Congrès des sociétés savantes
Chambéry (8-12 avril 1960)
La 85e session du Congrès national des sociétés savantes a revêtu un caractère un peu exceptionnel. Plusieurs congrès doivent, cette année, se réunir en Savoie, répondant à l'invitation qui leur a été faite par le Comité du centenaire du rattachement de la Savoie à la France.
Le député-maire de Chambéry, M. Dumas, accueillit les congressistes à la séance d'ouverture, au Théâtre de Chambéry. Il devait remercier le Comité des travaux historiques et scientifiques d'avoir fait exception à la « règle tacite » qui lui fait traditionnellement choisir une ville d'Université, mais, souligna M. Dumas : « Si elle ne fut pas vraiment Université, notre ville fut cependant toujours un centre universitaire et para-universitaire non négligeable ainsi qu'en ont témoigné tour à tour la Faculté de droit, créée en 1681, le Collège d'Ancien Régime qui comportait notamment des chaires de chirurgie, de théologie, l'École centrale née de la Révolution qui enseignait, au Château, les sciences naturelles, chimiques, physiques, les mathématiques, et la législation présentée comme la science du bonheur, enfin l'École universitaire médico-chirurgicale fondée en 1822.
« Après le rattachement, Chambéry fut le siège d'un rectorat. Les méchantes langues se gaussaient un peu de ce « recteur privé de ses facultés », qui fut supprimé en 1920. En effet, la Savoie réunie à la France, notre ville ne pouvait raisonnablement espérer ni ambitionner d'atteindre au même degré que les grands centres si proches de Grenoble et de Lyon. »
Toutefois, la province peut s'enorgueillir d'une vie intellectuelle qu'attestent entre autres les noms de Vaugelas, de François de Sales, de Guillaume Fischer, et des frères de Maistre. Par ailleurs, elle est particulièrement favorisée en ce qui concerne ses sociétés savantes, dont M. le doyen Blanchard, président du Congrès, devait, plus tard, faire l'éloge en termes pittoresques : « La vie moderne est dure aux Sociétés savantes, d'autant que le développement de nos universités tend à leur enlever des chercheurs, en créant d'intenses foyers de travail, en publiant elles-mêmes des périodiques. J'en sais quelque chose, ayant créé voici bientôt cinquante ans la Revue de géographie alpine, qui aurait tué net la Société de géographie de Grenoble, qui heureusement n'existait pas. Il vaudrait la peine de mettre sur pied une étude savante et précise, qui établirait par département un coefficient de fréquence des sociétés savantes, avec un pourcentage par rapport au nombre d'habitants; on trouverait, j'imagine, des coefficients peu reluisants pour les départements pourvus d'une Université. En tout cas, l'exemple alpin apporterait une belle justification à ma théorie. Car le département de l'Isère dont la population dépasse celle des deux Savoie, et qui est le siège d'une Université, ne compte qu'un nombre restreint de ces organismes. Tandis que dans votre province, les sociétés savantes fourmillent, et elles travaillent, nul n'en est plus informé que moi, qui au cours d'un demi-siècle ai assidûment feuilleté et utilisé leurs publications. Je salue donc avec gratitude la vénérable Académie de Savoie, la Société d'histoire et d'archéologie, la Société d'histoire de Maurienne, dont j'attends toujours avec intérêt les travaux. La Haute-Savoie n'est pas en reste. Voici, à Annecy, la Florimontane, héritière de Saint François de Sales, l'Académie Salesienne, où j'ai puisé tant d'utiles renseignements, les Jeunes amis du vieil Annecy, dont j'ai peur de dire trop de bien parce qu'ils ont accueilli ma prose dans leurs publications. De plus, Bonneville recèle l'Académie du Faucigny, et Thonon est le siège de l'Académie Chablaisienne. A coup sûr, les deux départements savoyards sont parmi les mieux pourvus de France en sociétés savantes et à moins de penser qu'il faut une Académie par chef-lieu de canton, il me paraît difficile de mieux faire. »
M. le préfet Grimaud, souhaitant à son tour la bienvenue aux congressistes, remercia également le Comité des travaux historiques et scientifiques d'avoir accepté l'invitation de la Savoie : « Que votre 85e Congrès national ait fait choix de la Savoie pour y tenir ses assises, nous y voyons, Monsieur le Président, une récompense et une consécration : récompense de cette longue fidélité à la culture française qui, à travers les vicissitudes de l'histoire, fut la profonde et émouvante unité de cette province; consécration du rôle éminent que joua, dans le lent travail d'élaboration de l'unité française, l'apport savoyard. Aujourd'hui, où un siècle de vie commune permet de dire que cette union fut une grande réussite, soyez remerciés d'avoir, par votre choix, votre compréhension et vos travaux, contribué à renouveler et à maintenir, sur ce sol privilégié, riche de souvenirs, éclatant de beauté et de jeunesse, l'amour et le goût des choses de l'esprit qui sont la raison d'être de vos illustres sociétés et notre commune raison de croire en notre destin. »
Il est en effet juste de dire que les communications présentées au Congrès : 52 en philologie et histoire, 50 en histoire moderne et contemporaine, 21 en archéologie, 20 en géographie, 52 en sciences, soit au total : 195, doivent apporter à la commémoration nationale une contribution d'une haute qualité scientifique. Suivant un usage qui tend, de congrès en congrès, à devenir une tradition, se sont tenus divers « colloques » réunissant 29 communications : colloque sur le Lias, colloque de glaciologie, enfin colloque sur le soufre.
Prise en charge par l'Académie de Savoie, l'organisation du Congrès fut une réussite qui est due à l'action de Mlles Salvan et Chassé, conservateur et bibliothécaire à la Direction des bibliothèques, qui préparèrent le Congrès et assistèrent aux séances. M. Julien Cain, directeur général des bibliothèques, président de la Commission centrale du Comité des travaux historiques et scientifiques, retenu par le Conseil exécutif de l'Unesco, n'avait pu se rendre à Chambéry. Il convient de remercier, avec les autorités locales qui ont accordé de très généreuses subventions, le président de l'Académie de Savoie, M. André Tercinet, et le secrétaire M. André Perret, directeur des Services d'archives. Sur le plan annécien, M. Grandchamp, président de la Société des amis du vieil Annecy, M. Guichonnet, président de l'Académie du Faucigny, et M. Pfister, secrétaire de l'Académie Florimontane, qui ont apporté un précieux concours aux organisateurs. Signalons également que M. Laurent, bibliothécaire de la ville d'Annecy et conservateur du Musée, et M. Menabrea, historien de la Savoie et bibliothécaire de Chambéry, ont participé aux travaux et aux manifestations.
Plusieurs conférences publiques ont été organisées : « Contributions à la métallurgie et à la géologie », par M. R. Perrin; « A propos du Centenaire de l'annexion de la Savoie à la France : essai de géographie historique », par M. Robert Perret; « La vocation hydroélectrique de la Savoie », par M. Olivier-Martin; « Vers les planètes », par M. P. Muller.
Les excursions habituelles ont eu lieu entre les séances de travail, le dimanche 10 avril : l'une, géographique et géologique, sous la direction de M. Gidon, consacrée aux réalisations hydro-électriques du Borne, de Pressy, de Taninges...; l'autre, historique et archéologique, au château de Miolans, à l'abbaye d'Hautecombe, et enfin à l'église priorale du Bourget-du-Lac.
M. Antoine, professeur à la Sorbonne, représentant M. le ministre de l'Éducation nationale, devait, après M. Bosson, député-maire d'Annecy, et M. le doyen Raoul Blanchard, prononcer le discours de clôture. Il évoqua tout d'abord trois membres éminents du Comité des travaux historiques et scientifiques, disparus au cours de ces derniers mois. « L'année dernière, M. Julien Cain rendait un pieux hommage à Eugène Darmois, professeur honoraire à la Sorbonne, membre de votre Section des sciences, et voici, hélas! qu'il m'incombe aujourd'hui d'honorer le souvenir de Georges Darmois qui repose désormais près de son frère, dans le cimetière de leur commun village natal. Spécialiste universellement réputé des domaines de la statistique et des probabilités, il joignait aux vertus du savant celles de l'homme simple et de robuste bon sens. Oserai-je relever, dans la notice académique que vient de lui consacrer son éminent confrère André Danjon, un jugement qui me touche au vif : « Sa gaîté expansive pouvait surprendre chez un Lorrain... » Je me permets d'affirmer, appartenant à la même province que Georges Darmois et presque au même canton, que nombreux sont les Lorrains de ce coin-là à savoir gaîment savourer les fruits de la vie, comme pour mieux dissimuler leur dure application au travail!
« Non moins laborieux, peut-être plus réservé, comme il sied à sa spécialité, André Lesort, doyen d'âge de votre Section de philologie et d'histoire, nous a quittés l'année même où il célébrait ses noces de diamant de chartiste, si je puis ainsi parler. De Cambrai à Arnay-le-Duc, de Rennes à Versailles, puis à Paris, il fut le modèle même de l'archiviste français, animé tout à la fois par une conscience professionnelle au plus haut point exigeante, et par un zèle infatigable de l'érudit et de chercheur. La mort l'a pris alors que, venant d'entrer dans sa 85e année, il mettait juste la dernière main au tome V de son Epitaphier du vieux Paris.
« Nul de vous ne saurait oublier non plus qu'André Lesort eut le grand mérite de créer la Fédération des sociétés savantes de Paris et de l'Ile-de-France, dont il dirigeait les publications.
« L'année où André Lesort quittait l'École des chartes, Georges Lefebvre obtenait son agrégation d'histoire et de géographie. Lui aussi fit carrière d'étape en étape, enseignant successivement dans huit lycées provinciaux puis parisiens, avant d'accéder à l'enseignement des Facultés : Clermont, puis Strasbourg, la Sorbonne enfin où il succéda, en 1937, à Sagnac dans la chaire d'histoire de la Révolution illustrée par Aulard et Mathiez.
« Je ne puis songer à énumérer tous les travaux de Georges Lefebvre. Détachons seulement parmi eux ses Paysans du Nord pendant la Révolution Française, ses Questions agraires au temps de la Terreur, son Quatre-vingt-neuj, sa Révolution Française, et son Napoléon, afin de mesurer l'extraordinaire activité de ce maître mondialement reconnu des études révolutionnaires. Sa disparition, survenue le 27 août dernier, constitue pour ses étudiants, pour ses amis et pour l'Histoire une perte immense. »
M. Antoine rendit ensuite hommage à la Direction des bibliothèques, qui a réorganisé le Comité des travaux historiques et scientifiques et donné une nouvelle orientation au congrès.
Ayant rendu compte de l'activité des diverses sections, M. Antoine se plut à rendre un hommage personnel à Vaugelas : « Hasarderai-je pour clore, et afin de ne point faire mentir l'adage « Grammatici certant », un semblant de querelles que j'ai hâte du reste de masquer sous le rempart d'un sourire et de maintes excuses? - Oui, j'avoue comme un regret de n'avoir pas trouvé, parmi les offrandes de mes frères et sœurs en philologie, une étude dédiée à l'un des plus glorieux enfants de la région et, peut-on presque dire d'Annecy, qui devait devenir le plus fameux des grammairiens de France : Claude Favre de Vaugelas, fils d'Antoine Favre qui, avec François de Sales, fonda, durant l'hiver 1606-1607, l'Académie Florimontane. Or il me semble que nous ne saurions témoigner trop de reconnaissance envers cette glorieuse Compagnie. Ses « Constitutions » renferment un programme qui préfigure singulièrement celui de notre Comité des travaux historiques et scientifiques. Mais prenons garde plus spécialement, au dernier article de ce programme : « On y traitera de l'ornement des langues, et surtout de la française. » N'était-ce pas là, ourdir le plus sûr des liens entre Annecy et Savoie, à qui - ô merveille - Vaugelas le Savoyard allait bientôt dicter les lois du beau langage? Et, de plus, n'était-ce pas poser le meilleur jalon sur la voie de ce rattachement de la Savoie à la France dont nous fêtons cette année même le centenaire ?
« Honneur donc à Vaugelas et à l'Académie Florimontanel Honneur à Annecy, à la Savoie, à la France, à tous ceux qui, comme vous, ont à tâche et à cœur d'unir la province à la capitale en faisant luire sur l'une et l'autre les rayons d'un vrai savoir, joints à la clarté d'une belle langue. »
Déclarant close la 85e session du Congrès, M. Antoine annonça les prochaines sessions : 86e session à Montpellier, en 196I; 87e session à Poitiers, en 1962.
Il appartint à M. Jacquet, préfet de Haute-Savoie, de féliciter ensuite les congressistes : « Puisse votre passage dans ce département vous laisser un souvenir digne de ses beautés, digne aussi de ce Centenaire que vous êtes venus fêter avec nous. Et puisse aussi votre passage mettre en valeur, comme elles le méritent, nos sociétés savantes locales, susciter de nouvelles vocations de chercheurs, et peut-être plus simplement, que le succès retentissant de votre manifestation fasse que le plus grand nombre d'entre nous s'applique, malgré les soucis de la vie quotidienne, à lire, à comprendre, à chercher, à penser... Que l'homme s'interroge. Et déjà cette interrogation fait de lui un homme. »
Après le banquet de clôture, qui eut lieu au Casino d'Annecy, où des allocutions furent prononcées par M. Bosson, maire d'Annecy, M. le doyen Moret et M. Guichonnet, les congressistes gagnèrent le château de Montrottier, propriété de l'Académie Florimontane. Ils y furent accueillis par M. d'Orly, président de l'Académie.