Réforme de la formation professionnelle

Paule Salvan

Une importante réforme de la formation professionnelle est en cours. Un décret à l'étude prévoit la création, à Paris, d'une École nationale de bibliothécaires recrutant, par la voie d'un concours d'entrée, une soixantaine d'élèves « titulaires » s'engageant à servir l'État. La scolarité prévue est de deux ans : une année de formation de base, une année de stage et de formation spécialisée

Une importante réforme de l'enseignement professionnel est en cours. Elle comporte la création d'une École nationale de bibliothécaires qui pourrait s'ouvrir dès octobre 1963. Elle fera l'objet d'un décret actuellement en cours d'étude et qui prévoit pour le recrutement du personnel scientifique deux ans de scolarité au profit « d'élèves titulaires » entrés à l'École par voie de concours ouvert chaque année aux titulaires d'une licence ou d'un titre équivalent. Les élèves titulaires s'engageront à servir l'État pendant dix ans (scolarité comprise). Des élèves associés, possédant les mêmes titres que les élèves titulaires mais ne souhaitant pas souscrire au même engagement, seront admis à l'École contre paiement de droits d'inscription.

A une époque où s'ouvrent tant de voies nouvelles et où l'accélération des progrès scientifiques affecte tous les domaines de l'activité humaine, une profession considérée jusqu'alors à tort comme stagnante ne pouvait manquer de remettre en question ses méthodes. N'est-elle pas - mais cela le grand public l'ignore et les bibliothécaires eux-mêmes n'en sont pas toujours conscients - l'une des carrières que les méthodes révolutionnaires intéressent au premier chef (1). Et ne convient-il pas de la concevoir dans une optique renouvelée?

Sans doute était-il possible de modifier l'enseignement pour le mieux adapter à ces conditions nouvelles sans aboutir à cette « École nationale » qui doit consacrer l'unité de la formation professionnelle de base en même temps qu'assurer un recrutement diversifié.

Toutefois, les circonstances qui, en 1950, justifiaient la création du Diplôme supérieur de bibliothécaire 1 ont sensiblement évolué au cours de la dernière décade. En 1950, les effectifs du personnel scientifique étaient extrêmement maigres et le Concours annuel n'a été ouvert, des années durant, que pour un nombre très restreint de postes. L'enseignement préparatoire au Diplôme supérieur de bibliothécaire, de caractère polyvalent, assurait la formation du personnel scientifique d'État pour les bibliothèques municipales, les bibliothèques universitaires et les bibliothèques des grands établissements scientifiques. La solution du « cadre unique » permettait d'assurer à un corps dont les effectifs étaient faibles des possibilités d'avancement aussi satisfaisantes que possible.

Le développement accéléré de l'information scientifique, la prolifération des bibliothèques d'enseignement supérieur, la création toute récente dans les bibliothèques universitaires de secteurs spécialisés en libre accès et de catalogues systématiques développés, exigent désormais un accroissement considérable des effectifs et, en ce qui concerne les fonctions et les responsabilités du personnel scientifique, des qualifications beaucoup plus diversifiées que par le passé. La formation de base valable pour l'ensemble du personnel scientifique et assurant notamment une connaissance approfondie des techniques normalisées doit être complétée par des enseignements spécialisés adaptés aux diverses orientations.

Il y a lieu de prévoir, en conséquence, une scolarité étalée sur deux ans.

Le projet comporte, d'autre part, le rétablissement, unanimement souhaité, d'un stage d'application. Recrutant parmi les titulaires d'une licence, par la voie du concours d'entrée, les futurs bibliothécaires d'État, l'École nationale sera en mesure de leur donner la formation requise. Le traitement qui sera accordé dès l'entrée aux élèves leur permettra de consacrer tout leur temps à leur préparation en leur assurant des conditions de vie aussi satisfaisantes que celles dont bénéficient les bibliothécaires débutants.

Il sera ainsi possible de pallier la crise de recrutement qui menace les bibliothèques d'étude actuellement en plein essor.

La formation de base, en principe complète, doit être acquise au cours de la première année de scolarité 2. Le Diplôme de bibliothécaire, à la fin de cette première année, doit sanctionner la formation du personnel scientifique (élèves associés) appelé à gérer notamment des bibliothèques de caractère encyclopédique ne relevant pas de la Direction des bibliothèques de France.

La seconde année 3 doit être consacrée, d'une part à des stages professionnels d'une durée de six mois où les futurs bibliothécaires d'État pourront vérifier leur vocation, leurs aptitudes et préciser leur orientation future et, d'autre part, à des cours de spécialisation, le tout sanctionné par le Diplôme supérieur de bibliothécaire-bibliographe.

Nous essaierons ci-après de définir dans quelle mesure, à la lumière d'exigences nouvelles, le programme traditionnel doit être modifié. Il appartient en effet à l'École de réaliser une conciliation entre ce qui reste valable de l'expérience du passé et les tâches qui s'imposent au bibliothécaire s'il veut continuer à jouer le rôle essentiel qu'il doit assumer dans l'actualité vivante, qu'il s'agisse de la biliothèque publique ou de la bibliothèque de recherche.

Il y a plusieurs années déjà qu'en dépit d'une conception vieillote que se faisait de ses fonctions un grand public mal informé, contre une opinion qui ne lui reconnaissait aucune personnalité professionnelle bien nette, le bibliothécaire prétendait définir, non seulement son statut et ses droits, mais l'originalité de ce qu'il est maintenant convenu d'appeler sa « mission » (2) ou encore son « beau métier ». Les débutants à vrai dire ne connaissent plus la préhistoire, qu'il s'agisse des Assis cruellement stigmatisés par Rimbaud ou encore des amateurs pittoresques dont Pol Neveux définit avec humour l'activité aussi fantaisiste qu'inefficace (3).

Il est juste de rappeler pourtant que, jusqu'à la première moitié du XXe siècle, les poncifs d'une tradition périmée ont lourdement pesé sur les bibliothécaires, si bien que l'on n'a pas toujours su rendre justice à ceux d'entre eux, au demeurant beaucoup plus nombreux qu'on ne croit, qui se faisaient de leur mission une idée assez proche des conceptions actuelles. Plusieurs types de bibliothécaires ont, de longue date, coexisté. Le plus commun peut-être est celui qui a, qu'on le veuille ou non, desservi la profession, c'est l'amateur que l'on chargeait d'un fonds de livres pour lui donner une sinécure et lui permettre de continuer en toute sérénité ses activités littéraires. Il lui arrive, sans doute, d'exercer honorablement ses fonctions s'il le veut bien-car rien, en fait, ne l'y oblige: à ses yeux, aux yeux de ceux qui lui ont donné ce que l'on n'hésite pas à appeler son « fromage », il ne s'agit pas d'un métier...

Mais, auprès de cet amateur, il y a toujours eu le bibliothécaire de vocation qui avait un sens aigu et exigeant de ses responsabilités. Le témoignage de Naudé (4) est trop connu pour qu'on le rappelle ici. Mais que de nuances diverses dans la manière de « servir » le lecteur! Écoutons plutôt le discret Cotton des Houssayes (5) définir son modèle : il devra « s'il..... veut prouver son dévouement à la science, accueillir tous ses visiteurs savans ou simples curieux avec un empressement si poli et si aimable que cet accueil puisse paroître à chacun d'eux l'effet d'une distinction toute personnelle. Jamais il ne cherchera à se dérober à tous les regards dans quelque retraite solitaire et inconnue : le froid, la chaleur, ses occupations multipliées ne seront jamais pour lui un prétexte de se soustraire à l'obligation qu'il contracte d'être pour tous les savans qui le visitent le guide aussi instruit que bienveillant; s'oubliant lui-même au contraire en laissant là tout ce qui l'occupe, il courra au devant d'eux avec un aimable empressement; il les introduira avec joie dans sa bibliothèque... »

Après cette chaleureuse profession de foi on s'expose à la douche écossaise lorsque l'on en vient à celle, pourtant plus tardive, de Constantin (6) : « Un des devoirs les plus pesants des bibliothécaires est l'obligation d'accueillir et de satisfaire aux questions les plus triviales, aux demandes les plus insignifiantes et indiscrètes avec autant de prévenance et d'indulgence qu'aux plus savantes et aux plus intelligentes interrogations. Il doit pour ainsi dire faire abnégation de soi-même et s'identifier en quelque sorte avec toute personne qui sollicite des renseignements et qui souvent abuse de son temps et de son inaltérable complaisance. »

Même conception, sans doute, des obligations professionnelles et, quant à la conscience, le soin scrupuleux avec lequel Constantin énumère les fonctions du bibliothécaire ne permet pas d'en douter. Mais quelle différence de ton! celui de Constantin sent son XIXe rébarbatif et renfrogné. On voit trop bien que, s'il s'agit des non-savants, le cœur n'y est pas! Comment s'étonner du déplorable retard que marque alors, il faut bien l'avouer, la bibliothèque publique française en face des progrès accomplis à l'étranger. Comment s'étonner si les non-savants s'attardent au cabinet de lecture que l'on juge assez bon pour eux...

Il faut, bien entendu, se garder de jugements sommaires. Tous les bibliothécaires du XIXe siècle ne sont pas des littérateurs ou des historiens éminents - ou qui se croient tels - bref, des personnages importants que le public dérange et dont l'activité professionnelle est de caractère marginal et alimentaire. Mais les meilleurs et les plus attachés à leurs obligations, ceux qui ont conscience d'exercer un métier ont, à cette époque, l'écrasante charge de fonds non recensés et sans doute le souci d'établir des inventaires minutieux l'emportera-t-il trop souvent, jusqu'à en faire oublier le but et la justification : la mise à la disposition de tous des ressources inventoriées.

N'y a-t-il pas au demeurant des raisons plus profondes à ces différences d'attitude et de comportement? Si l'on prête l'oreille aujourd'hui aux propos tenus par les bibliothécaires au cours des réunions professionnelles, on y discerne le curieux écho des conceptions qui opposaient autrefois ceux que nous appellerons par commodité libéraux et conservateurs. La scission ne se fait pas obligatoirement - ce serait trop simple - entre générations, bien que les nouveaux promus soient dans l'ensemble, comme il est naturel, plus proche du public adolescent qui menace d'une « invasion scolaire » (le mot en dit long) les paisibles retraites d'antan. Elle ne s'effectue pas non plus, cette scission, sur un clivage politique, encore que les « progressistes » soient souvent plus enclins à accueillir les lecteurs issus de nouvelles couches sociales.

En réalité on ne peut négliger l'élément caractériel (7) qui a souvent déterminé le choix d'une vocation où le contact avec autrui, auquel on n'est pas obligatoirement fermé, s'établit indirectement. Laissons de côté les cas extrêmes : névrosés et asociaux. Ils existent, nous le savons, dans les bibliothèques comme ailleurs, peut-être plus qu'ailleurs. Mais il faut bien admettre que certains ne font preuve d'aucune préférence dans l'accueil qu'ils réservent à tous les lecteurs. D'autres, en revanche, vont vers une élite choisie avec laquelle ils ont besoin de sentir des affinités. Ce sont souvent les plus timides et aussi les plus sensibles et les plus vulnérables et il doit y avoir place, il y a place, pour eux dans la gamme si différenciée qu'offrent les divers types de bibliothèques ou les divers services d'un même établissement.

Mais si nous avons mis l'accent un peu longuement, et nous nous en excusons, sur l'aide au lecteur; c'est que, nous n'hésitons pas à le dire, c'est là un des points faibles de notre organisation : parmi nos visiteurs étrangers beaucoup s'étonnent que dans un pays aussi évolué que la France les services de renseignements et de référence ne soient pas aussi développés qu'on pourrait le souhaiter. L'enseignement donné dans une école d'État aurait pour tâche essentielle de briser à cet égard les mauvaises traditions et de rajeunir les bonnes.

Aussi bien la réforme n'aura-t-elle de sens que si, rompant avec de regrettables routines, elle prend en considération en premier lieu l'intérêt de l'utilisateur et c'est dans ce sens qu'il convient de définir les programmes et la scolarité. Des progrès très nets ont été enregistrés depuis l'institution de la réforme de 1950. Aujourd'hui bien rodé, le D. S. B. a formé un personnel scientifique soucieux des intérêts du public et mieux informé des moyens nouveaux qui permettent de le servir.

Toutefois l'éventail du programme est encore trop limité et il n'est pas aisé, il faut bien le dire, de l'élargir autant qu'il serait souhaitable. Ceux qui préparent la réforme, nourris eux-mêmes dans le sérail de la tradition, auront peut-être quelque peine à se libérer de l'empreinte du passé. La réforme doit être l'œuvre de tous et l'avis des jeunes, plus dégagés des traditions, doit être recueilli.

Cet élargissement d'horizon doit caractériser l'enseignement de la première année elle-même. Dans l'enseignement actuel, par exemple, une place insuffisante a été faite à ce que l'on pourrait appeler la culture générale du bibliothécaire. Le problème des conditions de la diffusion du livre et de ses limitations, le problème de la lecture elle-même n'ont occupé jusqu'à présent dans notre enseignement qu'une place mineure. C'est « sur le tas » à la faveur d'une expérience quotidienne, d'une réflexion attentive et d'une sympathie ouverte à l'égard de ses lecteurs que le responsable d'une bibliothèque centrale de prêt réussit à connaître son public. Il n'est pas question, bien entendu, de remplacer cette précieuse connaissance intuitive par des principes rigoureux mais seulement de l'étayer sur des données plus conscientes. Le temps est loin déjà où Roubakine cherchait à faire de la « psychologie bibliologique » une science exacte si précise qu'en étudiant les réactions des lecteurs il en tirait la conséquence la plus surprenante encore que la plus logique : la création de la littérature « utilitaire », où le livre serait conçu en fonction du lecteur et très exactement adapté à ses possibilités d'assimilation.

Depuis les études se sont multipliées; il est inutile de souligner l'importance d'un ouvrage comme celui de Robert Escarpit (8) pour tous ceux qui ont, à quelque titre que ce soit, une part de responsabilité dans le circuit du livre. Pour Robert Escarpit le livre est une « machine à lire et c'est la lecture qui le définit ». Est-il besoin de rappeler la thèse bien connue suivant laquelle le circuit du livre est vicieux puisqu'il apporte « à des lettrés des livres écrits pour des lettrés » laissant, au delà du cercle, les classes laborieuses qui n'ont pas eu la possibilité de parvenir à ce niveau. Auteurs, éducateurs, libraires, bibliothécaires aussi, ont, à des degrés divers, une responsabilité directe dans les « insuffisances » du circuit. Acceptons la nôtre et reconnaissons que, si des progrès appréciables ont été réalisés, la lecture publique est encore loin d'atteindre tous les milieux.

Raison de plus pour être attentif aux efforts faits pour mesurer la diffusion du livre et ses progrès et pour suivre les enquêtes sociologiques qui se multiplient de nos jours.

Ces enquêtes - rendons ici encore hommage à Roubakine qui en fut, non sans dogmatisme, l'un des pionniers - (9) connaissent à l'heure actuelle une telle vogue qu'il n'est pas aisé de bien les connaître et aussi bien peut-être tout n'est-il pas à retenir dans ce qui se publie chaque jour, depuis les amorces de thèses et les travaux de spécialistes qualifiés jusqu'aux articles un peu trop hâtifs de la grande presse. Il n'en est pas moins vrai que le bibliothécaire ne doit pas se borner à les accueillir passivement. Il lui appartient de les apprécier, de les critiquer éventuellement, à la lumière de ses expériences personnelles et aussi de participer à ce type de recherche par des études originales. Signalons en passant que si la lecture a fait l'objet d'études intéressantes, la re-lecture appelle peut-être aussi l'attention des professionnels du livre. On objectera que, dans la mesure où ses entreprises sont prospères, le bibliothécaire débordé par la masse des lecteurs est tenté, par souci d'efficacité, d'appliquer les moyens industriels de communication qui s'offrent à lui (10). Il n'a donc plus, avec le lecteur, les mêmes contacts qu'autrefois. Mais il dispose ou disposera, espérons-le, de collaborateurs, qui pourront cerner plus aisément la lecture individuelle et, même à l'échelle industrielle, les statistiques bien exploitées peuvent fournir des renseignements positifs.

Quoi qu'il en soit, il nous semble que la psychologie et la sociologie du livre doivent figurer dans l'enseignement de base des candidats bibliothécaires dès la première année de scolarité. Les notions générales qui seront acquises devront éventuellement être complétées, approfondies par la suite au cours de l'année de spécialisation, par des recherches personnelles 4.

Le livre-objet qui enrichit nos Réserves ne doit pas faire négliger le « message » du livre étroitement lié à sa résonance et à sa diffusion. Aussi y a-t-il place auprès de l'histoire technique du livre dont l'élève de première année doit assimiler des notions précises, pour l'étude historique du livre en tant que support de la pensée et « agent de propagande » au service d'idées nouvelles, mise à l'ordre du jour de l'actualité par Lucien Febvre et ses élèves (11) et qui appartient de droit à la culture générale du bibliothécaire et lui ouvre un champ de recherche où sa contribution peut être précieuse. Sa culture professionnelle serait incomplète, inachevée sa formation, si, tout en admettant que la diffusion du livre à l'époque actuelle relève de son domaine - et personne aujourd'hui ne peut le nier - on bannissait de son horizon professionnel cet arrière-plan historique désormais ouvert à la curiosité des chercheurs. Aussi bien sommes-nous toujours ici dans le domaine vivant du livre conçu en fonction de son utilisateur et lié à une structure sociale que les siècles vont modifiant.

Au cours de ces dernières années la bibliothéconomie elle-même a subi un renouveau significatif et c'est en grande partie à l'impérieuse nécessité de développer l'aide au lecteur qu'elle le doit. Sans doute parle-t-on volontiers des progrès spectaculaires de la documentation comme s'ils n'affectaient pas les bibliothèques vouées, selon la conception que s'en fait un public mal informé, à la conservation de fonds en sommeil, sinon morts. Un peu de réflexion suffirait cependant à dissiper l'erreur : dans la mesure où la documentation est l'organisation des ressources en vue de leur utilisation, il est aisé de voir qu'elle est, qu'elle a toujours été, l'affaire des bibliothèques. A quoi serviraient leurs immenses ressources si elles devaient rester inexploitées ? et en quoi la tâche de les mettre à la disposition de tous diffère-t-elle de l'objectif que Guizot, dès 1833, fixait aux bibliothécaires appelés à établir des catalogues ? On a plaisir à rappeler les termes mêmes de ses instructions tant elles s'inscrivent dans nos préoccupations les plus actuelles : Ne s'agit-il pas de « tirer de la poussière » et de « mettre en circulation les trésors inconnus que les bibliothèques publiques ne peuvent manquer de recéler » ? En premier lieu s'imposait, bien entendu, une tâche immense d'inventaire et de catalogage et cette tâche n'a jamais été achevée et appelle un effort considérable si l'on veut vraiment mettre à la disposition des chercheurs la documentation rétrospective.

A plus forte raison convient-il de ne pas laisser s'accumuler des ressources inexploitables et de traiter avec la précision et la rapidité souhaitables les acquisitions nouvelles.

Le temps n'est plus où une vue trop étroitement humaniste de leur fonction entraînait les bibliothécaires à marquer une préférence exclusive pour les catalogues alphabétiques d'auteurs. Cette préférence Léopold Delisle l'exprimait (12) avec une parfaite clarté et ce rien de morgue à l'égard du « non savant » que l'on relève dans le ton de quelques-uns de ces devanciers : « Si bien fait qu'on le suppose, si loin qu'on y ait poussé le système de renvois, un catalogue méthodique ne tiendra jamais lieu d'une bibliographie et ne dispensera jamais d'études préalables et de connaissances générales le savant ou l'ignorant qui veut s'occuper d'un sujet déterminé. » Si l'on peut considérer cet avis comme valable pour certains domaines des sciences humaines et si le catalogue alphabétique d'auteurs est prioritaire, les catalogues par matières ont pris une singulière revanche et ce que nous appelons aujourd'hui le « systématique » est un instrument de travail indispensable dans bien des domaines et il s'étend aux dépouillements de périodiques que L. Delisle, comme ses contemporains, estimait en dehors des tâches normales du bibliothécaire. A cet égard ses affirmations paraissent singulièrement dépassées : « On se fait une complète illusion en supposant que le catalogue d'une bibliothèque doit signaler ce qu'il y a d'essentiel à consulter sur un sujet donné maintenant surtout que le dernier état d'une question doit être demandé, non pas à des livres proprement dits mais à des mémoires et à des articles de revue dont le dépouillement ne saurait entrer dans les catalogues d'une bibliothèque... »

En fait les bibliothèques et notamment les bibliothèques spécialisées ont à effectuer une lourde tâche de catalogage. Si les normes récemment parues facilitent désormais l'établissement du catalogue auteurs-anonymes, une large place doit être faite dans l'enseignement de première année à l'établissement des fiches matières. L'apprenti-bibliothécaire, quand il a rédigé la fiche de base, doit examiner le contenu du document et devenir, si possible, virtuose dans le jeu de l'indexation, soit pour le catalogue alphabétique de matières, soit pour le catalogue systématique. Une conception moins formelle, moins compartimentée des diverses opérations de catalogage nous paraissait déjà s'imposer dès 1952 (13). A plus forte raison est-elle à l'ordre du jour de l'enseignement actuel et l'analyse du contenu d'un document doit occuper dans cet enseignement une place essentielle. Il ne devrait pas y avoir place ici pour le vain regret du temps où la vie du bibliothécaire était plus facile, et plus superficiel le travail de catalogage. Une familiarité aussi profonde que possible avec les intentions des auteurs d'une part, les recherches des utilisateurs d'autre part, récompensent singulièrement le jeune bibliothécaire du travail quelque peu aride et sans gloire qui lui est demandé. Encore faut-il qu'il se rende compte de l'utilité de ce travail. Or, chose curieuse, les étudiants bibliothécaires, même au niveau de la licence, s'initient difficilement au catalogue de matières qu'il s'agisse de l'alphabétique de matières ou surtout du systématique. Rares sont ceux, il faut bien l'avouer, qui ont poussé leurs recherches personnelles assez avant pour apprécier la valeur d'un tel instrument de travail. Il sera possible à la faveur d'un enseignement dont le déroulement chronologique sera plus satisfaisant, à la faveur de visites dans les bibliothèques parisiennes, de leur permettre de mieux comprendre ce type de catalogue du point de vue de l'utilisateur d'une part, du bibliothécaire d'une autre part : comment le catalogue matières doit présenter dans un ordre valable maintenu par des méthodes rigoureuses les ressources de la bibliothèque; comment les classifications de type traditionnel ou de type nouveau commandent l'ordre logique du catalogue systématique.

Ces moyens dits « conventionnels », s'ils restent valables dans un grand nombre de cas, sont parfois dépassés. On ne saurait dissocier l'organisation des ressources d'une bibliothèque donnée du problème beaucoup plus général qui se pose à l'heure actuelle au bibliothécaire comme au documentaliste : la recherche des informations dans la mesure où elle se fait avec des moyens plus efficaces que les classiques instruments de travail dont nous venons de parler.

C'est aux alentours de 1950 qu'on peut situer le choc psychologique qui a conduit les bibliothécaires à s'interroger sur l'efficacité de leurs techniques en ce qui concerne l'organisation bibliographique et l'accès aux documents et c'est à l'Unesco que l'on doit, pour une bonne part, l'examen de conscience qui a suivi. Sans doute la valeur des bibliographies imprimées n'était-elle pas remise en question - ai-je besoin d'ajouter qu'elles doivent conserver dans l'enseignement de base de première année leur importance traditionnelle (14). Mais la recherche des informations et l'accès rapide à une masse documentaire accrue d'année en année étaient désormais considérés avec une fièvre nouvelle. La dernière décade a vu naître une floraison d'études à la fois sur le plan de la classification appliquée aux catalogues systématiques conventionnels et dans le champ plus austère de la sélection mécanique où le traitement des « mots-clés » - produits ultimes de l'analyse des documents - a connu plusieurs essais de solution dont beaucoup demeurent encore décevants. La normalisation de la terminologie et l'étude de codes rationnels sont également au programme. Ces recherches risquent d'entraîner un jour un bouleversement total de l'horizon des bibliothèques. Elles intéressent, dira-t-on, avant tout les bibliothèques spécialisées, bibliothèques de recherche et centres de documentation et sans doute trouveront-elles leur place dans les diverses spécialisations prévues en seconde année. Mais l'enseignement de base lui-même ne peut ignorer la sélection mécanique, pas plus qu'elle ne peut laisser dans l'ombre ce qui doit en constituer un jour la préhistoire : la classification encyclopédique traditionnelle souvent décriée mais toujours vivante que les recherches anglaises en particulier tentent de rajeunir et de fonder sur une analyse rigoureuse du document dont nous avons signalé plus haut l'importance. De même les étudiants de première année devront-ils avoir quelque notion des recherches entreprises pour mettre en œuvre la gigantesque « mémoire » centrale dont les ordinateurs que l'on peut voir chaque année au Salon du bureau peuvent faire pressentir la fabuleuse puissance.

Les méthodes de communication elles-mêmes sont dès maintenant affectées par les progrès technologiques. Songeons à ce que sera la bibliothèque publique de demain, à ce qu'elle est déjà dans quelques centres privilégiés (12) où le développement du prêt, la pénétration du livre dans les milieux jusque-là « hors circuit » appellent la mise en œuvre de mécanismes efficaces - qu'il s'agisse du prêt par magnétophone ou du bibliobus urbain prospectant les sites favorables à l'implantation de bibliothèques fixes. Pure technique, dira-t-on. Sans doute, mais fondée sur des méthodes sociologiques plus sûres et éclairée par une connaissance approfondie des problèmes démographiques et culturels, elle implique de la part du bibliothécaire une initiation préalable.

Doivent enfin être amorcés dès la première année les enseignements linguistiques de caractère professionnel qui dès 1952 (14) s'avéraient indispensables à la formation des candidats. Il s'agit pour eux non seulement de définir rapidement le sujet d'un document pour le classer et le cataloguer mais éventuellement de pouvoir effectuer une traduction. Il s'agit aussi de pouvoir suivre au cours des réunions internationales, qui tendent à se multiplier, des discussions où ils peuvent faire valoir le point de vue français. Combien de fois au cours de ces discussions n'avons-nous pas vu des textes, au départ informes, devenir plus clairs et précis après un laborieux examen de la terminologie comparative, et à la faveur de langues diverses, l'introduction de précisions ou de nuances nouvelles ? Aussi convient-il, au lieu d'accepter paresseusement une langue de discussion unique - à l'heure actuelle ce ne pourrait être que l'anglais - de défendre son propre point de vue dans la langue nationale et d'exiger des versions multilingues minutieusement étudiées, ce qui implique évidemment une connaissance aussi étendue que possible des diverses langues de portée internationale. A cet égard, le projet doit rendre obligatoire l'anglais professionnel et prévoir des options pour l'allemand et le russe.

Si le Diplôme de bibliothécaire consacre, à la fin de la première année, les aptitudes générales des candidats il est bien certain qu'une nouvelle étape est nécessaire pour leur permettre de perfectionner ces connaissances et de se préparer à gérer éventuellement des services spécialisés.

En France, comme dans les autres pays, le même problème se pose : assurer à la fois aux responsables de grandes bibliothèques d'étude et de recherche une bonne formation professionnelle et les connaissances scientifiques indispensables pour la gestion et l'exploitation de fonds spécialisés. Ce problème que Mr P. Lelièvre posait en 1958 (15), le projet actuellement à l'étude tend à lui donner une solution au moins provisoire. Le stage de six mois offrira aux candidats la possibilité d'appliquer les connaissances générales qu'ils ont acquises. Il leur permettra de rédiger l'amorce d'un mémoire ou d'une thèse de 3e cycle, il leur ménagera enfin un délai de réflexion supplémentaire pour éprouver leur vocation et c'est en pleine connaissance de cause qu'ils opteront soit pour la section A, soit pour la section B.

Ils aborderont alors la dernière étape, les cours de spécialisation prévus par le texte à l'étude. Avant toutefois de les initier à leur spécialité il est souhaitable de donner aux candidats un enseignement préparatoire sur les problèmes communs à toutes les bibliothèques d'État. Prolongement de la formation de base, cet enseignement serait destiné à les initier à la gestion administrative et technique des grandes bibliothèques d'étude. Un tel programme implique des notions générales sur l'histoire de l'enseignement supérieur et des universités, sur le développement de la recherche, sur les grands organismes scientifiques en France et à l'étranger de même que sur l'organisation générale de la documentation. Des cours d'administration sont prévus pour initier les candidats à la structure administrative générale et aux fonctions qu'ils pourront avoir à exercer à la tête des établissements.

Viennent ensuite les cours de spécialisation proprement dits. Ils devront comporter, pour chaque section, un enseignement théorique et pratique destiné à les préparer à leurs fonctions de bibliothécaires spécialistes et à les initier à la bibliographie de la recherche.

Il y a lieu avant d'aborder le programme de la section A, de dissiper un malentendu éventuel : on aurait tort de considérer ce programme (histoire des bibliothèques, histoire du livre, éléments de muséographie, gestion des fonds spéciaux, bibliographies des sciences humaines) comme une survivance pure et simple de l'enseignement traditionnel.

Ici encore l'exploitation des ressources doit être à l'ordre du jour et si l'amour du livre ancien, le souci jaloux de sa conservation ont ici leur place légitime il est certain que la porte doit être ouverte à la technique. Au service du « livre objet », elle définit des méthodes de conservation étudiées en laboratoire, des procédés scientifiques de restauration et de mise en valeur qui peuvent rehausser l'éclat des réserves et des expositions bibliophiliques comme ils ont rénové les musées. Au service du lecteur elle permet une conciliation naguère quasi impossible entre conservation et communication puisqu'elle donne la possibilité de reproduire les documents précieux et d'en diffuser l'image. C'est une tradition singulièrement rajeunie que celle qui s'ouvre aux jeunes archivistes-paléographes et aux jeunes licenciés de lettres classiques attirés par les fonds anciens. Une mine de renseignements, autrefois difficilement accessibles, s'ouvre aux chercheurs, grâce notamment au rôle que peuvent jouer pour eux les collections regroupées de journaux microfilmés avec la possibilité d'exploiter l'actualité d'hier et de définir les mouvements d'opinion suivant les lignes de recherche récemment tracées par les historiens.

Ainsi la bibliothèque du passé avec ses immenses et prometteuses réserves joue désormais son rôle de centrale documentaire et appelle à sa gestion des bibliothécaires-bibliographes aptes à utiliser éventuellement les techniques appropriées.

En ce qui concerne l'histoire des bibliothèques et l'histoire du livre, l'enseignement doit préparer de futurs chercheurs appelés à défricher un terrain imparfaitement connu. Un enseignement de durée limitée doit se borner, sur un programme chaque année renouvelé, à des études approfondies portant sur telle ou telle période de l'histoire du livre. Il ne s'agit plus cette fois de la « culture générale » du bibliothécaire - considérée comme acquise en première année - mais de former éventuellement des spécialistes et des experts et de stimuler la recherche.

Les étudiants du secteur A devront d'autre part s'initier à la gestion des fonds spéciaux à la faveur de cours et de visites dans les départements de la Bibliothèque nationale. C'est là, et là seulement, qu'ils pourront recueillir des connaissances précises en ce qui concerne le traitement, la conservation, la mise en valeur des collections aussi riches et aussi complexes que celles qui sont conservées par exemple au Département des estampes ou à celui des médailles.

Un enseignement est à créer de toutes pièces : celui qui doit mettre les bibliothécaires en mesure d'organiser les sections musicales. Il est sans doute superflu de souligner le retard marqué par la France en ce domaine. L'activité du groupe français de l'Association internationale des bibliothèques musicales tend depuis plusieurs années à stimuler les initiatives mais il est certain que les bibliothécaires ne font que trop souvent état de leur incompétence et, argument plus légitime, des tâches quotidiennes qui leur échoient, pour ajourner sine die l'organisation de telles sections. Quand verrons-nous nos bibliothèques publiques ouvrir auprès des discothèques, qui y font une apparition timide, des salles spécialisées équipées d'« usuels » musicaux et de partitions comme il en existe à l'étranger? Le problème ne trouvera sa solution que s'il est abordé tout d'abord sur le plan de la formation professionnelle.

Quant à l'enseignement du secteur B - nouveau par rapport à l'enseignement traditionnel - il a déjà fait l'objet d'un essai limité au cours des deux dernières sessions du Diplôme supérieur de bibliothécaire. Il s'agit de former des candidats bibliothécaires-bibliographes spécialisés, soit dans les sciences sociales, soit dans les sciences exactes, soit en médecine, et aptes à gérer les secteurs spécialisés des nouvelles bibliothèques universitaires. L'étude de la bibliographie et de la classification, de l'indexation développée dans les diverses spécialités, la pratique de plusieurs langues particulièrement importantes comme l'anglais, le russe, l'allemand et éventuellement l'étude de langues plus rares sont requises des candidats. Les eriseignants, choisis parmi le personnel scientifique des bibliothèques spécialisées, seront en nombre restreint et les diverses disciplines professionnelles ne seront plus compartimentées comme dans l'enseignement de base. Autrement dit, chaque professeur donnera aux candidats, soit à l'École, soit dans sa propre bibliothèque, des connaissances théoriques et pratiques que lui-même possède dans sa spécialité et les préparera à prendre les initiatives indispensables pour la mise en valeur et le développement des fonds. C'est qu'en effet les débutants chargés de secteurs spécialisés devront assumer des responsabilités beaucoup plus complexes que dans les structures anciennes et, si ces responsabilités doivent contribuer à donner à la profession plus d'intérêt que jadis, elles impliquent effectivement vigilance et initiative.

S'agit-il des acquisitions ? L'expérience est faite qu'il ne convient plus d'attendre passivement les demandes des chercheurs et les fonds, souvent déséquilibrés, de nos bibliothèques universitaires sont à cet égard tristement instructifs. Ni les commissions de la bibliothèque, ni l'intérêt épisodique porté par les professeurs à l'accroissement des fonds n'ont pu pallier ce déséquilibre qui s'est insidieusement glissé dans les collections. La bibliothèque universitaire reste trop souvent muette sur certaines demandes faisant appel à la documentation rétrospective; en sciences sociales comme en sciences exactes les fonds sont notoirement insuffisants. Une politique d'accroissement plus ferme s'est avérée nécessaire et la formation spécialisée des bibliothécaires de type nouveau doit leur permettre d'acquérir la compétence qu'implique la mise en œuvre d'une telle politique.

Initiés à la pratique des bibliographies spécialisées, préparés à assumer la responsabilité du choix des ouvrages, les candidats devront en outre pouvoir contrôler les opérations de classification et de catalogage dans leur domaine propre. C'est dire que le futur bibliothécaire médical devra pratiquer les bibliographies intéressant sa spécialité, connaître les grandes classifications encyclopédiques (CDU) ou spécialisées (Cunningham, Barnard, etc...) s'initier enfin sous la direction d'un spécialiste déjà en fonction à tous les problèmes intéressant la documentation médicale. Réaliser l'unité de l'enseignement paraît à ce stade absolument essentiel.

Sans doute ce programme, qui peut choquer les bibliothécaires les plus traditionalistes, sera-t-il considéré comme timoré et peut-être en retrait par ceux qui ont pris depuis longtemps conscience de la nécessité de renouveler la profession. Peut-être sera-t-on conduit à multiplier les sous-groupes et de prévoir une gamme plus étendue de formations spécialisées.

Les spécialisations se sont développées de nos jours jusqu'à l'excès si bien que l'on assiste à des phénomènes contradictoires : d'une part, le fractionnement des disciplines traditionnelles en une poussière d'« objet d'étude », d'autre part, la tendance au regroupement de disciplines jusque-là distinctes. Qui peut même dire si la distinction traditionnelle entre sciences humaines et sciences exactes sera valable demain ? Les premières empruntent souvent aux secondes leurs méthodes et un retour à l'esprit « universel » de l'homme de la Renaissance prédit par certains n'est peut-être pas une chimère...

Au service de la recherche, les bibliothécaires doivent être attentifs à ses démarches. Or que se passe-t-il en ce qui concerne la formation des futurs chercheurs ? « Deux tendances s'affrontent, nous dit Pierre Auger (16), l'une vise à la spécialisation précoce s'établissant déjà au courant des études scolaires et universitaires et conduisant ainsi le débutant à rendre rapidement des services effectifs. Le morcellement des disciplines scientifiques conduit... à un morcellement de plus en plus détaillé de l'éducation dans les écoles et les universités. La tendance inverse est celle d'une poursuite de la formation générale pendant les études universitaires et même au delà. Les jeunes gens ayant reçu une telle formation ne sont évidemment pas au même titre que les précédents capables de rendre des services immédiats mais par contre ils peuvent être orientés vers des spécialités assez variées et même passer de l'une à l'autre au bout d'un certain nombre d'années si le besoin s'en fait sentir. Des chercheurs formés de cette manière pourront reprendre de temps à autre, au cours de leur carrière, un contact efficace avec les enseignements élevés et compléter ainsi leur formation sur certains points, de manière à suivre l'évolution des domaines de la recherche auxquels ils se consacrent. »

En optant pour le recrutement des élèves au niveau d'une licence libre et pour la spécialisation tardive - on pourrait d'ailleurs parler plutôt d'orientation que de spécialisation -, les bibliothécaires ont choisi la seconde solution. Ne leur est-ii pas demandé avant tout d'être disponibles c'est-à-dire de pouvoir s'initier à une spécialité en cours de carrière ?

A un autre point de vue, il convient de s'attacher à une formation générale commune : elle doit permettre aux bibliothécaires de tous bords d'une part de collaborer efficacement sur le plan technique, d'autre part de défendre ensemble les intérêts de leur profession et leurs intérêts propres. Ils ont trop souffert dans le passé, de leur isolement pour ne pas vouloir risquer de nouveau les inconvénients d'un compartimentage excessif. Leur dignité, le prestige de leur profession dépend de cette solidarité qui les engage actuellement à se grouper (17) et que l'École doit fonder sur des bases plus solides encore.

Les projets de création de l'École ont suscité beaucoup d'intérêt à la fois dans les milieux professionnels et dans d'autres milieux jusque-là mal informés de nos problèmes. Non seulement on se félicite en général de voir naître enfin une École officielle assumant une formation professionnelle de jour en jour plus complexe mais on s'intéresse aux activités de l'École qui doit prendre également en charge la formation des bibliothécaires de niveau élémentaire (Certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaire, éventuellement réformé) et la préparation du personnel technique d'État. Il n'est pas possible de développer ici les modalités qui pourraient être adoptées pour donner à ces divers personnels recrutés, rappelons-le, au niveau du baccalauréat, une formation satisfaisante.

Nous nous bornerons à rappeler ici que le Centre une fois créé pourra développer d'autres activités que celle de première urgence qui lui est en priorité dévolue et dont nous avons essayé de définir ci-dessus la ligne générale. Que, d'autre part, dans un domaine aussi mouvant que celui de la documentation et de la recherche, ce centre pourra éventuellement modifier sa structure et ses méthodes dans les années qui viennent. Qui peut savoir ce qui sera demandé au bibliothécaire de 1980 et dans quelle mesure les progrès de la technique contribueront à modifier ses méthodes?

Aussi bien le personnel actuellement en fonction, dans la mesure où il suit avec quelque anxiété ce mouvement, sera-t-il heureux de suivre les conférences et les journées d'étude organisées par l'école.

Centre vivant et actif d'information, ouvert, si les circonstances le permettent aux amitiés et collaborations étrangères, l'École doit offrir à tous la possibilité de garder le contact avec l'actualité vivante et, au delà des spécialisations nécessaires, de se sentir membre d'un même corps conscient de la mission qui lui est dévolue et ouvert à tous les courants culturels et scientifiques.

Illustration
Schéma

  1. (retour)↑  Arrêté du 29 juillet 1950.
  2. (retour)↑  Voir schéma.
  3. (retour)↑  Voir schéma.
  4. (retour)↑  Parallèlement - mais ceci est une autre histoire - il reste un vaste domaine à explorer sur les habitudes des chercheurs, professeurs et étudiants et les résultats pratiques de telles enquêtes (meilleure efficacité des bibliothèques de recherche) en sont évidents. Bien que les études de cette nature parues à l'étranger ne soient guère probantes - il s'agit d'ailleurs d'un domaine extrêmement mouvant - c'est là un problème qui devra peut-être avoir sa place dans l'enseignement de deuxième année, et éventuellement faire l'objet de mémoires rédigés parallèlement au stage.