La xérographie dans les bibliothèques
Étude détaillée de la technique xérographique, de son prix de revient comparé à celui des autres procédés de reproduction, et de ses diverses possibilités d'utilisation dans les bibliothèques : reproduction en série de documents imprimés, dactylographiés ou manuscrits, reproduction de fiches de catalogue, de documents uniques ou épuisés, d'articles de revues, de pages manquantes d'un livre, etc... En raison de l'appareillage coûteux qu'il nécessite, ce procédé ne peut être utilisé que dans les grandes bibliothèques dont les besoins en reproductions assurent une utilisation suffisante des machines et, partant, la possibilité de leur amortissement. Bibliographie à la fin de l'article.
La technique xérographique fut inventée en 1939 par un juriste physicien, Chester F. Carlson, qui confia au « Battelle Memorial Institute » le soin de mettre au point sa découverte. Le brevet fut pris en 1940, le premier appareil fut présenté au public en 1948 par la Société Haloid, New York, sous le nom de « Xerox ».
La xérographie est un procédé de reproduction de documents électrique sec (d'où son nom tiré du grec « xeros » et «graphia ») basé sur les propriétés semi-conductrices du sélénium : ce corps, ainsi que ses alliages, a la faculté de laisser passer ou non le courant électronique suivant qu'il est placé dans la lumière ou dans l'obscurité. La projection lumineuse du document à reproduire sur une plaque de sélénium chargée préalablement d'électricité positive par une source d'énergie extérieure provoque la décharge locale de cette plaque aux endroits correspondants à la partie blanche du sujet. Seule demeure chargée l'image électrique du document. Pour la révéler on utilise les propriétés attractives de l'électricité positive et de l'électricité négative en projetant sur la plaque de sélénium une poudre fine pigmentée chargée d'électricité négative. La plaque de sélénium contient alors l'image positive, visible et inversée du document. Puis on procède au transfert électrique de celle-ci sur une autre surface de support, une feuille de papier par exemple, chargée elle aussi électroniquement. Pour rendre l'image permanente il reste à la chauffer quelques secondes dans un four afin que la poudre pigmentée pénètre dans le papier.
I. La surface de la plaque spécialement enduite de sélénium est chargée électriquement à son passage sous les fils.
2. Montre l'enduit de la plaque chargée d'électricité positive.
3. Le modèle (E) est projeté à travers l'objectif de l'appareil. Les petites croix montrent l'image projetée avec charges positives. Les charges positives disparaissent aux endroits exposés à la lumière, comme le montre l'espace blanc.
4. Une poudre chargée négativement adhère à l'image chargée positivement.
5. Après traitement à la poudre (4), une feuille de papier est placée au-dessus de la plaque et reçoit la charge positive.
6. Le papier chargé positivement attire la poudre de la plaque, formant une image positive directe.
7. La feuille de papier est chauffée pendant quelques secondes pour fondre la poudre et former un cliché permanent.
Ce procédé présente de nombreux avantages :
I. Il est économique, car ce sont toujours les mêmes plaques xérographiques qui servent.
2. Une même plaque peut fournir six copies directes sur du papier ordinaire (non photographique) ou une copie sur un papier pour offset qui est placé, à son tour, dans un duplicateur.
3. L'emploi des solutions chimiques classiques est évité puisque le révélateur est une poudre sèche.
4. Les opérations sont rapides, de l'ordre de quelques minutes (3 à 10).
5. Les manipulations de l'équipement peuvent être effectuées de façon satisfaisante par des employés de bureau, après familiarisation avec l'ensembledes appareils.
6. Des agrandissements ou des réductions de l'original peuvent être obtenus si l'on utilise une caméra à foyer variable.
7. L'original peut être constitué d'éléments composites collés ensemble, comporter des corrections collées sur des vignettes. Le procédé est assez souple pour fournir des reproductions satisfaisantes.
Il existe actuellement plusieurs appareils utilisant ce procédé. L'équipement de base « Xerox » comprend trois unités : le processor, la caméra et le four.
Le « processor », qui est l'appareil principal de l'ensemble, a des fonctions multiples. Il sert à sensibiliser électriquement les plaques de sélénium « Xerox », à révéler l'image du document original photographié sur la plaque, à transférer par contact l'image révélée de la plaque « Xerox » soit sur des feuilles de papier quelconque, soit sur un cliché offset papier, soit sur des feuilles translucides (calque, acétate, etc...) pouvant servir de film positif. Ce processor est composé d'un compartiment contenant six plaques « Xerox » disposées de façon à permettre un roulement d'utilisation, d'un tiroir pour la réserve de papier ou de clichés offset, d'une chambre pour sensibiliser les plaques et pour les transferts d'images par contact, de deux bacs de révélateur, l'un pour la reproduction de dessins au trait, l'autre pour la reproduction de similis et aplats.
La caméra « Xerox » est l'appareil de reproduction. Il en existe deux sortes : la première (caméra SS) comporte un objectif du type grand angulaire à mise au point fixe et éclairage incorporé; elle peut faire des copies au format de dimensions maxima 216 X 279 mm. La seconde (caméra V.R.) est un appareil photographique à foyer variable analogue à un agrandisseur, capable de réduire de 50 % ou d'agrandir de 150 % les dimensions du modèle original. Elle peut recevoir des documents de dimensions maxima 558 X 430 mm. Une minuterie automatique ouvre l'obturateur et allume les lampes. Une échelle spécialement graduée assure une mise au point précise avec ou sans l'emploi de l'écran de verre dépoli que comporte cet appareil.
Le four de fixage est destiné à fixer à la chaleur l'image de l'original sur les clichés offset papier et métal ou sur les supports papier ordinaire.
A ces appareils de base viennent s'adjoindre d'autres éléments complémentaires :
- l'appareil de fixage « Xerox » destiné à fixer chimiquement l'image de l'original sur acétate ou toute feuille en autre matière ne supportant pas la température du four; il nécessite évidemment l'emploi d'un liquide de fixage;
- l'appareil de transfert « Xerox » destiné à transférer l'image révélée de la plaque de sélénium sur une plaque offset métal.
L'utilisation de cet ensemble d'appareils exige un certain nombre d'opérations manuelles :
I. Mise en place de l'original à reproduire dans la caméra.
2. Mise en place de la plaque de sélénium dans le processor pour chargement électrique.
3. Transfert de la plaque chargée protégée par un cache dans la caméra.
4. Après reproduction de l'image sur la plaque, transfert de celle-ci protégée par un cache dans le processor pour révélation de l'image par la poudre pigmentée.
5. Mise en place d'une feuille de papier ordinaire ou offset dans le processor au contact de la plaque développée pour transfert électrique de l'image.
6. Si besoin est, retouches par enlèvement de la poudre au moyen de coton hydrophile ou de pâte à nettoyer les caractères de machines à écrire.
7. Mise en place du papier ordinaire ou offset dans le four de fixage pour rendre l'image permanente. On peut ainsi obtenir en direct sur papier quelconque six exemplaires de bonne qualité. Pour un nombre d'exemplaires plus élevé il faut utiliser un cliché offset papier et un duplicateur de bureau, l' « Offset Multilith » par exemple.
Toutes les opérations décrites ci-dessus sont réalisées automatiquement dans la machine à reproduire de bureau « Xerox 914 » pour les copies au format de l'original de dimensions maxima 229 X 356 mm. Les manipulations sont en effet simplifiées à l'extrême. Le magasin de papier de l'appareil étant alimenté (contenance 1.200 feuilles environ), il suffit de placer le document original sur la platine d'exposition, de régler un bouton de sélection numérique sur le nombre de copies désirées et d'appuyer sur un bouton de commande. Quelle que soit la quantité de reproductions demandées, celles-ci sont fournies directement par la machine sur papier quelconque à raison de six feuilles à la minute.
L'appareil « Copyflo » opère la reproduction xérographique automatique de documents normaux opaques ou translucides, la copie pouvant être agrandie ou réduite par rapport à l'original. Il permet aussi la reproduction de documents à partir de leur microfilm, ce qui présente un avantage réel dans le cas d'originaux d'un maniement difficile (livres reliés par exemple), de qualité variable, etc... La plaque sensible est un cylindre recouvert d'une couche de sélénium et mobile autour de son axe. Ce cylindre est successivement chargé, exposé à la lumière des projecteurs, développé par une poudre spéciale. Celle-ci est alors transférée du cylindre au papier par application d'une charge au verso de celui-ci. L'image est rendue permanente par chauffage de la poudre qui fond et s'incorpore au papier. L'appareil, dont le fonctionnement est assuré par un seul opérateur, peut fournir six mètres de copie à la minute.
Le calcul du prix de revient du procédé de reproduction est évidemment propre à chaque utilisateur. Il est fonction de nombreux facteurs tels que le choix de l'appareillage, la qualité des papiers utilisés, le temps d'utilisation de l'installation, le montant des salaires du personnel au service des machines, etc... Le prix de revient peut être cependant établi assez rapidement en appliquant les formules suivantes, données par la F. I. D. et que nous nous contentons de rappeler très brièvement. Représentons par Mh le tarif heure-machine :
Mh=Ff Mn+Fv (I)
formule dans laquelle Ff représente les frais fixes par an, Mn le temps de marche normal en heures par année, Fv les frais variables par heure.
Les frais fixes, c'est-à-dire les frais qui courent même si l'installation n'est pas employée, sont composés de quatre éléments :
- l'amortissement de l'appareillage,
- l'intérêt de l'investissement,
- le loyer,
- les frais généraux ou administratifs.
Les frais variables correspondent à trois dépenses :
- entretien et réparation,
- consommation du courant et frais connexes,
- appointements et salaires.
Une fois déterminé le tarif heure-machine Mh, le prix de revient est donné par deux autres formules :
Frais totaux de reproduction = Tn X Mh + Ma (2)
= Tn × Mh +Ma (3)
Frais de reproduction par ieuille = Tn×Mh+Ma n (3) dans lesquelles Tn représente le temps de reproduction pour une grandeur de tirage n, Ma le coût des matières pour une grandeur de tirage n.
Ce sont là des formules de base. Il existe des formules plus compliquées faisant intervenir en ligne de compte d'autres paramètres et à l'usage par conséquent de grandes entreprises. Nous ne faisons qu'en noter l'existence mais ne nous étendrons pas davantage sur elles pour ne pas alourdir cet exposé. Ce bref rappel est indispensable car c'est par de telles méthodes que nos collègues anglo-saxons ont pu juger avec précision la xérographie en établissant des tableaux comparatifs chiffrés.
Les prix qui figurent dans les tableaux suivants tiennent compte uniquement du coût des matières premières et du salaire des utilisateurs et ne font pas intervenir les notions de frais fixes.
De l'examen de ces divers tableaux, on déduit immédiatement que la xérographie est un procédé de reproduction économique; mais les appareils sont d'un prix élevé.
L'appareil « Copyflo » monocéphale (une chambre de projection de microfilms) coûte environ 430.000 NF. L'appareil « Copyflo » bicéphale (une chambre de projection de microfilms et une chambre de projection de documents) vaut environ 470.000 NF. La machine « Xerox 914 » n'est pas en vente en France, mais peut être louée : prix de base pour 2.000 copies, 620 NF par mois; au-dessus de 2.000 copies, 0,18 NF par copie.
L'équipement de base « Xerox » est plus abordable. L'équipement « Xerox V. R. » comprenant : l'appareil de charge et développement « Processor D », la caméra « V. R. », le four de fixage « Heat fuser », l'appareil de fixage « Vapour fuser », l'appareil de transfert sur plaques métal « Metal plate unit », le bac pour similis « Tone tray », plus les accessoires, vaut 34.447,50 NF toutes taxes comprises. L'équipement « Xerox SS » qui diffère du précédent par la caméra (caméra SS au lieu de caméra V. R.), vaut 26.160 NF toutes taxes comprises.
Les possibilités d'utilisation de la xérographie dans les bibliothèques sont variées et de plus en plus nombreuses grâce aux progrès de l'adaptation de l'appareillage aux impératifs bibliothéconomiques. Aussi ce procédé est-il employé couramment aux États-Unis et en Allemagne pour tirer en offset ou directement des bulletins, circulaires, rapports, pour obtenir des copies positives en noir et blanc sur papier ordinaire des exemplaires uniques d'imprimés ou de manuscrits, pour reproduire les pages manquantes d'un livre, compléter des collections de périodiques présentant des lacunes, pour fournir dans des délais rapides des reproductions d'articles de revues aux chercheurs qui en font la demande, reproduire des fiches de catalogue sur du carton de bonne qualité, reproduire des cartes sur du papier transparent.
La xérographie peut être préférée à l'imprimerie si le document original imprimé, dactylographié, dessiné ou manuscrit ne présente pas de demi-teintes et si le texte ou le dessin se détache bien sur le fond. En effet, la xérographie supprime la composition, les corrections d'épreuves, et les reproductions obtenues sur papier quelconque soit directement (« Copyflo », « Xerox 914 »), soit par l'intermédiaire d'un papier offset (« Xerox » portatif), sont de bonne qualité, parfois meilleures que l'original. Aussi l'Association des bibliothécaires du Colorado pour son bulletin, la « Louisiana state library » à Bâton-Rouge pour le Louisiana union catalog ont-elles adopté ce procédé.
Il faut cependant signaler un inconvénient non négligeable de l'appareil « Copyflo » : : l'impossibilité d'impressionner le papier recto-verso puisque celui-ci se présente en rouleau continu; d'où l'obligation, si l'on veut obtenir un volume, de procéder à un pliage accordéon.
De nombreuses bibliothèques étrangères utilisent actuellement la xérographie comme procédé de reproduction de fiches de catalogue, soit pour multiplier des fiches nouvelles manuscrites ou dactylographiées, soit pour obtenir de nouveaux exemplaires de fiches anciennes destinés à remplacer des unités usagées, salies ou à alimenter un catalogue classé différemment ou à fournir les éléments d'un catalogue collectif, soit pour réaliser un fichier unique à partir de fiches de formats divers ramenées par agrandissement ou réduction au format international. Les méthodes utilisées sont fonction de l'appareil employé, des caractéristiques des originaux, des qualités exigées des reproductions.
La « Bayerische Staatsbibliothek », la « Yale university library » utilisent l'équipement de base « Xerox » pour la multiplication des fiches, la première en opérant des tirages directs sur papier bristol, la seconde en tirant sur papier offset que l'on place ensuite dans un duplicateur « Multilith ».
La surface de la plaque de sélénium correspondant à celle de huit fiches de format international 7,5×12,5 cm, on pourrait croire qu'il est facile de photographier en une seule opération huit fiches fixées sur la platine de la caméra SS au moyen de papier collant transparent; mais on se heurte à des impossibilités inhérentes à l'appareil lui-même : le sélénium ne recouvre pas intégralement la plaque, il y a toujours une légère frange d'encadrement qui ne fixe pas d'image et l'on ne peut tenter de pallier cet inconvénient en augmentant la surface de sélénium, car le scorotron du « processor » n'est pas prévu pour charger une aussi grande surface; par conséquent, la frange neutre existe toujours. On peut donc utiliser l'équipement de base « Xerox » soit en reproduisant en une seule opération un nombre de fiches originales inférieur, six par exemple, soit en modifiant un peu la caméra SS (léger déplacement de l'objectif vers le bas, ce qui permet d'obtenir une reproduction de l'original avec environ 8 % de réduction. Dans ce dernier cas, les huit fiches à reproduire sont disposées sur deux colonnes et placées de façon à ce que celles de gauche aient leur partie supérieure dirigée vers le bas tandis que celles de droite sont orientées normalement. Les fiches écrites jusqu'au bord supérieur sont mises de préférence dans la moitié inférieure de la colonne de droite ou dans la partie supérieure de la colonne de gauche; inversement les fiches écrites jusqu'au bord inférieur sont placées dans la moitié supérieure de la colonne de droite ou dans la partie inférieure de la colonne de gauche. L'image légèrement réduite de ces huit fiches apparaît alors sur la plaque de sélénium et on peut après correction (par exemple, ablation d'une vedette de classement, d'un numéro d'ordre, suppression des ombres des bords des fiches...) procéder au tirage.
Le tirage direct sur carton permet l'économie d'une machine de duplication, mais présente certains inconvénients. Si l'on désire un nombre d'exemplaires d'une fiche supérieur à six, il faut procéder à nouveau à l'ensemble des opérations (électrification de la plaque de sélénium, prise de vue, etc...). D'autre part, la tonalité des différentes épreuves varie avec leur numéro d'ordre et le nombre exigé. En effet, si l'on désire une seule reproduction d'un original, on électrifie le papier positivement de façon à ce qu'il attire toute la poudre pigmentée négative de la plaque de sélénium. Si l'on désire plusieurs reproductions, il faut doser cette attraction de façon à ce que la même quantité de poudre se répartisse entre plusieurs épreuves. Aussi le tirage par l'intermédiaire d'une plaque offset donne-t-il de meilleurs résultats.
Il reste à procéder au découpage et au perforage pour obtenir des fiches sur papier quelconque, susceptibles de recevoir des additions manuscrites ou dactylographiées.
La « Library of Congress », après microfilmage des fiches de catalogue à reproduire, utilise un appareil « Copyflo » qui reçoit simultanément deux microfilms de 16 mm et tire sur deux rouleaux distincts de papier-carton, larges d'environ 13 cm chacun. Les fiches sont alors séparées les unes des autres à l'aide d'une machine à découper électronique qui est actionnée par une cellule photoélectrique au passage des traits noirs de séparation.
L'emploi de l'équipement de base « Xerox » soulève certaines difficultés lorsqu'il s'agit de photographier des pages d'ouvrages reliés, les platines des caméras n'ayant pas été conçues pour cet usage. Néanmoins si les marges ne sont pas trop étroites, il est possible d'obtenir des reproductions satisfaisantes.
L'appareil « Copyflo » que la « Library of Congress » utilise à cet usage fournit de bons résultats, mais il ne faut pas omettre de signaler que dans le cas de documents comportant des illustrations, la xérographie ne saurait remplacer la photographie.
Pour conclure, la xérographie, procédé de reproduction intéressant, peu onéreux, susceptible de rendre de grands services aux bibliothécaires, nécessite l'emploi d'un appareillage coûteux que seules les grandes bibliothèques peuvent songer à se procurer, leurs besoins en reproductions assurant l'utilisation suffisante des machines et par conséquent la possibilité d'amortissement. Dans les autres cas, il est probablement préférable de recourir au travail à façon par des maisons commerciales spécialisées.
L'auteur remercie Mlle Galliot, bibliothécaire à la Bibliothèque nationale, qui lui a apporté sa collaboration pour la documentation étrangère.