La bibliothèque municipale de Valenciennes

Monument historique classé

Paul Lefrancq

Au lendemain de la commémoration, en 1937, par Valenciennes, de son illustre fils Jean Froissart dont plus de quarante manuscrits à miniatures venaient, avec l'appui de la Bibliothèque nationale, d'être rassemblés dans sa ville natale, la grande salle ancienne de la Bibliothèque où ils avaient été exposés ferma ses portes et des entreprises au service des monuments historiques y installèrent pour plus de vingt ans leurs chantiers. Les restaurations entreprises s'avéraient depuis fort longtemps indispensables. L'arrêté de classement comme monument historique en 1925 n'avait fait que marquer officiellement cette urgence.

Entre l'église Saint-Nicolas dont la façade de style jésuite attardé porte la date de 1775 et l'École des Beaux-Arts, morceau de bravoure où l'architecte municipal Casimir Petiaux a fait sans contrainte, en 1864, étalage de sa connaissance de l'histoire de l'architecture, la Bibliothèque de Valenciennes est un ensemble typiquement régional du début du XVIIIe siècle. Sous un haut toit d'ardoise qu'un pignon latéral en pas de moineau détache à peine de l'église, une belle façade très sobre où la brique sommairement patinée est encadrée de pierre blanche. Naguère c'était la façade du premier Lycée Henri Wallon, avant 1875 collège municipal et, autrefois, à sa fondation, collège Sainte-Croix institué par les Jésuites.

Au premier étage restauré, treize grandes fenêtres. Seize à l'origine, trois ayant été reprises en 1864, sans autre raison que d'agrandir (en surface seulement) la façade de l'École des Beaux-Arts. En ce premier étage, on voit un bon exemple de persistance en province du style « Régence ». Des treize œils-de-bœuf du rez-de-chaussée, trois avaient également cédé la place à l'envahissante façade de l'École des Beaux-Arts. Les dix autres sont encore encadrés de guirlandes résolument « Louis XVI » et montrent qu'on savait aussi, en province, suivre de très près l'évolution des goûts architecturaux. Trois portes anciennes, dont une, cochère, porte la date de la fondation de la première École des Beaux-Arts : l'Académie de Valenciennes : 1785.

La construction en 1614 d'un bâtiment, aveugle sur rue, avait suivi d'assez peu l'installation des Jésuites à Valenciennes à la fin du XVIe siècle. Mais le siège de 1677 l'avait pratiquement anéanti et Louis XIV avait aussitôt ordonné et partiellement financé la reconstruction. Pourtant le gros œuvre ne fut achevé qu'en 1735. Et un quart de siècle plus tard la ville de Valenciennes installait des régents séculiers dans le collège que les pères Jésuites avaient été contraints de quitter. En 1792, la Bibliothèque maintenue, puis brusquement enrichie considérablement, devenait bibliothèque publique. Dès 1925, un siècle et demi s'achevant par deux guerres impitoyables avait rendu indispensable une restauration dont on vient de fêter en 1962 les prémisses de l'achèvement.

Il faut louer, sans réserves, l'obstination de la Direction de l'Architecture qui a permis que soit restituée, plus proche que jamais de son état initial, la grande salle du Ier étage aux nobles proportions, à l'aspect majestueux. L'harmonie des lignes est saisissante. Sur 114 mètres carrés un pavage de carreaux anciens rougeâtres offre un dessin simple et classique. Les murs sont littéralement tapissés de livres anciens allant des in-folio des rayons inférieurs aux in-16, in-18 et autres des rayonnages supérieurs. L'or des titres et de leurs fleurons brille sur les reliures fauves de veau ancien, sur les grenats et les verts des maroquins qu'éclairent les taches blanches des plein-parchemin.

La façade sur rue est percée de six larges baies. Les sept autres fenêtres éclairent la cage d'escalier et deux belles salles en instance de restauration intérieure. A chaque extrémité de la grande salle une porte. Du côté de l'église c'était l'accès à la tribune dont usaient seuls les pères Jésuites. Des glaces la garnissent, formant trompe-l'œil. Du côté du Collège c'est une porte double. Sculptée à l'origine de motifs très discrets, 1785 l'a un peu surchargée de lourdes guirlandes.

La grande voûte, dont la flèche a plus de 7 mètres, est divisée dans sa longueur en six petits vousseaux par cinq arcs doubleaux en plein cintre comme la grande voûte. Des « tirants » de sécurité en place dès l'origine ont été maintenus même après la consolidation qui permit de supprimer ceux qui les doublaient depuis 1925. Voûte et vousseaux, à leur raccordement avec les murs, forment aux deux extrémités de la grande voûte deux « tympans » et à chaque retombée des vousseaux des tympans plus petits.

Somptueux et édifiant, le décor est adapté au caractère intellectuel et sacré de l'édifice 1. Un élève de Arnould de Vuez, Bernard-Joseph Wamps (1689-1750) exécuta, d'après la documentation iconographique qui lui fut fournie, les portraits de trente-six écrivains de la Compagnie de Jésus, répartis, selon leur spécialité bibliographique, entre les douze petits tympans. Saluons, au passage quelques-uns d'entre eux. Côté gauche (vers l'église), les hagiographes Henschenius et Papebroeke encadrant leur chef de file Bollandus. Dans l'avant dernier tympan, du même côté, Pierre Ribadeneira premier bibliographe des Jésuites. Il tient en main un petit portrait du Saint fondateur Ignace de Loyola dont il a écrit la biographie. Deux prédicateurs l'entourent: Paul Segneri qui fut célèbre de son temps et Bourdaloue qui l'est encore du nôtre. Vasquez et Suarès, deux casuistes que leur polémique avec Blaise Pascal a sauvés de l'oubli, encadrent un Préfet de la Bibliothèque Vaticane, Robert Bellarmin qui fut Cardinal. Comme le furent aussi (placés aux autres angles de la salle) le théologien de Lugo, l'historien Pallavicino et le prédicateur François Tolet.

Les grandes peintures ne sont pas non plus négligeables. L'une, du côté du Collège, est « La Raison des Anciens ». Sur une vaste esplanade, à droite de laquelle on discerne les livres étagés d'une bibliothèque, philosophes et savants de l'Antiquité sont rassemblés. Sur la gauche - anachronisme volontaire - un jeune peintre en madras esquisse un tableau de chevalet. S'il n'a pas signé autrement c'est peut-être par modestie sachant que la composition qui lui a été commandée s'inspire de l'École d'Athènes que Raphaël a peint pour les « Stanze della Segnatura » du Vatican.

Mais la Révélation est proche, et, dans le fond de la toile, sous un portique dédié au Dieu inconnu, saint Paul parle aux Athéniens. A l'autre extrémité de la salle, dans un cartouche à l'encadrement tourmenté, l'évangéliste conseille d'étudier l'Écriture. Le sujet de la grande composition post-rubénienne que l'on voit au-dessus n'a donc pas à être défini : c'est la Raison éclairée par la Révélation chrétienne.

Détails d'architecture : les retombées des arcs doubleaux se font sur des corbeaux aux motifs diversifiés de rocaille Régence. Entre ces retombées les boiseries de chêne ancien où s'inscrivent en diminution graduée les dix étages de rayonnages, se parachèvent en de gracieuses courbes qui reprennent en les soulignant celles des tympans et des vousseaux.

De l'ancien mobilier, on a pu au moins conserver trois belles et grandes tables de travail sur lesquelles viennent périodiquement s'aligner, à la belle saison, les vitrines d'expositions temporaires. La première en date, sur un thème imposé par l'actualité locale « Florilège » a été inaugurée le 28 avril 1962 par M. Julien Cain, membre de l'Institut, directeur général des Bibliothèques de France.

En dehors de ces expositions au rythme irrégulier, les personnes qui ne se contenteraient pas de voir la Bibliothèque de l'extérieur, pourront être accompagnées dans la salle ancienne pendant les heures d'ouverture de la bibliothèque, tous les jours ouvrables de l'année scolaire de 9 h à 12 h et de 16 h à 19 h et pendant les vacances en prévenant de leur visite. Les groupes qui auront pris rendez-vous bénéficieront d'une visite commentée, que la salle renferme ou non une exposition temporaire.