Projet d'un catalogue de manuscrits médiévaux adapté aux exigences de la recherche moderne

Gilbert Ouy

Projet de remplacement des catalogues de conception traditionnelle par une formule mieux adaptée aux besoins des médiévistes, réalisable en deux étapes :
1° étape analytique : dans chaque dépôt, de petites équipes spécialisées élaborent simultanément : a) un inventaire exhaustif des textes; b) un inventaire descriptif (codicologique) des manuscrits; c) un fichier de documentation bibliographique ;
2° étape synthétique. Regroupement et étude comparative (textes d'un même auteur, manuscrits de même origine, etc., permettant d'aboutir au catalogue (sur feuillets mobiles). Chaque notice de manuscrit comportera 3 feuillets : a) feuillet d'inventaire des textes, publié dès la première étape (indéfiniment valable); b) feuillet codicologique (durable); c) feuillet bibliographique et critique (à renouveler fréquemment). Une coopération et une normalisation internationales accroîtraient beaucoup l'utilité d'une telle entreprise

L'étude que nous avions publiée il y a deux ans dans ce Bulletin 2 ne prétendait pas embrasser l'ensemble des problèmes qui se présentent au bibliothécaire médiéviste. Elle se proposait avant tout de signaler les dangers d'une tendance encore trop répandue, celle qui consiste à étudier et à cataloguer chaque manuscrit comme un objet isolé, au lieu de le confronter avec un ensemble - préalablement reconstitué - de volumes ayant une origine et une histoire communes. Nous tentions ensuite de définir les principes et les méthodes d'une technique auxiliaire appelée, faute d'un meilleur terme, archivistique des manuscrits, vouée à l'étude et au traitement des manuscrits médiévaux considérés en tant que parties d'un ensemble (fonds) survivant ou dispersé.

Mais il va de soi que le manuscrit médiéval ne saurait être envisagé uniquement comme élément constitutif d'un fonds. Il est aussi un objet archéologique, et relève à ce titre d'une discipline connue sous le nom de codicologie, ou plus explicitement d'archéologie du manuscrit. Il est enfin et surtout un livre, et ressortit comme tel à la bibliographie, celle-ci étant évidemment assortie de certaines modalités particulières. Nous avons récemment essayé de montrer 3 comment ces diverses disciplines s'articulent entre elles pour étudier dans sa totalité ce phénomène complexe qu'est le manuscrit médiéval.

Nous voudrions aborder maintenant l'aspect pratique que devrait, à notre avis, revêtir la collaboration des trois disciplines, et parler de l'élaboration des catalogues de manuscrits médiévaux et des répertoires qui leur sont liés.

Dans notre premier article, il nous avait paru nécessaire de distinguer et d'opposer nettement deux notions, celle de catalogue et celle d'inventaire. Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler les définitions proposées :

L'inventaire est un constat objectif, une simple énumération descriptive qui répond à un besoin pratique.

Le catalogue - plus précisément le catalogue raisonné, comme on aimait à dire au siècle dernier - est une construction intelligente, obéissant à une structure interne. Il n'aligne pas des pièces isolées, dans l'ordre où on les trouve sur les rayons, mais s'attache à les regrouper, ou du moins à mettre en lumière les liens qui les unissent entre elles. Il ne se borne pas à énumérer et à décrire : il explique. Il ne répond pas seulement à un besoin pratique, mais encore et surtout à un besoin scientifique. A l'inverse de l'inventaire, œuvre d'analyse, le catalogue est, par définition, une œuvre de synthèse.

Dans une étude récemment publiée 4, Don José López de Toro, le savant sous-directeur de la Bibliothèque nationale de Madrid, qui préside aux destinées du cabinet des manuscrits de ce grand établissement, nous a fait l'honneur de se déclarer en complet accord avec cette double définition. Ces pages, qui nous apportent la précieuse approbation d'un érudit riche d'une longue expérience, nous encouragent à pousser plus avant notre recherche méthodologique et à tenter de préciser notre pensée.

A l'heure actuelle, plusieurs grands dépôts de manuscrits d'Europe ont entrepris la publication de catalogues complets de leurs collections.

Il n'entre pas dans notre propos de vanter les mérites - parfois considérables - de telle entreprise, de critiquer les insuffisances de telle autre. C'est d'un point de vue général que nous cherchons à envisager le problème.

Constatons tout d'abord que, dans les milieux érudits, des inquiétudes se manifestent de plus en plus fréquemment au sujet de la lenteur avec laquelle progressent ces grands catalogues. « Lorsque la collection que possède une bibliothèque comprend plusieurs milliers de manuscrits - écrivait récemment une personne dont la compétence en cette matière est reconnue en France comme à l'étranger 5 - il est à craindre que plusieurs siècles ne s'écoulent jusqu'au terme de la publication. » On aurait tort de prendre cette évaluation pour une boutade. Nous avons personnellement calculé qu'au rythme actuel, une entreprise que nous connaissons bien n'atteindrait pas avant un demi-millénaire son LXXXVIIIe et dernier volume, compte non tenu du temps nécessaire à l'élaboration des indispensables tables alphabétiques, ni de celui qu'il faudrait consacrer à remettre périodiquement à jour une bibliographie appelée à « vieillir » toujours plus vite.

A une époque où le progrès sans cesse plus rapide des techniques remet en question l'une après l'autre tant d'habitudes de travail que l'on aurait pu croire immuables, avons-nous encore le droit de conserver l'espoir que des catalogues conçus dans l'esprit de la fin du XIXe siècle pourraient - même s'ils devaient être menés jusqu'à leur terme - présenter une réelle utilité pour les érudits qui étudieront les manuscrits médiévaux dans deux ou trois cents ans ?

Dans ces conditions, la solution raisonnable ne consisterait-elle pas à renoncer à tout dire, à se contenter d'élaborer le plus rapidement possible des répertoires incomplets, mais commodes ? C'est la voie dans laquelle s'est résolument engagée l'équipe de la Bibliothèque nationale de Madrid, et il semble qu'une tendance se dessine actuellement dans certains grands établissements pour aller dans le même sens.

Certes, la tentation est forte; nous le savons pour l'avoir nous-même éprouvée. La sagesse consiste-t-elle à y céder ?

Avant de prendre position, rappelons brièvement les principales critiques que l'on paraît en droit de formuler à l'encontre des grandes entreprises actuellement en cours :
I° elles progressent bien trop lentement;
2° elles sont sujettes à un vieillissement très rapide : quelques années seulement après la publication d'un tome de catalogue, la bibliographie de beaucoup de notices est déjà dépassée, des attributions présentées comme certaines ont été remises en question, des textes anonymes ont été identifiés, des inédits ont été publiés, etc. ;
3° ce sont - au moins implicitement - des ouvrages de synthèse, et il est prématuré d'élaborer des synthèses alors que, dans les principaux domaines (histoire des fonds, des scriptoria, et même des textes), l'analyse exhaustive préliminaire reste encore à faire.

Si toute entreprise faite de nos jours pour cataloguer nos grandes collections de manuscrits devait inéluctablement tomber sous le coup de ces critiques, ou même seulement de l'une d'elles, il vaudrait mieux, sans nul doute, opter pour la formule de l'ouvrage provisoire promis à un rapide achèvement.

Mais nous nous proposons précisément de démontrer que ces écueils n'ont aucun caractère de fatalité. Tout le mal vient, croyons-nous, d'une sorte de tare originelle dont nos actuels « catalogues » ne se sont point encore affranchis : celle que fait peser sur eux l'héritage de l'antique rotulus.

A l'origine, « catalogue » de bibliothèque et rôle de récolement ne faisaient qu'un : chaque volume recevait un numéro correspondant à son rang d'inscription dans le rôle ou le registre, et ce dernier était disposé de telle sorte qu'aucune soustraction, substitution ou addition frauduleuse ne fût possible. Sans doute ce document pouvait-il être utilisé pour faciliter la consultation de la collection, mais sa première raison d'être était de faire foi, de défendre l'intégrité de la bibliothèque, de permettre le contrôle.

De nos jours, aucun bibliothécaire ne songerait plus à confondre le catalogue avec le registre de récolement, mais on n'en persiste pas moins à rédiger le plus souvent un catalogue de manuscrits en suivant en gros l'ordre numérique des cotes, c'est-à-dire en acceptant de se soumettre à l'arbitraire ou au hasard qui a déterminé la succession des volumes sur les rayons du dépôt. Précisons bien que nous voulons parler de l'ordre suivi pour la rédaction des notices, non pour la présentation des notices une fois rédigées, ce qui est un autre problème.

Une fois imprimé, le catalogue traditionnel se présente sous la forme d'un registre ou d'une suite de registres reliés, immuables, intangibles, qui semblent encore monter bonne garde contre les remaniements frauduleux. La seule concession faite au changement se traduit par la présence des quelques pages d'addenda et corrigenda qui se dissimulent parfois de loin en loin à la fin d'un volume.

Ainsi conçu, le catalogue ne se différencie guère, fondamentalement, du rôle de Gilles Malet. L'on aura beau plaquer sur cette antique structure des références bibliographiques, voire des remarques codicologiques, elle n'en sera pas pour autant rajeunie.

Si nous insistons tellement sur l'archaïsme du processus, c'est parce que là réside, à notre avis, le nœud du problème.

Alors que le principe du fichier est connu depuis longtemps déjà, et que ses applications n'ont cessé de s'étendre et de se perfectionner, l'on continue à procéder, dans bien des cas, comme si la fiche n'était pas encore inventée, se privant ainsi des possibilités illimitées de dissociation et de regroupement qu'elle apporte. Le fichier, qui devrait occuper le devant de la scène, est cantonné aux petits emplois subalternes, aux « utilités », comme on dit au théâtre. Au lieu de travailler sur une matière préalablement élaborée, dont les difficultés auraient été « divisées en autant de parcelles qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre », on s'attaque directement à la matière brute. Menées au hasard de la succession des manuscrits sur les rayons et des textes dans ces manuscrits, les recherches ne sauraient être que confuses et désordonnées. On gaspille de la sorte un temps précieux, qui serait bien plus utilement employé à faire des dépouillements systématiques, grâce auxquels il deviendrait ensuite possible de trouver sans effort, par le rapprochement quasi spontané des fiches, la solution d'une bonne partie des problèmes.

Mais - dira-t-on - si une formule nouvelle était si désirable, n'aurait-elle pas déjà vu le jour ?

Il faut compter tout d'abord avec la force de la tradition, particulièrement puissante dans une profession où le travail se poursuit de génération en génération, et où le respect du passé s'impose plus que dans aucune autre.

Sans doute faut-il aussi tenir compte d'un autre facteur : le « bricolage » artisanal, pour faible que soit son rendement, paraît souvent offrir plus d'attrait qu'un travail rationalisé, infiniment plus efficace, mais dont on redoute la monotonie.

Il est certes bien légitime que les bibliothécaires médiévistes souhaitent utiliser et développer leur intelligence et leur sagacité. Mais, plutôt que d'employer ces dons à transformer en jeux de patience et d'adresse des problèmes qui pourraient avantageusement se résoudre tout seuls, mieux vaudrait en faire un usage plus fructueux.

Il faut enfin compter avec un souci très louable : celui de publier rapidement, de ne pas se contenter d'accumuler des matériaux préparatoires, mais de faire, à chaque étape, profiter le lecteur de l'avancement du travail. Cela peut paraître impliquer la division en « tranches » numériques de la collection à cataloguer. Nous verrons qu'il est possible de concilier ce souci de l'efficacité immédiate avec une organisation toute différente.

Remédier à l'énorme déperdition d'énergie que provoque le processus traditionnel, et par conséquent accélérer fortement la marche du travail; faire que l'ouvrage achevé demeure intégralement et indéfiniment perfectible; enfin et surtout briser l'apparente antinomie entre l'inventaire, œuvre d'analyse, et le catalogue, œuvre de synthèse, telles sont, croyons-nous, les tâches urgentes que devraient se proposer les bibliothécaires chargés des manuscrits médiévaux.

Il ne s'agit pas de trouver la quadrature du cercle. Ces objectifs ne sont inaccessibles que dans le cadre de l'organisation habituelle du travail. Ils pourraient être assez facilement atteints si l'on décidait de faire entrer seulement en ligne de compte d'une part les besoins à satisfaire, d'autre part les moyens que la technique moderne met désormais à notre portée.

Les besoins sont évidemment difficiles à évaluer avec précision, puisqu'à notre connaissance, aucun sondage d'opinion n'a jamais été tenté auprès des érudits qui fréquentent nos dépôts de manuscrits - l'opération pourrait se révéler assez instructive. Toutefois, à la faveur d'une expérience quotidienne de quinze années, il nous paraît raisonnable d'affirmer qu'une majorité de nos lecteurs habituels - tout au moins des médiévistes - est faite de spécialistes d'un auteur, d'une École ou encore d'une catégorie de textes bien déterminée. Pour ceux-là, ce qui compte avant tout, c'est d'avoir le moyen de vérifier rapidement et avec certitude si le texte de tel poème, de tel traité (que, d'ordinaire, ils connaissent mieux que personne) figure ou non parmi les manuscrits du dépôt considéré. Un inventaire exhaustif des textes assorti de répertoires aisément consultables est donc l'instrument de recherche qui répond au besoin le plus urgent de ce type de lecteurs.

Mais tous les médiévistes ne sont pas également spécialisés, et les spécialistes eux-mêmes souhaitent souvent contrôler et compléter leur information. Nos lecteurs doivent donc disposer d'une documentation bibliographique abondante et bien à jour, leur permettant de savoir si tel manuscrit a été étudié, si tel texte a fait l'objet d'une édition critique, etc.

Il est enfin un besoin primordial, bien qu'il ne soit pas toujours très consciemment ressenti par beaucoup d'érudits, étant très difficile, souvent même impossible à satisfaire : c'est celui d'une information archéologique et historique sur les manuscrits. Dans la plupart des dépôts de manuscrits, le lecteur ne dispose que de fort peu de moyens de connaître l'existence de groupes de manuscrits exécutés dans le même scriptorium, annotés par le même possesseur, entre lesquels il pourrait procéder à de fécondes comparaisons. Il n'existe guère de répertoires permettant d'identifier les anciennes cotes ou les mentions caractéristiques portées sur les feuillets de garde par des mains médiévales; les bibliothécaires eux-mêmes ignorent souvent la signification de beaucoup d'entre elles. Comment s'étonner, dans ces conditions, que bon nombre d'érudits modernes continuent, comme par le passé, à ne voir dans le manuscrit qu'un texte? S'ils préparent une édition critique, ils choisiront leur manuscrit de base non point parmi ceux qui ont été exécutés dans l'entourage immédiat de l'auteur (et comment pourraient-ils, en général, les identifier ?), mais uniquement sur la foi de critères intellectuels dont le P. Antoine Dondaine a récemment montré dans son beau livre consacré aux Secrétaires de saint Thomas 6 combien ils risquent d'être trompeurs. Souvent, ils devront se résigner à tenir pour insolubles des problèmes dont seule la comparaison paléographique et codicologique pourrait donner la clef. Sans revenir sur cette question, longuement développée dans notre premier article, nous tenons à réaffirmer ici notre conviction que l'introduction dans les dépôts de manuscrits de la méthode que nous avons appelée « archivistique » déterminera dans le domaine de l'histoire littéraire médiévale un progrès dont il est difficile de prévoir l'ampleur.

L'inventaire des textes.

Le premier besoin qu'éprouvent nos lecteurs, celui de savoir avec précision ce que contiennent nos collections, est relativement le plus aisé à satisfaire : la mise en chantier de l'inventaire exhaustif des textes manuscrits contenus dans un dépôt n'est en effet subordonnée à aucune condition préalable, ne suppose aucun travail préparatoire.

Cet inventaire est l'exact homologue, sur le plan des textes, du fichier général (lui aussi par définition exhaustif) que nous avions précédemment envisagé dans le domaine codicologique et « archivistique ». Le principe est le même : dans un cas comme dans l'autre, on ne saurait rien bâtir de solide sur des renseignements incomplets.

Toutefois, l'inventaire des textes exigerait sans doute une « main-d'œuvre » moins spécialisée que celle que requiert le fichier général. C'est une tâche toute de patience et de minutie, mais qui peut être sans inconvénient confiée à des débutants, pourvu qu'ils aient - comme en principe tous les jeunes archivistes-paléographes - une solide base paléographique et une bonne connaissance du latin et des langues vulgaires médiévales, et qu'un bibliothécaire expérimenté revoie ensuite le dépouillement et corrige les éventuelles fautes de lecture. Vu l'urgence extrême du travail, il faudrait pouvoir disposer pendant une certaine période d'une équipe point trop restreinte qui pourrait être composée pour partie de vacataires; certains membres de l'équipe pourraient, s'il en était besoin, travailler sur microfilms, ce qui donnerait plus de souplesse à l'organisation.

Afin d'éliminer les pertes de temps et les erreurs qu'entraînent fatalement les recopies successives - si fastidieuses au demeurant - il conviendrait que chaque texte décrit fît l'objet d'une fiche unique établie par l'un des assistants chargés du dépouillement des manuscrits, et vérifiée par le chef d'équipe. Cette fiche serait ensuite mise au net sous forme de cliché, et ce dernier, après nouvelle vérification, serait tiré par un procédé adéquat :
I° juxtaposé avec d'autres, sur un feuillet de papier constituant la notice du manuscrit dans l'inventaire des textes;
2° isolément, sur une carte de bristol.

Bien entendu, feuillets et cartes seraient reproduits au nombre d'exemplaires correspondant aux besoins, et les clichés seraient ensuite soigneusement classés (clichothèque) en vue des tirages supplémentaires ultérieurement requis. Il serait, en fait, indispensable de faire également un cliché de chaque face du feuillet de notice, pour pouvoir faire figurer en tête de la notice les indications générales concernant le manuscrit, et pour éviter d'avoir à refaire la juxtaposition des divers clichés de textes à chaque nouveau tirage.

Les techniques modernes rendent aisée une telle organisation du travail; un minimum de mécanisation permettrait d'éliminer pratiquement la partie la plus fastidieuse de la manutention et par là même une forte proportion des risques d'erreur. Ajoutons que le système dont nous venons d'exposer les grandes lignes n'est pas sans présenter des analogies avec celui qui fonctionne déjà depuis des années pour la confection du catalogue des livres imprimés de la Bibliothèque du Congrès de Washington, et de façon si satisfaisante que notre Bibliothèque nationale vient de l'adopter à son tour pour ses nouveaux catalogues quinquennaux.

Pour ne laisser subsister aucune équivoque, il nous paraît nécessaire de prendre un exemple concret. Soit un texte figurant aux feuillets 1 à 110 v° d'un certain manuscrit. On en établirait comme suit la fiche descriptive :

Il s'agit, on le voit, d'une simple description du texte, avec copie des rubriques, de l'incipit et de l'explicit. On n'ajoute rien aux renseignements fournis par le manuscrit; on ne prend parti sur aucun des problèmes qui peuvent se poser.

Pour composer la notice des textes du manuscrit considéré, il suffirait de disposer à la suite les unes des autres les diverses « unités » de description, dans l'ordre où les textes se succèdent dans le manuscrit.

Le volet de gauche serait, bien entendu, supprimé, puisque les indications générales (nom de la bibliothèque, cote) figurent déjà en tête de la notice. Si plusieurs textes du même auteur se suivent, on pourrait également supprimer, à partir du deuxième, la vedette d'auteur, que nous avons prévu de placer - en partie pour cette raison - un peu au-dessus du corps de la fiche.

Sur les cartes de bristol, au contraire, tout devrait subsister; tirées au nombre d'exemplaires souhaité, ces cartes pourraient alimenter tous les fichiers que l'on jugerait utile de constituer; fichier auteurs (pour lequel il ne serait pas même besoin d'ajouter des vedettes), fichier des incipit, des titres, voire éventuellement fichier méthodique.

Le cas des textes mutilés pose évidemment un problème, mais il y aurait sans doute lieu de faire pour eux des fiches analogues aux fiches normales. Elles prendraient place dans un fichier des textes mutilés, où les vedettes seraient fournies, suivant les cas, par les premiers ou les derniers mots de la partie subsistante. Chaque fois que l'on pourrait avoir connaissance, soit par une réclame annonçant le début d'un cahier disparu, soit par le recours à l'édition, des mots-charnières de la partie manquante, il conviendrait de les faire figurer au fichier, mais sur une fiche de couleur différente. Une grande institution scientifique, comme par exemple notre Institut de recherche et d'histoire des textes, pourrait centraliser les doubles des fiches de textes mutilés établies en France et à l'étranger; cela ferait avancer rapidement et sans beaucoup de peine l'identification des membra disjecta.

Toutes les mentions de date, de lieu, de copiste, etc., figurant dans les colophons seraient évidemment transcrites de manière non critique par les membres de l'équipe de l'inventaire des textes, et transmises à l'équipe chargée de l'inventaire codicologique.

Les autres exemplaires des fiches de textes serviraient de monnaie d'échange avec les autres grands dépôts de manuscrits pratiquant la même méthode de travail, qui serait, bien entendu, d'autant plus efficace qu'elle aurait pu faire l'objet d'un accord de normalisation plus large.

Cela permettrait en particulier à chacune des grandes bibliothèques participantes de se constituer rapidement de vastes répertoires d'incipit comportant de nombreux incipit d'œuvres d'auteurs médiévaux étrangers souvent peu répandues hors de leur contrée d'origine et, de ce fait, difficiles à identifier quand on les trouve ailleurs sans nom d'auteur ou affectées d'une fausse attribution.

En procédant comme nous l'avons indiqué, il serait parfaitement possible à une équipe de six ou sept personnes disposant du matériel adéquat de doter en quinze à vingt ans d'un inventaire complet et définitif de tous les textes qu'il contient, et des répertoires correspondants, un grand dépôt riche de vingt-cinq ou trente mille manuscrits médiévaux.

L'inventaire codicologique.

C'est à peu près, nous l'avons vu dans notre premier article, le délai qui serait nécessaire à une autre équipe, plus restreinte mais plus spécialisée, pour mener à bien, de son côté, l'inventaire général codicologique du dépôt - exhaustif lui aussi - et pour élaborer les fichiers indispensables à l'étude archivistique, paléographique, etc. des manuscrits, les concordances complètes, et, d'une manière générale, tous les instruments de travail que nous avons décrits dans l'appendice de notre précédent essai.

La documentation bibliographique.

Reste l'important problème de la documentation bibliographique, c'est-à-dire de la recherche et du classement des renseignements contenus dans les publications qui concernent directement ou indirectement les manuscrits médiévaux.

C'est un problème qui est bien loin d'être négligé à l'heure actuelle. L'activité à Paris de l'Institut de recherche et d'histoire des textes, à Bruxelles de la revue Scriptorium (avec son Bulletin codicologique) en est la meilleure preuve. Dans notre Bibliothèque nationale, les services des catalogues grec et latin ont procédé depuis près de vingt ans à d'importants dépouillements bibliographiques. Un travail analogue se poursuit dans diverses grandes bibliothèques et institutions scientifiques étrangères.

Ce qui nous paraît faire défaut, c'est une organisation et une répartition du travail tant sur le plan national que sur le plan international.

A Paris même, est-il bien certain que plusieurs institutions ou chercheurs isolés ne procèdent pas, chacun de son côté, aux mêmes dépouillements ? Dans l'affirmative, ne serait-il pas possible, avec un minimum d'organisation, d'obtenir, à partir de la même somme de travail, un rendement plusieurs fois supérieur?

Cependant, à Rome, à Varsovie, à Londres, on dépouille sur fiches revues et livres français et, à Paris, on fait le même travail sur les publications étrangères. Là encore, combien de temps précieux pourrait être gagné, combien le rendement de ces dépouillements serait multiplié si, dans chaque pays, un ou plusieurs grands dépôts de manuscrits ou instituts d'études médiévales se chargeaient de mettre sur fiches, selon des principes adoptés d'un commun accord, toute la production de l'érudition nationale! Il ne resterait plus ensuite qu'à reproduire ces fiches à un nombre d'exemplaires correspondant aux besoins et à les échanger entre grands établissements en même temps et de la même manière que les fiches de textes dont nous parlions plus haut.

L'organisation de la documentation bibliographique rétrospective poserait sans doute des problèmes un peu plus complexes que celle de la bibliographie courante, mais on pourrait l'envisager selon des principes analogues. Elle exigerait sans doute la constitution d'un fichier central des ouvrages et collections à dépouiller, permettant la distribution rationnelle du travail entre les instituts scientifiques, les groupes d'étude, voire les chercheurs isolés des divers pays, et la répartition judicieuse du fruit de ce labeur collectif. Sur ce plan, des nations où l'intérêt pour les études médiévales ne s'est manifesté qu'à une époque assez récente - les États-Unis, par exemple - et qui n'ont donc pas à leur actif une grosse production ancienne dans ce domaine, mais disposent de moyens de travail considérables, pourraient utilement venir en aide à des pays dont la production ancienne est importante, mais dont les possibilités de l'exploiter sont plus réduites.

A-t-on le droit de taxer d'utopies ces perspectives de division et de rationalisation du travail ? Elles ne font que rejoindre les préoccupations qui se font jour actuellement chez les spécialistes de maintes disciplines scientifiques où l'effort à fournir est beaucoup plus lourd et porte sur une production autrement considérable. Pourquoi l'érudition devrait-elle être tenue à l'écart de ce grand courant qui rénove de nos jours les méthodes de documentation et de recherche dans toutes les sciences ?

Au reste, le nombre va sans cesse croissant de ceux qui comprennent la possibilité pratique d'une large coopération internationale dans ce domaine comme dans tous les autres. L'éclatant succès remporté par le Comité international de paléographie qui, moins de trois ans après sa fondation, a déjà commencé la publication des premiers volumes de son Catalogue des manuscrits datés, prouve clairement qu'une telle collaboration est non seulement possible, mais très féconde.

L'étape finale de l'entreprise : le catalogue.

Il va sans dire que les fichiers élaborés par les équipes travaillant au sein d'un grand dépôt de manuscrits devraient être mis, dès le début de l'entreprise, à la disposition des érudits. Mais on ne saurait passer à l'étape finale, celle du catalogue, tant que les étapes préliminaires n'auraient pas été franchies : publication de toutes les notices de l'inventaire des textes (et mise sur pied corrélative des divers fichiers intéressant les textes), achèvement du fichier général codicologique et « archivistique » et de ses répertoires annexes décrits dans notre précédent article, enfin élaboration d'un vaste fichier bibliographique aussi complet que possible. Si l'on veut éviter l'optimisme excessif, il faut prévoir, nous l'avons dit, qu'un délai minimum de quinze à vingt ans s'écoulerait entre le début du travail et le passage au stade du catalogue.

Supposons terminés ces travaux préliminaires, et voyons comment se présenteraient les notices d'un tel catalogue de manuscrits médiévaux.

Une foule de raisons - qui apparaîtront au cours de l'exposé - militent en faveur de la présentation sous forme, non de livres reliés, mais bien de portefeuilles où seraient classés des feuillets mobiles assimilables à des fiches de grand format.

Chaque notice de manuscrit se composerait, en principe, de trois feuillets distincts :

1. Le feuillet d'inventaire des textes.

Nous n'avons pas besoin d'y revenir longuement, puisque nous avons tenté de définir plus haut les principes de son élaboration. Il porterait la simple description des textes contenus dans le manuscrit, dans l'ordre exact où ils se présentent, et sans la moindre prise de parti sur les problèmes qui se posent à leur sujet. Purement objective, cette description ne saurait « vieillir ».

Ce feuillet, qui constituerait en quelque sorte le « squelette » de la notice, devrait être considéré comme définitif, et ce caractère de pérennité pourrait avantageusement se matérialiser par l'emploi d'un bon bristol mince et résistant, voire d'un papier plastifié.

Comme nous l'avons dit, l'inventaire des textes, qui n'exige aucune préparation, pourrait être rapidement entrepris dans n'importe quel dépôt de manuscrits. Il préexisterait au catalogue dont il rendrait ensuite possible l'élaboration, et dont il deviendrait, pour finir, l'un des éléments constitutifs.

2. Le feuillet de catalogue critique et bibliographique des textes.

L'inventaire des textes avec ses répertoires sur fiches étant achevé dans le dépôt considéré, et les bibliothécaires bibliographes disposant en outre non seulement d'une abondante documentation bibliographique, mais encore, dans l'hypothèse la plus favorable (c'est-à-dire dans le cas où le même travail serait entrepris conjointement dans divers grands dépôts de manuscrits de plusieurs pays), des précieux éléments de comparaison fournis par les fiches de textes des autres établissements participants, il deviendrait possible de s'attaquer au catalogue critique et bibliographique des textes.

L'existence des répertoires sur fiches (auteurs et œuvres anonymes, titres, incipit, fichier méthodique) permettrait de regrouper aisément tous les exemplaires d'une même œuvre et de les traiter tous ensemble. La rectification des fausses attributions - si fréquentes dans les manuscrits médiévaux - l'identification des textes anonymes, la recherche des études et des éditions en seraient rendues bien plus rapides et efficaces.

Résultat de ce travail, le second feuillet, imprimé sur papier de couleur, serait consacré à la solution des problèmes posés par les textes et à la documentation bibliographique les concernant.

Portant, bien en évidence, la date de sa rédaction, il commencerait par un sommaire, en caractère gras, du contenu du manuscrit. Viendrait ensuite l'énumération, dans un ordre déterminé (inversement chronologique, par exemple) des divers travaux traitant du manuscrit dans son ensemble. Si celui-ci comporte - comme c'est le cas le plus fréquent - un certain nombre de textes distincts, un paragraphe séparé serait consacré à chacun d'eux en suivant l'ordre même adopté dans la description objective, et une disposition typographique identique, afin que le lecteur puisse passer sans hésitation d'un paragraphe du premier feuillet au paragraphe correspondant du second. Pour chaque texte, on signalerait, s'il est édité, la meilleure édition (ce sera, en général, la plus récente) et les principales études qui lui ont été consacrées. Les textes anonymes ou apocryphes seraient identifiés dans toute la mesure du possible, soit d'après les plus récents travaux, soit grâce aux renseignements accumulés dans les fichiers bibliographiques ou codicologiques.

Il va de soi que rien n'interdirait, bien au contraire, à l'un des bibliothécaires d'y exposer brièvement, sous sa propre responsabilité et sous sa signature, les présomptions ou les preuves qui lui paraîtraient justifier telle attribution, infirmer telle hypothèse, suggérer tel rapprochement; mais ces explications devraient être très succinctes, les longues dissertations étant réservées aux articles de revues auxquels le feuillet bibliographique renverrait le lecteur curieux de plus amples détails.

Au cas où l'identification d'un texte reposerait essentiellement sur des éléments d'ordre matériel (comparaison d'écritures, mention dans un inventaire médiéval, lecture aux ultraviolets d'une signature effacée, etc.), on pourrait de même renvoyer le lecteur au troisième feuillet de la notice, dont nous parlerons plus loin.

Ce feuillet de documentation bibliographique ne saurait être que provisoire. La fréquence de sa refonte serait évidemment fonction de la fréquence des publications consacrées au manuscrit ou à l'un des textes qu'il renferme. La nouvelle édition, datée, serait aussitôt expédiée aux abonnés et aux établissements échangistes, et mise en vente à l'intention des acheteurs « au numéro », à la connaissance desquels elle devrait être portée au moyen de listes périodiques. Bien entendu, le nouveau feuillet prendrait sans retard la place de l'ancien dans les exemplaires des salles de consultation.

C'est, on le voit, exactement le système adopté depuis longtemps à la satisfaction générale par des publications à feuillets mobiles telles que les Juris-classeurs ou l'Encyclopédie médico-chirurgicale, dont les abonnés ont besoin d'être tenus en permanence au courant des changements intervenus ou des progrès réalisés dans leur spécialité.

Ajoutons que l'emploi d'un procédé offset ou analogue permettrait de réduire au minimum le coût de l'opération (puisqu'il serait inutile de procéder à une nouvelle composition fort onéreuse : un simple collage, suivi d'un nouveau clichage, suffirait) et sa durée (pas d'attente chez l'imprimeur, de corrections d'épreuves, etc.).

3. Le feuillet de catalogue codicologique et archivistique.

De même que l'équipe bibliographique travaillerait, non pas sur des textes isolés, mais sur des ensembles de textes regroupés grâce aux fichiers issus de l'inventaire des textes, de même, l'équipe codicologique et archivistique ne traiterait pas des manuscrits isolés, mais des ensembles de manuscrits (exécutés dans un même scriptorium, rassemblés par un même possesseur) présentant des caractéristiques communes, s'expliquant les uns par les autres : cela lui serait possible grâce aux répertoires qu'elle aurait préalablement élaborés. Elle pourrait ainsi donner de chaque manuscrit, non point seulement une minutieuse description, mais aussi, dans bien des cas, une véritable explication. C'est pourquoi, nous référant à notre définition préliminaire, nous parlons, cette fois encore, de catalogue, et non simplement d'inventaire.

Le troisième feuillet de chaque notice n'aurait ni la pérennité du premier, ni le caractère éphémère du second. Il devrait, dans la plupart des cas, demeurer valable pendant fort longtemps, mais une nouvelle découverte pourrait toujours le rendre caduc.

Il comporterait deux grandes divisions :
a) une rubrique arclaivistique, retraçant l'histoire du volume, décrivant ses ex-libris successifs, énumérant les diverses cotes qui lui ont été attribuées dans les collections dont il a fait successivement partie, signalant les mentions qui pourraient en avoir été faites dans d'anciens inventaires, etc. ;
b) une rubrique codicologique et paléographique, datant et localisant le manuscrit avec toute la précision possible, caractérisant son écriture et la mettant éventuellement en rapport avec celle d'autres manuscrits, distinguant, le cas échéant, les diverses mains ayant participé à la transcription, décrivant avec précision la mise en page, la justification, la décoration, la reliure, etc.

Dans certains cas, la notice devrait être complétée par un quatrième feuillet consacré à des reproductions photographiques illustrant certains détails de la description matérielle : écriture ou décoration caractéristique, signatures, monogrammes, etc. En règle générale, ces reproductions devraient être faites aux dimensions exactes de l'original. S'il apparaissait nécessaire d'avoir recours à des images grossies ou réduites, l'échelle devrait être très clairement indiquée.

Exceptions à envisager.

Il va de soi que les règles générales que nous venons d'esquisser ne sauraient être automatiquement applicables à n'importe quel manuscrit. Il faudrait dresser, dans la phase préparatoire de l'entreprise, une liste des catégories de manuscrits pour lesquels des normes simplifiés devraient être adoptées (par exemple bibles, certains manuscrits liturgiques, pour lesquels un relevé systématique des incipit serait sans objet). Le critère majeur étant l'utilité pour les chercheurs, tout dépouillement manifestement superflu, qui aurait pour seule conséquence de faire perdre du temps à l'équipe et d'encombrer les fichiers, devrait être proscrit.

Des normes particulières devraient être également envisagées pour certains types de recueils qui se trouvent souvent dans les collections (recueils factices constitués avec des fragments de diverses provenances, etc.). De même, il se peut que l'expérience fasse apparaître la nécessité de consacrer seulement, au début, de brèves notices provisoires en un seul feuillet à certains manuscrits ne présentant qu'un intérêt tout à fait secondaire tant sur le plan du texte que sur le plan codicologique, paléographique et archivistique; ces notices devraient se distinguer nettement des autres par leur couleur et leur disposition typographique. Elles seraient ultérieurement remplacées'par des notices complètes, mais en attendant, cela permettrait au travail d'avancer plus rapidement.

Quelques objections prévisibles.

Tel serait notre catalogue de manuscrits médiévaux. Il est bien certain que cette suite de portefeuilles réunissant des feuillets mobiles, tirés à l'offset sur des papiers de diverses couleurs, et des planches de reproductions photographiques, ne ressemblerait guère aux instruments de travail auxquels nous sommes accoutumés. Il est donc facile de prévoir bon nombre d'objections.

Sans doute reprochera-t-on - et à bon droit - à ce catalogue de n'être pas un chef-d'œuvre typographique. Mais nous songeons moins à réjouir l'œil des bibliophiles qu'à doter les médiévistes de répertoires efficaces et sûrs.

D'un point de vue non plus esthétique, mais pratique, on entend souvent exprimer la crainte que les reliures mobiles ne favorisent le désordre. Nous ne pensons pas que cette crainte soit justifiée. Si le modèle choisi est bien conçu et de bonne qualité, il n'y a aucune raison pour que les feuillets soient égarés ou perdus. Et il ne faut pas plus de travail pour les intercaler que pour ajouter ou remplacer des fiches dans un fichier muni d'une tringle de sûreté.

Enfin, on objectera sans doute que le système préconisé entraînerait un encombrement excessif, tant à cause de l'obligation de consacrer au minimum trois feuillets (ou parfois même quatre) à chaque manuscrit qu'en raison de la perte de place provoquée par la description complète de chaque texte (titre, incipit, explicit). La formule qui consiste à remplacer, dans les notices, la description des textes connus et publiés par un simple renvoi à l'édition la plus répandue permet - dira-t-on - de réaliser une importante économie de papier et d'impression.

Cela n'est pas niable. Mais à quoi bon économiser le papier si, en contrepartie, l'on doit gaspiller un temps précieux en recherches bibliographiques nécessairement désordonnées, puisque menées au hasard des textes rencontrés ? Car il ne saurait évidemment être question de donner seulement les références faciles à trouver et de laisser les autres : tout le problème réside précisément dans ces autres. Et surtout, ce serait payer fort cher un mince avantage pratique que de l'obtenir au prix d'une renonciation à ce qui nous paraît être le seul cheminement vraiment logique : un relevé exhaustif des textes permettant de les regrouper, puis de procéder aux recherches bibliographiques sur les textes ainsi regroupés. Qui plus est, remplacer les descriptions objectives des textes par de simples références aux éditions, c'est condamner l'inventaire des textes à vieillir aussi rapidement que ces éditions elles-mêmes.

Au demeurant, est-il tellement superflu de faire connaître toutes les variantes de titres, d'incipit et d'explicit qui affectent, dans les manuscrits, des œuvres extrêmement répandues et tenues, de ce fait, pour « banales » 7? En dehors même des services que ces renseignements peuvent rendre dans le domaine de l'histoire des textes, ils seront souvent précieux pour le chercheur en lui faisant découvrir des liens de parenté entre divers manuscrits.

Sans doute faudrait-il prévoir encore d'autres objections. Elles vaudraient surtout contre les imperfections et les imprécisions de notre exposé. Mais il n'est déjà que trop encombré de détails techniques. Si les grandes lignes du système que nous préconisons devaient retenir l'attention d'un certain nombre de spécialistes, et si son adoption venait à être envisagée, il va de soi que son application devrait être précédée d'un minutieux travail de mise au point, qui ne saurait être que collectif.

Avantages pratiques du système.

Si nous n'avons évoqué que des objections de caractère pratique, c'est que, dans les discussions que nous avons eues jusqu'ici avec des collègues et des médiévistes, aucune objection théorique ne nous a encore été présentée.

Nous avons déjà insisté sur les avantages théoriques d'une méthode qui nous paraît répondre à des exigences logiques. Mais nous voudrions souligner, en terminant, un certain nombre d'avantages pratiques que présenterait l'adoption d'un tel instrument de travail dans les dépôts de manuscrits médiévaux.

Nous ne reviendrons pas longuement sur la rapidité du procédé. En séparant l'inventaire des textes de la recherche bibliographique, il devient possible de fournir aux érudits, dans un délai minimum, un relevé exhaustif de tous les textes figurant dans un dépôt. Des équipes volantes, démunies de toute ressource bibliographique, peuvent sans difficulté procéder à l'inventaire exhaustif des textes dans de petits dépôts provinciaux, le travail de documentation étant fait ultérieurement dans un centre bien outillé.

Mais l'avantage majeur d'un tel catalogue résiderait, croyons-nous, dans son extrême malléabilité. L'ordre de classement de ses notices variant au gré des besoins, il se prêterait à toutes sortes d'usages. Dans la salle de consultation, les lecteurs auraient à leur disposition plusieurs exemplaires du même catalogue, classés selon des principes différents. Le premier suivrait, comme il est normal, l'ordre numérique des collections. Un second regrouperait les manuscrits par fonds d'origine, et rapprocherait les notices de manuscrits faisant partie d'une même série et qu'un reclassement malencontreux a dispersés sur les rayons. Un troisième pourrait tenter de réaliser ce classement méthodique que Léopold Delisle appelait de ses vœux. Sauf, bien entendu, dans le premier exemplaire, il n'y aurait aucun inconvénient à faire figurer plusieurs fois la même notice si les nécessités du classement l'exigeaient.

Le catalogue se doublerait d'un vaste fichier - dont nous ne pouvons parler longuement ici - qui permettrait d'avoir facilement accès aux informations de tous ordres contenues dans les trois parties des notices.

Les abonnés et « échangistes » - ce seraient généralement des bibliothèques, des universités, des institutions scientifiques - recevraient naturellement le « service » régulier de tous les feuillets publiés et de toutes les fiches, au nombre d'exemplaires requis. Mais, de plus, tout médiéviste aurait la possibilité d'acquérir séparément la notice de tel ou tel manuscrit, accompagnée ou non du paquet de fiches représentant le dépouillement intégral des trois feuillets. Les spécialistes seraient ainsi en mesure de se constituer aux moindres frais, et sans avoir à s'imposer de fastidieuses séances de copie et de dépouillement, une documentation très complète sur les manuscrits intéressant leur spécialité.

Si un système de ce genre venait à être largement répandu et normalisé, on pourrait composer à volonté de véritables catalogues collectifs de manuscrits d'un certain auteur, d'une certaine discipline (manuscrits juridiques, médicaux, hagiographiques, astrologiques, etc.), ou des reconstitutions de bibliothèques médiévales dont les éléments sont actuellement dispersés entre de nombreux établissements; ces catalogues seraient tenus à jour en permanence grâce au renouvellement des feuillets bibliographiques.

A un moment où, de divers côtés, bibliothécaires et érudits commencent à s'interroger sur l'avenir des entreprises actuelles et sur la validité des méthodes héritées du XIXe siècle, nous n'avons pas cru inutile de proposer ces quelques idées à leur réflexion et à leur critique. Nous souhaitons vivement que ces suggestions puissent être le point de départ d'un échange de vues entre spécialistes, même si le projet initial doit sortir de ces discussions profondément modifié. L'essentiel est que l'on s'entende pour faire cesser un gaspillage de temps et d'énergie qui porte le plus grave préjudice au progrès des études médiévales, et pour promouvoir une rationalisation et une normalisation des méthodes, une division du travail et une coopération internationales qui sont devenues, à notre époque, les conditions mêmes d'une recherche scientifique fructueuse.

Illustration
Fiche descriptive

  1. (retour)↑  La rédaction du Bulletin des bibliothèques de France laisse à l'auteur du présent article l'entière responsabilité des idées qu'il y exprime et qui n'engagent que lui.
  2. (retour)↑  La rédaction du Bulletin des bibliothèques de France laisse à l'auteur du présent article l'entière responsabilité des idées qu'il y exprime et qui n'engagent que lui.
  3. (retour)↑  Pour une archivistique des manuscrits médiévaux dans : B. Bibl. France, 3e année, n° 12, déc. 1958, pp. 897-923.
  4. (retour)↑  Contribution au volume de l'Encyclopédie de la Pléiade consacré à L'Histoire et ses méthodes. - Paris, Gallimard, 196I. - In-12, pp. 106I-1108.
  5. (retour)↑  José López de Toro, El inventario : camino; el catálogo : cima bibliogránca, dans : Boletln de la dirección general de archivos y bibliotecas, Madrid, año IX, núm. LIII (eneromarzo 1960), pp. 8-12. Nous remercions également les nombreux collègues français et étrangers qui nous ont adressé à cette occasion leurs encouragements, leurs suggestions ou leurs critiques.
  6. (retour)↑  Mlle M.-T. d'Alverny, dans : Bibliothèque de l'École des Chartes, CXIV, 1956, p. 27I. - Voir aussi, sur le même problème : J. Perrier, dans Bulletin thomiste, t. IX, fasc. I; Rapports de conjoncture du Centre national de la recherche scientifique, nov. 1959, p. 222, et déc. 1960, pp. 303-304.
  7. (retour)↑  A. Dondaine. Secrétaires de saint Thomas. Rome, 1956. In-8°. Notamment pp. 182-184: « Ceci aussi constitue un avertissement... contre la fausse sécurité que pourrait engendrer la critique d'édition en général. C'est un fait : sans l'original du De veritate, la plus exigeante critique aurait ignoré plusieurs milliers de fois qu'elle n'atteignait pas la forme exacte du texte authentique, et bien souvent elle risquait d'errer. Il n'y a aucune raison légitime de penser que le cas du De veritate de St Thomas soit unique ».
  8. (retour)↑  Pour ne prendre qu'un exemple, combien d'incipit de textes aussi répandus que les sermons ou les épîtres de St Augustin se rencontrent dans nos manuscrits sous une forme différente de celle qui figure dans les Initia Patrum latinorum de Vatasso!