Enquête sur les goûts de lecture des adolescents par le « nouveau test du catalogue »

Odette J. Lévy-Bruhl

Une vaste enquête statistique sur les goûts de lecture de 1200 jeunes de 14 à 18 ans a été effectuée par Odette J. Lévy-Bruhl avec la collaboration de la Bibliothèque de Boulogne-Billancourt. Elle est basée sur un test inspiré du « test du catalogue » de Tramer. En faisant choisir à chaque adolescent interrogé 30 livres sur un catalogue de 400 titres (dont chacun a été sélectionné soigneusement pour évoquer un sujet), il a été possible de connaître avec précision les intérêts des jeunes suivant l'âge, le sexe, le milieu social, etc... Une question supplémentaire sur les livres déjà lus et aimés complète les réponses au test et donne aussi de précieuses indications aux bibliothécaires. Les premiers résultats de cette enquête ont montré : I° qu'il y a toujours un domaine qui polarise l'intérêt central du jeune; 2° quels sont les thèmes attirant particulièrement les adolescents. Ainsi l'application de ce test permet de donner à chacun les livres dont il a besoin et de connaître les sujets qui « accrochent » les jeunes de 14 à 18 ans et peuvent les amener au goût de la lecture enrichissante.

Tous les bibliothécaires connaissent l'urgence du problème qui se pose : d'ici deux ou trois ans, par suite de l'afflux de main-d'œuvre dû aux poussées démographiques d'après guerre d'une part, et des progrès continus de l'automation d'autre part, nous devons nous attendre à une diminution des heures de travail. Que feront nos jeunes gens de ces loisirs quotidiens si nous ne parvenons pas à faire naître en eux des goûts culturels et en particulier celui de la lecture ?

Dès octobre 1960 - avant même l'application du prolongement des études - les enfants, nés en 1946, vont affluer dans les C. A. (centres d'apprentissage) et les classes de 3e des établissements secondaires. Pendant ces trois ou quatre prochaines années, avant que la vie ne les disperse, il sera encore possible, par des bibliothèques de classes ou d'établissements, ou par des prêts de bibliothèques municipales, d'essayer de leur donner le goût de la lecture enrichissante.

Mais comment « accrocher » ces jeunes gens trop habitués à la facilité des bandes de « comics », de « superman » (les garçons) ou aux romans à l'eau de rose et aux multiples Confidences (les filles)? Comment connaître leurs goûts de lecture alors qu'eux-mêmes les ignorent souvent ou ne parviennent pas à les exprimer ?

De nombreuses enquêtes ont été faites. On demandait aux jeunes : « quels sont vos 3 (ou 5 ou 10) livres préférés ? » ou : « quel est l'ouvrage lu cette année qui vous a particulièrement plu ? » ou : « quel genre de livres aimez-vous ? » etc. Mais elles ont toutes trois défauts :
I° impossibilité de statistiques comparatives puisque les lectures sont toutes différentes;
2° les choix dépendent du hasard des lectures, des bibliothèques familiales ou scolaires et les réponses pourraient être tout à fait différentes si les adolescents avaient pu lire d'autres ouvrages;
3° les réponses sont trop souvent faussées par le désir de faire bonne impression sur le professeur, l'enquêteur, le bibliothécaire.

En février 1946, le problème se posa à la directrice de la Bibliothèque de Boulogne-Billancourt à la suite d'une demande formulée par un professeur d'une classe technique commerciale qui désirait des prêts réguliers de caisses de livres pour faire lire davantage ses élèves de quatorze à dix-huit ans. Avant de faire un premier envoi, Mme de Grolier voulut faire une enquête sur les goûts de lecture de ces jeunes gens en leur proposant un certain nombre de sujets. Mais ce questionnaire ne fut pas bien compris : on constata que certains termes prêtaient à confusion et surtout les adolescents ne savaient pas exprimer quels étaient les genres de livres qu'ils voulaient.

C'est ainsi que Mme de Grolier, désireuse d'éviter les défauts des enquêtes habituelles, me demanda de chercher dans des tests appliqués préalablement en France ou à l'étranger un moyen de mieux discerner les goûts et intérêts des jeunes de quatorze à dix-huit ans.

Test du catalogue

Nous nous sommes inspirés de l'idée de base du « test du catalogue » imaginé et mis au point il y a plus de vingt-cinq ans par le psychiatre suisse Tramer, et expérimenté avec succès sur des milliers de jeunes gens par une spécialiste de la psychotechnique, Mme Baumgarten, professeur à l'Université de Berne 1.

Ce test, basé uniquement sur un choix de 10 titres de livres, était destiné à l'examen psychologique des adolescents. Il avait permis de connaître la variété de leurs intérêts, l'influence sur ceux-ci de l'âge, du sexe, de l'intelligence, et avait montré qu'il y a toujours un domaine qui polarise l'intérêt central du sujet.

Il nous a donc paru intéressant d'essayer d'appliquer un test de ce genre aux jeunes Français afin de parvenir à connaître les sujets qui les intéressent et donner ainsi des renseignements précieux aux bibliothécaires et éducateurs qui s'occupent des adolescents.

Nous avons également étudié divers travaux de classement et d'investigation (M. Epstein, M. Roubakine).

Conseillés par un petit comité de bibliothécaires et de professeurs réunis à la Bibliothèque de Boulogne, ainsi que par le Laboratoire de psychobiologie de l'enfant, nous avons alors mis au point un « nouveau test du catalogue » adapté aux jeunes Français ainsi qu'au but poursuivi.

Nouveau test du catalogue

Le principe était le suivant : faire choisir à tous les jeunes garçons et filles, sur un même catalogue de 400 livres environ (groupés en romans et ouvrages de culture générale) les titres de livres qu'ils désiraient lire d'après les sujets évoqués par ces titres, soigneusement sélectionnés dans ce but.

L'accent était donc mis sur le titre du livre, évocateur de son contenu et non sur la valeur du livre. Nous avons même supprimé tous les noms d'auteurs afin d'éviter que le choix en soit influencé, et que des livres soient désignés parce que le nom de l'auteur était connu par l'adolescent et non parce que le sujet évoqué par le titre lui plaisait : ce qui aurait faussé ses réponses au test. Ainsi, tous les jeunes, qu'ils soient bon ou mauvais lecteurs se trouvaient dans des conditions identiques pour faire leur choix sur une même liste de titres de livres.

Le Catalogue de Tramer contenait 23 rubriques différentes. Nous en avons d'abord ajouté 3 nouvelles : une sur l'art, une sur la poésie et surtout une sur le sport, qui s'impose pour des quatorze-dix-huit ans. C'est parfois par des livres de performances sportives que le jeune garçon sera accroché à la lecture et passera des livres d'expéditions héroïques et récentes à des romans d'aventures ou à des livres sur la Résistance.

D'autre part, nous avons supprimé la rubrique « santé » en mettant toutefois un livre sur les antibiotiques (qui n'a guère été choisi) et le titre de Dunand Je viens soulager la souffrance (qui a été noté surtout par des jeunes filles) pour voir s'il existait un intérêt de cet ordre.

Nous avions donc les 25 rubriques suivantes :
I. amour
2. animaux
3. art (rajouté)
4. argent (intérêt pour l')
5. aventures, voyages, promenades, excursions
6. biographies-destinées
7. contes de fées
8. découvertes
9. famille-foyer
10. géographie
II. guerre-vie militaire
12. histoire de la patrie
13. histoire générale
14. humour
15. morale
16. nature
17. physique
18. plantes-fleurs
19. poésie (rajouté)
20. religions
21. romans
22. social
23. technique
24. travail
25. sport (rajouté)
santé (supprimé).

Puis, nous avons trouvé que ces nombreuses rubriques dispersaient trop les choix et qu'il valait mieux les grouper en de plus vastes divisions plus homogènes et dont les titres eux-mêmes furent choisis pour susciter l'intérêt du lecteur. Nous avons donc supprimé toutes les rubriques en les remplaçant par ces nouvelles catégories :
I° Romans, contes et légendes au lieu de 7. contes de fées
14. humour
2I. romans
2° Récits de grandes destinées - 6. biographies
3° Les pays et les peuples au lieu de 5. aventures, voyages, promenades, excursions
10. géographie
4° Histoire et civilisations - II. guerre-vie militaire
12. histoire de la patrie
13. histoire générale
5° Les merveilles de la science et de la technique - 8. découvertes
17. physique
23. technique
b° La nature et le monde vivant - 2. ammaux
16. nature
18. plantes-fleurs
7° La vie sociale et les problèmes économiques - 4. intérêt pour l'argent
22. social
24. travail
8° Les problèmes humains - I. amour
9. famille-foyer
15. morale
9° La vie artistique - 3. art (rajouté)
19. poésies (rajouté)
9° bis La vie spirituelle - 20. religions
10°. La vie sportive - 25. sports et performances (rajouté).

Mais nous rappelant l'expérience des termes généraux mal compris, il nous a semblé préférable d'éclairer chaque titre de division par une ou deux lignes explicatives destinées également à « accrocher » l'intérêt. Par exemple pour « pays et peuples » nous avons sous-titré : « comment les grands explorateurs et voyageurs ont découvert les pays inconnus. - Comment mieux connaître la France et le monde ». Au titre : « problèmes humains », nous avons ajouté : « comment être heureux dans la vie familiale. - Les problèmes de l'amour et de l'idéal moral », etc.

Choix des romans

Le problème des romans s'est également posé. Dans le Catalogue de Tramer, il y avait simplement 3 rubriques : romans, humour, contes de fées. Cela nous a paru insuffisant, puisque nous désirions connaître non seulement les intérêts profonds des jeunes, comme le psychiatre, mais encore la diversité de leurs goûts de lecture. De plus, pour intéresser les quatorze-dix-huit ans à cette épreuve, il nous a semblé préférable d'égaliser le nombre de titres de « romans » proposés avec celui des « autres catégories ». Il était en effet nécessaire que les adolescents aient l'impression qu'on leur proposait pour des bibliothèques leur étant destinées autant de livres distrayants ou passionnants que de volumes documentaires ou culturels. Nous avons donc créé dans la catégorie n° 1 de romans, 9 divisions dont les titres sont assez explicites pour permettre le choix sans équivoque ou erreurs sur les termes :
a) romans sociaux
b) moeurs et caractères
c) histoires d'enfants
d) romans historiques
e) romans d'anticipation
f) romans d'aventures
g) romans policiers
h) romans humoristiques
i) contes et légendes

Nous nous sommes efforcés dans le choix des divisions de « romans » de les faire correspondre dans la mesure du possible aux « autres catégories » (nos 2 à 10, voir tableau). Ainsi nous avons pu nous rendre compte que les jeunes aimant les « romans sociaux » s'intéressaient également aux « problèmes de la vie sociale », que le choix de romans de « mœurs et caractères » conduit à celui des « problèmes humains, de l'amour et de l'idéal moral », que les romans dont le héros est un enfant et les « grandes destinées » plaisaient aux mêmes jeunes gens. De même pour : « romans historiques » et « histoire et civilisations » - « romans d'aventures » et les expéditions de « pays et peuples » - « romans d'anticipation » et « sciences et techniques » - « contes et légendes » et « vie spirituelle ou artistique ». Et même nous avons pu constater que les amateurs de « romans policiers » se passionnent souvent pour les performances sportives.

Ayant ainsi équilibré les « romans » et les « autres catégories », il nous a semblé que le choix de 10 livres seulement proposé par Tramer ne nous permettrait pas d'étudier la variété des intérêts des adolescents. Nous avons décidé de leur demander de choisir autant de livres (10) dans la catégorie n° 1 « romans » que dans les autres catégories nos 2 à 10. De plus, nous avons ajouté une troisième question demandant un choix de 10 livres du catalogue « déjà lus et particulièrement aimés ». En effet les réponses aux questions 1 et 2 nous indiqueront quels sont les titres qui les tentent, les sujets qu'ils ont envie de connaître, qui les intéressent. Mais la troisième question nous permettra de savoir quels sont les livres lus les années précédentes qui leur ont plu; par exemple : Sans famille, Croc-blanc, Poil de Carotte, ou Le Tour du monde en 80 jours - ou les livres classiques des bibliothèques de classe tels que : Pêcheur d'Islande ou Colomba... Ces 10 réponses vont surtout compléter les 20 autres. En effet, nous aurions pu être étonnés de constater que les jeunes gens demandent si peu Les Misérables (notés seulement 96 fois sur I.100 réponses à la question n° 1 et surtout par les plus jeunes) si nous n'avions appris par les réponses à la question n° 3 que c'est au contraire le best-seller des « livres lus et aimés » (noté 344 fois par les plus âgés et surtout par les lycéens de classe de seconde). De même Les Trois mousquetaires ne seront « demandés » que par 17 garçons (sur 528), mais notés comme « déjà lus et aimés » par 185 jeunes de quatorze à seize ans en particulier par les lycéens de classe de 3e.

Mais pour permettre les réponses à cette troisième question, nous avons été obligés de sélectionner un certain nombre de titres qui soient connus de la grande majorité des jeunes.

Ce choix de titres de « romans » s'avéra particulièrement difficile. Leurs titres sont souvent moins nets et évocateurs que ceux des « autres catégories ». Dans certains cas nous avons dû indiquer le thème traité dans le roman entre parenthèses pour éviter tout contre-sens. Ces indications furent très précieuses car elles permirent de constater la cristallisation des intérêts autour de certains problèmes comme par exemple : ceux du racisme, du chômage, de l'amour, ou pour les livres indiqués comme traitant de la Résistance 1940-45.

Choix des « autres catégories ».

Pour les « autres catégories », le choix fut plus aisé car les titres sont généralement plus clairs et évoquent bien le sujet traité. Notre effort a porté sur leur diversité afin que les goûts les plus variés trouvent à se manifester.

Ainsi dans la catégorie « grandes destinées », les jeunes pouvaient choisir parmi 25 noms illustres, aussi bien Pasteur, Mme Curie et le Mahatma Gandhi, que Lyautey ou Saint-Exupéry - ainsi que Charlot, Yves Montand, Bobet, etc... A la catégorie «vie spirituelle », dont le sous-titre était : « quel est le rôle et l'apport des croyances dans le monde », les préférences des lycéens par exemple ont varié de Pourquoi je suis devenu prêtre à Bouddha, sa doctrine, sa communauté, et de Charles de Foucauld ou l'appel du silence, à Les Légendes mythologiques de Grèce et de Rome ou Clans, tribus et totems, etc...

Parfois, nous avons dû inventer des titres dans la mesure où nous souhaitions que tous les thèmes possibles soient représentés, par exemple : Les Problèmes de la vie conjugale (qui ont été demandés surtout dans les C.A.) ou Jean-François découvert par son père qui répond à certaines angoisses de jeunes.

Pour certains titres, comme A la découverte de l'amour ou La Leçon d'amour dans un parc, qui ont été très souvent demandés, les livres du Dr Carnot et de René Boylesve ne correspondent pas du tout à ce qu'évoquent ces titres pour des adolescents, mais comme nos jeunes gens ne connaissaient certainement pas ces livres, leurs réponses étaient uniquement fonction du sujet évoqué par ces excellents titres et c'était cela qui importait pour notre enquête.

Toujours afin de contrôler l'intérêt exprimé pour le sujet du livre ainsi que l'attention des jeunes dans leur travail, nous avons mis des titres traitant de sujets analogues dans des rubriques différentes : des livres sur l'aviation dans la catégorie « sciences et techniques » et aussi dans « la vie sportive » - ou encore La Stratégie de la réclame à « sciences et techniques », tandis que Le Code du succès en publicité ou L'Art et la technique de l'étalage figurent dans « vie sociale et problèmes économiques ».

Enfin nous avons mis dans les « autres catégories » quelques romans dont les titres permettaient de les y classer afin de voir si les jeunes gens les y découvraient (ce qui fut en effet le cas). Ainsi pouvions-nous être mieux assurés de la signification des choix.

Application et correction de l'épreuve

De préférence, l'épreuve s'applique collectivement. Mais elle peut aussi bien être individuelle en essayant cependant d'éviter que les jeunes gens soient prévenus et influencés par des camarades.

On distribue à chaque sujet un exemplaire du « nouveau test du catalogue » et on leur donne les instructions suivantes :

« Nous vous demandons de répondre à quelques questions qui doivent nous permettre de connaître vos goûts en matière de lecture, afin de constituer des bibliothèques. Ce questionnaire n'est pas destiné à vos professeurs mais à des bibliothécaires. Ce n'est donc pas un devoir scolaire; mais vos réponses ont une grande importance, car elles permettront à des bibliothécaires de choisir des livres qui puissent intéresser des jeunes gens de votre âge et leur plaire. Vous voyez donc l'intérêt du travail que nous vous demandons. » (Nous avons souvent insisté sur le fait que c'est la première enquête de ce genre faite en France et sur l'importance de leurs réponses et de leur collaboration sincère, non seulement pour leurs propres bibliothèques mais pour celles de tant de leurs camarades, et en particulier ceux qui sont parfois immobilisés de longs mois dans des sanas ou hôpitaux et pour qui la lecture est la distraction essentielle. L'intérêt très vif témoigné par tous les jeunes gens interrogés des milieux les plus divers nous a montré qu'ils comprenaient le but social de notre enquête et qu'ils étaient heureux d'y collaborer.)

« Voilà ce que vous allez faire : d'abord, indiquez en haut des feuilles de copies qui vous ont été distribuées votre date de naissance et votre classe. Nous ne vous demandons pas votre nom. Ensuite vous regarderez les feuilles du catalogue qui vient de vous être remis. C'est une liste de livres où les titres sont classés selon certaines catégories : romans, grandes destinées, pays et peuples, etc...

Vous allez relever sur votre papier blanc :
I° les titres de 10 livres de la catégorie ROMANS (feuilles n° 1 de a à i) que vous souhaiteriez lire, qui vous intéresseraient particulièrement;
2° les titres de 10 livres qui ne soient pas des romans (feuilles nos 2 à 10) et que vous aimeriez également lire.
3° les titres de 10 livres de ce catalogue que vous avez déjà lus et qui vous ont particulièrement plu (romans ou autres catégories).

Il ne faut rien écrire sur les feuilles du catalogue, même pas un trait ni un point. Tout doit être noté sur les copies. Vous avez une heure pour faire ce travail et nous vous demandons de le faire de votre mieux. »

(Nous leur donnions en outre quelques précisions sur leurs choix de sujets évoqués par les titres, la valeur du livre n'entrant pas en considération pour les deux premières questions.)

Au bout de 40 minutes environ (afin d'éviter des confusions avec les trois premières questions qui sont primordiales), nous posions une question complémentaire : « Quels sont les livres que vous n'avez pas trouvés dans ce catalogue et que vous considérez comme devant figurer dans une bibliothèque de jeunes gens de votre âge ? Le nombre n'est pas limité. » Ainsi, après un choix guidé et permettant des statistiques comparatives, ce choix libre que les jeunes faisaient avec joie fournissait à la fois des possibilités de comparaisons avec leurs premières réponses et une connaissance plus approfondie de leurs goûts et intérêts.

Voilà donc quel était notre instrument de travail qui devait nous permettre de faire, en fonction des sujets choisis et des livres aimés, un inventaire des goûts de lecture des adolescents 2.

Corrections collectives.

La correction du test est différente suivant qu'il s'agit de résultats collectifs et comparatifs ou de résultats individuels.

Sur un exemplaire du catalogue il est possible de noter les réponses de 50 à 80 adolescents. Lorsqu'il s'agit de différencier soit par âge, soit par classe ou établissement, nous notons les livres choisis par des signes différents. De même des crayons de couleur sont employés pour distinguer les garçons des filles. Nous inscrivons à droite les réponses aux deux premières questions et à gauche celles de la troisième question. Ainsi nous avons pour chaque titre le nombre des demandes de ce livre et le chiffre des lecteurs qui l'ont lu et aimé. Il est donc aisé ensuite de dresser un tableau par ordre de préférence : I° des livres les plus demandés et déjà lus dans chaque catégorie; 2° des catégories entre elles et de comparer ainsi les garçons et les filles, les jeunes de quatorze à seize ans et ceux de seize à dix-huit ans, les établissements différents, etc...

Corrections individuelles.

Les corrections individuelles demandent un peu plus d'expérience. Mais le simple relevé du nombre de livres de chaque catégorie demandé par l'adolescent et le rapprochement des titres exprimant des sujets analogues donnent déjà des indications précieuses.

Ainsi dans une même classe technique voici quelques listes individuelles établies d'après leurs réponses :

L'un demande comme « romans » : N'importe qui peut faire n'importe quoi, Les Voyageurs de l'Espérance, Le Meilleur des mondes, Les Feux de la rampe; et parmi les « autres catégories » : Comment réussir dans la vie, J'ai fait trois fois le tour du monde; et 4 « grandes destinées » (sur un total de 10 livres à choisir dans 10 catégories différentes : Einstein, Marie Curie, Mozart, Vie des hommes illustres (très rarement noté).

Un de ses camarades, plus réaliste : Le Code du succès, A la conquête de la richesse, L'Art et la technique de l'étalage, L'Art de vendre, Comment réussir dans la vie, donc 5 livres de « vie sociale et problèmes économiques » ce qui montre que cet élève de technique commerciale a bien choisi son orientation. Mais il ajoute un titre qui donne une précieuse indication sur un besoin de livres tout différents : La Peur et l'angoisse.

Dans cette même classe, nous relevons quatre listes de livres tels que : Pleure, ô pays bien-aimé, Les Raisins de la colère, Crime et châtiment, La Vie des martyrs, Les Allongés, Les Misérables, Les Croix de bois, Les Châtiments, Le Petit garçon perdu, etc... dispersés dans cinq rubriques différentes des « romans » et « autres catégories ». Mais l'un notera en plus des livres de sciences pratiques : Ceux du rail (« vie sociale et problèmes économiques »); Stephenson, l'inventeur des locomotives, Percement de l'isthme de Suez, Navires d'aujourd'hui (« sciences et techniques »); Renault ou 50 ans d'industrie automobile, Pasteur (« grandes destinées »). Un autre ajoutera uniquement des livres d'imagination tels que : Le Petit Prince, La Vie de Saint-Exupéry (à côté de : La Mère, Les Enfants perdus, Je n'ai pas appris à vivre, etc...) Le troisième témoignera de son matérialisme dans la liste suivante : La Terre (noté en premier dans sa liste de romans), Terre des hommes, Les Maisons des hommes, Les Champignons (jamais choisi), Le Sahara, Désert vivant, Visage de l'Inde, etc... Enfin le quatrième, plus jeune, s'intéresse aux enfants du type vagabond : Pedrito, le petit émigrant, Les Vagabonds de la Marisma, Les Gars de la rue Paul, Le Petit garçon perdu, La Misère du monde, etc...

Ajoutons que dans presque toutes ces listes on trouvera parmi les « déjà lus et aimés » : La Case de l'oncle Tom et Sans famille et que les titres de livres désignés « hors catalogue » (4e question) apportent toujours une confirmation précieuse aux renseignements tirés des réponses aux trois premières questions.

Parfois même un seul titre choisi donne une indication intéressante : un garçon qui ne note que des livres d'imagination pure et marque nettement dans ses choix son goût de la solitude, demande : « J'ai lutté seul dans le Mont-Blanc » alors que le titre noté sur'le catalogue était : « J'ai lutté seule dans le Monde Blanc ». Il avait donc lu ce qu'il désirait trouver !

Nous ne pouvons nous étendre davantage sur ces exemples de corrections individuelles, mais ces quelques cas démontrent bien que les intérêts les plus diversifiés peuvent être décelés grâce au grand nombre et à la variété des titres du catalogue. En effet, sur des milliers de jeunes examinés, il n'y a jamais deux listes identiques.

Mais nous attirons l'attention sur le fait que les livres du catalogue n'ayant été sélectionnés que pour leurs titres et non pour leur valeur, un très grand nombre d'entre eux ne sont pas particulièrement destinés à faire partie d'une bibliothèque d'adolescents. Les deux premières questions permettent aux bibliothécaires de connaître les sujets qui intéressent les jeunes, la troisième question, complétée par les réponses à la question « hors catalogue », leur fait connaître le genre de livres que ces adolescents ont déjà lus et aimés. Il appartient alors aux bibliothécaires d'interpréter les réponses du test qui n'a pour but que de leur permettre de mieux connaître les intérêts et les goûts des jeunes et de leur apporter par un choix ainsi éclairé les livres dont ils ont besoin et qui leur plairont.

Exemple de correction des choix de « grandes destinées ».

Avant de formuler les observations générales que nous avons pu tirer de notre enquête sur plus de 1.200 adolescents (garçons et filles de quatorze à dix-huit ans), il nous paraît intéressant de montrer par un exemple précis les résultats que pourrait permettre une étude statistique comparative par le « nouveau test du catalogue ».

Les choix des « grandes destinées », c'est-à-dire des héros préférés, nous ont paru particulièrement symptomatiques.

Ainsi dans le C. A. de la Régie Renault, nous avons d'abord constaté qu'en première année (quatorze-seize ans) 19 % des choix se portaient sur les « grandes destinées », alors qu'en seconde année (quinze-dix-sept ans) il y en avait seulement 16 % et en troisième année (seize-dix-huit ans) plus que II %.

Voici le tableau des préférences des trois classes étudiées :

Louison Bobet et Bonaparte sont donc les héros de Ire année qui vont descendre le plus spectaculairement de Ire en 2e et de 2e en 3e. A quatorze-quinze ans le prestige de la bicyclette est au maximum ainsi que celui de la gloire militaire. Nous verrons qu'en 3e de lycée, Bonaparte sera parfois aussi le héros préféré et ne sera plus guère noté en 2e. Le cas de Louis Renault passant de 22 à 39 % (chiffre maximum de cette catégorie) pour tomber à 4 % est particulièrement intéressant et concorde avec les résultats de notre enquête. Nous verrons en effet que les secondes années sont à l'âge de l'enthousiasme généreux, de l'admiration et de la recherche d'un idéal. Tandis qu'en 3e année, il semble que l'agressivité l'emporte : ils sont contre le symbole patronal (Renault pour ce C. A.) et les grands dévouements (Dr Schweitzer).

Par contre il y a unanimité d'intérêts pour tout ce qui touche à l'aviation et aux héroïques pilotes. Ainsi Mermoz est le seul qui soit également apprécié par les trois années de ce C. A. ainsi que par l'ensemble des apprentis et des lycéens.

Enfin les chiffres montrent que Saint-Exupéry, symbole du héros idéal et de l'aviateur, est le préféré des seize-dix-huit ans. Dans les autres C. A. et dans les lycées, Saint-Exupéry sera toujours plus demandé par les seize-dix-huit ans que par les quatorze-quinze ans. Le pourcentage des demandes variera aussi en fonction du degré culturel et de la présence d'une bibliothèque dans l'établissement, ainsi que le témoigne le tableau suivant :

Demandes de « Saint-Exupéry » :

Les statistiques des « grandes destinées » nous permettront également de constater que dans les 2es lycées de garçons c'est Einstein qui arrive en tête avec 29 % (de même dans les classes de 3e technique Renault, qui, nous le verrons, sont d'un niveau culturel équivalent) avant Saint-Exupéry, Mermoz et le Dr Schweitzer; tandis qu'en 3e les plus jeunes vont préférer Bonaparte, puis le Dr Schweitzer, Mermoz et enfin Saint-Exupéry.

Pour les filles, dans l'ensemble c'est le Dr Schweitzer qui vient en tête (ce qui correspondra à leur choix de romans et autres catégories). Dans les secondes de lycée, il est suivi par Mozart, tandis que les filles de C. A. choisiront plutôt Mme Curie et Pasteur.

Nous nous sommes étendus sur ces quelques exemples pour montrer quelles indications précieuses peuvent être tirées des réponses au test. Il serait du plus grand intérêt de comparer les héros choisis par les jeunes ainsi que les réponses du test en général, non seulement selon l'âge, le sexe, la condition sociale, l'établissement, etc..., comme nous avons tenté de le faire, mais aussi d'entreprendre l'étude comparative des citadins et des ruraux, des divers départements ou régions, etc. Jusqu'à présent nous n'avons pu nous-mêmes appliquer cette épreuve qu'à environ 1.200 adolescents de Paris et de la banlieue, mais nous nous sommes efforcés d'atteindre des milieux sociaux et culturels aussi variés que possible : 9 classes de 3e et de 2e de lycées de quartiers très différents, élèves garçons et filles des écoles normales d'instituteurs, écoles et cours commerciaux, six centres d'apprentissage d'inégales valeurs, ainsi qu'à une maison de jeunes et à des moniteurs d'enfants difficiles... Nous envisageons une étude des centres d'éducation surveillée. Actuellement, l'enquête est en cours dans une classe de Montevideo. Nous espérons pouvoir faire éditer prochainement le « nouveau test du catalogue » 3 sous une forme qui permette son utilisation sur une grande échelle par les bibliothécaires et les professeurs, et pour qu'il puisse également servir de base à des études sociologiques plus approfondies.

Observations générales sur les résultats

Les résultats de cette enquête nous ont permis d'étudier l'influence sur le choix des livres de l'âge des lecteurs, de leur sexe, de leur milieu culturel, de leur quartier de résidence, de leurs professeurs, de leurs camarades, du cinéma, des livres à la mode, etc... ainsi que la différence du niveau de lecture selon que les établissements ont ou non une bibliothèque.

Nous nous bornerons ici à présenter les observations générales qui se dégagent de l'ensemble de ces réponses.

I° Nous avons constaté chez les adolescents à partir de quinze-seize ans un intérêt très vif pour les romans réalistes et sociaux traitant de problèmes d'actualité. Exemples : Les Raisins de la colère (dont le sous-titre était : problème du chômage aux U.S.A.) qui atteint des pourcentages de demandes variant de 22 % à 86 % (selon le milieu culturel); ou Pleure, ô pays bien-aimé (en sous-titre : racisme en Afrique du Sud) qui est surtout demandé par les filles (32 % de filles et seulement 12 % de garçons).

2° Les jeunes - surtout les garçons - demandent de nombreux récits d'héroïsme et en particulier des livres sur la Résistance (romancés ou non) et sur la guerre 39-45. Exemples : Briseurs de barrages est noté par 36 % des garçons, Le Silence de la mer est noté par 35 % des garçons. Le premier est surtout demandé dans les centres d'apprentissage et le second dans les lycées.

3° Les garçons témoignent d'un intérêt très vif pour les expéditions récentes et héroïques (Kon-Tiki), les performances sportives (Annapurna), les livres sur la mer (un garçon en note 19 dans sa liste), sur la montagne (Premier de cordée est un des rares livres très « demandé » et déjà « lu et aimé » qui ait le même succès auprès des garçons et des filles) et surtout sur l'aviation (Le Grand cirque, Vol de nuit).

4° On note la demande de livres de satire politique et sociale chez les plus âgés et les plus cultivés (Les Carnets du major Thompson) ou de livres d'humour - spécialement ceux qui ont fait l'objet d'un film - chez les plus jeunes (surtout les garçons).

5° A partir de quinze-seize ans, les adolescents (surtout les filles) témoignent d'un grand désir de connaître tout ce qui touche à la découverte de l'amour, à la connaissance du partenaire, à la construction de l'amour et même aux problèmes de la vie conjugale. Ces livres qui correspondent à l'inquiétude des jeunes, à leur curiosité réaliste mais encore teintée d'idéalisme, sont malheureusement bien rares en France.

Notons, à ce sujet, que les garçons se méfient des romans sentimentaux qui plaisent tant aux filles. Certains d'entre eux ont demandé qu'on procure aux jeunes des livres d'éducation sexuelle. Comme l'écrit un apprenti : « les parents sont bien obligés d'instruire les filles, mais nous les gars on ne nous dit rien ».

Différences selon l'âge.

Chez les garçons d'un C. A., étudiés spécialement à ce point de vue, nous avons observé :

En Ire année, les quatorze-quinze ans font preuve d'une grande curiosité d'esprit et dispersion des goûts.

Nous constatons par exemple que dans une catégorie les choix se dispersent sur les 28 livres proposés sans qu'un seul soit l'objet de leur préférence. Ils s'intéressent aux livres les plus divers de presque toutes les catégories et lorsque l'établissement scolaire, ou le C. A., a une bibliothèque, ils deviennent vite de bons lecteurs. Ils lisent encore avec plaisir les histoires dont le héros est un enfant, alors que leurs camarades plus âgés n'en demandent plus du tout (mais les notent en réponse à la question 3 : « déjà lus et aimés »). Nous avons vu que ce sont les meilleurs lecteurs des biographies des grands hommes. Naturellement ils demandent des romans d'aventures, des expéditions et récits de voyages, et des romans historiques (surtout les Dumas). Dans certains établissements, ils prennent le goût des romans d'anticipation.

Les romans policiers sont beaucoup moins demandés qu'en seconde et troisième années. Dans un autre C.A., les premières années en notent de 3 à 6 % tandis que les secondes en demandent 24 %.

En seconde année : découverte de l'amour, goût du sport, de l'héroisme, de la lutte. Intérêt particulièrement vif pour les romans sur la Résistance, l'espionnage et les policiers. Demande de romans humoristiques.

En troisième année : grande spécialisation des goûts : par exemple ils aiment l'aviation ou la mer ou la montagne. Intérêt très vif pour ce qui touche le réel et l'actuel. Les romans sociaux passent de 14 % des demandes en première année (quatorze-quinze ans) à 36 % en troisième technique (dix-huit ans).

a) Exemple de demandes selon l'âge de : Les Raisins de la colère :

b) Exemple de préférences selon l'âge pour les récits non romancés de la Résistance :

Briseurs de barrages : Ire année : 15 %, 2e année : 44 %, 3e année : 61 %.

L'Épopée de l'eau lourde : Ire année : 5 %, 2e année : II %, 3e année : 26 %.

Ce goût pour les livres sur la Résistance correspond à la fois à l'agressivité caractéristique de l'adolescence ainsi qu'à son besoin de réalité, de récits vécus en même temps qu'à son idéal de dévouement et de courage. Ce genre de livres est même demandé par les plus mauvais lecteurs de C.A. (au milieu de titres de romans policiers et pornographiques dans leurs réponses à la question « hors catalogue »). Il serait donc peut-être possible de les attirer par là à de meilleures lectures. En particulier Briseurs de barrages semble être le meilleur livre d' « accrochage ».

Dans le C.A. Renault étudié particulièrement, nous avons observé des progrès très nets entre les Ires et 2es années et entre les 2es et 3es années (quoique plus irréguliers). Mais en comparant ce C.A. qui a une excellente bibliothèque avec d'autres C.A. qui n'en possèdent pas, nous avons remarqué à quel point la curiosité d'esprit et le goût de la culture manifestés par les quatorze-seize ans diminuent s'ils ne sont pas soutenus et alimentés par une bibliothèque dans l'établissement. Si l'appui culturel est déçu à cet âge il est fréquent de voir les plus âgés limiter leurs désirs exclusivement aux romans policiers et érotiques (garçons) ou sentimentaux (filles).

Une expérience d'un autre ordre nous permet une comparaison qui nous semble intéressante sur l'importance de faire lire aux jeunes les livres dont ils ont besoin à l'âge où ils leur sont nécessaires. J'avais été chargée en 1953 par Mmes Gratiot-Alphandéry et Maurette 4 d'étudier les résultats au point de vue « lecture » de l'essai, tenté par le Centre international de l'enfance, d'apport culturel dans des écoles de milieux ruraux particulièrement privés de tous les éléments de civilisation moderne (enfants n'étant jamais sortis de leur commune, n'ayant jamais vu de train, ne connaissant ni la radio, ni le cinéma). J'ai pu observer que tous les enfants de six à huit ans passaient par le stade « contes » avant de l'abandonner pour s'intéresser aux livres d'aventures et à ceux dont le héros est un enfant. Mais lorsque les enfants de neuf à douze ans (surtout les filles), qui n'avaient jamais lu un livre de contes, en faisaient la découverte dans notre bibliothèque circulante, non seulement ils se plongeaient avec passion dans ce genre de littérature mais un très grand nombre d'entre eux n'ont lu, pendant les deux ans et demi qu'a duré l'expérience, que des livres de contes. Il est donc fort à craindre qu'ils restent pendant leur existence à ce stade du « goût pour l'irréel » et du « domaine de la fiction » qu'ils n'ont pas connu à six-huit ans, c'est-à-dire à l'âge où ils en avaient besoin.

Il est donc très important de connaître à quel stade de développement en est l'adolescent : en effet l'âge- mental peut être très différent de l'âge réel. D'autre part la division en trois stades est exacte pour le plus grand nombre des jeunes que nous avons testés mais il y a naturellement des divergences individuelles. Nous avons aussi constaté que dans différentes classes de 3es de lycées par exemple, ainsi que dans des classes deyre de C. A. et de cours commerciaux, une division sera encore à l'âge de là dispersion des goûts, sera curieuse d'aventures, d'explorations, de livres sur les animaux ou techniques, etc..., tandis que l'autre aura atteint l'âge de l'attrait pour tout ce qui touche l'amour, que ce soit dans les titres de romans de « mœurs et caractères » ou dans ceux de « problèmes humains ». Les chiffres varieront de 9 à 21 % et de 25 à 88 %. En même temps ils demanderont des récits de performances sportives ou d'héroïsme historique ou actuel.

Dans ces différents cas il y a certes une différence d'âge moyen, mais il y a surtout une différence de valeur des élèves. Par exemple la classe de 3e dans laquelle « l'amour » est le problème primordial est une division moderne de qualité médiocre. Nous verrons aussi qu'il y a souvent une influence de camarades.

Différences selon le sexe.

Les filles sont avides de lecture et remplissent des pages entières de titres dans la réponse à la question « hors catalogue » : : des poésies (de Musset à Prévert), des pièces de théâtre (de Rostand à Pagnol et Anouilh) et surtout des romans : de Cronin (noté par 80 % des filles) et Slaughter à Zola, de Pearl Buck à Saint-Exupéry, de Stendhal à Tolstoï, de Dostoïevski à Gide, etc.

Elles sont capables de se passionner pour des romans même longs et touffus et beaucoup d'entre elles liront la suite de Torrents d'A. M. Desmaret ou plusieurs livres d'Elisabeth Goudge. Un livre comme Autant en emporte le vent est noté comme « déjà lu et aimé » par 30 % des filles et seulement 10 % des garçons.

Dans presque toutes les catégories elles sont meilleures lectrices que les garçons. En particulier nous verrons les filles s'intéresser plus que les garçons aux : romans sociaux, romans d'amour et de mœurs et caractères, aux histoires d'enfants, aux contes et légendes, aux grandes destinées, aux problèmes humains et sociaux, à la vie artistique et à la vie spirituelle.

D'après leurs réponses nous voyons qu'elles aiment :
I° les livres de médecine et d'action : le livre le plus demandé par elles dans le catalogue est Les Hommes en blanc et hors catalogue La Citadelle de Cronin.
2° Tout ce qui touche leur sensibilité. En particulier les thèmes suivants : dévouement : la Vie du Dr Schweitzer vient en tête de leurs demandes de cette catégorie, Les Allongés, Chiens perdus sans collier, etc...

Inquiétude : La Misère du monde, Je n'ai pas appris à vivre, La Peur et l'angoisse (ces titres sont demandés presque uniquement par des filles).

Racisme : Pleure, ô pays bien-aimé, Vie des noirs d'Afrique, L'Enfant noir.

Enfants (surtout malheureux) et foyer : Le Petit garçon perdu, Des hommes qu'on livre aux enfants, La Mère, etc...

Amour : Jane Eyre, le livre le plus aimé des filles avec Les Misérables, Rebecca surtout dans les C. A., Anna Karénine dans les lycées.

Imagination : Autant en emporte le vent, le livre qui est à la fois le plus lu et le plus demandé par l'ensemble des filles, La Mousson, et plus particulièrement pour les lycéennes Le Grand Meaulnes, Les Hauts de Hurlevent, Le Pays où l'on n'arrive jamais, sans oublier Le Petit Prince noté par 48 % des lycéennes et seulement par 22 % des lycéens.

Dans l'ensemble les garçons manifestent beaucoup moins de goût pour la lecture que les filles. Il est possible qu'une des causes de cette différence soit la fatigue de la puberté. En tout cas en notre siècle de la vitesse il faudrait pour nos jeunes gens, surtout pour les C. A., un style rapide, sans longues descriptions ou digressions. Pour eux le problème si délicat de l'adaptation ou de l'édition abrégée doit être repensé si l'on veut parvenir à les « accrocher » à la lecture et à leur révéler les beautés de nos chefs-d'oeuvre classiques. Il est certain que la plupart de ceux qui ont « lu et aimé » Les Misérables par exemple n'auraient pas été capables de le lire dans l'édition originale. De même une bonne édition, et en particulier celle de Margaritat (collection l'Éventail), à Lausanne, a fait de Jane Eyre le meilleur livre d' « accrochage » pour filles.

Les catégories du catalogue préférées par les garçons sont : les romans historiques, policiers, humoristiques, les pays et les peuples, sciences et techniques, la vie sportive. Dans les C. A. - surtout sans bibliothèque - les jeunes gens demandent particulièrement les romans policiers, d'espionnage et d'aviation. Les garçons aiment beaucoup plus que les filles les livres suivants :
I° tous les livres de Résistance et de guerre. Ex. : L'Armée des ombres, garçons 26 %, filles II %; L'Affaire Cicéron, garçons 30 %, filles 15 % ;
2° les aventures héroïques, historiques ou actuelles. Ex. : Les Trois mousquetaires, le préféré des livres « déjà lus et aimés » des quatorze-seize ans : garçons 35 %, filles 18 %. Quatre-vingt-treize est trois fois plus demandé par les garçons. Le Vieil homme et la mer, le livre le plus demandé de cette catégorie par les lycéens : 50 % tandis que 19 % seulement des lycéennes le notent;
3° certains romans sociaux tels que Les Misérables, le livre le plus « déjà lu et aimé » des garçons de seize à dix-huit ans (garçons 47 %, filles 37 %);
4° des livres humoristiques, par exemple : La Mariée est trop belle qui est surtout demandé dans le C. A. garçons (22 %) et presque jamais par les filles. Par contre, Les Carnets du major Thompson est.également demandé par les lycéens et les lycéennes. Le Petit monde de don Camillo a le même succès chez les garçons et les filles de lycées et de C. A. ;
5° les livres sur la montagne, la mer, les sports et surtout l'aviation, les voyages ;
6° enfin les romans policiers et d'anticipation sont « aimés » et « demandés » surtout par les garçons (2 à 3 fois plus que par les filles).

Sans pouvoir entrer ici dans le détail des réponses à la question « hors catalogue », signalons cependant que certains auteurs sont nettement préférés par les filles : Cronin (en tête dans tous les établissements de filles), Slaughter (surtout dans les C. A. et écoles commerciales), Brontë, Pearl Buck (surtout dans les lycées), Cesbron, Goudge, Desmaret.

Tandis que l'ensemble des garçons notent surtout : Jules Verne, Dumas, O'Hara, Pease, Peisson (sans parler d'Agatha Christie, de Simenon, de Bruce, de la « Série noire », etc.)

Enfin trois auteurs sont presque également aimés par les garçons et les filles : Frison-Roche, Saint-Exupéry et Zola.

Différences selon le milieu :

Il faut compter un décalage culturel de près de deux ans entre les lycéens et les apprentis. Ainsi les quinze-dix-sept ans des classes secondaires peuvent être comparés avec les dix-sept-dix-neuf ans des classes techniques Renault destinées à former des techniciens dont le recrutement est assuré par concours entre élèves sortant des cours complémentaires et qui appartiennent en grande majorité à un milieu ouvrier. Exemple de demandes de romans sociaux :
2es lycées (16 ans)
23 %
2es techniques (18 ans)
25 %
3e technique (19 ans) (niveau Ire)
36 %

Cet essai nouvellement tenté par l'École professionnelle Renault de créer des cadres par sélection d'élèves sortant du primaire a été couronné de succès puisque des élèves de la Ire promotion de 3e technique ont pu passer leur baccalauréat technique en même temps que leur C. A. P. et leur brevet industriel. Les réponses de ces jeunes gens à notre test témoignent d'un haut niveau culturel, supérieur à la moyenne des élèves de Ires de lycées, malgré la différence culturelle de leurs milieux familiaux.

Mais en dehors de ces classes exceptionnelles, nous avons pu constater que certains livres sont surtout demandés par les élèves de milieu culturel plus élevé.

Exemples :
Lycéens
Le Vieil homme et la mer ..... 50 %
La Vie d'Albert Einstein.................... 29 %
Les Carnets du major Thompson.............. 44 %
La Guerre et la paix....................... 38 %
C.A.
6%
6 %
14 %
4%

D'autres livres sont plus demandés par les lycéens que par les C. A. : Quatre-vingt-treize, Madame Bovary, Le Savant Cosinus par exemple; et pour les lycéennes : Mozart, Anna Karénine, Le Grand Meaulnes, Le Petit Prince et « hors catalogue » les œuvres de Stendhal, Camus, Malraux, Gide et les romans russes et anglais.

Par contre, nous voyons les C. A. (garçons) préférer :
C. A.
Le Diable au corps ..... 35 %
Croc-blanc ..... 33 %
Lycées
20 %
18 %

Les garçons de C.A. lisent plus de romans d'aventures, de récits d'expéditions et surtout de livres de sport (12 % C. A. et 9 % lycées).

Mais les plus grandes différences dues au milieu sont d'une part la demande de titres érotiques dans les C. A. où les jeunes sont plus mûrs à ce point de vue que dans les lycées; d'autre part le goût parfois exclusif des apprentis pour les romans policiers. Nous constatons en effet que la demande de romans policiers est inversement proportionnelle au niveau culturel. Ainsi dans les C. A. les policiers viennent en tête des demandes de romans : 19 % dans les C. A. et 13 % dans les lycées (ce pourcentage reste stable de 3e en 2e, mais les classes modernes lisent plus de policiers que les classiques). Dans les lycées ce sont les romans sociaux qui sont en tête des préférences : 21 % au lieu de 18 % dans les C. A.

D'autre part, en étudiant de plus près les chiffres de demandes de policiers du C. A. Renault ayant une bibliothèque, nous constatons que ce chiffre est stable pendant les 3 années : 18 % et dans les excellentes classes techniques il va descendre à 13 % en 2e année et seulement 7 % en 3e année. De plus, les titres de livres choisis dans le catalogue et notés « hors catalogue » sont ceux du type Conan Doyle ou Agatha Christie : donc d'une qualité très différente des listes des C. A. de niveau moins élevé ou médiocre. Ainsi, dans un C. A. du XIXe arrondissement (résidence de milieux populaires ouvriers et employés), de niveau très moyen, nous voyons le chiffre des policiers passer de 8 % en Ire année à 24 % (chiffre le plus élevé de l'enquête) en 2e et 3e année. Dans un autre il variera suivant la division : la meilleure ne dépassant pas 20 % des demandes, la moins bonne montant à 23 %. Dans ce dernier centre sans bibliothèque, les titres notés « hors catalogue » sont particulièrement édifiants : un grand nombre de ces apprentis inscrivent comme livres préférés des pages entières de livres pornographiques et de « Série noire ».

Nous voyons aussi que le milieu influe sur la demande de livres scientifiques; un livre sur L'Énergie atomique et la bombe à hydrogène, par exemple, a 18 % de demandes de lycéens et 4 % d'apprentis. Certains livres historiques et ceux des rubriques « vie spirituelle » et « vie artistique », qui sont dans l'ensemble assez peu demandés, le sont tout de même plus par les lycéens que par les apprentis (quoique nous ayons rencontré un apprenti qui a demandé tous les livres de poésie notés dans le catalogue et « hors catalogue » une liste entière de poètes classiques et modernes).

En ce qui concerne les filles, les apprenties aussi lisent beaucoup plus de romans d'amour que les lycéennes, même en ne tenant pas compte d'un décalage de deux ans. Ainsi Rebecca sous-titré « roman d'amour » : 3 1 % (C.A.), 20 % (lycée).

Il est même intéressant de voir entre des apprenties d'inégal niveau culturel et même social la différence de qualité de leurs demandes de livres sur l'amour. Ainsi, lorsqu'il s'agira de titres évoquant la beauté ou la découverte de l'amour, voilà le tableau des demandes :

Mais quand le titre sera plus réaliste, les chiffres de demandes varieront en sens inverse : La Leçon d'amour dans un parc, II % (confectionneuses), 18 % (technique industrielle), 25 % (bobineuses).

Et nous verrons (tableau page 343) qu'il en est de même pour les livres qualifiés « romans d'amour ».

De même, les livres de la « vie artistique » tels que : Michel-Ange, le grand sculpteur, Le Musée idéal de la peinture, Léonard de Vinci, ou les livres sur la danse et les ballets, etc... ne seront demandés que par les lycéennes ou les élèves de ce C.A. de confection-couture d'un bon niveau culturel.

Enfin les livres sur la « vie spirituelle » sont beaucoup plus demandés par les lycéennes ou normaliennes. On voit parfois dans une classe quelques élèves en demander plusieurs tels que : Pourquoi je suis devenu prêtre (le plus demandé), Présence de Dieu dans la vie de tous les jours, Le Sel de la terre, Monsieur Vincent, aumonier des galères, Charles de Foucault ou l'appel du silence, etc..., sans parler du Journal d'un curé de campagne noté par des apprenties : le film ayant attiré leur attention sur ce titre.

Ces différences selon le milieu se marquent nettement par les chiffres des tableaux suivants :

Autres influences :

Le quartier : Les jeunes de Boulogne vont choisir La Vie de Renault (pas seulement au C.A. Renault, mais dans une autre école de Boulogne) qui n'est guère demandée par les Parisiens.

Par contre, les élèves des XVIIe-XVIIIe arrondissements notent des livres comme Pigalle ou Contes de Paris et Montmartre. Il est donc certain que les réponses des adolescents sont influencées par le lieu où ils vivent et qu'il est important pour des bibliobus par exemple de connaître les centres d'intérêt différents selon les régions.

Les professeurs : L'influence des professeurs est bien connue. Mais un exemple nous a révélé à quel point elle peut agir sur les goûts de lecture d'une classe entière.

Nous avions déjà observé que certaines divisions demandaient particulièrement Pasteur, d'autre Marie Curie, d'autre Le Journal de Maarkos Sestios (que leur professeur aimait particulièrement). Mais c'est dans une division de 4I élèves de 3e d'un lycée que nous avons eu la preuve de l'influence profonde d'un professeur sur ses élèves. En effet, non seulement ces derniers ont choisi 24 fois La Vie de Bonaparte alors que le chiffre moyen des demandes de ce livre dans les lycées n'est que 4; mais cette classe va noter « hors catalogue » plusieurs fois La Vie du Consulat et de l'Empire, La Vie quotidienne au temps de Napoléon Ier et d'autres œuvres d'Octave Aubry et de Madelin (noté 10 fois).

Les camarades : Cette influence se remarque souvent sur les demandes de livres concernant l'amour. Ainsi nous voyons dans une classe de 3e de niveau médiocre (d'après le professeur) II demandes de Le Diable au corps, 8 de A la découverte de l'amour, 6 de La Leçon d'amour dans un parc, etc... Dans cette même classe nous avions remarqué sur le pupitre d'un élève un livre du Marquis de Sade; or dans les réponses à la question « hors catalogue » un grand nombre de ces jeunes gens avaient noté des oeuvres du Marquis de Sade. Ce livre avait donc passé de main en main.

Nous constatons souvent aussi l'influence d'une bonne équipe sportive. Ainsi dans une division de technique commerciale presque tous les livres sportifs inscrits à la « vie sportive » sont notés et il y a 19 % de demandes de ces livres, alors qu'une autre division n'en note que 10 %. De plus ce sont de vrais livres de sport (et non d'expéditions sportives) qui sont les plus demandés, tels que : L'Entraînement sportif ou Le Foot-ball rugby. Ils sont aussi parmi les rares qui en notent plusieurs comme « déjà lus et aimés. »

Le cinéma : Après la remarquable étude de Mme Zazzo 5, nous ne nous étendrons pas sur ce point.

Les réponses de notre test confirment bien les résultats de cette enquête. Nous avons souvent été obligés de préciser aux adolescents qu'un livre vu en film au cinéma n'était pas un livre lu. Lorsque plusieurs apprenties du XIXe arrondissement nous demandent Notre-Dame de Paris ou Crime et châtiment, nous sommes d'autant plus assurés que ces films ont passé dans le quartier qu'aucune de ces jeunes bobineuses ne notent ces livres à « déjà lus et aimés ». Il est du reste à craindre qu'elles soient vite rebutées par les livres eux-mêmes trop difficiles à lire même après avoir vu le film. Si au contraire nous constatons que dans une classe ce genre de livres (ayant été l'objet d'un film) a déjà été « lu et aimé » par quelques-unes des élèves, nous saurons qu'il est possible d'essayer de le mettre à la disposition de cette classe (le niveau culturel ayant d'autre part pu être contrôlé par l'ensemble des autres réponses au test).

Dans l'ensemble, tous les livres ayant fait l'objet d'un film sont particulièrement demandés. Le cinéma inspire aux adolescents un vif désir de revivre le film qu'il ont aimé dans le livre dont il a été tiré.

La mode : Les jeunes sont très sensibles à la mode et leur curiosité est attirée par les nouveautés dont on parle et la vie des gens connus : d'où le succès des livres sur les grands sportifs, les chanteurs ou stars en renom, sur les expéditions du Kon-Tiki, de Bombard, de l'Annapurna, etc...

Présence d'une bibliothèque dans l'établissement. Nous notons de grandes différences de qualité entre les livres demandés par les élèves'de C.A. avec ou sans bibliothèque. (L'étude comparative à l'aide du test des élèves des lycées ayant une bibliothèque centrale avec ceux qui n'en ont pas n'a pu être faite, mais serait d'un très grand intérêt.)

Ainsi nous relevons quelques exemples :

En ce qui concerne les demandes de « romans d'amour » par les apprenties, les différences entre les C. A. avec et sans bibliothèque ressortent nettement du tableau suivant :

Pour les trois premiers de ces livres nous avions noté entre parenthèses « roman d'amour »; les autres étant suffisamment connus, nous n'avions rien précisé.

Dans les listes « hors catalogue » nous voyons les apprenties des C.A. sans bibliothèque demander beaucoup de romans type Delly ou « presse du coeur », et les apprentis noter des livres de la « Série noire » ou pornographiques.

Enfin nous avons constaté que les progrès d'une année à l'autre sont très différents selon la présence ou l'absence d'une bonne bibliothèque, le nombre de livres lus beaucoup plus élevé dans les C.A. ayant une bibliothèque et dans ce cas beaucoup de lecteurs prenant le goût des livres de valeur. D'après les réponses aux 3e et 4e questions du test on peut considérer que 80 % environ des apprentis du C.A. ayant une bonne bibliothèque sont de vrais lecteurs, alors que dans les C.A. sans bibliothèque ce chiffre varie entre 30 et 50 %.

Applications pratiques des résultats de l'enquête

Une expérience précise nous a permis de vérifier l'importance de la présence d'une bonne bibliothèque dans un établissement et l'intérêt du « nouveau test du catalogue » pour la constitution de ces bibliothèques destinées à essayer de donner le goût de la lecture à des jeunes.

A la suite de l'épreuve que nous avions appliquée à 115 apprentis de quinze à dix-huit ans un certain nombre d'entre eux nous ont demandé s'ils pourraient espérer trouver un jour les livres choisis dans la bibliothèque de l'établissement. Celle-ci était composée de deux armoires fermées à clé dans lesquelles se trouvaient près de 500 livres dont les 2/3 environ provenaient probablement de « dons généreux » et n'étaient pas à la portée de ces jeunes apprentis (Ex. : La Cité antique de Fustel de Coulanges ou L'Intelligence de Taine en double exemplaire, livres sur Cicéron ou Platon, des romans de René Bazin, H. Bordeaux, Gyp, d'Agraives, etc.).

Grâce au dynamisme compréhensif du directeur et du secrétaire général, un premier crédit fut obtenu et nous avons établi ensemble une liste en nous basant uniquement sur les réponses au test. Au bout d'un an, le nombre des lecteurs avait quintuplé. Devant ce beau résultat, un nouveau crédit fut obtenu et nous avons pu dresser une seconde liste de livres. En octobre dernier, le surveillant général me faisait savoir que le chiffre des lecteurs avait décuplé, qu'il avait fallu demander l'aide d'un bibliothécaire bénévole et qu'on envisageait de chercher un vrai local pour la bibliothèque, afin d'éviter les queues et bousculades des jeunes devant les bibliothèques et leur permettre un choix plus aisé.

Une expérience différente est en cours dans une maison de jeunes. Une vingtaine de garçons et filles âgés de seize à vingt-cinq ans ont bien voulu répondre à notre test puis décider, avec nous et le directeur, d'après l'ensemble des réponses, d'une liste de livres à acheter pour constituer une base de bibliothèque. L'expérience est en cours, les livres ont beaucoup de succès et sont empruntés continuellement, et nous espérons que cet essai permettra de constituer des bibliobus adaptés aux futures maisons de jeunes.

Enfin, en nous basant sur les préférences générales exprimées par les réponses de l'ensemble des adolescents étudiés, nous avons établi une liste de livres pour garçons et une pour filles, qui pourraient servir de base à la constitution de petites bibliothèques et qui ont déjà rendu des services.

Mme Larue, chef du Bureau des bibliothèques à la Préfecture de la Seine, qui s'est intéressée à notre enquête depuis son début, nous a demandé ces listes.

Conclusion

Dans l'ensemble, toutes ces premières réponses au test sont révélatrices des problèmes souvent angoissés que se posent les adolescents. Elles permettent de constater que les filles qui manifestent des liens étroits avec la famille et la société ont des intérêts plutôt centripètes. Elles sont à la fois plus idéalistes et réalistes que les garçons et comme l'écrit une élève de 2e après avoir demandé des oeuvres de Saint-Exupéry : « Je voudrais des livres qui mêlent à l'action une peinture profonde des caractères comme l'Annapurna d'Herzog ou Le Rendez-vous d'Essendilène de Frison-Roche. » Tandis que les garçons, dont les intérêts sont nettement centrifuges, manifestent souvent une tendance au pessimisme qui est bien résumée par cette réponse d'un élève de 2e (dans la réponse à la question « hors catalogue») : « Je voudrais des livres pessimistes qui relatent crûment la réalité qui n'est pas souvent rose. »

Mais, si ce besoin de réalisme chez les filles comme chez les garçons doit être satisfait, l'ensemble des réponses nous montre que les adolescents ont aussi particulièrement besoin d'espérance et qu'il faut par conséquent éviter pour eux tous les livres qui se terminent d'une façon « négative », c'est-à-dire par le découragement et le suicide.

Nous ne pouvons nous étendre davantage ici sur la richesse et la variété des résultats et des statistiques basées sur les réponses au test : comparaisons selon l'âge dans un C. A., entre divers C. A., entre les C. A. garçons et filles, entre les C. A. et les lycées, etc.

Nous considérons du reste que cette enquête ne fait que débuter et nous espérons qu'elle suscitera une vaste étude des goûts et intérêts des adolescents faite sur le plan national à l'aide du « nouveau test du catalogue » par des bibliothécaires et des professeurs. Elle permettrait de mieux comprendre la complexité des jeunes de notre époque, de leur apporter par un choix ainsi éclairé les livres répondant parfaitement à leurs désirs et besoins et de pouvoir ainsi donner au plus grand nombre le goût de la lecture enrichissante.

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Tableau 1

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Tableau 2

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Tableau 3

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Tableau 4

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Tableau 5

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Tableau 6

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Tableau 7

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Tableau 8

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Annexe (1/21)

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Annexe (2/21)

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Annexe (16/21)

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Annexe (17/21)

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Annexe (19/21)

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Annexe (20/21)

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Annexe (21/21)

  1. (retour)↑  Baumgarten (Dr Franziska). - Orientation et sélection professionnelles par l'examen psychologique du caractère. - Paris, Dunod, 1949.
  2. (retour)↑  Voir l'Exemplaire du nouveau test du catalogue, pp. 359-366.
  3. (retour)↑  Voir l'Exemplaire du nouveau test du catalogue, pp. 359-366.
  4. (retour)↑  Gratiot-Alphandéry (H.) et Maurette (M.-Th.). - Loisirs et formation culturelle de l'enfant rural. - Paris, Presses universitaires de France, 1956.
  5. (retour)↑  Zazzo (Bianka). - Une Enquête sur le cinéma et la lecture chez les adolescents. (In : Enfance, n° spécial sur les ciné-clubs de jeunes, 1957, pp. 389-4II.)