Coopération à l'échelon national pour la sélection et l'acquisition des livres courants étrangers
Une expérience récente des bibliothèques de recherche aux États-Unis
Robert Vosper
A la suite des bouleversements apportés dans les programmes d'acquisition des bibliothèques américaines par la 2e guerre mondiale, en I947, l' « Association of research libraries », avec le concours bénévole des bibliothèques, met en oeuvre le Plan Farmington. Limité à l'origine aux pays européens, il portait sur les livres courants de toutes disciplines et des libraires locaux étaient responsables de leur sélection et de leur répartition. L'intérêt du Plan étant remis en question, une grande enquête fut entreprise en 1957 qui mit en lumière les avantages présentés par cette forme de coopération dans l'acquisition de la production européenne. On se préoccupa alors des ouvrages édités dans les autres parties du monde, d'intérêt croissant pour la recherche américaine. Le « Farmington plan committee », devenu tout récemment un organisme subventionné, travaille en liaison avec des sous-comités spécialisés par aires culturelles (Pays slaves, Moyen-Orient, Extrême-Orient, Afrique, Amérique latine, Asie du Sud, Europe occidentale). Les méthodes d'acquisition varient avec les conditions de l'édition dans le pays concerné
Bien que l'expérience, que poursuivent actuellement les bibliothèques de recherche des États-Unis, d'un effort de coopération nationale dans les acquisitions ne date que de très peu de temps, la nécessité d'un tel effort avait été pressentie par des bibliothécaires tels que E. C. Richardson, de Princeton et Herbert Kellar de la « Library of Congress 1 ». Ce besoin fut clairement démontré et mis en lumière par les circonstances exceptionnelles qui accompagnèrent et suivirent la seconde guerre mondiale. L'intérêt décuplé que présentaient les livres et les journaux européens contemporains pour les besoins de la recherche universitaire et de l'information gouvernementale se trouva frustré quand les bibliothèques des États-Unis furent coupées du marché du livre européen et de l'accès aux bibliothèques européennes. Il apparut alors avec évidence que les acquisitions faites avant la guerre avaient été inférieures aux besoins nationaux de la recherche. Les discussions entamées par le bibliothécaire du Congrès en octobre 1942 à Farmington, Connecticut (chez l'un des membres du « Librarian's Council »), définirent le but que les bibliothèques de notre pays cherchent encore maintenant à atteindre, vingt ans après.
Durant les cinq années qui suivirent cette importante réunion de 1942, l'« Association of research libraries » fut le théâtre de discussions préliminaires soutenues, rapportées par Edwin E. Williams dans la première édition du Farmington Plan Handbook (« Association of research libraries » (ARL), 1953). Ce manuel avec ses deux éditions (la 2e édition, de 1962, supprime l'introduction historique de la première édition mais met à jour l'analyse et la bibliographie du sujet) et la série documentaire des Farmington plan letters éditée également par Mr. Williams, fournissent l'information la plus concise sur les débuts, les intentions et le fonctionnement de ce qu'on appelle le Plan Farmington.
La possibilité de coordonner les efforts sur un plan national fut magistralement démontrée par la « Library of Congress post war mission to Europe » (Mission d'après guerre de la « Library of Congress » en Europe) 2, programme de choc pour lequel des bibliothèques diverses conjuguèrent leurs efforts afin de combler le retard pris par les bibliothèques des États-Unis dans l'acquisition des livres européens, durant les années de guerre. L'élan acquis dans cette grande entreprise rétrospective conduisit l'ARL dans une session spéciale de mars 1947 à lancer le Plan Farmington (appliqué aux publications de 1948). Son objectif fondamental était de « s'assurer qu'un exemplaire au moins de tout livre ou de toute brochure étrangère nouvelle susceptible d'intéresser vraisemblablement un chercheur aux États-Unis sera acquis par une bibliothèque américaine, rapidement répertorié dans le « National Union catalog » de la « « Library of Congress » et disponible en prêt interbibliothèque ou par l'intermédiaire de la reproduction photographique ».
L'intention était généreuse mais, à l'heure actuelle, elle n'a pas été complètement réalisée dans son ensemble. Elle ne le sera peut-être jamais, mais ce qui importe c'est que, en toute liberté et face à des difficultés impressionnantes, les bibliothèques américaines aient travaillé toujours plus étroitement à la réalisation d'un programme d'achats rationalisé et coordonné qui serve les besoins de la communauté nationale sur le plan de la science et de la recherche; c'est que, d'autre part, grâce à cette entreprise, chaque bibliothèque participante ait plus ou moins assumé d'une manière appréciable des responsabilités et des dépenses dépassant celles qui relèvent directement des besoins de sa clientèle immédiate; et qu'enfin, les bibliothécaires aient, de leur propre chef, conçu, développé et appliqué un tel programme.
Le caractère bénévole du Plan Farmington mérite de retenir l'attention et, en particulier, celle d'un public européen: on rappellera qu'il n'existe pas aux États-Unis de ministère national de l'enseignement supérieur ni de ministère national des bibliothèques. Bien qu'à l'occasion la « Library of Congress » ait exercé largement son influence sur tout le pays elle n'a aucun lien administratif avec les autres bibliothèques des États-Unis, qu'elles soient fédérales ou locales, subventionnées ou privées. En ce qui concerne l'enseignement supérieur, il n'y a pas même d'université nationale. Plusieurs universités des États-Unis sont des établissements privés, la plupart sont subventionnées par des fonds d'état, quelques-unes par des fonds municipaux. Chaque université a sa propre charte, sa propre administration et une mission qui lui est propre. On parle beaucoup de coopération entre universités mais on l'applique rarement sur une grande échelle, de ce point de vue les bibliothèques de recherche ont été peut-on dire plus énergiques. L' « Association of research libraries » qui a géré le Plan Farmington repose sur le groupement bénévole de 48 bibliothèques de recherche parmi les plus importantes du pays, la plupart d'entre elles sont des bibliothèques d'universités, mais il y a trois bibliothèques fédérales importantes, deux grandes bibliothèques municipales et quelques bibliothèques « spéciales » privées. Bien que l'ARL gère le Plan Farmington tous les membres de l'ARL n'y participent pas et inversement plusieurs bibliothèques qui ne sont pas de l'ARL en font partie. L'ARL elle-même fonctionne sans secrétariat grâce au travail bénévole de ses membres bien que, à cet égard, comme on le notera par la suite, un changement significatif soit en vue. Bien plus, jusqu'à une date récente, ce sont les établissements participants qui ont supporté eux-mêmes tous les frais impliqués dans la procédure d'acquisition et de catalogage du Plan Farmington, sans aide complémentaire extérieure. Il faut noter cependant que deux fondations privées, la « Carnegie corporation » et le « Council on library resources », ont accordé une petite subvention à l'ARL pour couvrir les premiers frais administratifs du lancement.
Les premiers efforts, en 1947, portèrent sur l'Europe occidentale. De tout temps, les études américaines ont été axées sur la tradition européenne tandis qu'elles ne prêtaient qu'une attention limitée et exceptionnelle aux autres aires culturelles. Bien plus c'est l'insuffisance d'ouvrages européens et les effets de la guerre en Europe qui ont hâté la mise en œuvre du Plan lui-même. Ces origines européennes et l'expérience faite pendant la guerre eurent un effet décisif sur le fonctionnement et le développement du Plan Farmington durant les dix premières années.
A l'exemple de la « Library of Congress post war mission to Europe » on décida d'attribuer le produit du Plan Farmington à un grand nombre de bibliothèques des États-Unis en utilisant le Plan de classification de la « Library of Congress » comme base de répartition des responsabilités. La Mission avait été organisée selon ce modèle. On décida d'autre part d'avoir dans les divers pays d'Europe des libraires responsables de la sélection et de la distribution des livres. Cette décision venait en grande partie de ce que les années de guerre avaient interrompu la bibliographie nationale et commerciale de l'Europe et modifié les relations commerciales avec les bibliothèques américaines. Les bibliothèques se demandaient donc si elles trouveraient, ou retrouveraient, des libraires européens capables de pallier les lacunes de la bibliographie.
Ces dispositions complexes du Farmington qui avait fini par englober une soixantaine de bibliothèques américaines, qui couvrait tous les domaines de la connaissance et reposait sur des contrats conclus avec des fournisseurs locaux, répartis dans les divers pays occidentaux, entraînèrent de grandes dépenses, de temps, d'énergie et d'imagination. Si bien qu'en fin de compte, bien que le plan Farmington ait donné des résultats assez satisfaisants dans les limites de l'Europe occidentale, l'idée de l'étendre au monde entier fut presque oubliée pendant quelques années; on s'aventura bien un peu hors d'Europe, mais, généralement sans succès. Une part des difficultés rencontrées dans la voie de l'extension reposait sur le fait qu'un programme de sélection centré sur un fournisseur ne peut opérer avec efficacité que dans un pays comme l'Europe occidentale où la tradition du commerce du livre est bien établie et où l'expérience des bibliothèques américaines est solide. On fit au début quelques tentatives en Amérique latine pour modifier le schéma initial en employant ce qu'on appelait des « attributions d'aires géographiques »; c'est-à-dire, qu'une bibliothèque des États-Unis prenait la responsabilité d'acquérir, par quelque moyen que ce soit, toutes les publications courantes, dans tous les sujets, publiées dans un pays particulier ou dans un groupe de petits pays. Mais cette méthode ne fut pas généralisée.
C'est alors que malheureusement se répandit, fondée, en fait, sur un malentendu, l'opinion, selon laquelle le Plan Farmington n'avait pour objet réel que l'Europe occidentale et reposait sur un système de répartition des sujets centré autour d'un fournisseur comme cela se pratique là-bas. Ce malentendu foncier affecta probablement le développement du Plan Farmington.
C'est ainsi que d'année en année, les limites géographiques du Plan cessèrent de paraître satisfaisantes. De plus, des protestations diverses s'élevèrent à propos du fonctionnement du système en Europe occidentale et l'on alla jusqu'à émettre des doutes sur l'efficacité et sur le bien-fondé du Plan lui-même.
Ces questions atteignirent leur maximum d'acuité vers l'année 1955 car, à cette époque, les relations commerciales avec les bibliothèques des États-Unis étaient de nouveau en plein épanouissement et la bibliographie des pays occidentaux était satisfaisante. De nombreux bibliothécaires des États-Unis furent donc amenés à suggérer que, de leur propre initiative, les bibliothèques des États-Unis fassent un travail de sélection et d'acquisition plus efficace et plus précis que les agents de l'étranger. La sélection faite par ceux-ci semblait incomplète à certains bibliothécaires, d'autres estimaient qu'elle incluait trop de publications marginales et secondaires.
Il faut faire remarquer ici que le Plan Farmington n'avait jamais été conçu comme un moyen d'acquérir des ouvrages classiques d'importance manifestement primordiale pour l'étude, ces livres sont aisément dépistés et l'on peut se les procurer sans grandes difficultés. Le propos du Plan Farmington est d'assurer la présence de toutes les publications qui peuvent « vraisemblablement » intéresser la recherche, y compris les publications secondaires, périphériques et souvent éphémères qui n'apparaissent pas sur le marché normal mais qui viennent en aide à toute recherche poussée. On ne peut définir ce but que de façon nécessairement imprécise et l'on n'arriverait même pas à mettre d'accord sur le détail deux chercheurs ou deux bibliothécaires.
Ces diverses incertitudes amenèrent l' « Association of research libraries » dans son assemblée de janvier 1957 à proposer que le « Farmington Plan Committee », à la lumière de dix années d'expérience, réexamine les buts, la portée et les résultats du Plan Farmington et fasse part de ses observations à l'ARL ». On demanda à Robert Vosper, alors directeur des bibliothèques de l'Université du Kansas et à son adjoint Robert Talmadge de mener l'enquête. Le « Council on library resources, Inc. », fournit les fonds nécessaires dès octobre 1957.
Les premières questions à résoudre étaient celles-ci : le Plan a-t-il été effectivement fructueux là où il a exercé son action ? Devrait-il être modifié ou bien le besoin auquel il répondait a-t-il réellement disparu ? Devrait-il s'étendre à d'autres parties du monde et dans ce cas comment devrait-il procéder en matière de sélection et d'acquisition? Devrait-il s'occuper de documents qui ne font pas à l'heure actuelle l'objet du Plan, limité aux livres et aux brochures publiées séparément ?
Afin de mettre à l'épreuve le système centré autour d'un fournisseur en Europe occidentale, plusieurs expériences furent tentées. Nous avons demandé à un statisticien de choisir au hasard un échantillon scientifiquement valable dans le total des titres reçus durant ces dix années (environ 150.000 volumes); pour ce faire nous avions accès à l'ensemble des factures des fournisseurs. Les titres, sélectionnés avec soin, furent confrontés avec le « National union catalog » de la « Library of Congress » pour dépister les livres, éventuellement, présents en un seul exemplaire aux États-Unis, et ceux qui s'y trouvaient en exemplaires multiples. Les titres représentés une seule fois formaient un groupe d'importance décisive. Si l'on recensait plus d'un exemplaire, un seul d'entre eux ayant pour origine le Plan Farmington, nous étions en droit de conclure que les exemplaires additionnels avaient été acquis par une bibliothèque précisément parce qu'il s'agissait d'un ouvrage essentiel.
Mais que dire des exemplaires uniques que seuls les agents du Farmington avaient acquis ? Étaient-ils, tout bien considéré, des livres intéressants ? Pouvait-on se les procurer plus simplement par un autre moyen ? Nous avons prié les bibliothèques qui possédaient ces livres d'examiner les exemplaires uniques obtenus par le Farmington à la lumière de ces questions fondamentales. La découverte essentielle fut que le Plan Farmington avait procuré une proportion importante (12,68 %) de livres intéressants, en exemplaire unique, qui auraient pu fort bien être négligés dans le programme normal d'acquisition d'une bibliothèque. Ceci nous parut constituer un bénéfice positif, trop important pour qu'on l'abandonne à la légère. Nous avons trouvé également des livres en exemplaire unique mais superflus; ils étaient toutefois en faible proportion et nous avons tenté d'en identifier la nature afin de voir si des modifications dans nos critères de sélection ne pourraient pas diminuer le nombre de déchets.
D'autre épreuves furent tentées : un professeur de sciences économiques de l'université examina les livres analysés et cités dans certains fascicules annuels de la Revue d'économie politique et de la Revue économique et on les compara avec les livres fournis par le Plan Farmington ainsi qu'avec les autres fonds des bibliothèques américaines. Les bibliographies nationales de l'Espagne et des Pays scandinaves de certaines années furent annotées par des experts de l'université et par des bibliothécaires spécialistes et leurs observations furent confrontées dans l'ensemble du pays avec les acquisitions venues du Farmington et d'autre part avec celles qui n'en venaient pas. Une enquête spéciale fut faite sur les livres de physique reçus par l'intermédiaire du Plan Farmington. En dernière analyse, nous avons examiné un grand nombre de disciplines : les sciences économiques, la physique, les belles-lettres, l'histoire. Notre étude a porté sur des pays dans lesquels le marché du livre est bien organisé, telle la Scandinavie, et d'autre part sur l'Espagne. Nous avons pris en considération des pays où la production livresque est importante, et, parallèlement, ceux où elle est faible. Nous avons étudié un pays comme la France qui présente pour la recherche universitaire américaine un intérêt général et en même temps la littérature danoise, discipline assez étrangère aux États-Unis.
De telles comparaisons étaient rendues possibles par le fait que les bibliothèques bénéficiaires sont tenues de signaler les envois du Plan Farmington dans les meilleurs délais au « National union catalog » de la « Library of Congress ». Cet instrument bibliographique qui nous permit de traiter le problème sur le plan d'un fonds national commun est, soit dit en passant, encore plus utile maintenant qu'il est publié en volume à intervalles réguliers.
Ces nombreuses analyses approfondies nous persuadèrent que les méthodes d'acquisition du Farmington mises en oeuvre en Europe occidentale avaient, à tout prendre, servi les bibliothèques américaines, que, grâce à de légères modifications dans le fonctionnement, certains défauts du Plan pourraient être amendés et que le moment n'était pas venu d'abandonner le programme Farmington pour l'Europe occidentale. Cette décision fondée sur nos analyses était absolument contraire aux premières hypothèses des nombreux critiques du Plan. Ces critiques assuraient que, maintenant que le marché européen dulivre et la bibliographie étaient réorganisés et que de nombreuses bibliothèques américaines achetaient des livres étrangers en quantité, nous pouvions nous reposer sur les programmes d'achats normaux et décentralisés des bibliothèques américaines pour couvrir chaque année au mieux la production européenne courante. Si nous avions trouvé des justifications à cette hypothèse, tout aurait été, évidemment, plus simple.
Ce n'est qu'un aspect de notre étude qui amena à recommander la poursuite et le renforcement du programme européen; ce qui importe beaucoup plus c'est que nous avons fait porter notre attention et notre analyse sur la nécessité de plus en plus urgente qu'il y avait à réunir un plus grand nombre de livres édités dans les autres parties du monde où l'état du marché du livre et de la bibliographie et des problèmes linguistiques particuliers rendent la sélection et l'acquisition beaucoup plus difficiles. Ce n'est plus l'Europe qui, selon nous, représente pour les besoins en livres de l'Amérique le point critique ou le problème central.
A cet aspect de notre étude nous avons consacré une série de documents de travail, sur l'Europe de l'Est, l'Afrique, le Moyen-Orient, l'Asie du Sud, l'Extrême-Orient et l'Amérique latine. On demanda à un bibliothécaire spécialiste éminent d'analyser dans chaque cas la production du pays en livres et de voir dans quelle mesure elle intéressait les besoins de la recherche américaine, on lui demanda d'évaluer les prix de revient, de réfléchir aux méthodes de sélection et d'acquisition et aux problèmes qu'elles posent et de faire des propositions en vue d'un effort efficace et coordonné, si toutefois un tel effort s'avérait nécessaire.
Ces documents de travail établis par aires géographiques permirent de déceler chez les chercheurs un malaise général dû aux lacunes évidentes des collections américaines relatives aux autres parties du monde. Peu à peu dans les années qui suivirent la seconde guerre mondiale, les milieux scientifiques américains avaient porté une attention de plus en plus soutenue, qu'il s'agisse d'enseignement ou de recherche, à l'étude des pays extra-européens. Dans les universités se généralisaient les programmes d'études régionales et les instituts de recherche pour les questions internationales et tout ces changements ne faisaient que refléter l'élargissement de la vision américaine du monde.
L' « American council of learned societies », par exemple, était gêné par la pauvreté de nos collections d'ouvrages courants publiés en Europe orientale; le « Social science research council » avait besoin de l'aide de bibliothèques pour ses études sur le Moyen-Orient : l' « Association for Asian studies » insistait de son côté pour que le Plan Farmington étendît son action en Extrême-Orient. Ces associations ainsi que d'autres institutions scientifiques aussi bien que le gouvernement et les grandes fondations recherchaient isolément pour des motifs divers une intensification et un élargissement des acquisitions étrangères dans le pays.
Les nombreux documents de travail par aires géographiques avaient fait penser qu'on pourrait agir dans des limites raisonnables sur le plan mondial si les bibliothèques de recherche américaines se partageaient, d'une manière ou d'une autre, responsabilités et dépenses. D'autre part, la qualité et la complexité des publications impliquées dans ce programme et les dépenses correspondantes sont d'un ordre tel qu'aucune bibliothèque à l'heure actuelle, pas même une « Library of Congress » considérablement accrue, ne pourrait entreprendre seule cette tâche. Et une attitude de laissez-faire étrangère à toute coordination ne ferait qu'accentuer les insuffisances actuelles et les lacunes constatées dans les fonds. Les documents de travail laissaient également entendre que la souplesse dans les méthodes de sélection et d'acquisition serait essentielle. Les modes de publication et de vente varient considérablement en Colombie, au Nigéria, au Pakistan, en Roumanie ou en République arabe unie. Un mode d'acquisition « monolithique » ne conviendrait pas.
En janvier 1959, l' «Association of research libraries » convoqua une conférence spéciale à Chicago afin d'examiner le rapport de MM. Vosper et Talmadge sur l'enquête relative au Plan Farmington 3.
Les recommandations de cette conférence de Chicago qui reçurent l'approbation unanime de l'Association sont reproduites ci-dessous. A l'exception de modifications minimes, elles représentent les recommandations finales de l'équipe chargée de mener l'enquête.
I. La direction du développement et de la coordination des programmes d'acquisition d'ouvrages d'érudition, d'importance et d'intérêt national, devra être considérée comme une responsabilité majeure et permanente de l'ARL.
2. L'effort de coopération destiné à assurer la présence dans les collections, en proportion convenable, des documents courants publiés à l'étranger intéressant la recherche devra être étendu et intensifié à l'échelle mondiale.
3. Le « Farmington plan committee » sera institué et reconnu comité central responsable pour l'ARL dans l'ensemble de ce domaine. Dans ce but, le Comité recevra autant de personnel qu'il en faudra et sera autorisé à travailler autant qu'il sera nécessaire par l'intermédiaire de sous-comités et de membres désignés par cooptation. Il sera responsable de la liaison permanente avec toutes les institutions savantes, scolaires ou gouvernementales appropriées aussi bien qu'avec les comités mixtes intéressés.
Les activités du Comité comprendront l'étude et l'évaluation permanente des besoins, la mise en œuvre des programmes et l'examen et l'analyse des programmes en cours.
4. L'ARL continuera de rechercher ou de fournir elle-même les fonds nécessaires au travail de secrétariat et d'étude du Comité et de son bureau. Dans la mesure du possible, le président du Comité et le bureau continueront à cohabiter.
5. Certains modes de fonctionnement du Plan Farmington qui se sont développés en particulier en Europe occidentale, seront modifiés selon les principes définis dans le rapport d'étude : on tendra à mettre au point un mode de sélection et d'acquisition, plus souple et moins centralisé, tout en continuant de garantir la conservation des documents nécessaires aux besoins de l'étude et de l'analyse. A cet égard la désignation d'un sous-comité pour les acquisitions d'Europe occidentale peut se justifier.
6. Le « Farmington plan committee » renforcé s'attachera en toute priorité à favoriser l'expérimentation de méthodes d'acquisition souples et coordonnées dans les autres parties du monde selon l'orientation recommandée dans les documents de travail par aires géographiques. Dans l'accomplissement de cette tâche le Comité aura besoin de nouer des relations efficaces, comme on l'a noté au paragraphe 3 précédent, avec les comités de travail appropriés dans les diverses zones, pour s'assurer qu'il reçoit bien les services spécialisés qu'il en attend.
7. Avant de mettre en œuvre un programme systématique d'acquisition destiné à développer les collections de périodiques étrangers, le « Farmington plan committee » effectuera des sondages dans la ligne d'action proposée par le document de travail n° III, pour se rendre compte de la valeur de nos collections actuelles de périodiques courants particulièrement dans le domaine des sciences humaines et des sciences sociales et également dans celui des sciences de l'ingénieur. Dans le même temps, on prendra des mesures pour renforcer les moyens d'acquérir, de sélectionner et de répertorier des spécimens de nouveaux périodiques.
8. On sera attentif à la nécessité de multiplier davantage dans les bibliothèques américaines les exemplaires des livres étrangers courants importants. L'utilisation à des fins diverses des agents affectés au Plan Farmington dans les disciplines importantes offre dès maintenant les moyens d'atteindre ce but.
9. L'ARL continuera sans relâche à attirer l'attention des organismes gouvernementaux, des directions de l'enseignement et des institutions appropriées sur l'importance nationale d'un fonds commun de livres et de périodiques de recherche. Il leur fera remarquer qu'un programme de coordination nationale efficace, destiné à rassembler les publications du monde entier, est une entreprise coûteuse mais urgente et qu'une aide effective doit être apportée à cette entreprise d'intérêt national en prévoyant un financement à long terme et des effectifs appropriés.
Pour mettre en action ce nouveau programme, une assemblée se tint par la suite les 18 et 19 mars 1959 à l'Université de Princeton réunissant les membres du « Farmington plan committee », les membres de l' « ARL advisory committee » et un certain nombre d'autres bibliothécaires intéressés par certaines spécialités. A la suite de cette réunion l' « ARL advisory committee » fixa, le 19 mars, une ligne de conduite et des règles de fonctionnement. Je citerai les plus importantes de ces décisions :
I. Le remaniement du « Farmington plan committee » s'impose. Il aura la responsabilité générale du développement et de la mise en œuvre du Plan Farmington (on s'accorde à reconnaître que le plan ne se réfère pas à une méthode d'acquisition mais que c'est un plan exhaustif d'acquisition à l'échelle mondiale).
2. Le Comité devra comprendre un président, deux membres associés, divers présidents ou représentants des comités de l'ARL chargés de domaines spécialisés et responsables du programme dans des secteurs particuliers (aussi bien dans ceux qui existent que dans ceux qui pourront être créés). Il comprendra, d'office, le Secrétaire exécutif de l'ARL.
3. Tous les présidents des comités auront un mandat d'un an, d'une assemblée d'hiver à une autre.
4. Chaque comité, dans son secteur, sera responsable de l'élaboration de plans pour la sélection, l'acquisition et la distribution des documents de son domaine. Ces plans seront revus et approuvés par le « Farmington plan committee » avant d'être mis à exécution. Chaque comité aura la responsabilité de superviser le fonctionnement du plan de son secteur, de contrôler et de juger son efficacité, de recommander des changements et de soumettre, au moins une fois par an, un rapport écrit au « Farmington plan committee ». (On pense que dans de nombreux domaines, un comité mixte rassemblant les membres de l'ARL et les principaux spécialistes de cette discipline sera le meilleur moyen pour élaborer un programme d'action).
5. Le « Farmington plan committee » soumettra à l'avance les demandes de fonds nécessaires pour son fonctionnement ou pour celui des comités spécialisés à l' « ARL advisory committee ». L' « Advisory committee » approuvera toutes les propositions de créations.
6. Sont institués pour les diverses « aires » les sous-comités suivants : Pays slaves, Moyen-Orient, Extrême-Orient, Afrique, Amérique latine, Asie du Sud, Europe occidentale.
Deux ans plus tard, en mars 196I, le « Farmington plan committee » tint, avec l' « Advisory committee » de l'ARL, une réunion à l'Université de Columbia afin d'examiner les progrès réalisés. A la suite de cette réunion une résolution fut prise selon laquelle, pour continuer efficacement l'œuvre du Farmington, il était de toute nécessité d'avoir un personnel rétribué ainsi que des fonds destinés à publier régulièrement des circulaires d'information et à rendre d'autres services essentiels. On recommandait de plus que l' « Association of research libraries » se constituât en société afin de pouvoir trouver plus largement des fonds extérieurs et afin de constituer un bureau doté d'un personnel régulier. On pensait que ce bureau aurait beaucoup d'autres fonctions, mais qu'il travaillerait avant tout au fonctionnement du Plan Farmington. Aujourd'hui enfin, des progrès significatifs, conséquence de l'étude de Vosper et Talmadge, ont été accomplis, tendant à un renforcement et à un élargissement des conceptions du Plan Farmington. Les différents sous-comités spécialisés sont tous en fonction. Toutefois les résultats obtenus sont assez inégaux du fait qu'ils abordent le problème des acquisitions à des points de vue très divers. Chaque sous-comité est formellement relié à une société savante appropriée telle l' « African studies association », l' « Association for Asian studies », etc...
Chaque pays d'Amérique latine est maintenant affecté, en tant qu'appartenant à une « aire » déterminée, à une bibliothèque particulière des États-Unis, responsable, dans l'intérêt national, de l'acquisition du plus grand nombre possible de publications courantes. Cette façon de faire a semblé plus avantageuse car la production se répartit moins facilement par sujets en Amérique latine qu'en Europe occidentale, d'autre part, les sources d'approvisionnement sont moins bien organisées et il faut y veiller sans cesse attentivement. Dans de nombreux pays on se sert de libraires locaux comme agents mais ils constituent rarement une source unique d'acquisition. Les publications gouvernementales, celles des institutions diverses et celles qui sont publiées par des particuliers, nombreuses en Amérique latine, sont particulièrement difficiles à acquérir en totalité régulièrement. Plusieurs bibliothécaires et professeurs d'Amérique du Nord intéressés par ce problème se sont réunis plusieurs années de suite en une série de séminaires consacrés à l' « acquisition des documents de l'Amérique latine », afin d'accroître leurs connaissances et leur expérience. En de nombreuses occasions, nos collègues d'Amérique latine se sont joints à ces groupes et il fut intéressant de découvrir que les bibliothécaires d'Amérique latine eux-mêmes ont des difficultés semblables à acquérir les publications de l'Amérique latine, y compris celles de leur propre pays.
Il faut signaler ici un principe important du Plan Farmington. Aucune attribution faite par le Farmington, attribution de spécialité ou d'aire géographique, ne confère à la bibliothèque responsable le droit exclusif d'acquérir ces publications en façon exhaustive. Autrement dit, on n'empêche aucune bibliothèque américaine d'accroître son propre programme d'acquisition aussi largement et aussi profondément qu'elle le désire et que ses ressources le lui permettent.
Le Plan Farmington se propose seulement d'assurer qu' « au moins » un exemplaire de chaque publication étrangère intéressante entre dans notre pays et qu'il est disponible sur le plan général. L'expérience des acquisitions, acquise par les bibliothèques officiellement responsables, est mise à la libre disposition de toutes les autres. En fait, l'une des fonctions du « Farmington plan committee » est d'étendre et de développer la connaissance des publications étrangères et des méthodes d'acquisition. Ainsi, toute bibliothèque de recherche est libre de développer son propre programme d'acquisition en fonction de besoins locaux évidents mais elle a l'assurance parfaite qu'elle peut compter sans hésiter sur les autres bibliothèques, grâce au Plan Farmington, pour obtenir, en quantité, des publications qui, par leur sujet ou par leurs limites géographiques, sont seulement d'intérêt secondaire ou occasionnel pour le programme local d'études universitaires. L'on peut ainsi réduire la multiplication abusive des efforts et des dépenses. Cette acceptation de principe d'une interdépendance mutuelle repose sur la certitude que les ressources acquises par la voie du Plan Farmington seront accessibles à tous les chercheurs par l'intermédiaire du prêt interbibliothèque ou sous forme de reproductions photographiques.
Dans la plus grande partie de l'Afrique les problèmes posés par la bibliographie et par le commerce du livre sont encore plus critiques qu'en Amérique latine mais l'orientation de la recherche américaine vers les études africaines tend à prendre une telle extension que le sous-comité du Plan Farmington espère être capable dans le courant de l'année de répartir entre les bibliothèques la responsabilité du continent africain tout entier. Dans la plupart des cas, on affectera à des bibliothèques particulières des « aires » ou des pays mais les publications de l'Union Sud africaine seront probablement réparties par sujets comme cela se fait en Europe occidentale. Les bibliothèques responsables - nous le savons par des expériences récentes - auront à faire face, dans de nombreux pays, à des problèmes très difficiles. La bibliographie nationale et la bibliographie commerciale y sont tout à fait inconnues et le marché du livre y est inexistant. Bien plus, la plupart des publications qui ont la plus grande valeur pour l'interprétation scientifique des faits sont des publications politiques éphémères. Au cours des quelques années à venir, les bibliothèques des États-Unis pourront avoir à dépendre d'agents itinérants occasionnels, par exemple de professeurs américains en voyage; mais on discute sérieusement de la possibilité d'avoir un agent sur les lieux, aux frais des bibliothèques participantes.
Au cours de cette année, un système d'acquisition entièrement nouveau et hautement significatif a été institué par le Moyen-Orient et l'Asie du sud. Comme nous l'avons spécifié dans les pages précédentes, les bibliothèques participantes ne comptaient jusqu'à présent que sur leurs propres ressources mais cette situation avait entravé le développement complet du Plan Farmington. La quantité extraordinaire de publications courantes éditées dans des pays tels que l'Inde, le Japon et l'U.R.S.S., et d'autre part le fait qu'un nombre assez restreint de bibliothèques des États-Unis est en mesure de traiter des masses de publications en certaines langues peu répandues de l'Asie et de l'Inde et des moins peuplées des républiques soviétiques, ont ralenti les progrès du Plan Farmington dans ces parties du monde.
C'est alors, heureusement, que le Gouvernement fédéral, pour la première fois, a commencé d'apporter une aide financière pour l'accroissement des ressources des bibliothèques de recherche américaines. Par une « Public Law (480) » prenant effet en 1962, certains crédits du gouvernement américain, disponibles en Inde, au Pakistan et dans la République arabe unie, ont été affectés, par l'intermédiaire de la « Library of Congress », au plan national d'acquisition. La « Library of Congress » a été habilitée à établir, dans chacun de ces trois pays, un bureau d'acquisition qui, par contrats avec les éditeurs, les libraires ou les bibliothèques locales, distribue dès maintenant à un choix de bibliothèques de recherche des États-Unis des collections complètes de publications courantes : livres, publications gouvernementales, journaux et périodiques. Les bibliothèques bénéficiaires ont été choisies en fonction des disciplines enseignées dans les uniyersités auxquelles elles appartiennent.
En 1963, la « Library of Congress » commencera d'étudier la possibilité d'étendre le programme de la « Public Law 480 » à d'autres pays : Birmanie, Syrie, Israël, Pologne et Yougoslavie. Les clauses de la loi permettent également si l'on dispose des fonds nécessaires, de créer d'autres services de bibliothèque tels le micro-filmage ou le catalogage. En attendant, les bibliothèques bénéficiaires doivent assurer elles-mêmes le catalogage et là, elles ont à faire face à un problème linguistique compliqué. Aucune bibliothèque des États-Unis n'a par exemple de catalogueurs qualifiés pour traiter toutes les langues de l'Inde. Aussi un projet d'entreprise collective de catalogage est-il en cours d'élaboration. Le « Farmington plan committee » travaille en coopération étroite avec la « Library of Congress » pour s'assurer que les plans de la « Public law 480 » s'intègrent efficacement dans la totalité du programme d'acquisitions étrangères des bibliothèques de recherche américaines.
En Extrême-Orient et en Europe orientale on n'en est pas encore arrivé, pour de multiples raisons, à établir, comme en Europe occidentale ou en Amérique latine, des programmes d'acquisitions massives suivant un plan précis. Au lieu de cela, les sous-comités d' « aires géographiques » ont abordé le problème de plusieurs points de vue. On a multiplié les bibliographies sélectives pour aider les bibliothécaires dans leurs choix. On favorise la réédition des classiques russes fondamentaux très demandés et on projette de microfilmer les éditions rares des journaux chinois récents.
Il est évident en effet qu'il reste beaucoup à faire. Nous ne couvrons qu'inégalement la production mondiale. Nous ne sommes pas satisfaits de la proportion des journaux et des publications gouvernementales acquis par rapport aux monographies. Certains des problèmes posés par le catalogage sont touffus. Et le contrôle permanent de l'œuvre du Plan Farmington dans son ensemble est une responsabilité que nous n'avons pas totalement résolue.
Les réalisations les plus récentes ont fait apparaître que le seul contrôle de cette entreprise foisonnante et bourgeonnante réclame une attention plus suivie que celle que peuvent lui accorder des comités volontaires composés de bibliothécaires en fonction. Ainsi l' « Association of research libraries » est devenue récemment un corps constitué, elle a obtenu des crédits de fonctionnement de la « National science foundation » et elle a projeté d'établir un petit secrétariat à Washington, D.C., vers 1963. Cette étape qui procurerait un concours régulier en personnel et aussi en études marquerait une nouvelle époque dans l'histoire du Plan Farmington.
Mais déjà, de leur propre chef, les bibliothèques de recherche américaines, de façon hésitante et pragmatique certes, mais avec beaucoup de bonne volonté et beaucoup de sens civique, ont notablement progressé dans la voie de la coopération nationale en matière d'acquisitions étrangères. Elles ont reconnu que les limites de la recherche et de la production livresque s'élargissent rapidement et que le temps de l'autarcie des bibliothèques de recherche est passé.
La coopération entre bibliothèques, sous quelque forme que ce soit, est essentielle si l'on veut servir comme il faut la science moderne. Dans notre société décentralisée et pluraliste ce n'est pas une étape facile à franchir, mais on la franchit en ce moment et avec des résultats appréciables. La prochaine étape est peut-être préfigurée par l'effort remarquable de coopération entre états, à l'échelle des gouvernements, entrepris par nos collègues scandinaves 4.