Nécrologie

Félix Debyser

Maurice Piquard

C'est avec une profonde émotion que ses collègues et ses amis viennent d'apprendre la mort de Félix Debyser, survenue à Manosque le 22 septembre dernier, où il avait cru pouvoir profiter des loisirs de sa retraite, à peine ébauchée, pour achever des travaux entrepris depuis de longues années.

Il appartenait à cette génération qui, sortant du lycée, a été précipitée dans la guerre. Ses blessures, les citations que lui valut sa conduite disent assez comment le jeune Français du Pas-de-Calais -il était né près de Béthune en 1896 et avait dû se réfugier à Paris en 1914 - comprit son devoir. Et quand, la paix revenue, on propose au licencié d'histoire d'être l'un de ceux qui recueilleront témoignages et documents sur les événements auxquels il a participé, F. Debyser, profondément marqué par ces années cruelles, plus attiré par la recherche que par l'enseignement, entre dès 1912 à la Bibliothèque du Musée de la Guerre, dont le rôle s'élargit bientôt sous le titre de Bibliothèque de documentation internationale et contemporaine.

Il s'initie bien vite à l'activité toute nouvelle pour l'époque d'un établissement qui doit être un centre d'information sur la politique internationale etnationale. Chargé pour sa part de la documentation anglo-américaine, il suit attentivement et sans relâche les journaux, les revues et les ouvrages étrangers susceptibles de lui fournir des informations qu'il utilisera pour enrichir la bibliothèque des publications les plus importantes et pour réunir la documentation bibliographique dans laquelle les chercheurs pourront venir puiser le moment venu. Cette tâche ne l'empêche pas d'assumer, depuis 1930, les fonctions de secrétaire de la Revue d'histoire de la guerre, d'être le traducteur des ouvrages de B. Schmitt, Comment vint la guerre (1932) et de D. Ricardo, Principes de l'économie politique et de l'impôt (1933), l'auteur d'une Chronologie de la guerre mondiale (1938) et d'un ouvrage sur le Sénat des États- Unis et le Traité de Versailles (1933).

Ces travaux rigoureux, écrits d'une plume fine et élégante, la connaissance qu'il avait acquise des collections réunies à Vincennes, la générosité avec laquelle il savait se mettre à la disposition de tous, lui valurent d'être chargé de la direction de la Bibliothèque après la mort prématurée de J. Dubois.

C'était en 194I ; le château de Vincennes, réquisitionné dès septembre 1939, était désormais aux mains de l'armée allemande et les collections, pour la plupart restées sur place, couraient à tout instant les plus grands dangers. Pour mieux les surveiller, il n'hésite pas à venir avec sa famille habiter au milieu d'elles, s'efforçant d'en abriter partout où il pouvait les éléments les plus précieux. Mais il n'était pas en son pouvoir d'empêcher les troupes allemandes, au moment de leur départ en août 1944, de mettre le feu aux réserves de carburant accumulées sans qu'il le sût, dans des casemates voisines et il dut assister impuissant à la destruction presque totale du Pavillon de la Reine que l'incendie avait gagné presque aussitôt, compromettant le fruit de trente années de travail.

Il dut surmonter son amertume, oublier qu'il avait lui-même perdu tout ce qui lui appartenait, pour dénombrer les conséquences du désastre, reprendre l'œuvre brisée et aménager un nouveau gîte pour accueillir les chercheurs.

Il se remit au travail, se chargeant lui-même de la documentation italienne, réunissant documents et matériaux sur la conférence de Yalta, sur l'histoire diplomatique de l'Italie pendant la guerre,sur la bombe atomique et la fin de la guerre du Pacifique...

Quarante années d'observation de la politique contemporaine l'avaient conduit à un scepticisme tour à tour amer et désabusé qu'il exprimait avec humour pour essayer de dissimuler une âme rêveuse, silencieuse, sensible et volontiers anxieuse. Ses amis sauront garder le souvenir de l'érudit, de l'homme libéral et indépendant, totalement étranger à l'esprit de parti et dont la modestie ne pouvait jamais être prise en défaut.