Éducation populaire et organisation des loisirs en Hesse
Compte rendu d'un voyage d'étude en Hesse et particulièrement à Francfort. Effort important de la Hesse en faveur de l'organisation des loisirs grâce à l'application d'un triple plan : oeuvres d'éducation populaire, généralisation des sports (plan d'or et plan rouge-blanc), aménagement socio-culturel des communes
Du Ier au 6 octobre 1962, une délégation française, formée des représentants de divers services et mouvements culturels : Haut-Commissariat à la jeunesse et aux sports, « Éducation et vie sociale », « Centre de documentation rurale », Fédération des Maisons des jeunes et de la culture, Institut pédagogique national, « Action, Éducation, Informations civiques et sociales », Direction des bibliothèques de France, s'est rendue en Hesse où, hôte du Gouvernement, elle a pu étudier certains aspects d'un problème dont l'importance croît avec le développement de la civilisation industrielle, celui de l'organisation des loisirs.
L'organisation des loisirs se concrétise, en Hesse, dans l'action lucide, parfois novatrice, des œuvres d'éducation populaire, dans la généralisation des sports et l'aménagement socio-culturel des communes, autant de mouvements intimement liés quant au fond, mais qui toujours se superposent et se complètent.
L'éducation populaire n'est pas, dans l'occurence, un enseignement postscolaire officiel, sanctionné par quelque diplôme, mais un effort de perfectionnement, absolument gratuit, dicté par la nécessité dans laquelle se trouvent les pouvoirs publics d'offrir à la jeunesse, si celle-ci ne doit pas aller à la dérive, la possibilité de se hausser dans la hiérarchie des valeurs, de compléter une formation qui apparaît aujourd'hui comme un des plus sûrs moyens d'enrichir la Nation.
Que les organismes qui en sont investis s'appellent « Volksbildungswerk » (Œuvre d'éducation populaire) ou « Volkshochschule » (Université populaire), ils sont l'émanation d'associations culturelles ou de groupements professionnels, artisanaux ou agricoles. Ils sont reconnus d'utilité publique et, tout en bénéficiant largement des encouragements d'ordre moral et matériel de l'État et des municipalités, ils jouissent d'une parfaite autonomie.
Toutes les villes, quelle que soit leur importance, sont dotées d' « œuvres d'éducation populaire » qui s'étendent sur une zone d'influence déterminée, si bien que la Hesse, qui compte à peine cinq millions d'habitants, possède plus de mille fondations analogues. Leur activité et leur rayonnement contribuent incontestablement à l'élévation des niveaux culturels en milieu populaire.
Si, dans les communes modestes, l'Œuvre se manifeste par l'organisation d'un cycle de conférences, de concerts, parfois de voyages éducatifs, dans les grandes villes (Francfort, Wiesbaden), elle offre un éventail d'activités où tout citoyen, jeune ou adulte, trouve l'occasion de s'instruire et de meubler utilement ses loisirs.
On ne pourra s'aventurer à analyser ici le programme du « Volksbildungswerk » de ces deux villes. Dans des conférences, des cours de longue durée, des « séminaires », dont le nombre et la variété pourront étonner, elles prodiguent un enseignement dont les thèmes correspondent exactement aux préoccupations, aux problèmes, aux soucis d'une population industrielle : politique et histoire, littérature et art, philosophie et religions, économie.
Aux jeunes, on aménage des cours de perfectionnement (secourisme, hygiène, puériculture, comptabilité, sténo-dactylographie, mathématiques, sciences appliquées) ; on étudie des langues modernes; on les initie aux jeux et divertissements (bridge, philatélie, photographie, bricolage). Des cours de diction et de « psychotechnique » ouvrent les portes du théâtre d'amateurs. Des voyages d'études, des excursions à travers le pays sont organisés.
Une telle activité, intense, débordante, nécessite des bâtiments appropriés, un équipement qui ne souffre aucune médiocrité. Le « Volksbildungswerk » de Francfort est un modèle du genre. Quant au personnel, la qualité et le nombre de ceux qui lui accordent une attention bienveillante, plus de 250 professeurs et chargés de cours pour 1962/63, lui assurent une charpente solide et durable. La participation aux frais est minime, et assurément accessible à toutes les bourses, même les plus modestes.
Pour assurer la coordination de leurs travaux, les « œuvres » sont groupées en fédérations régionales, elles-mêmes réunies en fédérations nationales : « Hessischer Landesverband für Erwachsenenbildung », « Frankfurter Bund für Volksbildung », « Deutscher Volkshochschulverband », cependant qu'un institut pédagogique (« Pâdagogische Arbeitsstelle ») apporte à toute l'activité un ensemble de règles cohérent.
Pour la formation des cadres, notamment des animateurs, le Land Hessen dispose de quatre « Heimvolkshochschulen », genre d'écoles normales avec internat, installées dans des bâtiments vastes, aérés, modernes, admirablement situés à l'écart des grandes routes, au flanc d'une montagne ou dans quelque paysage sylvestre. Elles ont été créées, et restent soutenues par de grands organismes civiques ou économiques : « Adolf-Reichwein-Stiftung », la Société pour l'éducation des milieux ruraux, les Chambres d'agriculture, la Fédération des Caisses de dépôts et de prêts, la Fédération des Sociétés féminines rurales.....
La nécessité d'encourager l'investissement intellectuel n'échappe pas aux dirigeants. Aussi les « Heimvolkshochschulen » s'efforcent-elles d'étendre leur action en faveur de la culture générale des adultes, sans tenir compte de leur origine ou de leur formation, dans des cours s'échelonnant sur plusieurs semaines.
A ces deux titres, les écoles de Friedrichsdorf et de Rotenburg accueillent des jeunes ruraux pour les familiariser avec les problèmes sociaux, l'hygiène, l'habitat, l'éducation. Fürsteneck cherche à enrichir ses hôtes, quelle que soit leur conception philosophique, politique ou religieuse, par la confrontation de leurs opinions. « Il importe, en effet, de connaître la position de chaque individu pour mesurer à sa juste valeur la responsabilité collective vis-à-vis des destinées de la Nation ». Devant les exigences de notre époque, les facteurs dominants, étudiés à Falkenstein, sont la formation communautaire et l'éducation politique.
Les œuvres d'éducation populaire, si féconde que soit leur carrière, ne touchent cependant que le milieu urbain. Un autre effort était donc à accomplir : l'équipement matériel de toutes les communes, y compris les communes rurales, en bâtiments et centres communautaires susceptibles d'éveiller ou de développer une association réelle et enrichissante de leurs membres.
Le premier aspect de cet effort est le « Plan d'or », établi par la « Deutsche olympische Gesellschaft », pour la construction d'installations sportives, destinées non à des compétitions spectaculaires, mais à des créations démocratiques de stades, de piscines, non seulement dans les grandes villes, mais aussi et surtout dans les petites villes et les villages.
Le sport, conçu ainsi comme une compensation matérielle de la tension nerveuse du travail moderne, doit redonner à la population - enfants, adolescents, adultes même - un équilibre physiologique dont toutes les statistiques montrent qu'il est actuellement compromis.
Le « plan d'or » allemand, qui s'étend sur quinze ans, a prévu une somme totale de 6,3 milliards de DM pour cet équipement. Ils seront fournis par la République fédérale, les Lânder, les communes et les associations.
Le gouvernement de Hesse accorde au « Plan d'or » une attention particulière. Il l'a complété du plan hessois « rouge-blanc » (des couleurs de l'État) mis en vigueur dès 1960. La somme nécessaire pour sa réalisation est de l'ordre de 500 millions de DM et l'inventaire a été fait de toutes les installations sportives, existantes ou nécessaires.
Un premier bilan permet de mesurer l'importance de l'effort accompli. 500 000 Hessois, sur une population totale de 4 700 ooo habitants, se trouvent en qualité de membres actifs inscrits dans environ 3 ooo associations sportives. Ces sportifs sont pour moitié âgés, au plus, de 21 ans -; un jeune sur six, et entre 10 et 2I ans, un jeune sur trois, est membre d'une association sportive.
Quelques centaines de communes n'ont encore cependant ni terrain de sport, ni gymnase. Le but du « plan rouge-blanc » est de recouvrir tout le pays d'un réseau d'installations sportives modernes, et de susciter parallèlement un intérêt pour le sport par la coopération des associations et des groupements avec l'école et la famille.
L'équipement sportif ne saurait, cependant, pour aussi primordial qu'il soit, suffire. Le problème des loisirs est un problème humain, et l'État se doit de donner à chaque individu « les conditions préliminaires extérieures pour qu'il puisse occuper ses loisirs selon ses penchants ».
Ainsi est né, il y a dix ans, en Hesse, le programme de l'équipement socio-culturel du village (« Soziale Aufrüstung des Dorfes »), dans le cadre duquel la construction de maisons communautaires et de jardins d'enfants a été encouragée dans les communes rurales.
En Hesse, il existe actuellement 160 maisons communautaires rurales, 4° sont en construction, 50 vont être mises en chantier.
Le programme a eu un tel retentissement qu'il a été complété par le programme des maisons communautaires des citoyens (« Bürgerhäuser ») destinées aux villes de zones rurales et aux banlieues.
Ces installations servent à l'accomplissement des loisirs et aux sports, à l'éducation des adultes, à l'assistance aux jeunes et aux familles, à la santé publique et, en particulier dans les maisons communautaires rurales, à l'allègement rationnel du travail par la machine. « La vie à la campagne sera digne d'être vécue ».
Chaque commune doit pouvoir créer ces installations avec l'aide du Land dont les subventions sont inversement proportionnelles à la richesse de la commune. La condition préliminaire d'une telle installation est que la commune prenne l'initiative de sa construction. L'idée essentielle étant ainsi le problème de la responsabilité du citoyen dans la construction et l'utilisation des ensembles communautaires. Déjà l'expérience a prouvé qu'il ne souffre pas de s'en montrer indigne.
Accordons un regard aux installations matérielles : avec leurs jardins d'enfants, leurs locaux pour les jeunes, leurs plaines de jeux, les maisons communautaires offrent un havre à toute la jeunesse; la buanderie commune, les réfrigérateurs, soulagent la paysanne dans sa besogne parfois écrasante; infirmerie et bains favorisent l'hygiène. Mais il y a aussi les salles de théâtre, de projection, de conférences, les salles de club, l'obligatoire bibliothèque enfin, qui permettent une action culturelle directe et féconde.
La Hesse, en tant que Land, a dépensé jusqu'à ce jour environ 30 millions de DM pour l'aide aux maisons communautaires. « Par le seul fait de la création de ces conditions extérieures préliminaires dans les villages, dira un membre du Gouvernement, nous avons donné une impulsion décisive à l'organisation et à l'accomplissement intelligent des loisirs ».
Le triple plan d'organisation des loisirs : œuvre d'éducation populaire, plan rouge-blanc, création des maisons communautaires rurales, porte la Hesse à l'avant-garde de la République fédérale allemande. Il a éminemment un caractère libéral, en s'appuyant non sur des impératifs du Gouvernement, mais sur des initiatives privées. Il représente une remarquable forme de civisme dans la mesure où l'initiative, la participation et la gérance des installations culturelles et sportives dépendent des communes. Il apparaît enfin comme une conception hautement humaniste dans la richesse même des possibilités offertes ainsi à tous pour l'équilibre du corps et de l'esprit. C'est ce qu'a résumé M. le Ministre d'État Schneider dans une formule frappante, digne du « mens sana in corpore sano » des Anciens : « les loisirs, compensation à la déshumanisation de notre époque, doivent être à la fois récréation et création ».