Cabinet des estampes

Jean Adhémar

L'exposition du Cabinet des estampes montre une politique suivie pour l'enrichissement des collections. D'une part, le conservateur en chef a acquis dans les ventes ou a obtenu en don des pièces rares, exceptionnelles qui manquaient, en très petit nombre pour la partie ancienne qui est incroyablement riche; d'autre part, il a obtenu le dépôt de l'essentiel de la production française contemporaine des peintres graveurs. C'est peut-être ce dernier résultat qui le satisfait le plus, comme nous, car le dépôt des estampes n'est nullement exigible comme celui des livres, et ne se fait pas de manière presque automatique. Chaque dépôt suppose des rapports personnels avec l'artiste qu'il faut solliciter, accueillir, remercier Chacun des peintres-graveurs doit être découvert, car il n'existe aucun moyen de savoir quel peintre, quel sculpteur a gravé des estampes, généralement pour son plaisir personnel, sans pouvoir ou sans vouloir les exposer; cela suppose donc des rapports personnels avec les artistes, les galeries, les marchands d'estampes. Ces rapports sont dans la tradition du Cabinet des estampes depuis le XVIIIe siècle, et constituent une partie de son originalité et de son intérêt.

On voit donc, dans la galerie Mansart, dont les murs ont été réservés aux estampes, quelques pièces anciennes de qualité très remarquable : d'abord trois gravures exécutées vraisemblablement la même année (1526), un bois parisien, une affiche d'Amiens, un burin (le premier burin français) de Duvet gravé à Dijon. Une seule autre pièce du XVIe siècle français, un petit burin précieux de Jean Chartier, maniériste provincial (1556). Pour le XVIIe siècle, on voit un éventail gravé par Bosse et un dessin de Rembrandt pour une de ses estampes (don Curtis). Pour le XVIIIe siècle, le Cabinet, très riche en gravures de reproduction en noir, l'était moins en gravures en couleurs, en estampes populaires et en gravures de peintres. Des lacunes ont été comblées. On le verra par des exemples comme les « Figures de modes » de Watteau, les estampes de Janinet, de Debucourt, de Moreau l'aîné, les grandes estampes murales d'Orléans (le Suisse, la Servante). Une de ces grandes estampes populaires fera réfléchir sur la définition ancienne de l'art populaire : « pour le peuple, par le peuple », car c'est une reproduction de la Dispute du Saint Sacrement de Raphaël, exécutée sans doute dans un style sommaire mais certainement pas pour un public populaire. Deux épreuves uniques de Goya, gloire du Cabinet, ont pu être acquises et sont montrées ici. Quelques dessins accompagnent les estampes, dessins préparatoires (d'Augustin de Saint-Aubin, de Piranèse), dessins d'architecture (élévation de Bagatelle par Belanger, avec le bon du comte d'Artois, don Jean Stern). Pour la première partie du XIXe siècle, trois états de Bonington et d'Isabey rappellent le don extraordinaire fait par Atherton Curtis, et auquel a été consacrée une exposition; Curtis avait des épreuves d'artistes incomparables, on s'en apercevra ici. Toujours pour le xixe siècle, des pièces de Bresdin, de Redon, de Rivière, de Steinlen, de Coussens, d'Helleu, évoquent des donations, des acquisitions nécessaires. Sur un des épis, trois gravures datant des environs de 1900, montrent le retour à l'archaïsme. Sur le revers du même épi un estampage chinois, des gravures d'Utamaro ramènent au don Curtis, si riche en gravures d'Extrême-Orient; un Hiroshigé (1800) annonce des tendances modernes.

Enfin, les deux tiers de la galerie sont consacrés à l'estampe contemporaine française classée par tendances, depuis les élèves de Whistler jusqu'aux plus jeunes gens. La présentation objective permet de voir qu'après le mouvement des paysagistes des années 1930, dominés par Segonzac, après les recherches de Picasso et de Chagall, après l'abstraction, l'école moderne des peintres-graveurs se tourne tantôt vers une sorte de surréalisme poétique, tantôt vers un néo-réalisme soutenu par des recherches nouvelles de techniques.

Au bas de l'escalier sont exposées des affiches: affiches du xixe siècle du don Guéneau, affiches très remarquables (dont un Nijinski par Cocteau) des années 1910-1920 du don Chéronnet, affiches des meilleurs artistes actuels choisies parmi celles qu'on a le moins vues en France.

Trois dessins originaux de Sennep, Effel, Siné, rappellent l'intérêt du Cabinet pour les caricatures. N'est-ce pas en effet le seul établissement en France à les réunir? Une vitrine montre, que non content de découper les meilleures caricatures de la semaine, on y réunit aussi les albums étrangers.

Une place, trop restreinte, a pu être accordée aux photographies anciennes ou contemporaines dont le Cabinet est le Conservatoire; on les a présentées le plus souvent sous forme d'agrandissements, que ces photographies supportent fort bien, afin d'éviter le papillottement qui résulte d'une présentation de toutes petites épreuves anciennes : la collection des albums de Nadar est évoquée par une série de photographies de Sarah Bernhardt depuis son premier succès au Conservatoire jusqu'à son triomphe dans Phèdre (« la Berma »); un agrandissement d'une autre Sarah Bernhardt par Reutlinger rappelle que le fonds de ce portraitiste d'actrices et de théâtreuses est aussi aux Estampes; des photographies naïves s'opposent aux photographies savantes. Pour les œuvres contemporaines les recherches d'art accompagnent les photographies de reportage, ainsi que les albums.

Plusieurs vitrines sont consacrées à des dons de grande valeur : les estampes de costumes militaires données par G. de Ridder dans des reliures somptueuses, les ex-libris Bounetou, un canivet (don P. Prouté), des cartes à jouer (don d'Allemagne)...

Bien que, faute de place, les enrichissements des Estampes n'aient pu être présentés avec plus d'ampleur, leur présentation donne bien la physionomie du travail des quinze dernières années.

Les notices du catalogue sont brèves : elles ne veulent pas être « savantes », mais simplement expliquer les raisons et les conditions de l'acquisition (elles sont rédigées par MM. Pognon, Weigert, Lethève, Mlle Gardey et l'auteur de ces lignes qui a été chargé de la présentation générale). Un certain nombre de chapeaux précisent et appuient la démonstration.