Journées d'étude des bibliothèques universitaires
Paris, 30 novembre-1er décembre 1961
Au cours des journées d'étude qui ont réuni à Paris les 30 novembre et Ier décembre 1961 les conservateurs et bibliothécaires des bibliothèques universitaires, les questions suivantes furent successivement abordées : nouvelle structure des bibliothèques universitaires comportant des salles de travail spécialisées. Application d'une classification (CDU) aux livres en libre accès. Création d'un service d'information bibliographique dans le domaine scientifique pour aider les bibliothèques universitaires à établir les programmes d'acquisitions
Les Journées d'étude organisées les 30 novembre et Ier décembre 196I par la Direction des bibliothèques de France ont réuni à Paris pour la cinquième fois depuis 1949 1 les conservateurs et bibliothécaires des universités françaises. Elles ont eu lieu dans la salle du Conseil supérieur du ministère de l'Éducation nationale, à l'exception de la séance du vendredi matin qui s'est tenue dans la salle des commissions, 53, rue Saint-Dominique.
M. Cain, directeur général des Bibliothèques, MM. Lelièvre et Masson, inspecteurs généraux, ont successivement présidé les séances, entourés de MM. Brun, inspecteur général, et Poindron, conservateur en chef du Service technique.
La Direction des bibliothèques avait convoqué tous les chefs d'établissements des bibliothèques des universités des départements, ainsi que les bibliothécaires chargés des sections juridiques et littéraires, les bibliothécaires des sections scientifiques ayant été convoqués en janvier. L'ensemble des chefs de services des bibliothèques de l'Université de Paris avait, bien entendu, été prié d'assister aux séances et les bibliothécaires travaillant sous leurs ordres étaient venus nombreux. Ont pris part également à ces journées plusieurs représentants des grandes bibliothèques parisiennes 2.
Première séance (jeudi 30 novembre à 9 h 30).
M. Julien Cain, directeur général des Bibliothèques de France, a ouvert cette séance par un exposé d'ensemble dont voici l'essentiel :
« Les Journées d'étude que j'ai le plaisir d'ouvrir aujourd'hui et qui sont vos cinquièmes journées - sans compter la réunion de janvier qui a été réservée aux bibliothèques scientifiques - revêtent une importance particulière, car elles se placent à un tournant décisif de la vie des bibliothèques universitaires.
« L'ordre du jour que vous avez reçu est bref, mais les problèmes que je voudrais évoquer devant vous ce matin, et dont nous examinerons à partir de cet après-midi quelques incidences sur le plan bibliothéconomique, sont des problèmes majeurs.
Conséquences de l'essor démographique pour l'enseignement supérieur.
« La politique que nous avons été amenés à envisager pour les bibliothèques universitaires est fonction de celle que M. Capdecomme, directeur général de l'Enseignement supérieur, a établie pour l'Enseignement supérieur. Elle obéit à divers impératifs. Les plus importants sont les impératifs démographiques qui ont servi de base à la préparation du Quatrième plan sur lequel j'aurai l'occasion de revenir. Je voudrais d'abord rappeler quelques chiffres qui ont pu paraître exagérés, mais qu'il serait dangereux de ne pas prendre en considération.
« On évalue le nombre des étudiants des facultés métropolitaines (Français, ressortissants des pays d'outre-mer, de la Communauté et étrangers) à 327.152 en 1964-1965, 440.940 en 1967-1968 et 505.936 en 1969-1970. Il était de 194.405 en 1959-1960. Autrement dit, en 1969-1970, les effectifs seront ceux de 1959-1960 multipliés par le coefficient 2,5, ceux de 1948-1949 (116.000) multipliés par le coefficient 4,3. L'effectif global des étudiants était de l'ordre de 4 200 à la veille de la première guerre mondiale et de 80.000 en 1939. Ces chiffres doivent sans cesse être présents à l'esprit.
« Lors du précédent plan établi pour la période quinquennale 1957-196I, la Commission de l'équipement scolaire, universitaire et sportif, auprès du Commissariat au plan, avait déjà estimé, en ce qui concerne l'enseignement supérieur, qu'il était vain de prétendre former les étudiants supplémentaires dans les locaux actuels déjà surchargés et avait clairement indiqué qu'il fallait « prendre conscience que nos établissements d'enseignement supérieur de tous ordres, dans leur quasi-totalité, doivent être ou totalement reconstruits ou largement agrandis et modernisés ».
« La Direction de l'enseignement supérieur s'est engagée dans cette voie, tracée dès 1956-1957, non seulement en agrandissant les bâtiments des anciennes facultés, mais aussi en construisant de nouvelles facultés. Il en résulte déjà aujourd'hui et il en résultera plus encore demain que dans une même ville universitaire, les facultés ne seront pas toujours réunies dans un même « campus », mais au contraire dispersées dans des quartiers assez souvent suburbains et seront éloignées les unes des autres.
« Il est même prévu à Marseille deux facultés des sciences en plus de la faculté récemment reconstruite près de la gare Saint-Charles; l'une fonctionnera dans le quartier Saint-Jérôme et l'autre à Luminy; parallèlement à la faculté de droit existant déjà à Aix, une faculté de droit sera créée à Marseille. Quant à Paris, vous n'ignorez pas qu'à côté d'Orsay et de la faculté Saint-Bernard (la Halle aux vins), il est prévu une faculté des sciences à Villetaneuse et sans doute plus tard une faculté supplémentaire dans un autre secteur de la région parisienne. On parle beaucoup de Nanterre et peut-être même de Saclay. Pour le droit, une annexe de la faculté est en construction rue d'Assas à Paris et plusieurs collèges littéraires, scientifiques et juridiques ont été prévus par le plan.
« Les créations nouvelles ne se bornent pas aux anciennes villes universitaires. De nouvelles facultés des sciences ont été créées à Nantes, à Reims et à Nice par décret du 4 juillet 1959. Vous avez probablement appris par les journaux que trois nouvelles académies ont été fondées : celle de Nantes, d'Orléans et de Reims. 14 collèges scientifiques universitaires ont été créés par les décrets du 30 octobre 1958, 17 août 1959 et 2 août 1960 dans les villes suivantes : Amiens, Angers, Brest, Chambéry, Le Mans, Limoges, Metz, Mulhouse, Orléans, Pau, Perpignan, Rouen, Saint-Étienne et Tours; ils sont tous déjà en fonctionnement, sauf ceux du Mans et d'Orléans. La création de 6 collèges littéraires a été décidée le 2 novembre 1960 à Brest, Nantes, Nice, Pau, Rouen et Tours. Des collèges juridiques sont également envisagés. Enfin, il ne faut pas oublier les centres hospitaliers prévus par la réforme des études médicales.
« Le tableau ne serait pas complet, si je ne mentionnais pas ici les quatre instituts nationaux des sciences appliquées (I. N. S. A.) de Lille, Lyon, Rennes et Toulouse. Celui de Lyon, le premier créé, fonctionne déjà depuis plusieurs années.
Conséquences pour les bibliothèques universitaires.
« De cette situation que je viens d'esquisser, il résulte pour nous, d'une part, la nécessité de faire face à l'accroissement du nombre des étudiants, d'autre part, l'obligation de tenir compte des mesures prises par l'enseignement supérieur.
« I° Nous devons être en mesure d'accueillir dans nos salles une population qui a actuellement plus que doublé depuis 1949 et qui aura plus que quadruplé en 1969.
« Cela implique que nous augmentions la superficie des salles de lecture. Or, celles-ci sont déjà trop petites pour les effectifs actuels et nous ne pouvons décemment mettre nos espoirs dans la non-fréquentation des bibliothèques par les étudiants régulièrement inscrits; bien au contraire nous devons souhaiter que la totalité des étudiants les utilise.
« Il faut également songer à une augmentation des heures d'ouverture, voie dans laquelle vous vous êtes déjà engagés : l'objectif à atteindre est l'ouverture à « temps plein », soit six jours par semaine, de 9 heures à 2I heures sans interruption.
« Cela exige enfin que l'on ouvre-partout où il y a un rassemblement d'étudiants, c'est-à-dire à proximité des salles de cours, des restaurants et des cités universitaires - des salles vers lesquelles pourront être orientés les étudiants qui cherchent avant tout un local où séjourner dans l'intervalle des cours et une salle où ils puissent mettre au point et réviser leurs notes. Il suffira de les doter d'usuels.
« Nous devons également être en mesure de communiquer et de prêter en nombre suffisant des livres à des étudiants dont les ressources sont modestes et qui ne peuvent consacrer qu'une part très faible de leur budget à des achats de livres. Il faut bien reconnaître à cet égard que le nombre d'exemplaires de prêt dont vous disposez a toujours été insuffisant, même par rapport aux effectifs actuels. Il le sera davantage avec une démocratisation plus accentuée de l'enseignement.
« « Enfin, nous devons - cela va sans dire - satisfaire les demandes du corps enseignant de l'université, dont les effectifs croîtront proportionnellement au nombre des étudiants. Ce personnel a plus que doublé à Paris entre 1955 et 1960: 3.310 au lieu de 1.622. En province, il est passé de 3.397 à 5.047 au cours de la même période.
« Enfin à côté des maîtres, il y a les lecteurs autorisés dont le nombre a augmenté. Je pense qu'il est normal que les bibliothèques universitaires ouvrent plus largement leurs portes et ne se bornent pas à accueillir les membres de l'enseignement; c'est pour elles un devoir d'obéir aux tendances actuelles de l'évolution de l'université qui doit s'adapter aux besoins de la recherche comme de l'économie.
« 20 Il nous faut maintenant considérer l'incidence des mesures prises par la Direction de l'enseignement supérieur et que j'ai rappelées plus haut; certaines étaient connues de nous au stade de la prévision mais d'autres n'ont été portées à notre connaissance qu'au moment même où elles étaient décidées, malgré la liaison étroite qui existe entre les services du directeur général de l'Enseignement supérieur et nos services.
« La dispersion, dans une même ville, des bâtiments universitaires, nous a obligés à réviser la notion de « bibliothèque universitaire unique ». Cette unité n'était pas totale, vous le savez, puisque, à côté de la bibliothèque centrale, il y avait déjà des sections spécialisées, notamment des sections de médecine. Il n'en reste pas moins que nous avions jusqu'à ce jour manifesté plutôt notre réserve à l'égard d'une bibliothèque par faculté.
«Mais il convient de se placer en face de la réalité : la bibliothèque universitaire sera de moins en moins fréquentée par les étudiants si les cours ont lieu dans un bâtiment éloigné de la bibliothèque; il nous a donc fallu reconsidérer le problème et nous orienter vers la création d'une bibliothèque par faculté, toutes les fois que cela s'avérait nécessaire.
« Nous revenons ainsi sur les dispositions qui furent prises par arrêté du ministre secrétaire d'État au département de l'Instruction publique et des cultes le 18 mars 1855 et dont je rappellerai un court extrait de l'exposé des motifs et l'article premier :
« ... Considérant que former une seule bibliothèque des bibliothèques spéciales des facultés diverses, c'est à la fois associer les travaux des maîtres et faciliter les études des élèves, généraliser les ressources et introduire dans tout le service plus d'ordre et d'économie, arrête :
Article Ier. - A l'avenir, dans les académies dont le chef-lieu réunit plusieurs facultés, les bibliothèques spéciales de ces divers établissements forment une seule bibliothèque qui prend le nom de Bibliothèque de l'Académie ».
« Si l'arrêté précité et la circulaire du 20 mars 1855 avaient déjà prescritla création de bibliothèques de l'académie, ce fut la circulaire du 4 mai 1878 qui prescrivit d'étendre la création des bibliothèques académiques à toutes les villes où de nouvelles constructions permettent de disposer en faveur des facultés rassemblées dans un même édifice de salles plus vastes et mieux appropriées aux besoins. Le système des bibliothèques distinctes s'avère onéreux pour l'État, car il conduit à acquérir en double et triple exemplaire des ouvrages coûteux et à multiplier sans motif le personnel de bibliothèque. « Il présente en outre, ajoutait le texte, le grave inconvénient d'accuser une séparation inacceptable entre les établissements qui doivent avoir entre eux un même intérêt et un même esprit ». Voilà des textes qui sont vieux, qui sont chargés de sens et sur lesquels il y a lieu de réfléchir.
« Reconnaissons que certains des inconvénients présentés par des bibliothèques distinctes, tels qu'ils furent soulignés en 1878, demeurent. Il serait inexact de considérer la position que nous adoptons aujourd'hui comme un retour en arrière. Il n'est pas question de créer des bibliothèques de facultés administrativement autonomes, mais d'accroître le nombre des sections de la bibliothèque universitáire qui va continuer à former un seul organisme; il n'y a pas là contradiction profonde.
« J'ai mentionné les conséquences, directes ou indirectes, de l'accroissement des effectifs, mais d'autres facteurs doivent également être pris en considération dans une réorganisation des bibliothèques universitaires.
Réformes de l'enseignement supérieur.
« D'abord, les réformes déjà intervenues dans l'organisation des études, puis les tendances actuelles de l'évolution en ce domaine. Vous savez quelles sont les mesures qui ont été prises au cours de ces dernières années : vous ne pouvez pas les ignorer, elles sont publiques, il suffira d'en rappeler quelques-unes qui sont particulièrement significatives.
Sciences. - « On estime que le nombre des étudiants passera de 65.506 en 1959-1960 à 201. 201 en 1969-1970. Deux décrets, l'un du 20 juillet 1954 et l'autre du 8 janvier 1955, ont créé et organisé un troisième cycle d'enseignement destiné à initier les étudiants à la recherche scientifique et à leur donner des connaissances approfondies dans les spécialités dont la liste varie du reste avec les facultés.
« En outre, deux décrets en date du 8 août 1958 ont profondément modifié le régime des études et des examens en vue de la licence ès sciences. L'ancien régime avait été fixé par un décret de 1896 et la seule modification importante apportée à ce décret avait été la création d'une année de propédeutique en 1947. L'un des objectifs recherchés a été de raccourcir les programmes et de permettre à un étudiant moyen d'acquérir la licence ès sciences en trois années y compris l'année de propédeutique. Cinq certificats sont maintenant exigés; six en général pour les licences d'enseignement.
«Pour s'adapter au mouvement des spécialisations, l'éventail des licences d'enseignement et de doctorat a été largement ouvert. C'est ainsi qu'aux trois licences d'enseignement traditionnelles (mathématiques, sciences physiques, sciences naturelles) ont succédé huit types de licence : mathématiques, mathématiques appliquées, physique I, physique II, chimie, sciences biologiques, sciences de la terre, chimie physiologique. Les licences d'enseignement des mathématiques appliquées, de physique II (avec un certificat d'électronique ou d'électro-technique) et de chimie physiologique ont été créées principalement (mais non exclusivement) pour l'enseignement technique.
Lettres. - « Vous savez que les facultés des lettres ont pris, par décret du 23 juillet 1958, la dénomination de « facultés des lettres et sciences humaines ». On a voulu ainsi souligner l'importance prise chaque jour davantage par la sociologie, l'ethnologie, la démographie, la géographie humaine, l'étude historique des civilisations. Un décret en date du 9 avril 1947 a créé une licence de psychologie. Pour obtenir ce diplôme, les étudiants doivent non seulement acquérir les trois certificats de lettres : psychologie générale, psychologie sociale, pychologie de l'enfant et de l'adolescent, mais un certificat des sciences, celui de psychologie-physiologie. Le 2 avril 1958, la licence de sociologie voyait le jour. Le 25 juillet 1958, un diplôme d'expert géographe était créé. Enfin et surtout, un décret du 19 avril 1958 a institué un troisième cycle en vue d'offrir aux étudiants déjà pourvus de la licence ès lettres l'occasion de s'initier aux méthodes de recherche.
« 57.052 étudiants étaient inscrits en lettres en 1959-1960. 130.248 sont prévus pour 1969-1970.
Droit. - « La réforme de la licence en droit est intervenue le 27 mars 1954. Suivant l'exposé des motifs du décret, l'idée générale qui a guidé la réforme est : « que les facultés de droit doivent donner à leurs étudiants, d'une part une culture générale de caractère social, appuyé sur l'enseignement du droit et de l'économie politique, d'autre part une formation mieux orientée vers leurs professions futures ».
« Obéissant à la même inspiration, toute une série de mesures ont suivi: par décret du 28 juillet 1955 a été institué un certificat d'aptitude à l'administration des entreprises, des Instituts de préparation aux affaires ont été créés dans un certain nombre de villes universitaires s'efforçant d'accroître les relations entre l'université et les milieux d'affaires. Nous suivons là l'exemple qui a été donné depuis un demi-siècle par les États-Unis.
«Rappellerai-je encore le décret du 25 octobre 1957 créant un diplôme d'expert démographe, celui du 15 juin 1959 réformant les études de doctorat en droit en vue de faire de ce doctorat un diplôme d'initiation à la recherche, enfin le décret du 17 août 1959 instituant une licence ès sciences économiques.
«Par décret du 26 août 1957, les facultés de droit prenaient la dénomination de « facultés de droit et des sciences économiques ». Bien que les statistiques actuelles aient fait apparaître un léger fléchissement des effectifs, on prévoit que le nombre des étudiants de 32.473 en 1959-1960 atteindra 83.057 en 1969-1970.
« Voilà pour les sciences, les lettres et le droit; nous avons volontairement omis la médecine et la pharmacie. Cette énumération a pu vous paraître fastidieuse, mais il était nécessaire de rappeler que l'enseignement se transforme jour après jour et que nos bibliothèques doivent faire la preuve qu'elles sont des organismes vivants étroitement associés à l'enseignement et tenant compte de son évolution.
«Il ressort des quelques mesures que j'ai rappelées, que ces spécialités nouvelles se sont fait une place dans l'enseignement et qu'une interpénétration sans cesse croissante se manifeste entre l'enseignement des diverses facultés : l'enseignement des mathématiques par exemple ne figure-t-il pas aujourd'hui au programme des facultés de droit et des sciences économiques? Cela aurait pu être une raison de maintenir la bibliothèque universitaire unique, ce sera un motif supplémentaire pour que nous examinions attentivement le problème de la coordination des achats entre les diverses sections de la bibliothèque universitaire. La bibliothèque universitaire, en tenant compte de ses sections, n'est pas une juxtaposition de fonds spécialisés qui naîtraient et même mourraient au hasard des créations de chaires et des modifications de programme et se développeraient à la seule demande des professeurs; elle doit être un ensemble harmonieux et cohérent, certes adapté aux besoins des usagers et en particulier du spécialiste, mais qui demeure effectivement et avant tout un instrument de culture. M. Jean Bayet, qui fut, dans les années qui suivirent la Libération, directeur général de l'Enseignement, observait : « ... cette culture doit être un souci constant de l'enseignement supérieur en toutes ses disciplines, surtout depuis qu'au niveau de la licence des certificats spéciaux morcellent la préparation et alors que s'accroît sans cesse la technicité des thèses de doctorat, du troisième cycle ou d'État. La diffusion des études universitaires, ajoutait M. Jean Bayet, deviendrait un péril si elles contribuaient à déshumaniser les professions dites libérales. Et il n'y a grande découverte, en quelque ordre que ce soit, sans la maîtrise de rapports divers et multiples pressentis fort au-delà de l'horizon des réalisations techniques les plus ingénieuses ».
Évolution de la recherche.
« Il n'y a pas que les modifications intervenues dans l'organisation des études dont nous ayons à tenir compte. Nous avons aussi à prendre en considération l'évolution de la recherche et la place prise par la documentation et l'information.
« Vous vous rappelez sans doute qu'en 1955, lors des journées d'étude, nous avons déjà considéré les problèmes de la recherche scientifique du point de vue de la bibliothèque universitaire. Il est évident que la bibliothèque n'est pas au seul service des étudiants des Ier et 2e cycles et que si elle doit fournir aux professeurs les ouvrages et les périodiques dont ils ont besoin pour la préparation de leurs cours, elle doit également contribuer au développement de la recherche au sein de l'université. L'enseignement supérieur est lié étroitement à la recherche; il serait paradoxal que la bibliothèque universitaire, en province comme à Paris, se situât en dehors des réseaux de la documentation et de l'information.
« Le professeur et le chercheur se sont quelquefois détournés en partie de la bibliothèque universitaire, peut-être parce que le classement des livres par ordre d'entrée n'y facilitait pas l'accès direct aux documents et de nombreuses bibliothèques d'importances très diverses ont vu le jour auprès des instituts et des laboratoires. Si ces bibliothèques se sont développées sans plan préconçu et si, par voie de conséquence, les bibliothèques d'instituts et de laboratoires ont poussé d'une manière quelque peu anarchique, il faut bien admettre que les conditions dans lesquelles un professeur ou un chercheur utilise aujourd'hui et surtout entend utiliser les livres et les documents ne sont plus les mêmes qu'il y a vingt ans.
« Le chercheur en 196I renonce volontiers à établir lui-même la bibliographie des travaux qu'il entreprend. Il est tout disposé à la recevoir d'un organisme de documentation ou à faire travailler pour lui un documentaliste en attendant qu'une machine réponde à ses questions et lui fournisse des informations. On parle en effet de plus en plus aujourd'hui d'information, ce qui sous-entend que c'est à la substance même des documents que les chercheurs veulent avoir accès directement.
« Voici ce qu'écrivait en 1960 Gaston Berger peu avant sa mort : « Sans doute toute recherche exige-t-elle beaucoup d'actes relativement simples qui sont des besognes semi-mécaniques plus que du travail d'invention : vérifications, essais en série, recherches bibliographiques, etc... » Il ajoutait : « Il n'est pas normal qu'un professeur ne soit pas aidé dans son courrier, qu'il doive faire lui-même dans les bibliothèques les vérifications ou les dépouillements indispensables, qu'il ne dispose pas d'un secrétaire ou d'un intendant pour gérer un laboratoire aussi complexe qu'une petite usine ». Je ne prends pas à mon compte ces paroles, je vous les indique, mais aujourd'hui dans les commissions du C. N. R. S., des demandes de cette nature sont formulées par des maîtres d'enseignement. C'est une tendance qui devient de plus en plus générale, et si l'on a accordé à un certain nombre de maîtres d'enseignement des collaborateurs, c'est qu'on a estimé qu'ils n'ont plus la possibilité de faire eux-mêmes ces recherches.
« Je ne crois pas que les recherches bibliographiques soient aussi simples et aient le caractère semi-mécanique que leur assignait Gaston Berger. Cette déclaration, émanant d'un philosophe qui fut directeur de l'Enseignement supérieur, n'en est pas moins très significative.
« Il n'est pas contestable que les chercheurs aiment avoir les livres et périodiques qu'ils utilisent couramment à la portée de la main. Mais si l'existence de certaines bibliothèques de laboratoires s'explique entièrement, certaines bibliothèques d'instituts ont pris un développement qui se justifie moins. La coopération qui devrait exister entre elles et la bibliothèque universitaire est rarement assurée, et on regrette trop souvent l'absence même de simples liaisons : il semble que la Direction actuelle de l'enseignement supérieur veuille mettre de l'ordre à cette situation. Mais il serait dangereux d'ignorer les motifs qui ont poussé à la création de ces bibliothèques et de ne pas en tenir le plus grand compte.
« Au moment où pour les raisons que j'ai indiquées plus haut nous étions contraints d'envisager un vaste programme d'extension et de construction et par conséquent d'engager l'avenir des bibliothèques universitaires, tout au moins d'un assez grand nombre d'entre elles, il était de notre devoir de nous interroger et d'examiner si la structure même de ces bibliothèques, qui avait été fixée en 1878, convenait au travail de la recherche pour les années futures.
Réforme de structure des bibliothèques universitaires.
« Nos réflexions nous ont amenés à envisager la création de bibliothèques de sections à « secteurs spécialisés » qui conviendraient principalement aux étudiants à la fin du 2e cycle et du 3e cycle et bien entendu aux professeurs et aux chercheurs (des salles de lecture traditionnelles équipées d'usuels étant maintenues pour la masse des étudiants du Ier et même du 2e cycle). L'idée n'était pas nouvelle, elle a été mise en pratique à l'étranger. Si elle n'a pas été adoptée plus tôt en France, c'est d'abord parce que les locaux de nos bibliothèques ne s'y prêtaient pas, mais aussi parce que son adoption implique notamment le choix d'une classification pour le classement des livres mis en accès libre, le retour à un catalogue systématique, la présence d'un personnel scientifique plus nombreux, de préférence spécialisé. Nous avons passé outre à ces difficultés. La section à « départements spécialisés » a été adoptée pour les sections sciences des bibliothèques universitaires. Vous vous souvenez que ces problèmes ont été débattus aux journées d'étude de janvier et ont donné lieu à une circulaire du 7 juillet 196I. Ils se posent aussi pour les lettres et pour le droit, et nous aurons un débat demain matin sur cette délicate question.
« Si nous nous sommes avancés dans cette voie, c'est parce que nous avons l'espoir de disposer de moyens accrus au cours des années à venir, non seulement - cela va sans dire - en ce qui concerne les bâtiments, mais également en ce qui concerne le personnel et les crédits de fonctionnement. Avant de vous dire quels sont ces espoirs et avant de vous parler du quatrième plan d'équipement, je voudrais très brièvement jeter un coup d'œil en arrière et mesurer avec vous le chemin parcouru.
Bâtiments. - « Parmi les problèmes qui se sont posés à la Direction des bibliothèques très peu d'années après sa création, celui de l'extension des locaux a pris très vite une acuité et une urgence particulières. Rien ou presque n'avait été fait, on le sait, dans les bibliothèques universitaires depuis trente ans; l'exception de la Bibliothèque de la Faculté de médecine de Lyon était due à l'intérêt particulier qu'y portait le Doyen Lépine, celle des Bibliothèques universitaires de Nancy à l'esprit d'entreprise des Lorrains. Toutes les autres se trouvaient enserrées dans des bâtiments à usages multiples ou avaient été conçues sur des bases telles qu'elles ne pouvaient plus accueillir tous les étudiants inscrits dans les facultés, ni abriter des collections de livres et de périodiques chaque année en voie d'accroissement. La Bibliothèque universitaire de Caen avait été entièrement détruite, celle de Strasbourg et les collections de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine à Vincennes gravement sinistrées, d'autres avaient été endommagées comme celles des facultés de médecine et de sciences à Marseille, presque toutes étaient restées sans chauffage et sans entretien durant plus de quatre ans. Imprévoyance ou absence de prévisions à l'origine de l'installation de nos bibliothèques universitaires, recherche d'expédients pour continuer à vivre sans effectuer de travaux d'extension ou de construction, retard de plus en plus grand à combler, accentué par la seconde guerre mondiale, mauvais état des locaux, dégâts causés par la guerre : telle était la situation en présence de laquelle nous nous trouvions il y a une quinzaine d'années - et je ne veux incriminer personne - autrement dit, au moment où cette direction a été créée et où la charge des bibliothèques universitaires lui a été confiée.
«Il serait trop long de rappeler ici toutes les démarches qui furent faites et aussi toutes les difficultés rencontrées, quelle ne fut pas notre déception non plus de ne voir retenues nos propositions ni en 1947, lors du premier plan quinquennal, dit plan Monnet, ni en 1952 dans le second plan quinquennal. Dans le troisième plan lui-même - celui des années 1957-196I - nos demandes ne furent prises en considération que partiellement et très tardivement, puisque les bibliothèques universitaires ne se virent octroyer des crédits spéciaux que pour les deux dernières années de ce plan, au titre de ce qu'on a appelé la loi-programme 1960-196I.
« Finalement, lorsque nous faisons un retour en arrière et que nous reprenons les chiffres accordés en définitive pour les travaux de construction et d'aménagement des bibliothèques universitaires depuis 1949 (année de la première ouverture de crédits au budget d'équipement), nous constatons que, jusqu'en 1956, il n'a pas été possible d'engager plus de deux ou trois opérations vraiment importantes, les sommes accordées annuellement ayant presque toutes été inférieures à 150 millions d'anciens francs, sauf en 1950 et 1955 où furent accordés 350 et 900 millions. Ces trois opérations furent celles de Marseille, de Rennes et de Grenoble. De 1957 à 1959, avec des dotations budgétaires qui ont oscillé entre 300 et 460 millions, nous n'avons pu engager que deux constructions nouvelles, celles de Dijon et de Poitiers dont le gros-oeuvre est, à l'heure actuelle, très avancé.
«A ces crédits, soit environ 3 milliards 200 millions d'anciens francs, débloqués pour des bibliothèques universitaires entre 1949 et 1959 (ce qui donne une moyenne de 300 millions par an pour nos 16 universités métropolitaines), sont venus s'ajouter fort heureusement des crédits provenant, d'une part, de la Direction de l'enseignement supérieur, soit 1 milliard 300 millions environ, d'autre part, de la Direction de l'architecture pour un total un peu inférieur à un milliard d'anciens francs, ce qui porte tout de même le montant des crédits d'équipement accordés de 1949 à 1959 inclus à 5 milliards et demi. Sur les crédits de l'Enseignement supérieur ont été imputés l'essentiel des travaux de gros-œuvre des bibliothèques universitaires de Caen, d'Aix, et de la Faculté de droit de Paris. Sur les crédits de la Direction de l'architecture qui ne pouvaient concerner que des bâtiments civils, des travaux considérables ont pu être entrepris et menés à bien dans trois établissements que vous connaissez tous : la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, la Bibliothèque Sainte-Geneviève et la Bibliothèque de la Faculté de pharmacie de Paris, sans parler des travaux exécutés à Montpellier à la Faculté de médecine et à Toulouse, à la Section Droit et Lettres.
« En définitive, ces 5 milliards et demi d'anciens francs consacrés aux bibliothèques universitaires entre 1949 et 1959 ont permis soit d'édifier des bâtiments entièrement nouveaux comme ceux d'Aix, de Marseille, de Caen, de Lille (Cité hospitalière), de Grenoble, de Dijon, de Poitiers, de la Faculté de droit de Paris, soit d'accomplir des extensions qui ont modifié totalement la configuration ancienne des locaux, je parle ici des bibliothèques de Besançon, de Rennes, de Strasbourg, de Clermont-Ferrand et à Paris, de Sainte-Geneviève et des bibliothèques des facultés de pharmacie et de médecine, soit enfin d'améliorer des installations vétustes, incommodes, d'agrandir des magasins.
« Depuis 1960, je l'ai rappelé, la Direction des bibliothèques de France a pu bénéficier de crédits plus importants au titre de la loi-programme 1960-196I, à savoir 2 milliards d'anciens francs. Si l'on ajoute à ces 2 milliards les crédits inscrits au budget d'équipement normal, soit environ 780 millions d'anciens francs, dont 100 pour la Bibliothèque Sainte-Geneviève, c'est près de 3 milliards qui ont été accordés en deux ans contre 5 milliards et demi en onze ans (y compris 1 milliard 300 millions d'anciens francs provenant de l'Enseignement supérieur).
« Grâce à ces 3 milliards, la construction de 9 bibliothèques universitaires d'importances diverses doit être menée à bien dans les deux ans qui viennent, celle d'Orsay pourra déjà entrer en service à Pâques 1962, celles de Toulouse, de Bordeaux, de Rouen, de Nice, de Brest, de Pau et de Tours, en 1963, celle de Lyon en 1964. Je crois pouvoir dire, en définitive, qu'il n'est pas une seule de nos bibliothèques universitaires qui n'ait bénéficié depuis 1949 de crédits pour travaux.
Fonctionnement. - « Le problème des locaux, pour être capital, n'est pas le seul problème. Il faut aussi des crédits pour le fonctionnement des services et il n'est pas douteux que certaines dépenses de fonctionnement sont beaucoup plus onéreuses dans un bâtiment moderne que dans un bâtiment ancien, je pense en particulier aux dépenses de chauffage. Je n'ignore pas, d'autre part, que le prix des livres et des périodiques n'a cessé d'augmenter depuis 1945 et qu'il vous fallait dans le même temps acheter plus d'exemplaires de certains livres destinés aux étudiants; qu'il vous fallait acheter plus de livres et principalement plus de périodiques parce que le nombre de ces publications nécessaires à la recherche devenait chaque jour plus nombreux. Je n'en tiens pas moins à souligner les chiffres suivants : les subventions de fonctionnement que nous donnons aux bibliothèques universitaires sont passées de 15.598.000 anciens francs en 1945 à 6.667.500 NF en 196I. Autrement dit, l'augmentation entre 1945 et 196I est de 6.5II.520 NF soit plus de 4.000 %. Les statistiques montrent que l'accroissement des crédits dont ont bénéficié les bibliothèques universitaires pour la période 1955-1960 s'est traduit surtout par l'augmentation des achats de périodiques. A Paris, elle est de 2I %, en province, de 49 %; elle est plus sensible en ce qui concerne les périodiques étrangers. Il n'en est pas moins certain que le nombre de titres de périodiques reçus par une bibliothèque universitaire de province ne dépasse 2.000 qu'à Aix-Marseille (2.376) et à Montpellier (2.017). Ces chiffres sont vraiment dérisoires par rapport au nombre de périodiques qui paraissent dans le monde et qui sont demandés par ceux qui s'appliquent à la recherche. L'accès à la documentation contenue dans les périodiques ne peut être assurée par le seul Centre national de la recherche scientifique. C'est là un problème que nous aurons à examiner.
« Nous avons dû, au cours des exercices précédents, prévoir sur les crédits de subvention de fonctionnement certains crédits d'équipement pour des sections ou pour des bibliothèques nouvelles, ainsi pour Clermont-Ferrand (Droit et Médecine), Nantes (Médecine), Poitiers (Sciences), Rennes (Médecine et Sciences), Orsay, Reims (Sciences) et enfin pour les collèges scientifiques. Je vous dirai tout à l'heure quelles mesures sont envisagées au budget de 1962.
« En ce qui concerne le personnel, les effectifs qui étaient de 200 ont atteint en 1960 le chiffre de 748. Si les effectifs dont vous disposez restent encore peut-être inférieurs à vos besoins - et j'en suis absolument convaincu pour ma part - je vous prie de considérer que parmi les bibliothèques, vos établissements ont été prioritaires. Les augmentations de personnel pour les trois années 1959, 1960 et 196I s'élèvent à 123 : 19 pour le personnel scientifique, 47 pour le personnel technique, 19 pour le personnel administratif, 4I pour le personnel de service.
« Je sais vos difficultés et je connais aussi votre conscience professionnelle mais je voudrais que vous vous penchiez comme moi sur le « rendement » de vos bibliothèques. De même que l'on s'est interrogé sur le rendement des facultés des sciences en 1957-1958 et que l'on a constaté que si elles comptaient 54.000 étudiants inscrits, elles n'avaient délivré pour l'ensemble de la France que I.395 licences d'enseignement, I.057 licences ès lettres et 238 diplômes d'État de doctorat, ce qui a été considéré comme insuffisant, de même nous devons nous interroger sur l'utilisation de nos bibliothèques. Que faut-il penser des livres communiqués et prêtés auxquels, je le sais, il faudrait ajouter les usuels consultés, mais dont la consultation ne peut être comptabilisée ? Je voudrais que l'on m'explique pourquoi le total des communications et des prêts rapproché de celui des étudiants inscrits ne représente que 7 livres par étudiant à la Sorbonne, II livres au Droit et à la Médecine, mais par contre 80 livres à la Pharmacie. Comment expliquer le chiffre de 218.589 volumes communiqués à la Pharmacie pour 9I.45I entrées, alors qu'il n'est que de 270.083 à la Sorbonne pour 418.340 entrées. Ce sont des chiffres que nous révèlent les statistiques et sur lesquels je voudrais que vous méditiez.
« Il est regrettable que pour l'ensemble des bibliothèques de province 37 % seulement des étudiants inscrits fréquentent la bibliothèque. Cette proportion est d'ailleurs la même en 1959-1960 qu'en 1954-1955. A Aix-Marseille, le nombre annuel des livres prêtés à un étudiant s'élève à 16,5 et à 16 à Besançon pour tomber à II en ce qui concerne Rennes et en-dessous de 10 dans d'autres universités, 3,3 à Bordeaux, ce qui est un chiffre bien faible.
« Je n'attache pas plus d'importance qu'il ne faut aux statistiques, mais elles nous permettent tout de même de réfléchir en commun. En tous les cas il y a là un certain nombre d'indications que nous avons le devoir d'examiner.
« Cette réforme de structure prévue pour les sciences, nous voulons l'étendre aux sections lettres et droit. Dès maintenant, je crois pouvoir vous dire qu'une bibliothèque à secteurs spécialisés est prévue à Nancy sur des crédits inscrits au budget de 1962; si, d'autre part, une grande partie de nos propositions formulées au titre du plan quadriennal 1962-1965 est retenue, comme j'ai tout lieu de l'espérer, en 1963, 1964 et 1965, des bibliothèques du même type seront à envisager pour les facultés de lettres d'Aix, de Bordeaux, de Lyon, de Montpellier, de Rennes et de Toulouse. D'autres collèges scientifiques universitaires doivent également s'ouvrir et dans ceux-ci, comme dans les nouveaux collèges littéraires, des bibliothèques doivent être créées.
« Tout cela suppose que dans un délai relativement court de nouvelles méthodes de travail soient adoptées. Sur le plan des travaux proprement dits, nous nous efforcerons de mettre au point des schémas ou même des plans-types qui facilitent le travail des architectes comme de vous-mêmes. Il nous est demandé, en effet, de construire vite et sans sortir de certains plafonds de prix qui ont été précisés, vous le savez, dans la circulaire concernant la préparation du plan quadriennal 1962-1965. Trois milliards 300 millions d'anciens francs ont été accordés pour les bibliothèques universitaires au budget de l'équipement 1962. Il est vraisemblable que des sommes supérieures le seront en 1963, 1964 et 1965 si les chiffres retenus à l'échelon gouvernemental en ce qui concerne ce quatrième plan sont finalement maintenus. Vous le voyez : la situation s'annonce dans son ensemble d'une manière favorable.
« Mais il serait inconcevable de vouloir ouvrir des bibliothèques nouvelles sans leur assurer un équipement en livres et en périodiques provenant de crédits spéciaux. C'est ce qui a été admis aussi bien par le Ministère de l'Éducation nationale que par le Ministère des Finances. Dès 1962, une partie importante de nos crédits d'équipement pourra être consacrée à de telles acquisitions. Les nouvelles bibliothèques scientifiques seront par priorité les premières bénéficiaires de ces crédits, mais dès que la chose sera possible, nous nous efforcerons d'en faire profiter toutes les bibliothèques universitaires quelles qu'elles soient : en effet, l'effort exceptionnel qui va être demandé dans les prochaines années aux bibliothèques universitaires ne peut être assuré sur les seuls crédits de fonctionnement, malgré l'augmentation des subventions de fonctionnement qui seront de 7.785.500 NF en 1962, soit I.120.000 NF d'augmentation par rapport à 196I.
Personnel. - « A cet accroissement des crédits correspond un nouvel accroissement du personnel qu'il ne m'est pas toutefois possible de chiffrer aujourd'hui, mais vous apprendrez avec intérêt qu'au cours des travaux du IVe plan, nous avons fixé comme objectif à atteindre les effectifs suivants : 70 personnes par bibliothèque de type traditionnel; 84 par bibliothèque du type à sections spécialisées ; mais la répartition n'est pas la même puisque le personnel scientifique, 6 personnes dans le type traditionnel, passerait à 26 dans le nouveau type; de même le personnel technique passerait de 8 à 21 cependant que le personnel de service décroîtrait de 36 à 24.
« Une de nos préoccupations est le recrutement du personnel scientifique, et notamment des bibliothécaires spécialisés; or, nous recrutons peu de bibliothécaires parmi les étudiants qui fréquentent les facultés des sciences. On a tenté une expérience très limitée cette année en instituant une option du Diplôme supérieur de bibliothécaire orientée davantage vers les bibliothèques scientifiques ; elle est préparée régionalement à la Bibliothèque universitaire de Lyon. Mais c'est à la réforme complète de notre enseignement du Diplôme supérieur de bibliothécaire et du Certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaire (ce dernier comprenant une option « bibliothèques d'institut et de laboratoire ») que nous allons nous employer sans délai. Il faudra certainement aller plus loin et modifier les règles mêmes de recrutement. Je souhaite, étant donné la plus grande diversité de tâches qui incomberont dans l'avenir aux bibliothécaires, disposer d'un personnel mieux adapté à cette diversité. L'organisation actuelle était la seule que l'on pouvait concevoir quand elle a été mise en place; il apparaît nettement aujourd'hui qu'elle doit être modifiée.
« C'est une tâche énorme mais passionnante qui nous attend tous, à l'échelon central comme dans vos bibliothèques : nous devons penser en commun à tout ce qui pourra accroître l'efficacité de notre travail. De même que naguère par l'adoption de la fiche internationale, par la rationalisation de l'établissement des catalogues de thèses, par la création de catalogues collectifs, nous devons chercher ce qui peut mieux coordonner l'action des bibliothèques.
« J'ai pensé en premier lieu à la création d'un organisme d'information bibliographique qui se mettrait d'abord au service des sections « sciences ». Je ne m'étendrai pas sur cette question puisqu'elle sera abordée cet après-midi. Mais je vous demande dès maintenant de considérer que ce service est prévu pour vous aider et qu'il ne doit nullement avoir pour effet de déposséder les bibliothèques d'une fonction - je veux dire les acquisitions - que je considère comme capitale et dont j'aimerais voir les chefs d'établissements ou de sections partager la responsabilité avec leurs collègues.
« Il y a certainement beaucoup d'autres mesures à envisager, et nous en avons fait état dans le IVe plan, par exemple l'accès plus facile à la grande masse des périodiques. D'une manière générale, nous devons nous préoccuper de tout ce qui pourra renforcer le rôle des bibliothèques universitaires dans l'organisation de la documentation.
« Je voudrais terminer par un vœu cet exposé relativement long dont je m'excuse. Ce vœu est celui-ci : lorsque les hommes de sciences s'entretiennent de documentation et d'information, ils ont - et c'est un tort - trop souvent tendance à négliger le rôle des bibliothèques et des bibliothécaires. Mais les bibliothécaires prêtent-ils suffisamment attention aux problèmes actuels de la documentation et de l'information? Je n'en suis pas assuré. Combien parmi vous s'intéressent aux problèmes de classification et aux problèmes de sélection? Il ne suffit pas que quelques bibliothécaires y soient attentifs.
« Demain matin, nous commencerons la discussion sur les bibliothèques scientifiques à sections spécialisées, mais j'ai abordé ce matin un certain nombre de questions d'ordre général, et je pense que plusieurs d'entre vous souhaiteront prendre la parole. Je vais la leur donner, mais je voudrais vous rappeler que si j'ai profondément conscience de vos difficultés journalières, c'est cependant moins vos doléances sur les problèmes de personnel ou de crédits - qui sont des doléances justifiées - que je souhaiterais entendre ce matin, que des propositions constructives sur l'avenir des bibliothèques universitaires. »
Après deux brèves interventions de MM. Calmette et Thomas relatives au nombre des étudiants de propédeutique qui abandonnent l'enseignement supérieur (environ 60 %), M. Cain donne la parole à M. Lelièvre.
« Nous souhaitions une participation plus large et plus active de l'auditoire. J'espère que ce silence un peu lourd n'est que momentané, car pour réussir la profonde réforme que nous entreprenons, il nous faut l'adhésion de tous. Les nombreuses conversations que j'ai eues, que nous avons eues à ce sujet avec plusieurs d'entre vous me permettent d'être optimiste. Mais pour réussir il faut fixer des étapes et définir des méthodes.
« Les bibliothèques universitaires ont un rôle pédagogique et ce rôle est très important : apprendre aux étudiants à utiliser les livres et à faire leur propre documentation. Elles ont aussi un rôle d'information et de documentation pour la recherche scientifique, cette recherche étroitement liée à l'enseignement, au niveau tout au moins du 3e cycle. Si ces deux objectifs sont difficiles à concilier, c'est parce que le travailleur qui veut se procurer une documentation étendue et qui veut l'exploiter sur place a besoin de calme et d'un certain recueillement, et que ce calme et ce recueillement ne peuvent se concevoir dans des salles de travail de 350 ou 400 places. Lorsque, voici quelques années, les étudiants d'une discipline déterminée se comptaient par dizaines, la coexistence pacifique entre étudiants, chercheurs, professeurs n'était pas très difficile à maintenir; les professeurs pouvaient se contenter d'une petite salle de travail et s'accommoder d'aller fureter sur les rayons où il n'était pas très gênant de les admettre. Le corps professoral était alors peu nombreux. Aujourd'hui le nombre des chaires nouvelles, celui des étudiants, nous obligent à chercher des structures nouvelles, à la fois pour donner aux chercheurs les conditions satisfaisantes de travail et permettre aux étudiants de s'initier à la recherche personnelle et les familiariser avec les instruments de travail fondamentaux.
« Ces structures sont de trois sortes ou, si vous préférez, ont trois formes : administrative, fonctionnelle et architecturale.
« Considérons le problème des structures administratives : il n'est pas question de revenir aux bibliothèques de facultés. Mais si l'unité de la bibliothèque universitaire doit être maintenue, dans la pratique la dispersion des sections dont le sort est lié à celui des facultés nouvelles posera de nombreux problèmes. L'éloignement, l'éclatement de la bibliothèque universitaire centrale vont entraîner des frais de gestion beaucoup plus lourds et rendre malaisée une coopération cependant nécessaire. L'administration de la bibliothèque universitaire sera certainement beaucoup plus difficile et complexe. Ne craignons pas d'aborder un problème délicat, celui des relations de la section avec le doyen de la faculté et les directeurs des grands instituts. Il n'est pas question bien entendu de contester l'autorité du doyen sur le campus de sa faculté; mais il n'est pas question non plus de placer la bibliothèque sous la coupe administrative du secrétaire de la faculté. Je ne fais pas une critique; je constate un fait, un fait qui se traduit par ceci que, à Rennes par exemple, où on a une bibliothèque universitaire qui est actuellement située à peu près au centre géométrique de l'agglomération, la faculté des sciences nouvelles va être éloignée de 5 ou 6 km ; la faculté des lettres, dans la banlieue ouest, sera aussi à 5 ou 6 km du centre, vous voyez que les distances qui vont séparer ces deux facultés interdisent la mise en commun des collections et rendent difficile une coopération active. Chaque doyen, dans sa faculté, a des responsabilités administratives; il a tendance à considérer qu'il est responsable de la bibliothèque de section, au même titre que des amphithéâtres, des laboratoires et des instituts. Or, l'administration des bibliothèques universitaires reste une, et par conséquent le chef de la bibliothèque universitaire a autorité sur l'ensemble.
« Autre problème de structure : la composition et le rôle de la commission de la bibliothèque universitaire qui est et doit demeurer sous la présidence du recteur. Elle doit définir une politique générale d'acquisitions et étudier les problèmes qui concernent l'ensemble des services de la bibliothèque universitaire. Je pense que la logique voudrait que des sous-commissions fussent créées pour chacune des « sections ».
« Venons-en aux structures fonctionnelles. Avec 10.000 étudiants - et ce chiffre sera paraît-il dépassé dans certaines facultés - il est bien évident que l'on est obligé d'introduire une hiérarchie. La masse, le nombre, sont constitués par les étudiants de propédeutique, puis par les étudiants du second cycle, accueillis dans des salles largement pourvues d'usuels. Ils disposeront également d'usuels « du second rang » qui permettent une communication extrêmement rapide des ouvrages qu'ils ont à consulter d'après les indications données par leurs professeurs, ou dans les limites d'une initiation bibliographique encore élémentaire.
« La gaucherie des étudiants, leur maladresse dans l'utilisation des catalogues incitent à leur faciliter le libre accès. On pourrait caresser l'idée d'admettre les jeunes bacheliers, candidats à la propédeutique, dans une grande bibliothèque spécialisée où ils auraient à leur disposition la totalité des ressources de la bibliothèque, et où ils prendraient conscience de l'importance de la littérature scientifique des disciplines dont ils abordent l'étude. En fait, si on tentait cette expérience, elle serait immédiatement condamnée parce que, si mille étudiants d'histoire étaient admis ensemble à chercher sur les rayons d'une bibliothèque de 40.000 volumes, le résultat serait simplement le désordre. Devant la montée des effectifs, la solution s'impose, sans conteste, de prévoir une hiérarchie du premier au troisième cycle.
« Pourquoi séparer le premier cycle du second ? Actuellement, dans les conditions présentes de la pédagogie et du recrutement, le déchet à la fin de l'année propédeutique est, vous le savez, considérable. Il est de l'ordre de 60 à 70 %. Il est donc bien inutile d'essayer de faire l'initiation bibliographique de 70 % d'étudiants qui ont commis l'erreur de tenter des études supérieures et qu'il faut orienter vers d'autres voies.
« Ce filtrage que l'Enseignement supérieur a jugé nécessaire et qu'il a organisé, nous devons l'opérer pour notre part et prévoir des salles de travail pour les seuls propédeutes. La question du second cycle est plus complexe car cet enseignement comprend des certificats très traditionnels qui aboutissent à des licences bien cataloguées, bien définies, où les problèmes pédagogiques se posent certes dans des termes différents de ceux que nous avons tout à l'heure indiqués à propos de la propédeutique, mais ne supposent pas encore une spécialisation extrêmement poussée. Mais, là aussi, le problème du nombre est fort difficile à régler, car au niveau du deuxième cycle il existe des certificats extrêmement spécialisés dont la préparation suppose l'usage d'un matériel déjà savant. Par contre, pour les certificats conduisant à la licence d'enseignement, les effectifs sont tels que l'admission des étudiants à des salles spécialisées est difficilement concevable.
« C'est au niveau du troisième cycle que se pose le véritable problème, car pour la propédeutique et le second cycle, sauf la réserve que je viens de faire, demeurent valables les méthodes traditionnelles. Le troisième cycle c'est, dans une certaine mesure, la préparation aux concours d'agrégation; c'est naturellement tous les diplômes d'études supérieures et les thèses de troisième cycle et, cela va sans dire, les thèses de doctorat. C'est là où la bibliothèque à secteurs spécialisés s'impose et c'est là où il faut lui trouver sa forme. La difficulté est que l'évolution des sciences, l'évolution de la recherche sont tellement rapides que si nous entreprenions aujourd'hui de fixer, dans un cadre rigide, les divisions de nos sections spécialisées, ce cadre serait déjà périmé ou risquerait d'être partiellement périmé au moment où la bibliothèque ouvrirait ses portes au public. Comme il n'est pas possible de prévoir autant de salles spécialisées que de disciplines enseignées, il faut donc grouper par affinités les collections intéressant des disciplines voisines ou complémentaires, mais ces groupements doivent être souples. Il correspondent à une orientation de la recherche, à des conceptions pédagogiques, à des vocations qui évoluent. Il faut donc réserver la possibilité de les réviser un jour.
« Venons-en maintenant à l'architecture. Il n'y a rien de si clair que le plan d'une bibliothèque de type traditionnel. Prenez la Bibliothèque nationale dont on a souvent publié les plans. On voit de manière évidente des salles de vastes dimensions qui sont manifestement réservées au public; des magasins dont la disposition, le plan et la coupe traduisent la fonction pour le plus ignorant en matière de bibliothéconomie et d'architecture : on voit tout de suite qu'ils servent à ranger des livres; et puis il y a des services qu'il est plus difficile peut-être de bien définir, mais dont on devine assez bien que ce sont des services intérieurs. Autrement dit, il est clair qu'il y a d'un côté un public et de l'autre des livres; enfin des services dont on peut sommairement qualifier le rôle d'intermédiaire entre les livres et le public.
« Si je pouvais en ce moment placer sous vos yeux des plans de bibliothèques nouvelles, vous auriez l'impression que le squelette en est vraiment réduit à l'essentiel. C'est précisément parce que nous sommes obligés de maintenir à ces bâtiments une grande souplesse d'adaptation que nous avons demandé aux architectes chargés des études préparatoires de prévoir des surfaces et des volumes faciles à cloisonner, mais par des cloisons mobiles, et, si possible, par des rayonnages de bois, isolant phonique en même temps que meubles fonctionnels. Les divisions que nous envisageons aujourd'hui seront dans dix ans - et peut-être avant - modifiées. Si, actuellement, la section Astronomie et Mathématiques peut se contenter de 150 m2, peut-être en faudra-t-il 200 en 1970, peut-être au contraire sera-t-elle réduite. Nous n'en pouvons rien dire et les spécialistes eux-mêmes sont incapables de prévoir l'importance relative de leurs propres disciplines.
« Je crois qu'il s'agit d'abord et essentiellement d'un problème de groupements, je veux dire que l'on peut parfaitement concevoir qu'à partir d'un cadre de classement systématique uniforme pour toutes les collections, des groupements soient constitués au gré des circonstances, au gré de l'orientation donnée à la recherche. Si par exemple on adopte pour l'ensemble des collections de la bibliothèque universitaire la CDU qui, vous le savez, est déjà adoptée pour les nouvelles sections scientifiques, ce sera forcément un cadre relativement rigide en dépit des adaptations et des modifications que la CDU peut elle-même subir. Mais ce qui restera souple, c'est la possibilité de rapprocher deux divisions dans la même salle ou, au contraire, de subdiviser une section. Bref, ce qui importe essentiellement pour la commodité du travailleur, c'est beaucoup moins la classification que nous adopterons que les groupements que nous créerons dans les salles à secteurs spécialisés où le libre accès est non pas « toléré » mais organisé.
« Les problèmes se posent en termes différents selon les disciplines. Si l'on pouvait se dire qu'il y a un schéma convenant à l'ensemble des disciplines scientifiques couvertes par l'étiquette « faculté des sciences », et un schéma correspondant aux « facultés des lettres et sciences humaines », ce serait bien commode. Vous savez que c'est beaucoup moins simple. En effet, si pour certaines disciplines scientifiques, l'évolution très rapide de la recherche et la nécessité d'une information également très rapide incitent à porter tout l'effort de documentation sur les périodiques en cours et à mettre au second rang les gros ouvrages, ce n'est pas vrai pour toutes les sciences; Mme Duprat le sait mieux que personne, qui dirige la Bibliothèque du Museum où les fonds anciens gardent une certaine actualité.
« En ce qui concerne les Lettres et les Sciences humaines, il est évident pour tout le monde que l'ensemble du patrimoine littéraire constitue le matériel de base de toute recherche et que par conséquent, là, le domaine ne se limite pas aux publications périodiques et aux ouvrages récents. Par conséquent, nous devons chercher des formules qui soient assez souples pour s'adapter aux besoins particuliers de certains groupements de disciplines, aux méthodes de travail de certaines équipes, et concevoir nos bâtiments dans la perspective d'adaptations successives ou de reconversions pour suivre l'évolution de la recherche comme celle de la pédagogie supérieure.
« Le recrutement et la formation du personnel posent d'autres problèmes, étant donné que la compétence bibliographique devra se doubler demain d'une compétence scientifique. Pendant longtemps, nous avons formé des bibliothécaires polyvalents et nous voulions qu'ils le fussent et ils devaient l'être. Et voilà que du fait de cette orientation nouvelle, il faudra que dans les sections spécialisées, des bibliographes qualifiés dans une discipline déterminée travaillent en équipe avec un personnel technique également qualifié.
« La difficulté et la diversité de ces tâches, l'insuffisance numérique du personnel, la relative modicité des crédits dont nous disposerons même s'ils vous paraissent considérables - et vous avez entendu M. le Directeur général vous rappeler des chiffres qui montrent quelle courbe ascendante, et rapidement ascendante, a été parcourue depuis dix ans - tout cela nous incite à prévoir des étapes. Le problème des constructions sera réglé dans les limites du plan d'équipement et, par conséquent, là nous pouvons prendre date parce que ces dates seront inscrites dans les budgets. Un certain décalage pourra peut-être s'introduire, selon que les crédits de paiement suivront les crédits d'engagement. Mais ce qui est sûr, c'est que les constructions prévues dans le cadre du plan d'équipement seront réalisées et que le décalage entre le plan et la réalisation ne sera pas grand, si décalage il y a, et nous souhaitons qu'il n'y en ait pas.
« Mais cet optimisme relatif n'est plus de mise en ce qui concerne l'aspect proprement bibliothéconomique du problème. Il est bien évident que le reclassement des collections de centaines de milliers de volumes - je parle en ce moment des bibliothèques de province - exige du temps et un personnel assez nombreux; que par conséquent ce reclassement se fera à un rythme que nous voulons rapide, mais dont nous ne pouvons pas assurer exactement les étapes, puisque les créations d'emplois nécessaires, bien qu'elles aient été mentionnées au plan, sont tout de même du ressort du budget annuel. Il y a aussi le problème des crédits d'équipement, car lors de la création de toutes ces nouvelles sections, même quand elles sont le résultat de l'éclatement d'une bibliothèque centrale encyclopédique, on verra apparaître des lacunes considérables. On constatera aussi la nécessité d'acheter en double ou triple exemplaire certaines grandes collections, car l'un des inconvénients de la politique suivie en matière de constructions universitaires, vous le connaissez : aujourd'hui le matériel - disons les périodiques, les livres et les collections - indispensable aux sociologues, aux géographes, à l'historien sont, pour une très large part, un matériel commun. A partir du jour où nous isolons les collections de la faculté des lettres de la bibliothèque centrale - comme M. Sansen s'apprête à le faire à Rennes et comme beaucoup d'entre vous auront à le faire - il est évident que le partage sera contesté par les usagers. Nous pourrions multiplier les exemples de ces domaines largement marginaux où la séparation de collections autrefois groupées va entraîner la nécessité d'acquisitions massives. Nous ne demandons qu'à les faire, à la condition d'en avoir tous les moyens. Les aurons-nous? Nous ne pouvons que l'espérer et dire que la réalisation de vastes programmes d'achat demande des délais.
« Donc, il y a des étapes à définir, et c'est sur cet aspect du problème que j'ai insisté chaque fois que j'ai eu l'occasion, l'année dernière et cette année, de faire devant l'assemblée des recteurs un exposé de nos projets, des structures de nos bibliothèques nouvelles et de tous les problèmes que posera leur réalisation. Ce sont des questions dont j'ai eu l'occasion aussi de m'entretenir avec plusieurs doyens. Je crois qu'il n'est pas indifférent de noter leurs réactions que je vous livre.
« Dans l'ensemble, je dois dire que tous les recteurs ont été non seulement extrêmement intéressés, mais extrêmement favorables à une réforme qui leur paraît devoir améliorer considérablement le fonctionnement des bibliothèques universitaires et leur efficacité. En ce qui concerne les doyens, je dois dire que, sans avoir vu tous les doyens des sciences, j'en ai vu plusieurs, et j'ai constaté chez tous exactement les mêmes réactions : « Vous voulez faire une bibliothèque scientifique, il ne peut s'agir que d'une bibliothèque de propédeutique, car il est bien entendu que pour ce qui est de notre documentation, ce n'est pas à la bibliothèque que nous venons la chercher; d'ailleurs vous n'avez rien à nous donner. C'est dans nos laboratoires, c'est dans nos instituts qu'il nous faut notre documentation, nous tenons absolument à rester maîtres de nos achats et à rester maîtres de nos collections. Si telles sont aussi vos vues, nous serons facilement d'accord. » Nous ne pouvions pas être d'accord, mais nous ne nous sommes pas affrontés très longtemps parce que, quand je leur ai dit : On reconstruit toute la faculté, vous allez avoir des établissements dispersés sur un campus qui peut avoir une superficie de 50 à 100 ha; si nous mettons la bibliothèque au centre, vous reconnaîtrez qu'elle sera d'accès facile. Si nous rassemblons dans des salles spécialisées non seulement les périodiques que vous avez dans vos laboratoires, mais beaucoup de choses que vous n'avez pas (chaque laboratoire ne peut pas acheter les « Abstracts »); si nous augmentons le nombre de ces périodiques, je crois que nous allons créer des conditions de travail bibliographique infiniment supérieures à celles qui sont réalisées aujourd'hui. Si, d'autre part, nous pouvons vous permettre d'utiliser au maximum des collections plus importantes, étrangères à l'université - que ce soit celles du C. N. R. S., que ce soit celles des bibliothèques parisiennes - en vous fournissant, puisque vous travaillez de plus en plus sur microfilm ou sur microreproduction, les reproductions, voire les agrandissements de cette documentation dont vous avez besoin, êtes-vous toujours d'avis que la bibliothèque n'intéresse que les propédeutes ? Et la réponse honnête est celle-ci : non, c'est très différent, vous posez le problème dans des termes auxquels nous n'avions pas pensé, et cela nous intéresse davantage; nous pouvons envisager de collaborer avec vous. » A une question de M. Cain qui se demande si cette collaboration sera acceptée par tous les professeurs, M. Lelièvre répond que cela reste à prouver, mais qu'il faut être optimiste. Il poursuit : « Il est fort important que les doyens aient répondu favorablement, parce que je constate - c'est le fait d'une certaine évolution - que le doyen a aujourd'hui une responsabilité et une autorité dont il ne jouissait pas toujours autrefois. Aujourd'hui le doyen est investi de responsabilités et de charges très lourdes, mais il a une autorité, et lorsqu'une décision aura été prise, après examen par le Conseil de la faculté, cette décision pourra être suivie. » M. Cain ajoute : « D'autre part, il s'agira de l'utilisation des crédits que la Direction de l'enseignement supérieur a mis si généreusement à la disposition des professeurs, des chaires et, si les conversations qui se sont poursuivies avec M. Capdecomme prennent une allure plus précise et plus réaliste, je crois que nous pourrons les rallier à nos vues. » M. Lelièvre reprend : « Seulement, il faut à la fois aller vite et ne pas faire de faux-pas; supposez que nous voulions, pour répondre à notre propre programme, équiper toutes les bibliothèques scientifiques en même temps et les doter de ce qui leur manque à l'heure actuelle - et nous en reparlerons, parce que c'est vraiment consternant et inquiétant - nous n'aurons ni les crédits, ni le personnel. Il faudra donc que, dans chaque faculté, on choisisse la discipline pour laquelle on va faire une expérience complète et quand cette discipline, que ce soit la biologie, que ce soit les mathématiques, que ce soit la physique et la chimie, aura été choisie, les moyens dont nous disposerons dans l'immédiat devront être concentrés sur cette discipline pour faire une démonstration valable. Après on pourra passer progressivement à l'équipement complet des salles du troisième cycle.
« Il y a un autre aspect du problème que je signale tout de suite, car il me paraît absolument fondamental. L'établissement d'un programme cohérent d'acquisitions judicieusement réparti entre toutes les disciplines ne peut résulter des suggestions plus ou moins fragmentaires des professeurs. Il suppose un dépouillement méthodique des bibliographies courantes, générales ou spécialisées, dont la responsabilité incombe aux bibliothécaires. Si la rapidité de l'information est une nécessité, on ne peut y parvenir qu'en réformant les méthodes de travail actuelles. Ceci vise non seulement la documentation bibliographique, mais aussi l'enregistrement et le catalogage des acquisitions.
« Beaucoup de questions difficiles, et plusieurs irritantes, seront à régler, mais je crois vraiment que l'accueil fait par les recteurs, par certains professeurs et par ceux des doyens avec qui j'ai personnellement pu m'entretenir, nous confirme que nous sommes dans la bonne voie.
« Je pense aussi - et j'y ai suffisamment insisté pour vous rassurer - qu'il nous faut fixer des étapes raisonnables pour bien réussir une réforme si profonde des bibliothèques universitaires qu'on devrait pouvoir parler ensuite d'une ère nouvelle. Car, je crois que la bibliothèque universitaire de demain, telle que vous l'avez esquissée tout à l'heure, Monsieur le Directeur général, et telle que je viens d'essayer de la préfigurer en en soulignant quelques aspects, ne ressemblera pas beaucoup à celle que nous connaissons aujourd'hui, et qu'elle sera mieux adaptée aux besoins des chercheurs. Les bibliothécaires auront vraiment conscience à ce moment-là de tenir dans la vie scientifique et dans la vie universitaire une place de premier plan qui doit être la leur. »
M. Cain remercie M. Lelièvre de son exposé et demande à M. Garnier de prendre la parole pour montrer ce qui a été entrepris à la Bibliothèque d'Orsay et quel sera son équipement bibliographique lors de son ouverture. M. Garnier insiste d'abord sur les exigences particulières des scientifiques qui veulent avoir leurs documents « à côté de leur microscope et de leurs éprouvettes » : c'est le laboratoire photographique qui permettra de répondre à ce désir et cette question a dès à présent retenu l'attention du vice-doyen d'Orsay; une communication rapide de photocopies évitera que les laboratoires et les instituts n'empruntent trop de livres à la fois.
L'équipement bibliographique actuellement entrepris est à la fois fonction des crédits et des possibilités de la librairie d'occasion. Pour les ouvrages, l'effort se limite à ceux qui ont paru depuis 1960, sauf pour les grands traités du type Beilstein ou Gmelin. Pour les périodiques, il a fallu remonter plus haut et la bibliothèque d'Orsay a pu réunir des collections complètes des Chemical abstracts, des Biological abstracts, des Comptes rendus de l'Académie des sciences, du Chemisches Zentralblatt et du Bulletin signalétique du CNRS. Actuellement, il y a environ 700 abonnements de périodiques. Un petit groupe de bibliothécaires prépare l'équipement de ce matériel bibliographique pour la rentrée de Pâques 1962.
Deuxième séance (jeudi 30 novembre à 14 h 30).
Les problèmes d'information bibliographique.
M. Lelièvre, qui préside la séance en l'absence de M. Julien Cain, expose les problèmes concernant l'information bibliographique :
« L'ordre du jour appelle les problèmes de l'information bibliographique et de l'établissement des programmes d'achats. Ce sont d'ailleurs des questions qui ont déjà été évoquées ce matin. Nous allons les préciser, mais je pense qu'il n'est pas inutile de faire un très bref rappel des considérations qui nous ont incités à étudier cette question. Bien entendu, quand nous parlons d'information bibliographique, il ne s'agit pas du tout d'un service qui ferait des recherches bibliographiques poussées jusqu'au dépouillement des revues; il n'en est absolument pas question. Il est question de vous aider à établir et à réaliser vos propres programmes d'acquisitions; il est surtout question, il a été d'abord question, de faciliter dans toute la mesure du possible l'équipement des bibliothèques nouvelles. En effet, si pour équiper les collèges scientifiques universitaires (CSU), nous avions confié ce soin à de jeunes bibliothécaires sortis du concours et n'ayant absolument aucune expérience, nous aurions abouti certainement à un échec. D'autre part, nous n'avions pas les 14 bibliothécaires requis et nous avions encore moins le personnel d'exécution qui leur eût été indispensable. Il fallait donc trouver une autre méthode, centraliser et planifier. Nous sommes partis de cette hypothèse, vérifiée par l'expérience, que pour les CSU comme pour les facultés des sciences nouvelles, il y avait un équipement fondamental qui était valable aussi bien à Mulhouse qu'à Brest, à Limoges qu'à Metz. Par conséquent, on était certain de faire du bon travail en établissant des listes d'ouvrages et des listes de périodiques de base constituant un équipement indispensable à tous les étudiants. Ce travail part évidemment d'un schéma volontairement simplifié. Nous savons parfaitement bien que ce schéma simplifié devra être adapté aux conditions locales, c'est-à-dire qu'on ne fera pas dans le CSU de Brest exactement les mêmes études que dans le CSU de Perpignan, ou dans la très jeune Faculté des sciences de Nice. A partir d'études communes et d'une sélection assurée par l'examen de propédeutique, certaines orientations inspirées ou commandées par les activités de la région seront très vite prises, et le sont déjà dans une certaine mesure. Les bibliothécaires des CSU devront travailler en liaison avec la bibliothèque universitaire. Je ne les vois pas du tout, ou plutôt je les verrais mal, isolés dans les collèges universitaires, qu'ils soient scientifiques ou qu'ils soient littéraires, et subordonnés en tous points aux directeurs de ces établissements. De même que dans la structure de l'enseignement et de la recherche, les CSU demeurent rattachés à la faculté de l'université, de même les bibliothèques de ces CSU doivent avoir des liens avec les bibliothèques universitaires du ressort académique. Ceci pour qu'une certaine coordination des acquisitions spécialisées se réalise, pour que l'exploitation de l'information bibliographique soit organisée d'une manière aussi rationnelle que possible.
« C'est donc à partir de ces considérations générales que nous avons établi un programme et un schéma. Mlle Ruyssen m'en voudra, mais tant pis... si je dis que c'est à elle et à son dévouement que nous devons dans une très large mesure l'établissement des listes fondamentales qui auront permis de mettre en route l'équipement de ces bibliothèques de CSU. Il n'était pas déraisonnable, je pense, de travailler en même temps à l'équipement des futures bibliothèques des facultés des sciences de Nice, de Nantes et de Reims, parce que les instruments de travail de base sont et doivent être les mêmes partout. Lorsque nous aurons dépassé ce niveau de l'équipement de base, le Service bibliographique apportera aux CSU un concours qui pourra être très important. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec plusieurs directeurs de CSU du rôle de la bibliothèque. Ce que j'ai retiré de ces entretiens, le voici : pour les étudiants, il va de soi que les manuels, les grands traités, les instruments de recherche et d'information fondamentaux sont indispensables ; quant aux professeurs, que demandent-ils ? Quelques périodiques généraux qui leur permettent, par une lecture rapide, de se tenir au courant de ce qui se publie dans des domaines marginaux ou étrangers, puis - et surtout, un équipement bibliographique aussi complet que possible et tenu à jour. Mais s'ils acceptent de ne pas posséder en propre des périodiques et des collections qui peuvent leur être cependant indispensables, c'est à une condition : pouvoir en obtenir très rapidement la communication. Ici nous trouvons un des éléments, une des pièces maîtresses de notre système. Il est bien évident qu'on ne fonde pas l'information de 500.000 étudiants sur le prêt interbibliothèque qui, même limité à des ouvrages rares, conduirait à un embouteillage redoutable. Au prêt du livre ou du périodique, il faut substituer la communication d'une reproduction. Peu importe que ce soit sous la forme de microcarte, de microfilm, de microfiche ou de xérographie, l'essentiel est que nous puissions fournir, et très vite, au chercheur qui veut une information précise le texte de l'article qui l'intéresse. Pour y satisfaire il y a deux méthodes et il n'y en a que deux : l'une qui consisterait à doter toutes les bibliothèques, tous les laboratoires, tous les instituts de recherche d'un grand nombre d'ouvrages et de périodiques spécialisés. Solution ruineuse. La seconde méthode s'applique à constituer un réseau documentaire hiérarchisé et pourvu de multiples connexions pour fournir très vite la documentation souhaitée. Et c'est ici que la coordination et la coopération des bibliothèques deviennent indispensables. Mais cette coopération n'est réalisable que si des catalogues collectifs rigoureusement tenus à jour, des programmes d'acquisitions cohérents et enfin des services de reproduction adaptés aux missions qui sont les leurs peuvent être mis en place. Vous me direz : « Mais le C. N. R. S. le fait déjà. » Nous n'avons aucunement l'intention d'entrer en concurrence avec le C. N. R. S., lequel travaille pour une clientèle beaucoup plus large que la nôtre, avec notre collaboration d'ailleurs. Soyons-lui reconnaissants de ce qu'il fait, mais ne nous déchargeons pas sur lui d'une mission qui est la nôtre; et la mission qui est la nôtre, c'est de fournir aux universitaires, dans le cadre universitaire, les instruments de travail dont ils ont besoin. Si nous disons demain au professeur qui enseigne la biochimie au CSU de Metz : « Je regrette, mais le programme d'acquisitions que vous nous présentez, pour vous et pour vos recherches, nous ne pouvons pas le suivre parce que nous n'en avons pas les moyens », nous aurons manqué à notre devoir si nous restons sur cette réponse sommaire. Mais si nous lui disons : « Tous les moyens d'information bibliographique, vous les aurez; tous les articles dont vous aurez besoin vous seront fournis dans un délai extrêmement court, sous une forme qui reste à déterminer après examen des méthodes et surtout des techniques, des instruments et des machines dont on peut aujourd'hui disposer », je crois que nous l'aurons mieux servi.
« Il en coûtera cher et même très cher d'équiper la bibliothèque d'Orsay et d'équiper quelques grands centres régionaux d'ateliers de reproduction. Nous connaissons tous l'importance, la qualité, l'intérêt de la collaboration que nous apportent en ce domaine certains professeurs. Nous en savons aussi les limites et les lacunes. Il est donc nécessaire que nous proposions, voire que nous imposions, certaines acquisitions pour avoir des bibliothèques équilibrées. Imposer, cela veut dire que, dans un budget d'acquisitions bien compris, une certaine part devrait être réservée - ce n'est qu'une question de pourcentage à fixer - à l'acquisition d'instruments de travail considérés comme fondamentaux et qui doivent se trouver dans toutes les bibliothèques. Je crois qu'une explication tout à fait franche avec les professeurs, avec le corps enseignant dans son ensemble, avec les recteurs et avec les doyens, doit pouvoir permettre de fonder cette doctrine, de la faire admettre comme parfaitement légitime. Il est d'ailleurs facile de dénoncer, dans les bibliothèques, des lacunes tout à fait déconcertantes et un rien scandaleuses - quand elles ne sont pas franchement scandaleuses. - Or, d'où vient qu'il y ait des lacunes de cet ordre dans tant de bibliothèques universitaires? Insuffisance de crédits sans doute, mais aussi difficultés pour le bibliothécaire de faire preuve d'initiative; cependant, un dépouillement bibliographique assez poussé dans toutes les disciplines est chose longue. Je pense donc que nous répondrons ou que nous allons répondre à un besoin, et je sais que nous répondrons aussi à des vœux qui m'ont été à diverses reprises formulés, en créant ce Service d'information bibliographique. Pourquoi le limiter provisoirement au domaine des sciences exactes ? C'est d'abord parce que nous avons actuellement à équiper de très nombreuses bibliothèques scientifiques nouvelles, c'est aussi parce que lorsque nous nous trouvons devant l'obligation, après l'éclatement d'une bibliothèque universitaire centrale, d'organiser une bibliothèque scientifique correspondant à l'expansion d'une faculté des sciences, vous vous apercevez qu'après les avoir bien comptées, les collections scientifiques dont vous disposez sont absolument sans mesure avec les besoins réels. Il est donc indispensable qu'un très gros effort d'information bibliographique soit fait. Dans le domaine des sciences humaines, la question se pose déjà et elle se posera de plus en plus parce qu'il faut que nous perdions l'habitude de considérer nos facultés des lettres comme des facultés où l'accent porte sur le mot « lettres »; désormais c'est sur le titre surajouté de « sciences humaines » que l'accent se met. Là, des techniques de recherche, des techniques d'investigation toutes nouvelles, une bibliographie abondante, mais non toujours très ordonnée, nous imposent un effort d'adaptation.
« Voilà donc esquissé le programme de ce Service d'information bibliographique. Mlle Malclès a été désignée pour en prendre la direction. Je suis convaincu que l'espoir que nous mettons en elle sera pleinement justifié. »
M. Lelièvre donne la parole à Mlle Salvan pour faire connaître les résultats de l'enquête conduite auprès des bibliothèques universitaires et concernant leurs achats d'ouvrages et de périodiques étrangers.
L'enquête comportait : I° un questionnaire portant notamment sur la statistique des acquisitions scientifiques effectuées au cours d'une année (1960), et la proportion des achats étrangers par rapport aux achats français; 2° une liste constituée par un échantillonnage de la production récente étrangère (en majorité anglo-saxonne) en ouvrages de base, « Advances » et périodiques.
Les résultats ont permis de constater de notables divergences en ce qui concerne l'ampleur des acquisitions scientifiques étrangères, en général faible par rapport aux sciences humaines. On observe une tendance générale à n'acquérir que sur demande, même en ce qui concerne les ouvrages de référence et les « Advances ».
Le groupe des bibliothèques parisiennes (la Sorbonne, Orsay, la Faculté de pharmacie) constitue une exception et, dans son ensemble, semble acquérir tout ce qui est important. Pour les autres établissements, une « politique d'achat » devrait être mise à l'étude.
M. Lelièvre remercie Mlle Salvan de son exposé. Il ajoute que le Service d'information bibliographique achètera un exemplaire de tous les volumes qu'il signalera, ce qui lui permettra de diffuser des fiches multigraphiées faites sur les livres et non sur les prospectus. Cet exemplaire sera déposé dans une grande bibliothèque centrale, noyau de la future Centrale nationale de prêt d'ouvrages scientifiques, où l'on sera sûr de pouvoir l'emprunter. Les fiches multigraphiées pourront permettre aux bibliothèques universitaires, d'une part, d'établir leurs propres catalogues et d'autre part de constituer un fichier de cette bibliothèque centrale qui servira en même temps de fichier de documentation scientifique. Mlle Malclès estime que le nombre des ouvrages scientifiques étrangers de valeur ne doit pas dépasser une vingtaine ou une trentaine par mois, en tenant compte de ceux qui appartiennent à une collection. M. Lelièvre fait observer que si la production scientifique retenue n'est pas plus élevée, le service pourra immédiatement étendre son activité non seulement aux ouvrages et aux nouveaux périodiques scientifiques, mais également aux autres disciplines et en priorité aux sciences sociales. Mlle Arduin estime qu'il faudrait signaler parmi les ouvrages publiés en collections quels sont les plus importants, car certaines collections sont très inégales et ne méritent pas d'être intégralement acquises, une sélection est donc nécessaire; d'autre part celle-ci permettra d'éviter l'achat de traductions en langues étrangères d'ouvrages français publiés dans certaines collections.
M. Lelièvre pense que cette année 1962 sera une année d'expériences. Le Service d'information bibliographique devra publier des listes selon un rythme aussi rapide qu'il est souhaitable. Mais les bibliothécaires ne devront pas différer l'examen de ces listes jusqu'à la prochaine réunion de la commission d'achats, car la bibliothèque doit - cela va sans dire - acquérir et cataloguer ces livres le plus rapidement possible; en effet le rythme actuel de travail est trop lent : aujourd'hui tous les chercheurs sont pressés et non pas seulement les scientifiques; les archéologues eux-mêmes veulent les résultats de fouilles dans les plus brefs délais.
M. Piquard insiste pour que le bibliothécaire assure une continuité dans les achats car les changements de professeurs de facultés entraînent bien souvent une « stratification » des acquisitions préjudiciable à l'équilibre de la bibliothèque. M. Lelièvre précise que le bibliothécaire a l'obligation de constituer des collections cohérentes. Il doit utiliser les possibilités qui lui sont offertes par les textes, en particulier la circulaire du 23 avril 1880 concernant le quart de réserve pour les abonnements de périodiques et la circulaire du 7 mai 1898 (complétée par celle du 10 juin 1899) concernant les 2/5 consacrés aux suites et aux collections. Une réforme du fonctionnement des commissions d'achat s'impose d'ailleurs et va être mise à l'étude.
M. Lelièvre quitte la séance. M. Masson prend la présidence et revient sur la distribution des tâches : au lieu d'affecter un bibliothécaire à un service particulier tel que les acquisitions, le catalogue, les périodiques, etc... n'est-il pas préférable de l'intéresser à l'ensemble des opérations (acquisitions, catalogue, classification, recherches, etc...) pour un domaine déterminé, comme par exemple la physique et la chimie.
M. Piquard signale que Strasbourg applique déjà ce système et M. Mironneau propose pour les petites bibliothèques universitaires comme Besançon et Dijon, où les effectifs sont peu nombreux, que l'on envisage une répartition en quatre sections : droit, lettres, médecine, sciences. M. Masson répond que c'est évidemment une question de personnel et qu'il faudra agir progressivement à l'occasion de chaque création de poste, c'est également un problème de locaux qui se résoudra peu à peu. A une question de M. Masson, Mlle Dupasquier répond que le hasard de la reconstitution des collections a permis à la Bibliothèque universitaire de Caen de créer des fonds spécialisés en histoire de l'art et en littérature moderne, qui ne sauraient être considérés comme de véritables sections spécialisées.
La création de sections scientifiques dans les bibliothèques universitaires conduit à établir un parallèle entre ces sections et les actuelles bibliothèques d'instituts. Le fait que les bibliothèques d'instituts se créent spontanément - parfois avec de gros moyens (M. Mironneau signale que l'ensemble des crédits des diverses bibliothèques d'instituts de l'Université de Besançon est égal au crédit de la Bibliothèque universitaire) - pourrait prouver qu'elles répondent à un besoin. Ainsi à Poitiers, les bibliothèques de l'Institut des lettres et du Centre d'études médiévales ont été créées récemment alors que la Bibliothèque universitaire possédait des fonds importants sur les mêmes matières.
M. Piquard pense qu'il faut envisager une liaison étroite entre les bibliothèques d'instituts et la bibliothèque universitaire. Conformément à la circulaire du 10 juin 1923 « les inventaires des bibliothèques de laboratoires doivent être mis à la disposition des bibliothécaires des universités... », ce qui est appliqué à Montpellier. A Lyon, où M. Daumas vise les factures de 48 bibliothèques d'instituts et de laboratoires de médecine, la sous-commission de la Faculté de médecine examine le programme d'achats de la Bibliothèque universitaire avant de procéder aux achats des bibliothèques d'instituts. A Besançon, il a été demandé à M. Mironneau de prendre en charge intégralement les bibliothèques d'instituts ou de former le personnel qui s'occupe de ces bibliothèques. Une prise en charge analogue a été demandée à M. Pitangue par l'Institut de botanique de l'Université de Montpellier. L'instabilité du personnel des bibliothèques d'instituts a le plus souvent pour conséquence des fiches mal faites et une participation irrégulière aux catalogues collectifs. Faudrait-il alors mettre à la disposition des instituts du personnel de la bibliothèque universitaire ? Avec les effectifs actuels, il est difficile d'y songer. A Nancy le doyen des lettres a recruté une personne possédant le certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaire; elle est chargée d'établir un catalogue collectif des bibliothèques d'instituts; mais la faculté des sciences ne participe pas à cette entreprise, à l'exception de l'institut de géologie. M. Calmette précise le rôle de la Sorbonne, section sciences, par rapport à l'Institut Henri Poincaré et au Laboratoire de physique de l'École normale supérieure. Les collections sont à peu près les mêmes, mais alors que ces instituts jouent le rôle de centres de documentation, la Bibliothèque universitaire prête à domicile et fournit la documentation « marginale » que les instituts n'acquièrent pas.
Les bibliothèques universitaires doivent jouer un rôle de coordination. Ne pourrait-on suivre, demande M. Piquard, l'exemple des Pays-Bas, où elles centralisent les achats et établissent les fiches des livres destinés aux instituts, en gardant un exemplaire de ces fiches pour le catalogue collectif.
M. Poindron estime que les problèmes relatifs aux instituts sont à étudier avec la Direction de l'enseignement supérieur. M. Capdecomme, directeur général de l'Enseignement supérieur, a l'intention de préciser le rôle des bibliothèques d'instituts eu égard aux bibliothèques universitaires; si la bibliothèque universitaire répond rapidement aux besoins des chercheurs, les instituts s'appuieront sur elle au lieu de la concurrencer.
Troisième séance (vendredi 1er décembre à 9 h 30).
Problèmes concernant les sections littéraires, juridiques et scientifiques.
M. Cain donne la parole à M. Lelièvre.
« Cet exposé introductif sera très bref : la question a déjà été abordée dans nos entretiens précédents. J'insisterai sur les dénominateurs communs de nos bibliothèques à secteurs spécialisés qui pourraient apparaître fâcheusement morcelées. J'ai souligné hier l'unité administrative indispensable à maintenir : j'ai indiqué aussi - mais sans y insister - que, pour les trois groupes de disciplines considérées : sciences juridiques et économiques, lettres et sciences humaines, sciences et techniques, il paraissait tout à fait souhaitable d'adopter une classification unique. Je sais que la question reste à l'étude et nous en reparlerons tout à l'heure, mais c'est, me semble-t-il, à la condition d'adopter une classification uniforme que les difficultés évoquées hier pour les zones marginales de la recherche et de l'information pourront être résolues. On ne comprendrait pas qu'un même livre soit classé différemment selon qu'il est à la section des sciences humaines ou à la bibliothèque des sciences juridiques et économiques. Une classification unique s'impose, quels qu'en soient les inconvénients. Ceci dit, il importe, comme je l'ai marqué hier, que, dans ces salles de recherche et de travail, cadre matériel des sections spécialisées, des groupements puissent être constitués par la réunion de deux ou trois « classes » d'un cadre systématique. Je ne pense pas que l'on puisse, quelle que soit la classification adoptée - et nous supposons que nous adopterons la CDU - suivre la séquence des grandes divisions. Pourquoi ? Parce qu'il faut constituer des groupements qui répondent aux besoins de la recherche et de l'enseignement à un moment donné et dans des conditions déterminées, groupements qui pourront être modifiés, qui seront nécessairement modifiés. Ceci est possible à la condition d'adopter une classification uniforme pour toutes les disciplines. Cette unité est la condition d'un travail de coopération et d'un travail collectif qui sont de plus en plus indispensables : constitution de catalogues collectifs dont il nous faudra bien développer très largement l'extension; établissement, par un service central, de listes de fiches de catalogues imprimés ou multigraphiés. Une stricte unité de doctrine doit être observée dans l'ensemble des bibliothèques universitaires. Ce qui ne veut pas dire qu'on trouvera les groupements dont je parlais tout à l'heure identiques dans toutes les universités. En effet, ces groupements seront orientés ou commandés par la vocation des enseignements et des centres de recherches. A cette entreprise doivent coopérer le corps enseignant, les doyens et le conseil de la faculté pour déterminer les options et les étapes d'un plan à longue échéance. Cette diversité préservée dans l'unité des structures fondamentales doit s'exprimer dans le bâtiment lui-même. Je crois que le schéma de « stratification » des divers niveaux d'enseignement est clair et ménage aux chercheurs les conditions de travail les plus satisfaisantes - ce qui exclut que l'on puisse laisser entrer dans les salles spécialisées des étudiants en grand nombre. Mais il est bien certain que l'utilisation des bibliothèques restera très différente selon les disciplines. S'il s'agit de « scientifiques », qui passent la plus grande part de leur temps dans les laboratoires, l'usage de la bibliothèque se limite à des recherches bibliographiques et à la collecte d'une documentation précise et limitée qui, la plupart du temps, ne peut être exploitée qu'en liaison avec les observations ou les expérimentations en cours. Pour les sciences humaines, les sciences économiques, les sciences sociales et bien entendu la littérature, on ne saurait concevoir comme absolument identiques le fonctionnement de ces sections de la bibliothèque universitaire dont chacune doit répondre à des conditions particulières d'exploitation. Est-il cependant possible de trouver un schéma de structure architecturale susceptible de s'adapter aisément aussi bien aux sciences humaines et aux techniques qu'aux lettres, à la médecine qu'aux sciences juridiques ? Nous l'avons cherché, nous avons admis que si cette rationalisation était possible, elle permettrait une sérieuse économie de temps et de crédits. Les études architecturales sont en cours. L'objectif est de préserver les possibilités d'adaptation à des besoins nouveaux, imprévisibles aujourd'hui, mais qui se manifesteront sans doute dès demain, avant même l'achèvement des deux plans d'équipement dont l'échéance tombe en 1970.
« Ceci dit, nous avons constaté que l'on pouvait, pour les sciences, se limiter aujourd'hui à quatre sections, et je rappelle qu'au mois de janvier, lors de notre précédente séance d'étude, nous avons indiqué quels seraient les groupements correspondant à chacune de ces sections. Il n'en va pas de même pour les lettres et les sciences humaines : il faut que le partage des disciplines soit étudié avec les usagers. Simple constatation de fait : il existe des vocations régionales dont il faut tenir compte et il est sage de fixer les étapes d'une mutation qui doit s'opérer sans précipitation, en plein accord avec les professeurs et les conseils de facultés. Il va de soi que certains groupements sont suggérés tout naturellement par les affinités des disciplines ou par la nécessité d'exploiter en commun un matériel fondamental; que, par exemple, la philologie et l'archéologie classiques ont en commun nombre de périodiques, de collections et d'ouvrages; que la sociologie et la psychologie sociale doivent être rapprochées et que le couple géographie-histoire qui a si longtemps commandé les études universitaires jusqu'à l'agrégation, après s'être séparé, garde au moins des relations de bon voisinage. Par conséquent, la séquence des salles spécialisées importe beaucoup; mais il importe aussi de déterminer leur superficie et l'importance des collections de libre accès. Là encore choix, là encore option, beaucoup plus difficile à faire pour les lettres et les sciences humaines que pour les sciences.
« En conclusion, nous devons définir des structures et des méthodes qui préservent la stabilité et la cohésion de nos bibliothèques, tout en permettant le maximum de plasticité dans l'usage. Conciliations difficiles, nullement impossibles, en tout cas nécessaires pour préserver de la sclérose un organisme que nous avons pour mission d'entretenir en pleine activité. »
M. Julien Cain remercie M. Lelièvre. Avant de céder à celui-ci la présidence, il souligne l'importance de la réforme qui se prépare et demande aux conservateurs et bibliothécaires présents s'ils ont des questions à poser.
M. de Tournadre demande que de petites salles soient mises à la disposition des groupes de travail pour qu'un professeur puisse faire un exposé ou des travaux pratiques de bibliographie, sans déranger les lecteurs de la bibliothèque. M. Lelièvre ajoute que de telles salles pourraient éviter l'emprunt par les instituts d'un trop grand nombre de volumes pour une longue durée.
Le temps passé au rangement des livres dans les salles de libre accès pose un problème et M. Piquard signale que 25 personnes sont nécessaires pendant deux heures chaque jour dans une grande bibliothèque comme l' « Amerika-Gedenkbibliothek » de Berlin. M. Masson a constaté qu'à la Bibliothèque municipale de Tours où il y a 30.000 volumes en libre accès, on consacre au rangement autant d'heures que d'heures d'ouverture. Mlle Salvan pense qu'on peut associer les étudiants au rangement malgré les doutes émis par certains chefs d'établissements. M. Schuller constate à Strasbourg.que la plupart des bibliothèques d'instituts confiés à des étudiants, même rétribués, ou à des « moniteurs » ne marchent pas très bien. M. Lelièvre pense que dans des salles où sont admis des chercheurs, des professeurs et des étudiants du 3e cycle, la collaboration des lecteurs doit être cependant facile à obtenir. A Lausanne, ce sont les bibliothécaires eux-mêmes qui remettent les livres en place; ne pourrait-on, demande Mlle Weil, confier ce travail à des sous-bibliothécaires ?
On s'inquiète toutefois de la baisse du niveau de recrutement des sous-bibliothécaires. M. Rocher qui a été amené à organiser à Lyon un enseignement de la nouvelle option B du diplôme supérieur de bibliothécaire, invite des membres de son personnel à assister aux cours généraux, il peut ainsi former sur place des candidats aux concours de sous-bibliothécaires. Il estime qu'il faut également associer professeurs et étudiants à la marche de la bibliothèque en leur faisant mieux connaître son fonctionnement par un guide du lecteur, mieux leur montrer l'utilité d'une discipline du prêt et aussi leur expliquer le fonctionnement de certains services comme ceux des thèses, des périodiques, des collections, du Catalogue collectif régional des ouvrages étrangers, enfin les informer de la vie de la bibliothèque en diffusant des listes des nouvelles acquisitions.
M. Lelièvre donne ensuite la parole à Mlle Salvan pour exposer le problème de la classification à choisir dans les nouvelles sections lettres et sciences humaines d'une part, droit et sciences sociales d'autre part.
Si le groupement droit-lettres dans les bibliothèques de type traditionnel constituait aux yeux des bibliothécaires un ensemble cohérent et rationnel réalisant l'économie des moyens en même temps que la richesse d'information, une partie de la documentation étant commune, il ne faut pas sans doute se faire illusion : même si ce regroupement est maintenu dans certaines universités, il convient de prévoir deux ensembles distincts ; cependant là où ces deux ensembles disposeront d'un local unique, on aménagera une salle de Généralités commune.
Deux problèmes se posent : le problème scientifique (le plus difficile), celui de la classification à adopter qui nécessite une étude approfondie et, d'autre part, le problème technique, préparation du travail, inventaires à établir, etc...
Pour les sciences, le problème de la classification était relativement simple et la Classification décimale universelle (CDU) généralement appréciée dans les milieux scientifiques et largement utilisée sur le plan international pouvait être adoptée sans grande discussion.
En revanche, certains domaines des lettres, et surtout du droit et des sciences sociales sont plus malaisés à organiser et il ne faut pas oublier que, sur le plan international, l'étude des améliorations de la CDU se poursuit en même temps que celle de systèmes nouveaux.
Il convient de se souvenir également que même si l'on adopte la CDU certaines améliorations peuvent être réalisées en opérant dans les salles des regroupements qui ne suivraient pas absolument la séquence des divisions de la CDU.
En ce qui concerne les lettres et sciences humaines, la CDU pourrait être adoptée à la condition d'opérer le regroupement matériel des classes 4 et 8. D'autres regroupements matériels pourraient être opérés, comme par exemple en rapprochant de la géographie les sciences sociales, ce qui est souhaité par de nombreux chercheurs.
Le problème de la classification est beaucoup plus difficile en ce qui concerne les sections de droit et sciences sociales, la classe 3 de la CDU étant l'une des plus contestées et des révisions draconiennes pouvant être opérées sur le plan international dans les années qui viennent. Là encore, des regroupements matériels permettraient de remédier aux défauts du système, mais il est certain que le problème doit être mûrement étudié par des équipes de bibliothécaires et de spécialistes. Quelle que soit la solution adoptée, l'application de l'accès direct à des collections groupées systématiquement entraîne la nécessité d'une signalisation matérielle très étudiée avec transcriptions en clair des indices numériques, panneaux de signalisations très lisibles au-dessus des rayons, cadre de regroupement dans toutes les salles, etc...
De toutes manières, les secteurs spécialisés ne devraient être en aucun cas un véritable compartimentage et le passage d'un secteur à l'autre devrait être aisé.
M. Sansen estime qu'avant même de décider de la classification à adopter il est nécessaire d'arrêter les principales divisions des magasins auxquelles correspondront les inventaires. Il envisage même de supprimer la division par formats ou tout au plus d'en maintenir deux en-deçà et au-delà de 30 cm. Il estime que le pourcentage des livres de droit et de lettres qui dépasseraient 30 cm ne serait pas supérieur à 6 %.
M. Thomas formule des réserves sur l'application de la CDU aux sciences juridiques. Mlle Sart qui a la pratique du catalogue systématique CDU et qui est d'autre part chargée d'organiser la section droit à Clermont-Ferrand appelle l'attention sur les difficultés d'application du système, en particulier pour le droit civil. M. Lelièvre, avant de lever la séance, constitue une commission de travail qui examinera ces difficultés 3.
Quatrième séance (vendredi Ier décembre à 14 h 30).
Questions diverses.
Cette séance a été consacrée à l'examen de quelques questions posées par les bibliothécaires.
1° Personnel.
Mlle Belin, administrateur civil, chef du Ier bureau, confirme aux chefs d'établissements que s'ils ont jugé inapte un candidat à un emploi réservé, ils peuvent mettre à l'essai un second candidat avant même que le Ministère des anciens combattants n'ait statué sur le sort du premier.
Le recrutement des sous-bibliothécaires préoccupe plusieurs chefs d'établissements car le nombre de candidats ayant des titres suffisants est réduit. Mlle Belin rappelle que des facilités de promotion interne sont offertes aux canditats comptant cinq ans de services dans un emploi inférieur (qu'ils soient titulaires, contractuels ou auxiliaires) : une dispense de titres leur est accordée pour se présenter au concours. Elle espère même que ce délai sera réduit à trois ans sinon à deux, et qu'il pourrait encore être réduit pour les titulaires de la première partie du baccalauréat et de la Capacité en droit. D'autre part, une indemnité compensatrice pourra être accordée aux candidats qui proviennent d'une catégorie où leur indice était plus élevé que celui de sous-bibliothécaire débutant. Les chefs d'établissements demandent que la Direction des bibliothèques de France diffuse des documents pour mieux préparer les candidats au concours de sous-bibliothécaires.
M. Lelièvre insiste auprès des chefs d'établissements pour que les rapports de fin de stage des jeunes bibliothécaires soient faits de façon très détaillée et non sous la forme d'une appréciation globale afin qu'il soit possible de les affecter à des postes correspondant mieux, non seulement à leurs désirs, mais aussi à leurs aptitudes. Il faut donc les mettre à l'essai dans plusieurs services et ne pas se borner à les affecter aux tâches antérieurement assurées par la personne qu'ils remplacent.
2° Questions financières et administratives.
A titre d'expérience trois bibliothèques ont actuellement l'obligation de présenter leur comptabilité d'une façon nouvelle en application du « Plan comptable » : Caen, Dijon et Grenoble.
Plusieurs chefs d'établissements souhaitent qu'un service central établisse les états de traitement du personnel, mais M. Dagas, administrateur civil, chef du 2e bureau, indique que la tendance actuelle est à la décentralisation et que ce travail reviendra de ce fait aux rectorats; Mlle Belin signale qu'il est prévu pour 1962 un poste de rédacteur dans cinq bibliothèques universitaires.
M. Decollogne, administrateur civil, chef du bureau des affaires générales, annonce que les circulaires multigraphiées de documentation administrative seront diffusées à nouveau.
M. Lelièvre aborde la délicate question des logements de fonction des chefs d'établissements. Il désirerait que dans chaque nouvelle bibliothèque universitaire il en soit prévu un; mais, d'une part, il se heurte à des résistances locales, en particulier lorsqu'un conseil d'université souhaite qu'il n'y ait pas de fonctionnaires logés au sein du « campus universitaire », d'autre part, l'administration des domaines entend percevoir un loyer qui n'est plus proportionnel à l'indice du fonctionnaire, mais à la surface du local occupé. Dans ces conditions, il ne peut être demandé à un célibataire de payer le loyer d'un appartement qui pourrait convenir à une famille nombreuse. Il est cependant évident qu'un logement devrait être attribué au chef d'établissement en raison de sa responsabilité dans la conservation du dépôt de livres. Il avait été suggéré que des logements administratifs destinés au personnel de l'université soient construits près des nouvelles facultés, mais cette solution a été rejetée. Elle serait cependant nécessaire lorsque cette faculté se trouve loin du centre de la ville.
3° Problèmes techniques.
Diverses questions sont posées, l'une par la Bibliothèque universitaire de Dijon concernant la fourniture à titre gratuit ou onéreux de copies photographiques; l'autre, par Mme Duprat, conservateur de la Bibliothèque du Muséum d'histoire naturelle, concernant le prêt des publications de sciences naturelles. Elle propose qu'on lui adresse en premier lieu les demandes d'ouvrages de sciences naturelles. M. Poindron remercie Mme Duprat, mais rappelle que pour les ouvrages publiés après 1952 les demandes doivent être d'abord adressées au Catalogue collectif des ouvrages étrangers. A ce propos, M. Poindron souhaite que l'on fasse mieux connaître les catalogues collectifs existants et les ressources qu'ils offrent; ainsi le Catalogue collectif des ouvrages étrangers répond au besoin aux demandes téléphoniques ; par ailleurs, Mlle Sart demande qu'à l'exemple de l'Inventaire permanent des périodiques étrangers en cours (IPPEC), on crée à partir des Listes départementales des périodiques français et étrangers en cours un catalogue collectif des périodiques français qui localiserait les quelques 15.000 titres actuellement publiés. M. Poindron estime qu'avec le personnel actuel de l'IPPEC ce catalogue collectif ne peut être entrepris, mais M. Lelièvre pense qu'au moment où des bibliothèques « sous-équipées » comme celles des collèges scientifiques universitaires vont faire appel aux ressources des bibliothèques existantes, il serait bon d'augmenter les effectifs des services « d'intérêt commun ».
M. Lelièvre tire les conclusions de ces deux journées en disant que les bibliothécaires ont devant eux dix années de travail ingrat et difficile, mais que la réforme
qui est entreprise est nécessaire pour maintenir les bibliothèques à leur rang au sein de l'université.
Les plans d'équipement de 1962-1965 et de 1966-1970 nous offrent des possibilités financières accrues et dans trois ans, aux prochaines Journées d'étude des bibliothèques universitaires, il sera possible de faire le bilan des réalisations nouvelles 4.