Nécrologie
André Martin
La carrière d'André Martin s'est tout entière déroulée au département des imprimés de la Bibliothèque nationale, pendant quarante-cinq ans.
André Martin, par ses plus proches attaches familiales, était voué aux lettres, à l'érudition, aux bibliothèques, car il était fils et petit-fils de bibliothécaires éminents. Son père, Henry Martin, fut longtemps conservateur de la Bibliothèque de l'Arsenal qu'avait auparavant dirigée son grand-père, Edouard Thierry, qui occupa le poste d'administrateur de la Comédie-Française sous le Second Empire. C'est dans les locaux de la rue de Sully, si riches de souvenirs et de nobles traditions, qu'André Martin passa son enfance.
A sa sortie de l'École des Chartes, où il avait soutenu une thèse sur Jean Le Bègue, greffier de la Chambre des Comptes de Paris, il entra à la Bibliothèque nationale en 1908. Il avait alors vingt-quatre ans, étant né en 1884. Il ne devait la quitter qu'en 1954, après y avoir exercé successivement les fonctions de bibliothécaire, puis de conservateur-adjoint, enfin celles de conservateur en chef qu'il assuma pendant les quinze dernières années de son activité.
Il a connu les diverses parties de ce département, si vaste et si complexe, ayant accepté à ses débuts les tâches les plus modestes telles que le contrôle des bulletins des lecteurs de la Salle de travail. Il travailla pendant de longues années au Catalogue de l'histoire de France qu'il dirigea, dont il dressa la table des anonymes. Il devait ensuite assurer la direction des services du Catalogue des imprimés avant d'assurer celle du service public du département. Dès lors il ne devait plus quitter l'hémicycle de la salle de travail, aux côtés de son conservateur, Ch. de la Roncière, auquel il devait succéder. De ce poste de commandement il veillait sur toutes choses, toujours prêt à entreprendre lui-même une recherche dans les magasins pour venir en aide à un collègue ou à un chercheur en difficulté, ayant recours, quand il le fallait, aux anciens inventaires et catalogues. Quand il lui arrivait de s'isoler, c'était pour travailler au catalogue de la Réserve dont il avait une connaissance intime, qui lui permit de publier, en 193I, un important ouvrage sur le Livre illustré en France au XVe siècle et de préparer un catalogue des reliures.
Il consacrait ses courts loisirs à des travaux de bibliographie; cet excellent bibliothécaire était en effet, ce qui est trop rare, un remarquable bibliographe. Afin de combler la regrettable lacune qui subsistait entre le Catalogue de l'histoire de France de la Bibliothèque nationale et le Répertoire de Brière et Caron, il établit, sous les auspices de la Société d'histoire moderne, avec la collaboration de E. Saulnier, la Bibliographie des travaux publiés de 1866 à 1897 sur l'histoire de France.
C'est en 1935 que André Martin entreprit avec l'historien Gérard Walter un ouvrage considérable : le Catalogue de l'histoire de la Révolution française, donnant la nomenclature de tous les ouvrages relatifs à la Révolution française qui se trouvent à la Bibliothèque nationale. Il compte six volumes. André Martin aura vu l'achèvement presque entier de cette œuvre à laquelle il se consacra.
Cet homme d'études, ce bibliographe de grande classe, sut montrer qu'il était aussi un homme d'action et de courage. Mobilisé le 2 août 1914, il fut blessé à trois reprises et ses citations sont exceptionnellement brillantes. Je veux au moins rappeler les termes de la dernière, la citation à l'ordre de l'armée, datée du 7 octobre 1918 : « Officier de la plus haute valeur morale et d'une magnifique bravoure, coutumier des actions d'éclat. Au combat du 18 juillet 1918, est tombé grièvement blessé en tête de sa Compagnie qu'il entraînait superbement à l'assaut de nouvelles positions, après avoir repris un village et capturé au passage de nombreux prisonniers et une batterie de campagne ennemie. Signé : Mangin. » Ses actions d'éclat lui avaient valu le grade de capitaine et la croix de la Légion d'honneur.
André Martin devait être mobilisé de nouveau en 1939 et passer au front les premiers mois de la deuxième guerre mondiale. En juin 1940, pour éviter de tomber entre les mains de l'ennemi, il passa en Suisse où il fut interné jusqu'en février 194I. Il rentra alors en France et reprit ses fonctions à la Bibliothèque nationale.
Ses dernières années furent assombries par des deuils cruels. Il chercha un refuge dans le travail. Il tenait à achever le Catalogue de la Révolution française. En même temps, il publiait une édition nouvelle du Journal de l'Estoile pour le règne de Henri IV et le début du règne de Louis XIII, montrant ainsi jusqu'à ses derniers jours qu'un parfait bibliothécaire peut être aussi un bibliographe et un érudit.