil rembourré au simple tabouret. Ils peuvent être en bois ou en matière plastique avec piètement métallique.
Tous les fichiers sont du type Borgeaud pour fiches internationales horizontales. Certaines sections possèdent en outre un mobilier spécialisé : meubles à revues et à albums, huches à livres pour les petits, tableaux d'affichage, présentoirs, vitrines d'exposition, flanellographes, etc. Une bibliothèque, celle de Roanne, signale un meuble à cartables. Limoges utilise un classeur à photographies. Cherbourg se sert d'un bac à dossier roulant, avec tiroir dans le bas.
Après avoir passé en revue l'installation de ces sections, il est nécessaire d'en étudier le fonctionnement. Ce qui implique tout d'abord les ressources financières dont elles disposent. Nous avons demandé aux diverses bibliothèques de nous indiquer si possible le budget qu'elles réservaient aux services pour la jeunesse. Il est, bien entendu, extrêmement variable et en fonction de l'importance des villes et aussi du fonds existant. Leur comparaison fait cependant ressortir qu'à un même niveau de population, donc de besoins, les différences sont énormes. Les plus pauvres ne peuvent disposer que d'environ 600 à 800 francs par an. Mais les privilégiées comptent par dizaines de milliers de francs.
Si on examine, par exemple, les budgets de plusieurs villes de 100 à 150 000 habitants, on les voit varier de 40 ooo à 80 ooo francs. Une certaine moyenne cependant s'établit autour de 20 000 francs, ce qui tendrait à prouver qu'à importance à peu près semblable les besoins du service nécessitent des dépenses du même ordre lorsque la bibliothèque n'offre rien d'exceptionnel dans un sens ou dans l'autre, sans vouloir dire que ces chiffres soient suffisants.
L'accès aux sections de jeunes est toujours soumis à une réglementation qui, bien que diverse, offre toutefois quelques points communs. Dans la majorité des cas les enfants qui désirent fréquenter la bibliothèque doivent présenter une autorisation écrite ou être présentés par leurs parents pour lire sur place et emprunter des livres. Il leur faut dans certains cas signer un engagement de respecter le règlement. Leur carte d'inscription est obligatoire dans quelques sections, même pour venir lire sur place. Parfois, à la suite de demandes de parents qui tiennent à vérifier si leurs enfants sont bien venus à la bibliothèque, les cartes sont timbrées à date à chaque venue du lecteur. Elle ne leur est rendue qu'à la sortie de la salle afin d'éviter un simple passage pouvant servir d'alibi.
L'obligation d'habiter la ville est quasi générale. A Toulouse, pour être autorisé à emprunter des livres chez soi il faut être venu au moins quatre fois dans la salle pour y lire sur place et faire preuve de bonne conduite. A Saint-Brieuc une seule obligation est imposée aux jeunes : il leur faut être propre.
En moyenne, l'âge de fréquentation de la section va de 7 ans à 16 ans. Quelques bibliothèques sont ouvertes aux petits à partir de 5 ans. D'autres acceptent les grands jusqu'à 18 et même 20 ans quand elles ont des sections pour adolescents. Dans d'autres cas la distinction est faite aussi par classes : par exemple, les adolescents qui font des études secondaires peuvent venir jusqu'à la première incluse. A partir de la deuxième partie du baccalauréat ils ont accès à la bibliothèque des adultes.
Le prêt des livres est tantôt gratuit, tantôt payant. Dans ce dernier cas le prix de l'abonnement n'est jamais supérieur à 6 F par an. D'autres fois, le prêt est gratuit mais une amende est due pour les retards, le délai maximum de prêt étant de 15 jours. Ou bien le lecteur fautif paie une amende en plus d'un prêt payant.
Toutes les sections pour la jeunesse pratiquent le libre accès aux rayons. Les livres y sont classés par sujets. Les documentaires portent la cote de la classification décimale de Dewey abrégée. Les romans sont rangés par ordre alphabétique d'auteurs. Les contes et les albums font l'objet d'un classement à part. Châlons-sur-Marne divise ses romans en deux sections selon l'âge et par sexe, distinguant ainsi l'aventure de l'histoire sentimentale; les autres livres sont classés en documentaires par sujets, albums, dictionnaires, textes littéraires.
A ces livres classés méthodiquement sur les rayons correspondent des catalogues sur fiches. Toutes les sections possèdent un catalogue alphabétique d'auteurs, mais 37 seulement ont un catalogue de matières. Presque toutes ont classé leurs romans sur fiches par ordre alphabétique de titres. Trois bibliothèques utilisent un catalogue dictionnaire. Deux ont un catalogue de collections, ce sont Cherbourg et Clermont-Ferrand.
Nous avons demandé à ces bibliothèques de jeunes de nous préciser la fréquentation des lecteurs. Il leur a été difficile de nous dire, dans beaucoup de cas, le nombre d'enfants venus lire sur place, les statistiques n'en étant pas tenues. Cependant on peut donner quelques chiffres. Les plus fréquentées accusent un nombre considérable d'entrées. Roubaix vient en tête avec 33 787 lecteurs, puis Caen avec 28 657. Cherbourg suit de près avec ses 24 825 presque à égalité avec Grenoble qui indique le nombre de 24 769. Plus modestes sont les entrées de Reims 18 000, Pau 15 812, Douai 13 534.
Le nombre de livres prêtés au dehors fait l'objet d'un recensement plus complet. Limoges arrive bonne première avec 174 516 prêts, mais Tours n'est pas loin derrière avec ses 160 025 livres et Mulhouse avec ses annexes se classe troisième pour 108475 prêts. Des villes comme Grenoble, Nice et Toulouse, qui ont des annexes dont nous n'avons pas les chiffres, doivent arriver ensuite.
Bien entendu ce sont des romans qui viennent en tête des préférences des lecteurs. Ils les empruntent dans une proportion d'environ 50 %.
Des prêts sont consentis par quelques bibliothèques à des collectivités. Le plus souvent ce sont des écoles, mais aussi des maisons de jeunes et des colonies de vacances.
Les bibliothèques les plus vivantes ont aussi des activités annexes. La plus courante est l'Heure du conte, faite presque toujours le jeudi. Certaines regrettent de ne pas pouvoir la créer faute de temps et de personnel, c'est la raison pour laquelle on ne peut en dénombrer qu'une dizaine. Celles qui ont un local spécial sont très rares. Quand il existe il consiste en une salle aménagée pour l'audition avec sièges de diverses hauteurs allant jusqu'à des petits tabourets. Quelques sections ont un tableau flanellographe comme à Tours et Villeurbanne pour illustrer le conte au fur et à mesure. Quand il n'est pas possible d'avoir une salle à part, l'heure du conte se fait dans un simple coin, dans un bureau, quelquefois en plein air à la belle saison.
L'Heure du conte est souvent complétée par l'audition de disques : contes ou chansons pour les plus petits, textes littéraires pour les plus grands. Une quinzaine de bibliothèques ont une discothèque. Elle est utilisée soit pour des séances en commun soit pour des auditions particulières avec des écouteurs mis en casque comme à Bagnolet ou à Saint-Ouen. Trois de ces bibliothèques prêtent des disques à l'extérieur.
Parmi les autres activités, les expositions viennent en tête. Une dizaine de bibliothèques en font régulièrement. Elles vont de la documentation assez sommaire placée sur les rayonnages à la véritable exposition avec ouvrages et objets de valeur mis sous vitrine. Les enfants participent toujours à son élaboration. Il s'agit tantôt de la décoration de la salle sur un thème donné avec assez souvent l'aide des lecteurs consistant en œuvres dessinées, peintes ou écrites. D'autres fois le sujet nécessite des recherches de documentation dans la bibliothèque d'étude des adultes, recherches faites sous la conduite des responsables des sections. Certaines de ces manifestations sont organisées avec l'aide des groupements locaux culturels.
La préparation de ces expositions est une initiation à la recherche documentaire. Elle peut être complétée par des séances organisées pour un petit groupe d'enfants et qui consistent à leur apprendre le classement des livres et comment se servir des catalogues. Une connaissance plus complète du livre et de son histoire est parfois obtenue par des visites commentées de la bibliothèque d'étude des adultes et de ses ouvrages précieux. Des projections de diapositives en sont un complément.
L'initiation à la recherche bibliographique que nécessite la préparation de ces expositions peut être étendue dans certains cas. En organisant des concours entre lecteurs, quelques bibliothèques éveillent la curiosité des enfants sur les ressources de leur section tout en les récompensant de leurs efforts par l'attribution de prix. L'obligation de chercher les réponses dans des ouvrages de référence leur apprend à travailler de façon méthodique. Pour les plus jeunes cette recherche est souvent pour eux une révélation de l'utilité qu'il y a à savoir se servir d'un dictionnaire.
En plus de ces à-côtés de la lecture, quelques rares sections de jeunes ont tenté d'organiser des heures littéraires, mais pour le moment ces modestes tentatives n'ont guère donné de résultats positifs.
Ce sont évidemment les meilleurs lecteurs qui prennent une part active à ces manifestations annexes à la bibliothèque, mais pour le plus grand nombre leur goût est-il bon ? est-il sûr ? en quoi consiste-t-il ? Nous avons demandé d'abord si une désaffection s'est manifestée pour de vieux auteurs classiques tels que Jules Verne ou la comtesse de Ségur. Le premier reste généralement bien placé quoique i 1 bibliothèques constatent une baisse de sa lecture. Pour l'auteur des Malheurs de Sophie, 15 bibliothèques la jugent moins en vogue. Toutefois, il est à remarquer que si l'ouvrage d'un auteur vieilli est réédité sous une apparence moderne il sort à nouveau comme un livre récent.
A notre question s'informant si les enfants demandent les œuvres d'un certain auteur en particulier, 36 réponses sont affirmatives. Mais leur choix n'est pas toujours heureux et il faut freiner ceux qui ne voudraient lire que du genre détective en herbe ou des histoires en images. De bons auteurs cependant sont demandés avec précision. Mais si un écrivain à succès fait paraître un livre moins bon que les précédents on remarque qu'une baisse de la demande est vite enregistrée. Le jeune lecteur est vite déçu et ses préférés se succèdent.
Peut-être plus qu'à un auteur en particulier, les enfants s'attachent à un genre de préférence à un autre et dans 42 bibliothèques les lecteurs demandent des livres édités par certaines collections sans distinction d'auteurs ou de genres mais parce que la série leur a plu.
Quelques bibliothèques précisent que des enfants désirent lire les livres conseillés par leurs maîtres ou leurs professeurs. Certains présentent même des listes entières qu'on leur a dictées en classe.
Nous avons voulu savoir aussi dans quelle mesure les bibliothécaires sont appelées à guider le choix de leurs jeunes lecteurs. Les résultats sont curieux : 24 nous ont dit que ce ne sont que les plus petits qui sollicitent une aide et 23, au contraire, qu'il s'agit uniquement des adolescents. Dans beaucoup de cas cette aide dans le choix ne se demande qu'au début, lorsque l'enfant n'a pas encore l'habitude de la bibliothèque et ne sait pas très bien où trouver tout seul ce qu'il cherche. Pour quelques cas il semble que les enfants ne demandent jamais à être guidés de quelque façon que ce soit. Une de nos collègues précise même : « Je crois que l'enfant finit par être accablé par le soin excessif de notre époque qu'on a de lui. Enserré par les activités scolaires, les activités péri-scolaires, les sujétions familiales, il m'a semblé toujours que ce qu'il recherchait et ce qu'il appréciait à la Bibliothèque, c'était sa tranquillité, sa liberté, son tête à tête avec le livre, le fait qu'on le laissait en paix... sentiment que je comprends trop pour ne pas le respecter! »
Le rôle des responsables des sections de jeunes ne se borne pas à guider les enfants mais il arrive assez souvent que des parents ou des enseignants viennent chercher auprès d'eux des titres quelquefois des listes entières de livres pouvant convenir aux jeunes dont ils ont la responsabilité.
Mais le choix de leurs lectures, les enfants peuvent le faire eux-mêmes en consultant les catalogues. Le font-ils ? Nous avons recueilli 37 oui parmi lesquels on s'aperçoit que ce sont surtout les plus grands et les adolescents qui y ont recours. Les catalogues par titres sont plus souvent utilisés que ceux par auteurs, mais la plupart du temps ils sont peu consultés. Il serait donc nécessaire d'amener les lecteurs à se servir davantage des fichiers mis à leur disposition en leur faisant comprendre les services qu'ils peuvent leur rendre. D'où l'intérêt qu'il y a à faire des séances d'initiation à leur maniement telles que les pratiquent régulièrement un certain nombre de sections de jeunes. Il faut citer en particulier La Rochelle où la bibliothécaire explique tous les jeudis matins les principes de la classification décimale et l'utilisation des catalogues à de petits groupes de lecteurs.
Cette initiation à un classement méthodique des connaissances va de pair avec la constitution de sections d'usuels pour les enfants qui viennent travailler dans les bibliothèques pour y faire leurs devoirs et leurs préparations. Il en existe actuellement 44, mais 3 ou 4 se contentent de quelques dictionnaires et encyclopédies.
A côté des livres et des usuels existent les périodiques pour les enfants. Or le choix de ceux-ci est un problème qui tourmente la plupart des responsables de bibliothèques de jeunes. Parmi celles que nous avons interrogées, 13 déclarent n'acheter ni journaux ni revues, quelquefois par manque de crédits, mais la plupart du temps à cause de la difficulté qu'on rencontre à trouver des périodiques intéressant les enfants tout en étant de choix. Les autres souscrivent des abonnements si divers qu'il est difficile d'en tirer des conclusions, sauf pour un très petit nombre.
Sans citer de titres, disons que les journaux et revues d'information générale sont le plus grand nombre (75), si on ajoute les abonnements à des revues scientifiques, historiques, artistiques, techniques, etc., spécialisées, on atteint le chiffre de 145 contre seulement 56 titres de journaux de pure distraction et du type illustré hebdomadaire, ce qui est assez encourageant. Mais ces résultats prouvent aussi qu'il existe peu de journaux en images qui soient valables pour les petits, alors que l'éventail est plus large pour les lectures des plus grands et celles des adolescents.
Or des sections pour adolescents ont tendance à se créer de plus en plus à côté de la bibliothèque enfantine proprement dite. On en compte en ce moment une vingtaine. Leurs fonds est très variable car il va de 200 à quelques milliers (8 ooo à Nice). Quand des sections séparées n'existent pas, la question peut être tranchée en permettant aux adolescents de s'inscrire, sous contrôle, au service de prêt pour les adultes, mais dans d'autres cas il sont incorporés à la bibliothèque des jeunes sans distinction. Le vœu général est cependant de pouvoir s'en occuper spécialement dans un service qui leur soit exclusivement réservé puisque cette période de transition entre l'enfance et l'âge adulte pose des problèmes qui méritent d'être étudiés avec soin en ce qui concerne les lectures qu'on doit ou non leur conseiller. Voici le cas typique d'une de nos collègues qui résume fort bien la situation [La Rochelle]. « Notre règlement prévoit l'accès de la bibliothèque des adultes aux jeunes à partir de 16 ans et nous avons seulement prévu pour les 13-15 ans un coin spécial avec des livres choisis à leur intention. Cette solution ne nous satisfait pas, le vrai problème me paraissant être celui de la lecture des adolescents de 15 à 18 ans. Pour ceux-là tout nous manque, local et personnel. Nous essayons de trouver un palliatif en admettant les jeunes dans notre section d'étude à partir de 15 ans, ou quand ils sont en seconde, et nous leur prêtons alors, sous contrôle, non seulement des ouvrages de travail, mais des livres de distraction ayant une valeur littéraire. Mais ce n'est pas suffisant et le libéralisme du règlement qui autorise le libre accès aux rayons dès 16 ans me paraît très discutable quand on connaît la littérature actuelle. Nous sommes donc dans une situation en porte à faux, sans voir encore par quels moyens en sortir... »
Ce qui nous amène à considérer le choix des livres en fonction même de la diversité des âges. Faut-il exclure systématiquement certains ouvrages ? Les romans « à l'eau de rose » sont proscrits dans la majorité des cas. Les romans policiers ont des adversaires farouches, une douzaine les acceptent avec des réserves. Dans l'ensemble, les bandes illustrées ne figurent pas dans les rayons. En ce qui concerne les romans pour enfants avec aventure policière où les jeunes jouent des rôles de détectives, plusieurs bibliothèques les excluent impitoyablement. Pour les ouvrages de caractère nettement orientés au point de vue confessionnel ou politique, les avis sont partagés et on ne peut guère en tirer de conclusion. Ils peuvent être fonction de la région ou du milieu social dans lesquels se trouve la bibliothèque.
Il reste à voir dans quelle mesure les jeunes lecteurs peuvent être appelés à participer à la vie de leur bibliothèque. Nous avons vu qu'ils coopérent à la préparation des expositions ou à la décoration de la salle. Dans une quinzaine de bibliothèques ils aident le personnel soit en remettant les livres en place (le plus souvent), soit en effectuant de menues réparations, en équipant les livres. Nous apprenons qu'à Reims ils peuvent le cas échéant remplacer du personnel malade. A Villeurbanne ils aident au prêt des livres.
Deux bibliothèques, Tours et Douai, ont édité un guide du lecteur. Aucune ne fait son journal, avec ou sans participation des enfants.
Pourtant ces activités annexes intéressent la plupart des responsables des sections des jeunes, sauf toutefois un avis absolument opposé que nous citons : « Une bibliothèque ne doit-elle pas être essentiellement une bibliothèque, c'est-à-dire un endroit où on lit. Prêter à d'autres activités n'est-ce pas nous écarter de notre rôle, glisser et en fin de compte, ô paradoxe, détourner de la lecture... Bien sûr des activités annexes peuvent au contraire y inciter. Mais notre époque n'est-elle pas aussi un peu trop aux « cocktails ». Une bibliothèque ne peut-elle strictement rester bibliothèque avec ses seules possibilités infinies et merveilleuses.
« Réflexions faites plus sur le ton de l'interrogation que sur celui d'une position absolue. Il y a d'ailleurs des cas d'espèces des atmosphères différentes, des besoins multiples, et selon le public des années à venir je ne jure pas que de nouveaux essais « d'activités annexes » ne seront pas de nouveau tentés. »
Sans prendre parti nous exposons ces divers points de vue. Car ceux qui sont pour des activités annexes aux sections de jeunes n'en ont guère pour la plupart du temps pour des causes semblables. La première est le manque de personnel. Nous avons vu que, bien souvent, ces sections ne disposent pas de personnel à temps complet; tantôt il est détaché quelques heures de la bibliothèque générale, tantôt il est fait appel à des bénévoles. De plus la disparité du recrutement du personnel municipal ne permet pas souvent de disposer de personnes qualifiées pour assurer la direction d'un service de jeunes. La seconde cause est le manque de crédits qui suffisent quelquefois tout juste à assurer la bonne marche de la bibliothèque municipale et ne permet pas d'y adjoindre une section pour la jeunesse. A quoi il faut ajouter le manque de place, trop de bibliothèques vivant dans des locaux trop étroits et mal adaptés à la création de nouvelles sections.
Ce sont ces trois problèmes qui reviennent le plus souvent parmi les doléances de nos collègues. Certains même laissent percer leur découragement devant la vanité de leurs efforts et en dépit de toute leur bonne volonté. Il en est qui nous ont répondu très tardivement, et même pas du tout, par manque de temps. Il y a les pessimistes... Un addendum à l'un des questionnaires conclut brutalement : « Ce n'est pas brillant pour une ville qui se flatte de dépasser 200 000 habitants. Pas de local, pas de crédits, pas de personnel et une administration municipale qui s'en f... »
Pourtant si nous sommes en retard sur certains pays étrangers pour le développement de nos bibliothèques d'enfants, ce ne doit pas être une raison pour se décourager et renoncer à tout effort. Beaucoup de ces sections ont commencé très modestement par quelques rayons de livres dans un coin de la section de prêt pour adultes. Elles se sont agrandies par les moyens du bord, arrivant ainsi à attirer l'attention des municipalités sur les succès obtenus auprès des enfants et des parents et sur la nécessité de voter des crédits pour permettre leur extension.
Il est encourageant de lire des lettres comme celle-ci :
« Nous avons à La Rochelle tout ce qu'il faut pour faire une très belle bibliothèque pour enfants : deux grandes salles entre cour et jardin, très claires, très aérées, au rez-de-chaussée naturellement et notre immeuble est situé très près des lycées de filles et de garçons, très près également de cinq écoles et de la principale station d'autobus urbains. Donc un local et une situation privilégiés... et une avalanche de « gosses » aux sorties de classe!
Les enfants en semblent très satisfaits, puisqu'ils ne se contentent pas de venir emprunter des livres, mais s'installent volontiers pour consulter les périodiques, les grands albums, les usuels. Certains y faisaient même leurs devoirs, mais nous connaissons depuis quelques semaines une telle affluence que le silence et la tranquillité qui doivent régner dans une bibliothèque sont devenus très relatifs ! Le jeudi en effet nous prêtons 7 à 800 livres et ma jeune bibliothécaire se plaint d'être une simple machine distributrice, malgré l'aide d'une employée qui vient lui prêter main-forte. »
Et lorsqu'on voit combien du personnel bénévole peut faire de l'excellent travail, comme à Versailles, tous les espoirs peuvent être permis : « La Bibliothèque enfantine « L'Heure Joyeuse » de Versailles n'est encore qu'une bibliothèque privée, du point de vue de son organisation et de son régime (association), bien qu'elle soit publique quant à son accès, le local en est tout à fait insuffisant et il faudrait le développer; le personnel y est toujours bénévole (anciennes directrices d'école, ou professeurs, ou dames attirées par le sujet : celle qui dirige « bibliothéconomiquement » a toutefois voulu passer le C. A. F. B. après un stage chez moi); aussi les heures d'ouverture, trois demi-journées par semaine, sont-elles réduites. Nous ne vivons - car j'ai accepté la présidence du conseil d'administration - que de subventions modestes, sollicitées de la Ville, du département, de la Direction des bibliothèques de France, de la Jeunesse et des Sports, et jusqu'à la Caisse d'Épargne de la Ville.
« Le fonctionnement ne se distingue en rien des usages traditionnels : classification Dewey, expositions, heures du conte... Mais tout cela, qui est un modèle du point de vue de la générosité des dames bibliothécaires, ne' se trouve qu'à un stade très artisanal, si l'on tient compte des besoins d'une population de plus de 100 000 habitants, dans une zone urbaine très vaste (les distances de Versailles sont énormes). Ces bibliothécaires, pleines de zèle et animées de la meilleure volonté, commencent un service de dépôts par caisses renouvelables, dans les 25 groupes scolaires de la ville : mais en se limitant évidemment à une (ou deux) classes par groupes. Faute de mieux - faute de moyens matériels - faute surtout de personnel fixe et rémunéré, c'est au stade des expériences sympathiques. »
Pour conclure et faire ressortir que cet effort est payant qu'il nous soit permis de citer quelques opinions d'usagers. Pour départager les concurrents de notre dernier concours nous leur avons demandé de rédiger, en une vingtaine de lignes au maximum, une notice à caractère publicitaire engageant leurs camarades à fréquenter la bibliothèque des jeunes. Il en ressort les faits suivants :
Les enfants apprécient surtout le calme, le silence et le confort. Un garçon de 14 ans déclare : « Sortez de ce monde surmené, venez passez dans le calme, la détente vos moments libres, instruisez-vous en riant, venez vous retrouver entre amis. » Un autre de 13 ans incite son camarade à venir : « Tu pourras travailler ou lire tranquillement car le silence est exigé aux autres lecteurs... La bibliothèque est charmante par ses meubles vernis, par ses chaises de paille imitée et en fer forgé... »
D'un garçon de 14 ans : « Si le soir après la classe vous êtes seuls parce que vos parents sont au travail, profitez de cette aide apportée à la famille car vous pouvez faire votre travail de classe comme chez vous car le silence est très recommandé. » Et d'un autre : « Jeunes, pour vous documenter, pour passer des heures agréables, pour faire vos devoirs, pour réussir vos examens, allez, courez à la bibliothèque des jeunes. »
Tous les caractères y trouvent leur compte : « Que tu sois poète, rêveur ou au contraire aventurier à l'âme d'un corsaire, viens à la bibliothèque des jeunes. Là tu trouveras la lecture qui te convient. Dans un absolu silence tu pourras méditer et rêver du jour où tu imiteras tes héros favoris. »
Car la rêverie fait une concurrence sérieuse au travail : « Combien de fois, emportée par mon imagination, me suis-je retrouvée dans la taïga silencieuse ou à l'Hôtel de Bourgogne selon que je lisais Michel Strogoff ou Cyrano de Bergerac. » (Fille de 12 ans). Même pour les esprits pratiques il est des arguments convaincants : « Ne me dites pas l'abonnement est cher car il est pratiquement donné et l'avantage est d'autant plus grand puisqu'il est amorti en l'espace de deux livres » (Fille 13 ans ½). Et si vous allez à la bibliothèque : « Votre professeur de français s'en apercevra tout de suite dans vos rédactions » (Fille 12 ans ½).
Quant aux bibliothécaires, voici comment elles sont jugées. « Elles sont bien gentilles, mais un peu ennuyeuses, nous dit une fille de 12 ans. Quand on est en train de s'amuser un peu, un tout petit peu, elles disent de s'arrêter... » Mais elle ajoute aussitôt : « Elles ont raison ».
« L'amabilité des bibliothécaires qui vous guident, vous donnent des renseignements comme des hôtesses de l'air dans un avion », rétorque un garçon de 14 ans. « Tu y seras reçu par de très gracieuses bibliothécaires », confirme un de ses camarades.
« Bref, vous coulerez vraiment des « Heures Joyeuses », conclut un autre lecteur.
Devant ces témoignages naïfs et sincères de l'attachement des jeunes à leur bibliothèque, comment ne pas désirer le développement de sections dans toutes les villes. Ce qui existe déjà peut être considéré comme un premier effort qui doit être suivi de réalisations plus vastes correspondant aux besoins d'une jeunesse de plus en plus nombreuse et dont la scolarité s'étend chaque année davantage.