Journées d'étude des bibliothèques municipales
Tours, 19-20 décembre 1960
Au cours des Journées d'étude qui ont réuni à Tours les directeurs des bibliothèques municipales classées et quelques bibliothécaires de bibliothèques municipales non classées, les questions suivantes furent successivement abordées : place de la littérature et de la documentation étrangères dans une bibliothèque municipale; fonctionnement de la Bibliothèque municipale de Tours; problèmes de catalogage (normalisation, travaux de refonte, catalogues systématiques) personnel des bibliothèques municipales (recrutement et situation juridique).
Les Journées d'étude de la Direction des bibliothèques de France se sont tenues à Tours les 19 et 20 décembre 1960 dans les locaux de la Bibliothèque municipale. Elles réunissaient les directeurs des bibliothèques municipales classées et quelques bibliothécaires des bibliothèques municipales non classées, auxquels s'était joint le bibliothécaire de la Bibliothèque Schoelcher à la Martinique.
Première séance (lundi 19 décembre 1960, 9 h 30).
La séance est ouverte par M. Julien Cain, directeur général des Bibliothèques de France. Il est entouré de M. Lelièvre, inspecteur général des Bibliothèques, de M. Poindron, conservateur en chef, chef du Service technique à la Direction des bibliothèques de France. MM. Brun et Masson, inspecteurs généraux des Bibliothèques, sont également présents, ainsi que M. Paul, sous-directeur, Mlle Salvan et M. Bleton, conservateurs à la Direction des bibliothèques. M. Gras, conservateur de la Bibliothèque municipale de Dijon, représente l'Association des bibliothécaires français. M. Petersen, chef de la Division des bibliothèques à l'Unesco, s'était fait excuser. Mlle Logusz, bibliothécaire à l'Université de Cracovie, avait été invitée à suivre les séances.
Dans son allocution d'ouverture, M. Julien Cain indique pour quelles raisons les Journées d'étude se tiennent pour la première fois en province et quels motifs ont dicté le choix de Tours.
« Si j'ai choisi Tours parmi toutes les autres bibliothèques municipales - et mon embarras aurait pu être grand, tant elles ont de titres parfois prestigieux à faire valoir à notre attention - c'est parce que la Bibliothèque municipale de Tours a, me semble-t-il, valeur de symbole.
« Parler de Tours et de sa bibliothèque qui fut incendiée le 29 juin 1940, c'est immédiatement éveiller le souvenir des bibliothèques sinistrées.
« A côté des bibliothèques universitaires de Caen, de Strasbourg, sans oublier la Section des sciences de Marseille, 49 bibliothèques municipales ont été sinistrées et plus d'un million de livres appartenant à ces bibliothèques, détruits. La Bibliothèque municipale de Tours représente avec ses 215.000 volumes la perte la plus lourde qui ait été enregistrée. Le bâtiment fut détruit et seuls purent être sauvés, grâce aux mesures de sauvegarde qui avaient été prises par son conservateur, M. Collon, 784 manuscrits et autres documents précieux.
« Aujourd'hui si des chantiers sont en cours, un certain nombre de bibliothèques dont les bâtiments avaient été entièrement anéantis ou avaient souffert des bombardements, ont été reconstruits. En dehors de Tours dont les portes furent ouvertes au public le 26 novembre 1957, il y a donc un peu plus de trois ans, nous avons au cours des dernières années inauguré les nouveaux bâtiments de Beauvais, de Brest, de Douai, de Lorient, pour ne citer que les plus importants.
« Mais Tours ne symbolise pas seulement la résurrection d'une bibliothèque sinistrée, elle symbolise également la volonté déterminée de créer une bibliothèque moderne.
« Avant-guerre la bibliothèque, grâce à son conservateur, M. Collon, était une bibliothèque modèle, non certes par ses installations à la vérité désuètes, mais par l'esprit qui l'animait. Maints stagiaires y ont acquis une notion du service public dont ils sont encore aujourd'hui reconnaissants à M. Collon de la leur avoir révélée.
« L'incendie de 1940 marqua à peine une interruption dans la vie de la bibliothèque. M. Collon avec un dévouement inlassable s'employa à assurer le fonctionnement du service. Cette tradition du service public, M. Fillet la continue, mais le rôle de la bibliothèque en 1960 est considérablement plus large qu'en 1939 et M. Fillet a la chance, que beaucoup de ses collègues lui envient déjà et lui envieront encore plus demain quand ils auront visité sa bibliothèque, d'avoir une bibliothèque neuve. »
M. Cain rappelle les sacrifices consentis notamment sur le plan financier par la Ville de Tours, non seulement pour la construction et l'aménagement du nouveau bâtiment, mais également pour en assurer le fonctionnement normal.
M. Cain souligne que l'État a contribué non seulement à la reconstruction de Tours et à celle des autres bibliothèques sinistrées, mais encore aux travaux entrepris par des municipalités pour des bibliothèques non sinistrées.
M. Cain cite quelques chiffres : « de 1947 à 1957 inclus, 540.350.000 anciens francs ont été engagés pour des travaux de construction et d'équipement des bibliothèques municipales ; pour les années 1958, 1959 et 1960, le total des sommes engagées s'est élevé à plus de 560 millions d'anciens francs, la somme des trois dernières années dépassant celle des dix années précédentes. C'est donc plus d'un milliard 100 millions, toujours exprimés en anciens francs, qui ont été accordés depuis 13 ans à des villes par la Direction des bibliothèques de France à titre de participation à leurs travaux. Certaines bibliothèques sinistrées ayant bénéficié de subventions à 50 % en plus de leurs dommages de guerre, les autres subventions étant calculées sur la base de 35 %, on peut considérer que les travaux effectués ou engagés depuis 1947 jusqu'à 1960 pour les bibliothèques municipales ont dépassé trois milliards ».
M. Cain pense que la visite d'un bâtiment neuf et de ses équipements après trois ans de fonctionnement est hautement instructive. C'est pourquoi l'après-midi du lundi sera consacrée à la visite de la bibliothèque.
M. Cain présente l'ordre du jour des séances et termine en remerciant M. le Maire de Tours et M. Fillet de l'hospitalité qu'ils offrent aux bibliothécaires, « certain d'avance que, grâce à cette hospitalité, ces Journées d'étude se dérouleront sous le signe de l'amitié et de la confraternité ».
L'ordre du jour appelle une communication de M. P. Vaillant, conservateur de la Bibliothèque municipale de Grenoble, intitulée « Place de la littérature et de la documentation étrangères dans une bibliothèque municipale ».
« J'ai, en accord avec la Direction des bibliothèques, procédé à une enquête auprès de mes collègues ici présents et les remercie de l'empressement avec lequel ils m'ont répondu. Le questionnaire qui leur a été adressé était ainsi libellé :
I. Place qu'occupe dans la bibliothèque intéressée la littérature et la documentation en langues étrangères, qu'il s'agisse de romans étrangers, de classiques étrangers ou d'ouvrages de référence.
2. La raison pour laquelle une place plus grande n'a pas été réservée à ces diverses catégories d'ouvrages en langues étrangères.
3. Quel intérêt y aurait-il à mettre ces diverses catégories de publications étrangères à la disposition du public et lesquelles de préférence ?
4. Quel public serait susceptible d'y porter intérêt et auxquelles de préférence ?
« Des réponses qui me sont parvenues, j'ai dégagé quelques lignes générales. J'essaierai ensuite d'en tirer des conclusions en m'inspirant de celles qui ont été formulées par certains de mes collègues.
« D'abord il semble que d'une façon générale les bibliothèques municipales de villes universitaires forment une catégorie à part. Dans ces villes, en effet, la littérature et la documentation en langues étrangères se trouvent généralement à la bibliothèque universitaire et dans les différentes bibliothèques d'instituts qui en dépendent et sont consultées et empruntées par les professeurs et étudiants qui, en fait, constituent la plus grande partie du public que ces livres intéressent. Dans ces villes universitaires, les bibliothécaires municipaux réservent en général une part de leurs crédits à l'achat d'ouvrages de référence en langues étrangères, en accord le plus souvent avec leurs collègues des bibliothèques universitaires, pour ne pas avoir d'ouvrages coûteux qui fassent double emploi dans les deux bibliothèques. En dehors des bibliographies, des grandes encyclopédies et des dictionnaires en langues étrangères qui figurent dans la plupart des bibliothèques municipales, il s'agit d'ouvrages de référence se rapportant aux fonds les mieux représentés dans les collections de la ville. On peut citer dans cet ordre d'idée les ouvrages qui ont trait à l'histoire et à la littérature régionales et plus particulièrement à certains écrivains, artistes ou compositeurs illustres, tels Montaigne et Montesquieu à Bordeaux, Stendhal et Berlioz à Grenoble. On peut citer aussi les ouvrages relatifs à des sujets où la bibliothèque a accidentellement, souvent par suite de dons, une documentation particulièrement riche, telle à Toulouse la documentation sur le catharisme et l'histoire du livre ou à Grenoble celle sur l'histoire du papier, la numismatique et l'histoire de l'Église.
« Si certains ouvrages de référence occupent une place honorable, il n'en est pas de même généralement pour les classiques et surtout les romans modernes en langues étrangères, à part, comme à Bordeaux, ceux qui figurent aux programmes de licence et d'agrégation. La plupart des bibliothécaires municipaux pensent que la bibliothèque universitaire, mieux fournie dans cette catégorie d'ouvrages, suffit aux besoins du public qui est presque le seul à les demander, à savoir le public des professeurs et des étudiants. Ces besoins sont satisfaits, d'autre part, pour l'anglais par des bibliothèques américaines, comme il y en a à Grenoble, à Lille et à Toulouse. Les romans étrangers, lorsqu'ils existent en nombre appréciable, sont souvent le produit de dons, comme à Besançon, à Lille, à Poitiers et comme à Grenoble pour certains fonds anglais, allemand et surtout italien. Mais ces fonds ne sont généralement pas tenus à jour.
« Ce qui est vrai pour les bibliothèques municipales des villes universitaires ne l'est pas tout à fait pour celles qui ne le sont pas, car certaines de ces dernières font véritablement office de bibliothèques universitaires. C'est le cas en particulier pour la Bibliothèque de Versailles qui doit satisfaire non seulement les étudiants de la ville mais une partie de ceux de la région parisienne. C'est le cas également pour les bibliothèques de villes comme Brest et Pau, où des collèges d'enseignement supérieur se sont récemment créés. D'une façon générale ces bibliothèques des villes non universitaires consacrent plus de crédits à l'achat des livres et surtout des classiques et romans en langues étrangères et ceci pour satisfaire les besoins des professeurs et étudiants qui n'ont pas localement d'autre bibliothèque. Certaines d'entre elles ont, du reste, été pourvues de cette catégorie de classiques et romans en tant que bibliothèques sinistrées; c'est le cas, entre autres, de Brest et de Douai. D'autres, telles les bibliothèques de Châlons-sur-Marne et de Reims, ont conservé, depuis de nombreuses années, un dépôt trimestriel de livres anglais fait par le « British Council » ou le Centre culturel américain, dépôt qui ailleurs a été abandonné. D'autres, par leur situation frontalière ou maritime, ont une raison supplémentaire d'entretenir un fonds de classiques et de romans en langues étrangères, ayant à satisfaire non seulement le public des professeurs et des étudiants, mais aussi celui de populations bilingues comme en Alsace pour Colmar et Mulhouse, ou de populations portuaires ayant depuis longtemps des rapports suivis avec l'Angleterre, comme celles de Brest, La Rochelle, Le Havre, Nantes ou Rouen. D'autres ont également, en raison de leur situation géographique, des colonies étrangères, italienne et anglaise à Nice, italienne à Nîmes, espagnole à Albi.
« Si dans l'ensemble les bibliothèques de villes non universitaires réservent une plus grande partie de leurs crédits aux achats de classiques et surtout de romans en langues étrangères, ceci ne veut pas dire que ces achats soient très considérables. Qu'il s'agisse de villes universitaires ou non universitaires, les bibliothèques municipales rencontrent, dans ce genre d'acquisitions, les mêmes difficultés. Difficulté d'abord d'information. On souffre généralement, comme le fait ressortir le conservateur de la Bibliothèque de Bordeaux, de l'absence de bonne revue bibliographique en langue française qui donnerait une analyse rapide mais précise des ouvrages étrangers les plus importants. Difficulté ensuite d'ordre financier et administratif. Difficulté enfin surtout budgétaire, les bibliothèques municipales ne disposant pas généralement, pour cette catégorie d'achats, de crédits aussi importants que les bibliothèques universitaires. C'est principalement cette insuffisance de crédits que soulignent les bibliothèques d'Aix, d'Albi, d'Avignon, de Carpentras, de Douai, de La Rochelle, de Montpellier, de Troyes et de Valence.
« Aussi, à part certaines bibliothèques de villes non universitaires comme Versailles, Limoges, Nantes, Nice, Tours, Troyes, qui, pour satisfaire un public enseignant et étudiant, consacrent des sommes relativement importantes à l'achat de livres en langues étrangères, la plupart sont obligées de limiter leurs efforts et de n'envisager momentanément que des acquisitions plus particulièrement sur des langues qui intéressent le public de la ville (langue allemande à Colmar, anglaise à Rouen, Brest, La Rochelle, Le Havre, espagnole à Albi).
« Quelle que soit, du reste, l'importance des achats, nous admettons tous la nécessité d'acquérir plus d'ouvrages en langues étrangères que nous ne l'avons fait jusqu'ici. Ce qui nous décourage toutefois, en dehors des difficultés déjà signalées d'information, d'achat et surtout budgétaires, c'est le peu d'intérêt manifesté par le public non étudiant à l'égard de tout livre en langue étrangère. A quoi tient ce peu d'intérêt pour le livre en langue étrangère ? Certains, tel le conservateur de la Bibliothèque de Limoges, pensent que cela ne correspond pas, comme on est parfois tenté de le croire, à une incapacité du lecteur français. S'il n'y a pas, d'après elle, assez de lecteurs de textes en langues étrangères, c'est qu'ils n'en ont pas un assez grand choix à leur disposition. Pour d'autres, comme le conservateur de la Bibliothèque de Caen et celui de la Bibliothèque de Nantes, le mal existerait de toute manière. Pour y remédier, il faudrait réformer l'éducation du lecteur. Le conservateur de la Bibliothèque municipale de Nantes fait ressortir que le problème de la place à faire dans nos bibliothèques municipales aux textes originaux de langues étrangères apparaît essentiellement comme un problème d'éducation et d'enseignement et qu'il faut persuader d'abord les lecteurs que la lecture d'un texte original est toujours plus enrichissante pour l'esprit que celle de la meilleure traduction.
« Quelles solutions pourrions-nous envisager pour remédier à ces diverses difficultés d'information, d'acquisition et surtout de pénurie de crédits et de désaffection des lecteurs ?
« Pour la difficulté d'information qui intéresse plus particulièrement l'ouvrage de référence, je pense, tout comme le conservateur de la Bibliothèque de Bordeaux, qu'il serait souhaitable de posséder une revue bibliographique, même sommaire et au besoin ronéotypée, qui nous indiquerait en temps voulu les ouvrages essentiels qui n'ont pas leur équivalent en langue française et dont une bibliothèque d'une ville un peu importante ne saurait se passer.
« Il est difficile de remédier à l'insuffisance des crédits d'achat surtout pour les ouvrages coûteux de référence. On pourrait comme le préconisent les conservateurs des bibliothèques d'Avignon, de Tours et de Troyes intensifier encore le prêt inter-bibliothèques. Mais il a déjà pris une grande extension depuis la guerre. Le mieux serait, comme le suggère le conservateur de la Bibliothèque de Tours, de rétablir les centrales régionales de prêt, avec un plan d'acquisition national pour tous les ouvrages de référence et revues en langues étrangères que les bibliothèques municipales n'auraient pas les moyens de se procurer. Ainsi, pourraient-elles réserver leurs crédits aux principaux classiques et romans modernes en langues étrangères qui doivent exister dans toute bibliothèque. Car il est incontestable, comme le pense le conservateur de la Bibliothèque de Limoges, que des livres en langues étrangères plus nombreux à l'accès du public dans les salles de lecture inciteraient peu à peu les jeunes lecteurs à en prendre connaissance, surtout à une époque où ces jeunes ont de plus en plus l'occasion de séjourner à l'étranger.
« Reste néanmoins le problème d'éducation du lecteur français signalé par le conservateur de la Bibliothèque de Nantes. L'absence d'intérêt pour le livre en langue étrangère généralement observé dans la plupart des bibliothèques prouve que ce problème existe. Nous ne sommes pas en mesure de réformer les programmes d'enseignement des langues. Néanmoins nous pourrions essayer d'introduire des livres en langues étrangères faciles dans les bibliothèques d'enfants et de jeunes, comme il en existe plus ou moins dans les bibliothèques d'Avignon, de Douai, de Limoges, de Rouen et de Tours et comme le souhaiteraient certains conservateurs de bibliothèque, tel celui de Caen. La méthode qui consiste à faire lire des contes à la fois en langue du pays et en langue étrangère a donné d'excellents résultats pour l'initiation linguistique d'enfants étrangers dans certaines branches de la Bibliothèque municipale de New York. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour l'initiation de l'enfant français aux langues étrangères ? Cette méthode a été appliquée avec succès à Tours pour des textes faciles, tels les « albums de Tintin » en anglais. A Limoges des statistiques ont permis de se rendre compte qu'une importante acquisition en 1959 d'ouvrages anglais a augmenté considérablement le nombre des sorties pour les élèves de 5e et surtout de 4e et 3e du lycée. La même méthode, qui consiste à acheter des livres étrangers faciles et leur traduction, peut être appliquée aux adultes en les complétant comme à Limoges par des disques de la Collection Armiel. Elle l'a été à Albi pour les lecteurs de la colonie espagnole afin de leur faciliter la connaissance de la littérature française. Une expérience originale a d'autre part été tentée à Versailles avec de bons romans policiers en anglais donnés par un Américain. L'intérêt suscité pour ce genre d'ouvrages a fait que des lecteurs les ont souvent empruntés en surmontant leur répugnance à lire des textes en langues étrangères. »
M. Cain remercie le rapporteur et oriente la discussion qui porte d'abord sur le problème de l'insuffisance des crédits.
A Villeurbanne, la bibliothécaire constate qu'il y a demande du public mais estime qu'un prélèvement élevé en faveur de la littérature étrangère grèverait trop le budget. Pour M. Lelièvre, un certain pourcentage devrait toujours être réservé à la production étrangère. Un moyen de remédier à l'insuffisance des crédits serait peut-être selon lui d'utiliser les possibilités d'échanges entre bibliothèques jumelées; il est fait état de plusieurs expériences qui n'ont pas toujours été couronnées de succès.
Certains bibliothécaires ont constaté une certaine incuriosité du public à l'égard de la littérature étrangère. Cette indifférence n'est pas générale mais il faut susciter un intérêt croissant pour les langues étrangères et, à cet égard, notamment collaborer avec les professeurs d'enseignement secondaire. Une expérience a été faite à Limoges où des livres russes ont été acquis en liaison avec des cours gratuits en langue russe.
Il est longuement débattu des différentes catégories d'ouvrages étrangers à mettre à la disposition du public, compte tenu des diverses catégories de lecteurs.
A propos des enfants il serait relativement facile d'établir une liste des meilleurs ouvrages étrangers.
M. Cain estime que les bibliothécaires ont le devoir d'acquérir les grands textes et que leur tâche est facilitée par l'existence de collections relativement bon marché du type de la collection Penguin, en Angleterre.
D'autre part il ne suffit pas d'acquérir, par exemple à Grenoble, les livres étrangers sur Stendhal, mais, comme dans toute grande ville, une documentation économique et sociale d'origine étrangère y a sa place. Certains annuaires comme le Statesman Yearbook devraient figurer parmi les usuels.
Quelques bibliothèques reçoivent les grands quotidiens ou hedbomadaires étrangers comme le New York herald tribune, le Times, le Journal de Genève, etc. mais le nombre des journaux devrait être accru.
A propos des « colonies » étrangères dans certaines villes industrielles, on note qu'il importe moins de fournir aux membres de ces colonies des livres dans leur langue d'origine que de leur faciliter l'accès à la littérature française.
L'information bibliographique pose un problème à beaucoup de bibliothécaires. Certains souhaiteraient disposer d'un bulletin sélectif analytique mais la rédaction d'un tel bulletin se heurte à des difficultés variées et les bibliothécaires devraient employer les moyens existants. On rappelle à cet égard le Supplément littéraire du Times, le Livre italien, Buch und Bildung, etc.
Deuxième séance (lundi 19 décembre, 15 heures).
L'après-midi est consacré à la visite de la bibliothèque à laquelle participaient le représentant de M. le Préfet et le représentant de M. le Président du Conseil général d'Indre-et-Loire.
Avant de donner la parole à M. Fillet, M. Masson fait un rapide historique des vicissitudes de la construction de la nouvelle bibliothèque municipale et énumère les différents emplacements qui furent successivement envisagés. Il souligne la part prise par M. Fillet dans l'équipement final de la bibliothèque 1.
La visite, commencée au rez-de-chaussée par le Service de prêt pour adultes, adolescents et enfants, se poursuit au premier étage avec les salles de lecture, pour se terminer aux étages supérieurs par la discothèque. Au cours de sa visite M. Fillet fournit de nombreux renseignements et, à l'issue de cette visite, les bibliothécaires réunis dans l'auditorium posent des questions complémentaires à M. Fillet.
Troisième séance (mardi 20 décembre, 10 h 30).
Avant de se réunir à la Bibliothèque municipale, les bibliothécaires s'étaient donné rendez-vous près de la bibliothèque, à l'école Anatole France, rue des Amandiers, pour visiter le Bibliocar scolaire 2. Les bibliothécaires visitent ensuite les locaux de la Bibliothèque centrale de prêt installée dans la Bibliothèque municipale.
M. Fillet, à la demande de ses collègues, fait un exposé détaillé sur le fonctionnement du système de prêt de la Bibliothèque municipale, question qui fera l'objet d'un article particulier dans un prochain numéro du Bulletin.
A 10 h 30, reprise des séances de travail pour l'exposé introductif de Mlle Salvan sur le catalogage.
« L'ordre du jour appelle maintenant l'examen d'un problème qui ne vous est que trop familier, celui du catalogage. A notre époque, on aime beaucoup ce mot de « problème ». Il y a eu, sans aucun doute, pendant de longues années, un problème de catalogage - problème irritant et absorbant à tel point que l'importance des « règles » et des « usages » à observer s'enflait jusqu'à devenir l'une des fonctions essentielles de la profession et, aux yeux de certains, sa justification même, alors que la rédaction des fiches, ramenée à de justes proportions, ne devrait être que l'une des tâches les plus subalternes dù métier. Ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que l'adoption de tel ou tel usage ne soulève pas d'intéressants problèmes d'ordre intellectuel, mais ces problèmes eux-mêmes, il faut l'avouer, étaient confondus avec des détails insignifiants, et chaque réunion ramenait les mêmes débats ennuyeux sur la substitution de la virgule au point ou sur le rejet de telle ou telle particule.
« Ces « problèmes » ont-ils disparu ? Non sans doute, mais on en entrevoit la solution, et cette solution - qu'on le veuille ou non - dépend des progrès de la normalisation. »
Mlle Salvan rappelle les arguments en faveur de la normalisation.
« Si nous prenons la profession à ses débuts, il y a d'abord la question de l'enseignement : les premières promotions du diplôme supérieur de bibliothécaire ont été désorientées, tout simplement parce que les élèves constataient avec effroi que les règles de la Bibliothèque nationale différaient de celles de la Sorbonne, et on ne peut demander à un candidat, angoissé par l'approche d'un examen, de ne pas accorder à ces divergences plus d'importance qu'elles n'en ont. Personne ne pouvait prétendre d'autre part posséder la vérité, et chaque établissement pouvait mettre en avant d'excellents arguments.
« Devenues bibliothécaires, appelées - par le jeu du cadre unique - à passer d'un établissement à un autre, ces jeunes recrues trouvaient, là encore, une diversité d'usages très déconcertante.
« Il fallait bien, une fois pour toutes, en finir avec ces flottements, faire du catalogage une vraie technique, « mécaniser » ce qui pouvait l'être : par exemple l'ordre et la présentation des éléments. Qu'il s'agisse du lecteur ou du bibliothécaire, il faut pouvoir passer d'un établissement dans un autre sans avoir à s'adapter à de nouvelles méthodes.
« Une collaboration entre bibliothécaires ne pouvait d'ailleurs s'amorcer sans que fût, au préalable, réalisée l'unification des usages. L'échange des fiches, qu'il s'agisse de la multigraphie des notices faites par une bibliothèque au profit des autres, qu'il s'agisse d'un service central de diffusion comme celui de Mme Delsaux, ou encore de catalogues collectifs, cet échange ne peut s'effectuer sans une normalisation préalable. Il y a de plus la possibilité - à laquelle nous ne renonçons pas - d'un catalogage centralisé pour tous les ouvrages courants. Bref, toute multigraphie implique l'établissement d'une fiche de base, comportant les mêmes éléments uniformément présentés.
« Je ne veux pas reprendre ici l'historique des diverses normes AFNOR qui tentent de répondre à ces exigences des catalogues, et qui ont été préparées à la commission du code. Je veux simplement rappeler quelques principes; beaucoup d'entre eux ont fait l'objet de débats passionnés, et les réactions à l'enquête publique sont vives. Il convient d'ailleurs que ces normes, dont on ne fait à l'heure actuelle que des recommandations pour tenir compte des catalogues existants pour lesquels une refonte s'impose, soient nuancées pour s'adapter à des bibliothèques plus petites au prix de quelques simplifications. »
Énumérant les normes françaises déjà publiées et celles en préparation, Mlle Salvan fait une allusion à la Conférence internationale de catalogage qui doit se tenir à Paris en octobre 196I. Mlle Salvan analyse ensuite les résultats d'une enquête faite auprès des bibliothèques municipales et relative à leurs catalogues.
« Cette enquête a été lancée, vous le savez, en mars dernier. Elle s'est adressée à 9I bibliothèques : toutes les classées et les plus importantes des non classées. Nous avons recueilli 70 réponses; celles de 8 bibliothèques municipales classées importantes nous manquent, et il y a lieu de le regretter. Nous disposons ainsi d'une mine de renseignements sur l'état des catalogues, qui pourra être utilement exploitée à divers points de vue. Signalons en passant qu'une grande richesse apparaît dans certaines bibliothèques en ce qui concerne les types de catalogues, par exemple Limoges et Tours disposent d'une remarquable gamme.
« Les catalogues des fonds locaux, imprimés ou sur fiches, pourront être recensé s si on réussit à dresser l'inventaire des catalogues et des bibliographies relatifs à la documentation locale, dont le principe a été accepté par la Commission nationale de bibliographie.
« Le dépouillement de l'enquête nous renseigne d'autre part sur l'existence de certains répertoires de fonds spéciaux : tauromachie à Nîmes, ouvrages de médecine à Moulins. Certains de ces fonds spéciaux ont été recensés depuis l'établissement du Répertoire des bibliothèques de France (c'est le cas, en particulier, du catalogue taurin de Nîmes entrepris en 1953). Nous espérons que la réédition du Répertoire, conçue sur une base plus large et beaucoup plus détaillée, inclura ces renseignements si utiles pour l'information des chercheurs.
« Ces diverses sources de documentation n'intéressent toutefois pas notre étude actuelle, et nous nous bornerons à parler ici des catalogues courants : catalogues alphabétiques auteurs et catalogues de matières, sous l'angle de la normalisation des méthodes.
« Normalisation matérielle d'abord : 56 réponses positives en ce qui concerne le format international 75 X 125 (adopté généralement pour les nouvelles acquisitions après 1957). Nous savons les difficultés que présente, à cet égard, la refonte. Quelques bibliothèques ont pu envisager, comme l'ont fait il y a quelques années certaines bibliothèques universitaires, une réduction du format des anciennes fiches pour les intégrer dans le nouveau catalogue. Une bibliothèque précise toutefois qu'elle pourrait le faire, mais que l'opération ne présente aucun intérêt, les fiches anciennes étant « trop mal faites ». Il reste encore évidemment des formats dissidents (en particulier des formats en hauteur) qui appellent une recopie pure et simple.
« Parallèlement à l'adoption du format international, se sont constitués de nouveaux catalogues alphabétiques d'auteurs et alphabétiques de matières. Quant aux catalogues systématiques suivant des classements dérivés de Brunet, ils sont souvent établis sur des fiches d'ancien format, et certains sont arrêtés.
« Il sera sans doute utile d'examiner ce problème des catalogues systématiques, et de voir dans quelle mesure leur reprise serait justifiée dans certaines bibliothèques d'étude.
« Les normes recommandées ont-elles été adoptées dans ces nouveaux catalogues. La question a été posée à l'enquête et on pourrait s'attendre à ce que les réponses soient toutes positives. Il y a eu cependant quelques réponses évasives ou incertaines...
« Très souvent, les réponses à l'enquête escamotent cette question, pourtant si importante, de l'application des normes, et on est surpris de relever, venant d'une bibliothèque municipale classée, une réponse absolument négative. Nous savons que les normes sont seulement recommandées. Nous savons combien les refontes sont pénibles et combien elles prennent de temps et exigent de personnel; mais il paraît impensable qu'on ne puisse pas, à une date donnée, entreprendre un catalogue sur des bases rigoureusement normalisées, en reprenant peu à peu la refonte suivant les moyens dont on dispose. On invoque sans doute le plus souvent la mauvaise humeur du lecteur, appelé à consulter plusieurs catalogues. Nous pensons que cette mauvaise humeur s'apaiserait très vite si le lecteur avait à sa disposition, pour la documentation récente, un catalogue de présentation agréable, comportant des notices claires et complètes. »
En l'absence de M. Cain rappelé à Paris, M. Lelièvre ouvre la discussion. Le premier problème abordé est celui de la refonte et des précisions chiffrées sont demandées aux bibliothécaires qui ont entrepris la refonte de leurs catalogues : Nancy, Bordeaux, Rouen, Clermont-Ferrand, Besançon, etc. M. Lelièvre insiste sur la nécessité de disposer de normes de productivité. Le coût de la refonte d'un catalogue est également considéré.
En ce qui concerne les nouvelles normes sur le catalogage, M. Fillet donne lecture des critiques qu'il avait formulées à l'égard de l'avant-projet relatif aux vedettes-auteurs. M. Fillet aurait souhaité que les normes tiennent plus compte des bibliothèques publiques et s'élève contre le principe adopté pour les vedettes-auteurs en ce qui concerne les usages nationaux.
. Au cours de la discussion qui suit, Mlle Salvan et M. Poindron rappellent que le problème de la normalisation des règles de catalogage doit être abordé en priorité du point de vue des bibliothèques d'étude, ce qui n'exclut pas une adaptation de bon sens dans les bibliothèques publiques. Ils soulignent également la nécessité, pour les règles nationales, d'être en accord avec des principes internationaux qui pourraient également inspirer la rédaction des bibliographies.
A propos des catalogues matières on rappelle l'existence de catalogues systématiques, généralement imprimés, utilisant la classification de Brunet. Ces catalogues gardent leur valeur pour le fonds ancien. Si de nouveaux catalogues systématiques devaient être entrepris, il semble que la préférence irait à la Classification décimale universelle (CDU). On pense que ces catalogues devraient être établis en priorité pour le fonds moderne.
L'expérience de la Bibliothèque universitaire et municipale de Clermont-Ferrand, qui porte actuellement sur 6.000 fiches, mérite d'être signalée.
On renouvelle le voeu maintes fois exprimé que les livres portent leur cote en CDU.
M. Lelièvre clôt la discussion sur le catalogage.
Quatrième séance (mardi 20 décembre, 15 h)
A la deminde de M. Lelièvre, M. Paul, sous-directeur, fait un exposé sur le personnel des bibliothèques municipales. Il aborde tout d'abord le point de vue législatif et réglementaire, donne quelques notions sur les cadres municipaux, traite des conditions de recrutement et examine la situation juridique du personnel municipal 3.
Au cours de la discussion très animée qui suit, furent abordés les problèmes d'effectifs pour en dénoncer l'insuffisance, et, dans trop de cas, le manque de qualification, de même que l'instabilité.
Parmi les autres questions, relevons l'échelonnement indiciaire et le déséquilibre avec les autres catégories de personnels municipaux, de bons employés étant tentés de quitter la bibliothèque, où leur avancement est précaire, pour d'autres emplois municipaux.
Devant le pessimisme exprimé par quelques bibliothécaires à propos des problèmes de personnel, M. Lelièvre tient à rappeler les résultats appréciables obtenus dans la qualification du personnel municipal depuis la création de la Direction. D'après un sondage fait sur 27 bibliothèques moyennes, il apparaît qu'en 1945, une bibliothèque était contrôlée par un archiviste départemental, une bibliothèque était contrôlée par un bibliothécaire professionnel, 25 bibliothèques n'avaient pas de bibliothécaires professionnels et, sur ces 25 bibliothécaires, 5 avaient le baccalauréat et 6 le brevet élémentaire. Aujourd'hui 16 bibliothécaires sont titulaires du diplôme supérieur de bibliothécaire et 20 bibliothécaires ont une licence ou un diplôme équivalent. Ces résultats sont dus en grande partie à l'action de l'Inspection générale mais nous sommes encore trop liés par la législation actuelle qui appelle une réforme. Des études ont été faites par la Direction des bibliothèques de France en vue de fonder une nouvelle législation sur des normes précises.
M. Lelièvre donne la parole à M. Masson pour une courte communication relative aux manuscrits. M. Masson rappelle la circulaire de la Direction des bibliothèques du 27 juin 1960 parue dans le Bulletin des bibliothèques de France (n° 8, d'août 1960), relative aux manuscrits et documents précieux et à leur récolement. D'un point de vue plus particulier, celui du Catalogue général des manuscrits, M. Masson demande aux bibliothécaires de le tenir très exactement informé, après récolement, non seulement des manuscrits manquants mais également des lacunes ou détériorations qui auraient pu être constatées.
M. Lelièvre, avant de lever la séance, remercie M. Fillet et ses collaborateurs pour leur hospitalité et leur accueil ainsi que pour l'excellente préparation des Journées d'étude. Il remercie aussi M. Fillet pour la remarquable démonstration qu'il a apportée de ce qu'il est possible de réaliser, compte tenu de la législation actuelle. Grâce à son emplacement, la Bibliothèque municipale de Tours ne peut être ignorée des Tourangeaux. M. Fillet, d'autre part, a su tirer le meilleur parti possible d'une bibliothèque à laquelle des critiques pourraient être faites sur le plan de l'architecture fonctionnelle.
M. Lelièvre constate que l'expérience de Tours peut être un exemple et demande à M. Fillet de tirer la leçon par écrit de son expérience de trois ans en examinant d'une part, le coût de la bibliothèque : personnel et matériel, et, d'autre part, son efficacité en se fondant non seulement sur les statistiques déjà faites, mais sur des enquêtes de caractère sociologique qui seraient du plus grand intérêt.