Nécrologie

Georges Collon

André Masson

La nouvelle de son décès subit a provoqué chez tous ses collègues et ses amis une émotion d'autant plus vive que, jusqu'au dernier moment, étonnamment jeune d'allure, il paraissait destiné à faire une longue carrière. Nous avons tous éprouvé le même choc que lorsque disparut, à cinquante-sept ans, son camarade de promotion de l'École des chartes, Henri Vendel, pionnier de la lecture publique rurale, comme Collon a été celui de la lecture publique urbaine.

Ces deux grands bibliothécaires, très différents de tempérament, avaient la même foi totale dans la cause toute nouvelle qu'ils servaient avec une entière rigueur, avec un prosélytisme sans défaillance. N'est-il pas émouvant de lire en date du 24 mars 1947 dans un rapport d'inspection d'Henri Vendel, lui-même victime deux ans plus tard d'un trop grand dévouement à sa tâche, cette phrase : « Il est évident que le métier de bibliothécaire, tel que l'entend Georges Collon, conduit fatalement au surmenage, mais il lui est très difficile de s'occuper de quelque chose sans s'y donner à fond. »

A la Bibliothèque de Tours, Georges Collon avait eu pour prédécesseur son père, lui-même chartiste. Il lui succéda très jeune, après avoir soutenu en 1922 une thèse sur un sujet tourangeau. Aucune des formes d'activité de sa province, présentes ou passées, ne lui était étrangère. Sa participation à la vie des sociétés savantes, la belle série de ses catalogues d'expositions montrent son attachement aux formes les plus traditionnelles de l'activité du conservateur d'un grand dépôt de province.

Ce qu'il apportait de nouveau, c'est le libéralisme avec lequel il ouvrait les portes de sa bibliothèque. Pour en faire connaître les trésors, non seulement il multipliait les expositions, mais il s'astreignait deux jours par semaine à présenter lui-même les plus beaux manuscrits à peintures de la bibliothèque à toute personne désirant les voir, si humble fût-elle et même en dehors de toute recherche scientifique. Un rapport d'Émile Dacier le note le 3 avril 1937 et l'inspecteur général ajoute : « La Bibliothèque de Tours ne perd aucune occasion de prouver qu'elle est un organisme bien vivant et que l'un de ses soucis les plus constants est de répondre d'une manière aussi satisfaisante que possible aux besoins de la vie présente : on peut compter sur les doigts les bibliothèques de France où l'on s'est préoccupé de faciliter la lecture aux enfants et aux jeunes gens. La Bibliothèque de Tours est du nombre. »

En dehors de la communication des manuscrits et des livres précieux, le conservateur de la bibliothèque de Tours pénétrait rarement dans son propre cabinet. Sa place préférée, c'était ce qu'il appelait la « dunette » ou la « passerelle du commandant », c'est-à-dire le bureau de la salle de lecture d'où il pouvait donner le renseignement au lecteur, souvent même porter lui-même le livre, plus prompt que les employés. Quand il faisait une tournée en bibliobus, c'est lui qui prenait le volant. Quand l'architecte de la Ville déclarait qu'une réparation était trop coûteuse, il se substituait à lui, traitait directement avec l'entrepreneur ou l'artisan. C'est ainsi qu'il évita l'évacuation d'un magasin à livres, dont le plancher menaçait de s'effondrer, en suspendant les rayonnages aux poutres de la charpente, initiative hardie mais génératrice d'économies, devant laquelle les hommes de l'art durent s'incliner.

Les nombreux candidats-bibliothécaires, qui eurent le privilège de faire leur stage à Tours, conservent un souvenir émerveillé de la clarté de démonstration et de la force de conviction du conférencier. On était très loin de la salle de cours. C'était plutôt l'artisan révélant à l'apprenti les secrets du métier et lui communiquant sa flamme.

Quand survint le désastre de 1940, Georges Collon le ressentit comme s'il était lui-même frappé dans sa chair. Il avait sauvé les plus beaux manuscrits, mais il était inconsolable de la perte de tant d'autres merveilles. La catastrophe fut un nouvel aiguillon pour son activité. Il obtint la plus belle salle de l'hôtel de ville dont il multiplia l'espace par d'ingénieux agencements. Il provoqua des dons. Il quittait sa maison de Joué-les-Tours à la première heure pour rentrer tard dans la nuit, après avoir besogné aux travaux de reconstitution, sans déserter la présence dans la salle de lecture.

Toujours à l'affût de formules nouvelles, il prit l'initiative d'un service de diffusion entièrement original qu'un rapport d'inspection du 19 octobre 1950 décrit en ces termes : « Le principe du nouveau service est de faire masse des petites bibliothèques scolaires éparpillées, de rénover leur fonds par des achats de livres groupés et de faire circuler le tout. M. Collon voudrait faire l'acquisition d'un bibliobus-magasin, aux dimensions d'un autocar. qui stationnerait dans les divers quartiers à jour fixe. »

Tant d'action et d'efficacité désignaient Georges Collon pour le grade de conservateur en chef, qui l'obligea à quitter sa ville natale, afin d'occuper les hautes fonctions d'administrateur de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, puis de remplir l'importante et délicate mission de préparer notre future Nationale de prêt. Après un récent accident, devant la menace de troubles graves de santé, il revint mourir à Tours, où il avait donné son coeur et le meilleur de ses forces.