Colloque d'Abidjan-Dakar
14-21 décembre 1959
L'Association d'étude pour l'expansion de la recherche scientifique a organisé du 14 au 21 décembre 1959 un colloque à Abidjan et à Dakar sur la recherche scientifique et technique et la documentation économique et sociale des pays africains.
« Un acte de foi destiné à dresser le bilan des moyens disponibles et à permettre d'établir des priorités », tel était ce colloque selon une déclaration du Secrétaire général de l'association, M. J. L. Crémieux-Brilhac.
Six commissions traitèrent respectivement de la recherche agricole, de la recherche industrielle, de la recherche médicale, de la recherche dans les sciences humaines, des problèmes de l'enseignement et de l'organisation générale des structures de la recherche. C'est aux études de structures que fut rattachée la question de la documentation scientifique et technique dans la Communauté. Le rapport d'ensemble sur cette question avait été confié au Dr R. P. Brygoo, chef de la Documentation scientifique de l'Institut Pasteur (France et outre-mer). Nous empruntons à son rapport les éléments de ce compte rendu.
« En même temps, note tout d'abord M. Brygoo, que l'on reconnaît de toutes parts la nécessité d'une coordination des efforts et d'une économie des moyens conduisant à une centralisation de la documentation, on découvre l'existence d'un nombre impressionnant d'institutions ou d'organismes qui entretiennent des services documentaires apparemment sans liaison entre eux. »
La troisième commission chargée de la recherche médicale déplore « le manque de moyens permettant d'étudier la conjoncture et de planifier la recherche médicale, la dispersion des efforts, et considère qu'un organisme central devrait assurer la documentation des chercheurs ».
« Dans les travaux de la quatrième commission, à propos des sciences humaines, la documentation est élevée au rang d'une véritable matière première de recherche dont la collection, le dépouillement, le traitement numérique, statistique et la manipulation constituent l'essentiel même du travail. » L'importance du Musée de l'homme est soulignée ainsi que l'Inventaire (novembre 1958) des recherches ethnologiques en Afrique noire « portant sur les travaux anciens et les recherches en cours et qui a permis la mise en évidence des lacunes et l'établissement d'une hiérarchie des urgences dans les travaux à accomplir ».
Les responsables des sciences humaines de l'Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (O.R.S.T.O.M.) « préconisent la création de centres de documentation culturelle et sociale destinés à collecter et à conserver les expressions des traditions orales en particulier par enregistrement sonore, à diffuser ce matériel et à l'étudier par analyse systématique.
M. le Professeur Théodore Monod, au nom de l'Institut français d'Afrique noire (I.F.A.N.), indique lui aussi l'importance des sciences d'exploration.
M. J. F. Maurel, conservateur des Archives de Dakar, fait état de l'existence d'un centre de documentation d'ordre législatif et historique annexé aux Archives qui dépouille et répertorie tout ce que produisent les services officiels et tout ce qui est publié sur l'ancienne A.O.F.
Le rôle de l'université est rappelé par M. le Recteur Paye qui signale entre autres la création, à la Faculté de droit de Dakar, d'un important centre de documentation juridique. Il estime « que l'Université de Dakar doit fonctionner comme une sorte de conseiller culturel des autorités des États de la Communauté et contribuer à l'étude et à la réalisation des projets gouvernementaux ou privés, de réforme ou d'aménagement à divers stades dont, avant tout autre, celui de la documentation ».
Faut-il préconiser la « centralisation maximale en France des organismes documentaires comme un lien d'interconnexion entre tous les États de la Communauté et toutes les spécialités culturelles et scientifiques puisque, ainsi qu'on l'a dit, les premiers liens de la Communauté sont constitués par la langue et la culture françaises, ou respecter au contraire certains désirs, légitimes, d'autonomie régionale ? » Telle est la question que pose M. Brygoo.
Après avoir mentionné les observations de M. le Professeur Millot et la note de M. Julien Cain sur les bibliothèques universitaires, M. Brygoo constate que la structure de la recherche, telle qu'elle a été envisagée par la Commission d'organisation de la recherche, « place les services documentaires parmi les services centraux à organiser et à articuler au sommet avec les organismes de coopération internationale ».
Le rapport de la Commission a déploré un éparpillement des services et des crédits.
Le rôle du service du Centre de documentation du Centre national de la recherche scientifique est rappelé par M. Coulomb, directeur général du C.N.R.S.
Certaines critiques applicables aux services assurés par le C.N.R.S. se dégagent de la communication de M. Ariès, de l'Institut français des recherches fruitières outre-mer (I.F.A.C.), définissant les besoins documentaires du chercheur lointain (importance des analyses détaillées pour le travailleur scientifique africain éloigné des bibliothèques; nécessité de tables, index de préférence cumulatifs, permettant la recherche rétrospective).
M. Roger Heim, directeur du Muséum national d'histoire naturelle, évoque les systèmes britanniques des agricultural bureaux du Commonwealth qui ont créé des organismes centralisateurs de bibliographie analytique propres aux sciences appliquées et directement utilisables par les centres d'Outre-mer. Il suggère, soit une collaboration avec les agricultural bureaux, soit la création pour la Communauté française d'un ensemble d'instruments de documentation, sous l'égide du C.N.R.S. par exemple, en étroits contacts avec les organismes qui travaillent dans le même sens. M. Heim « défend la cause de la langue française comme lien culturel de la Communauté qui impose la création d'un cadre de bibliographes et de traducteurs, le soutien des périodiques documentaires de langue française adaptés aux besoins spéciaux de l'Afrique ».
M. le Professeur J. Millot estime « qu'au lieu de proposer l'extension des activités et des moyens propres du C.N.R.S., il conviendrait d'aller plus loin et de réaliser une union de tous les efforts dispersés ou incomplets sous la forme d'une fédération de tous les organismes ou périodiques s'occupant de bibliographies. Celle-ci serait divisée en autant de sections qu'il existe de disciplines importantes. Chacune de ces sections aurait son bulletin analytique dirigé par une personnalité désignée soit par le C.N.R.S. ou par l'établissement le plus qualifié lorsqu'il en existe ».
M. Cheysson signale le rôle important de la Commission de coopération technique en Afrique au Sud du Sahara (C.C.T.A.), organisation intergouvernementale régionale pour l'Afrique sud saharienne qui s'efforce de faciliter l'échange d'informations au moyen d'un réseau d'une douzaine de bureaux permanents couvrant les principales disciplines.
Dans son rapport oral, M. Brygoo montre que la Communauté linguistique française vaudrait surtout dans la mesure où les instruments de travail seraient disponibles en langue française et n'auraient rien à envier à leurs homologues en langue anglaise ou en langue russe. Selon une thèse qu'il a déjà soutenue ailleurs, M. Brygoo pense « que le regroupement des organismes français en même temps que le remède à l'essoufflement de la plupart d'entre eux reposent sur une révolution profonde des méthodes et des techniques et plaident en faveur de la mécanisation et de l'industrialisation de la documentation. Cette révolution pourrait se faire en recourant aux mémoires électromagnétiques et au traitement des données au moyen des machines calculatrices électroniques, à la diffusion des informations, au moyen d'un réseau de télécommunications ».
Lors de la séance de clôture du colloque, le 20 décembre, à Abidjan, la Commission de l'organisation de la recherche a fait approuver ses conclusions dont nous extrayons les lignes suivantes : « le colloque considérant que la dispersion des crédits et des services, le manque de coordination, l'insuffisance des échanges... tant dans le domaine de l'information scientifique et technique que dans celui des personnes ont réduit le rendement des importants moyens mis en œuvre, émet le vœu... 5° que soit prévu un recensement de toutes les documentations consacrées à l'outre-mer et la centralisation de la littérature scientifique qui va s'amplifier considérablement et que ne soit pas oublié le rôle que peuvent jouer pour cette action les techniques modernes. »