Projet de révision de la législation des bibliothèques publiques anglaises
Une révision de la législation des bibliothèques publiques d'Angleterre et du Pays de Galles est à l'étude. Le rapport Roberts, établi en 1958, a proposé certaines normes auxquelles les services devraient répondre pour assurer efficacement leur rôle. Une amélioration de la collaboration entre bibliothèques et la révision des catalogues collectifs régionaux sont également envisagées
Les dernières statistiques publiées dans le Library association record 1 sur l'activité des bibliothèques publiques anglaises fournissent, pour l'ensemble de la population desservie (5I.680.000 habitants), des chiffres dignes d'attention : un stock de livres de 71 millions, plus de 380 millions de prêts, soit une moyenne de 8 par habitant, 33.673 centres, annexes et dépôts (dont 559 « centrales »), 225 bibliothèques ambulantes; tels sont les résultats d'un système, à juste titre apprécié.
Et pourtant cette structure si efficace fait, depuis plusieurs années, l'objet d'études attentives, et une révision paraît indispensable. On a constaté en particulier que l'utilisation des bibliothèques a quadruplé depuis la dernière enquête officielle, c'est-à-dire dans une période de trente-cinq ans.
En 1957, le Ministère de l'éducation a désigné, pour étudier cette question et présenter toutes suggestions utiles, un comité spécial présidé par Sir Sydney Roberts, et dont la tâche était ainsi définie : « Étudier la structure des services de la bibliothèque publique en Angleterre et dans le Pays de Galles, et proposer éventuellement des modifications d'ordre administratif, en prenant notamment en considération les relations de la bibliothèque publique avec les autres bibliothèques. »
Ce comité recueillit, au cours de nombreuses réunions, parmi les autorités responsables un nombre appréciable de témoignages qui permit la rédaction de ce que l'on appelle communément le « Roberts's report 2»,
Cette publication officielle offre un grand intérêt, non seulement en raison de la réforme qu'elle prépare, mais parce qu'elle contient une mine d'informations sur la structure actuelle et les conditions de fonctionnement des bibliothèques anglaises, et qu'elle s'appuie d'autre part sur des statistiques très précises; elle reflète enfin les conceptions que se font de la bibliothèque publique ceux qui en assument la responsabilité.
Participaient en effet aux discussions qui ont précédé la rédaction du rapport, des représentants qualifiés des associations et organismes intéressés : organismes professionnels comme la L. A. (Library association), l'ASLIB (Association of special libraries), l'AIBM (Association internationale des bibliothèques musicales), organismes de recherche comme le DSIR (Department of scientific and industrial research); enfin des représentants de ce que l'on appelle les « library autorities », c'est-à-dire les collectivités locales qui ont la responsabilité d'un service; au total 71 organismes participaient aux débats. C'est dire combien le comité, ainsi constitué, était représentatif et compétent pour proposer des suggestions constructives.
Pour comprendre les conditions actuelles de fonctionnement des bibliothèques publiques anglaises, il est sans doute nécessaire d'en rappeler brièvement l'historique. On sait que c'est le « Public library act » de 1850 qui a marqué le développement, en Grande-Bretagne, d'un système dont un certain nombre de pays d'Europe septentrionale se sont inspirés. Cet acte législatif constituait pourtant une base de départ assez modeste; il donnait la possibilité aux bourgs (boroughs) de plus de 10.000 habitants d'établir une bibliothèque gratuite (free library) sur décision prise à la majorité des deux tiers des électeurs du gouvernement local. La taxe prévue était très faible (½ d. par tête), et le texte ne prévoyait pas de budget régulier pour l'acquisition des livres; on comptait pour cela sur de généreux donateurs. En fait, la mesure prise était, avant tout, destinée à promouvoir l'instruction des artisans et des ouvriers, et elle avait une couleur philanthropique qui est la marque de l'époque. D'autres actes législatifs furent pris par la suite, relevant notamment la taxe primitivement prévue et on comptait, vers 1880, 80 à 90 bibliothèques publiques. Les « library autorities » responsables pouvaient être des conseils de villes, de bourgs, voire même de paroisses.
La création de la « Library association » et la campagne de construction financée et animée par l'action d'Andrew Carnegie amenait le développement des bibliothèques publiques. A partir de 1893, la prise en charge des services échut, dans les villes, aux conseils de bourgs (boroughs councils) et aux districts urbains (urban districts councils).
Sur la structure primitive devait s'en greffer une autre, provoquée par l'entrée en scène des conseils de comtés (County councils) 3 aptes à assumer les responsabilités en matière de bibliothèques publiques. Ces conseils disposaient de moyens d'action développés et étaient en mesure d'assurer des services réellement efficaces, au moment même où évoluait la conception que l'on se faisait jusqu'alors de la bibliothèque publique : ce n'était plus seulement un rôle récréatif qui lui était reconnu, mais la charge de promouvoir l'instruction des masses et l'éducation des citoyens. Les conceptions nouvelles s'affirmèrent surtout quand fut promulgué le « Public library act » de 1919, qui autorisait les « County councils » à prendre en charge les bibliothèques dans les territoires demeurés sans services, à la condition de s'assurer le concours des comités éducatifs et, éventuellement, de leur en confier la gestion. Toutefois, les petites autorités antérieurement constituées continuaient leur activité, sauf dans le cas où elles acceptaient de remettre leurs pouvoirs aux conseils de comtés. En même temps, le taux minimum primitivement fixé était supprimé.
Les adhésions de principe des comtés se multiplièrent; les réalisations toutefois furent assez lentes et de nombreux services étaient loin d'être satisfaisants; les normes étaient variables et la coordination manquait.
Une nouvelle étape fut franchie après la constitution de la « National central library » : on sait que cette remarquable création eut pour noyau, à l'origine, la « Central library for students » créée en 1916 pour procurer des livres aux étudiants, et l' « Adult education committee », dès 1919, souhaitait le développement de ce service et l'organisation d'un vaste système de prêt.
En 1924, fut constitué le comité Kenyon, spécialement chargé d'étudier la structure des services, en vue de réaliser une coopération efficace et, en 1927, le rapport Kenyon concluait en faveur d'un transfert d'autorité aux comtés, et suggérait la création d'une « National central library », héritière de la « Central library for students », et rattachée au « British Museum ». Le rapport proposait aussi la création de services régionaux auprès des bibliothèques importantes, agissant à la fois comme dépôts d'ouvrages rares pouvant être prêtés à des bibliothèques moins bien équipées, et comme bureaux servant de centres d'orientation pour le prêt interbibliothèque. Ces bureaux devaient être aussi des dépôts d'histoire locale, et les pouvoirs locaux devaient en assurer le financement.
Aucune législation spéciale ne fut prévue. La création de la « National central library » (1930) se fit dans un esprit un peu différent des suggestions présentées par le rapport Kenyon. Le « British Museum » refusa le rattachement du nouvel organisme qui se constitua comme une sorte de « clearing house » officielle, indépendante, pour le prêt entre bibliothèques, dépôt d'ouvrages pour adultes et centre d'information bibliographique. La « National central library » reçut une subvention de la Fondation Carnegie, puis une subvention de l'État qui s'élève actuellement à £ 4.6.850. Entre 1931 et 1938, furent créés 10 bureaux régionaux non rattachés à une bibliothèque (dont 2 pour le Pays de Galles), agissant comme intermédiaires pour le prêt interbibliothèque et tenant à jour un catalogue collectif régional.
Dans la période qui suivit le rapport Kenyon, des transferts de pouvoir s'opérèrent des petites bibliothèques aux conseils de comtés et, parfois, des conseils de comtés aux villes. Tous les comtés ont adhéré aux actes législatifs. Il résulte de l'application d'actes successifs sans abrogation correspondante, que la répartition géographique des services est assez irrégulière, comme le montrent les tableaux publiés dans le rapport Roberts.
Dès 1927, le rapport Kenyon affirmait déjà avec force que la mission essentielle de la bibliothèque publique ne consistait plus à offrir une récréation occasionnelle et anodine aux lecteurs, mais qu'il convenait désormais de mettre l'accent sur la fonction qu'elle doit jouer au service de l'éducation et de la culture et qui lui confère une importance vitale sur le plan national. Ces observations, justifiées à leur époque, estiment les rédacteurs du rapport Roberts, s'appliquent à plus forte raison à la réalité actuelle : si le besoin de distractions est parfaitement légitime et s'il appartient à la bibliothèque publique de le satisfaire, là n'est pas l'essentiel de ses activités. Le nombre des lecteurs a augmenté; la radio et la télévision ont attiré l'attention du public sur les livres de toute catégorie 4; mais surtout, la conception que l'on se fait des responsabilités de la bibliothèque publique s'est élargie : on lui demande d'offrir ses ressources aux divers ordres d'enseignement - secondaire, supérieur, technique -; de fournir toute une gamme d'ouvrages de référence; de développer des services au profit des adultes et des enfants et de compléter les ressources des bibliothèques scolaires. Elle est également amenée à prendre une part importante dans l'organisation des manifestations culturelles et de ce que l'on appelle, en France, l'éducation permanente.
Ce principe admis, on observe que la structure actuelle des bibliothèques de Grande-Bretagne et les ressources dont elles disposent ne leur permettent plus de remplir pleinement leur mission.
Le critère d'efficacité, c'est la somme consacrée aux acquisitions. Le comité s'est efforcé de définir une norme et la « Library association » a apporté, sur ce point, des avis fondés sur une longue expérience. Les statistiques données sont pleines d'intérêt.
La production annuelle du livre en Grande-Bretagne est de 20.000 ouvrages. Sur ce total, on estime que 6.000 (3.000 « non fiction », 3.000 « fiction ») devraient figurer dans toute bibliothèque publique. Au prix moyen de 12 s. (tarif de 1958), une somme de £ 3.600 est nécessaire plus un supplément de £ I.400 pour les doubles et les remplacements. On arrive ainsi à un chiffre minimum de £ 5.000, sans tenir compte de l'acquisition d'ouvrages de référence et de périodiques. La « Library association » rappelle d'autre part qu'une réglementation de 1950 faisait état d'une moyenne raisonnable de 2 s. par tête, chiffre qui, compte tenu des augmentations évaluées à 50 %, devrait être majoré à 3 s.
Le minimum strictement indispensable ne peut, en tout cas, être inférieur à £ 5.000, ce qui implique un service de bibliothèque desservant au moins 40.000 personnes. Ce minimum doit être respecté, même si l'on admet que l'on peut faire appel au prêt interbibliothèque qui ne devrait pas être sollicité pour des ouvrages courants.
Ces normes, si elles sont adoptées, sont de nature à entraîner une importante réforme. Les « County councils » et les « County borough councils » sont en mesure d'assurer des services répondant aux normes fixées. En dehors de ces « autorities » et malgré les transferts dont il a été question plus haut, un assez grand nombre de services ne répondant pas aux normes ainsi définies fonctionne actuellement. Devront en tout état de cause être éliminées les bibliothèques de paroisses d'une part, d'autre part les bibliothèques de districts ruraux qui n'ont pas les moyens de remplir leur rôle avec efficacité.
Le cas de Londres est particulier. Le « County council » n'a pas la responsabilité des bibliothèques. La plupart des bourgs métropolitains (28 en tout) sont en mesure de continuer d'assumer leurs pouvoirs.
La situation des « non county boroughs » et celle des districts urbains demandent un examen approfondi. On suggère qu'ils puissent bénéficier d'un délai pour prouver qu'ils peuvent remplir leur rôle et s'aligner sur les normes.
Revaloriser les crédits, donner aux bibliothèques les moyens de fonctionner comme l'exigent les circonstances nouvelles, implique des effectifs accrus. Là encore, des normes sont proposées : un responsable à plein temps pour 3.000 personnes ; un effectif de bibliothécaires qualifiés représentant 40 % des effectifs globaux. On compte actuellement II.600 employés à plein temps dont 3.696 postes de bibliothécaires qualifiés pour l'Angleterre et le Pays de Galles. Il serait souhaitable de porter ces chiffres à 15.000 employés dont 6.000 bibliothécaires qualifiés.
Ici, nous voyons nos collègues anglais aux prises avec des difficultés de recrutement que nous connaissons bien : les postes existants de bibliothécaires qualifiés ne sont pas tous pourvus faute de candidats. Qu'en sera-t-il des 6.000 prévus ? A moins que l'on ne rende la carrière plus attrayante en relevant les traitements... La parité avec les enseignants, admise en principe, est redevenue un mirage lorsque l'on a Au les seconds bénéficier de majorations qui ont été refusées aux premiers. Résultat bien prévisible et bien naturel, certains bibliothécaires se sont orientés de préférence vers le secteur privé.
Quelques chiffres donnés en ce qui concerne les salaires sont significatifs : 60 % des bibliothécaires qualifiés affectés aux bibliothèques publiques atteignent un salaire maximum de £ 725, moins de 5 % arrivent à £ I.325.
Un effort reste également à faire en ce qui concerne les locaux dont l'insuffisance et la vétusté sont dénoncées. L'effort fait jusqu'à présent affecte les bibliothèques universitaires. Reloger des bibliothèques publiques a paru une tâche de seconde urgence, mais à laquelle il faudra bien s'attacher.
Ces bibliothèques, mieux équipées, pourvues de crédits et d'effectifs suffisants seront en mesure de coopérer et, en particulier, d'utiliser en commun leurs ressources par le moyen du prêt interbibliothèque. Selon les rédacteurs du rapport, la structure, ici encore, appelle une révision bien que ce service, tout onéreux qu'il soit, donne d'excellents résultats. Actuellement, le prêt interbibliothèque porte sur 250.000 ouvrages (sur un total de prêts de 390 millions environ); le prêt de livres rares ou épuisés rend d'inestimables services et, grâce à cette efficace coopération, tout livre est en principe 5 accessible à tout chercheur. Toutefois, on estime que la coordination est imparfaite et le financement insuffisant, et que certains catalogues régionaux laissent grandement à désirer. Le seul coût de la révision des catalogues entraînerait une dépense de £ 100.000, et cette opération est considérée comme prioritaire. Ajoutons que la « National central library » ne recensera plus, dans son catalogue, les ouvrages anglais courants publiés après le Ier janvier 1959 et ne les achètera pas : les régions devront donc se suffire à cet égard.
On suggère la création, auprès des bureaux régionaux 6, de comités locaux où siégeraient diverses personnalités, éventuellement choisies par cooptation, et où seraient représentées les bibliothèques privées. Chaque comité établirait un plan de coopération avec évaluation de la dépense. Les divers plans seraient soumis au Ministre de l'éducation et, s'ils étaient acceptés, les collectivités locales devraient payer leur part. On estime que cette part devrait comprendre équitablement une participation aux dépenses de la « National central library » qui, jusqu'à présent, était à la charge de l'État, pour une proportion de 85 %. Selon les rédacteurs, la contribution des autorités locales devrait être portée à 50 %, l'autre moitié restant à la charge de l'État. Quant à la révision des catalogues, elle serait financée par l'État, la mise à jour incombant naturellement aux autorités locales.
L'essentiel des suggestions formulées au cours des discussions, et en particulier les normes proposées, a fait l'objet d'une liste de « recommandations » qui s'expriment dans un esprit conforme à la tradition anglaise, c'est-à-dire que le rapport Roberts ne préconise en aucune manière un contrôle central des bibliothèques publiques. Il ne contient, par exemple, aucune suggestion en ce qui concerne l'inspection du gouvernement central. L'application des recommandations formulées entraînerait, toutefois, une responsabilité accrue du Ministère de l'éducation. Deux comités consultatifs seraient désignés par lui pour conseiller les autorités locales : l'un pour l'Angleterre, l'autre pour le Pays de Galles où les conditions sont particulières et où règne le bilinguisme. Les pouvoirs locaux devraient respecter les normes fixées sous peine de voir leurs attributions confiées à d'autres autorités plus efficaces. Inversement à la faveur d'une révision périodique, de nouvelles « autorities » pourraient être reconnues.
Aucune décision n'a encore été prise, mais le rapport a suscité en Grande-Bretagne, en Écosse (Bibliogr. 5 et 7) et en Irlande (Bibliogr. 6), un grand intérêt. Certaines associations ont recommandé de mener une campagne auprès des autorités locales et des partis politiques, afin de donner aux bibliothèques anglaises un statut digne d'elles. Il ressort des renseignements qui nous ont été communiqués par des collègues anglais, qu'un projet de loi doit être prochainement soumis au Parlement. Il n'est pas certain d'ailleurs que toutes les suggestions du rapport Roberts soient intégralement adoptées.
Les normes proposées sont discutées, mais le principe de la révision est généralement admis. Les mesures qui pourraient être envisagées devront être en tout cas suivies avec attention : l'importance de la bibliothèque publique, constituée en système ramifié avec une centrale puissante, est reconnue dans tous les pays, et le programme de l'Unesco lui fait une place justifiée. En France où beaucoup de villes importantes n'ont pas encore pris conscience de leur responsabilité à cet égard, la fixation de normes précises devrait également préluder à une réorganisation qui s'avère grandement indispensable.