Chronique des bibliothèques

Bibliothèque nationale.

Exposition « Le siècle d'or de la miniature flamande »

Le Siècle d'or de la miniature flamande. - La magnifique exposition organisée par nos collègues de la Bibliothèque royale de Belgique a pris fin le 30 novembre, après avoir connu auprès du public, à Bruxelles d'abord, puis à Amsterdam, enfin à Paris, un succès qu'attestent le nombre des visiteurs et la vente des catalogues. Elle a beaucoup appris à tous et M. Delaissé, responsable de sa préparation, peut être fier du résultat que lui valent des années consacrées à réunir et à scruter les manuscrits à peintures de l'ancien duché de Bourgogne, à distinguer les officines d'éditeurs, leurs habitudes artisanales, leurs goûts, les influences subies ou exercées. Il a ainsi prouvé de façon convaincante, une fois de plus, la sûreté de la méthode dite codicologique, nom récent d'une technique fort ancienne, celle qui consiste à examiner un manuscrit comme on examine les restes d'un être vivant, les témoins desséchés et complexes d'un travail organique plein de secrets : méthode qui vaut ce que vaut celui qui l'emploie, comme toute méthode, et que M. Delaissé manie avec une maîtrise bien connue. Il faudrait des pages pour résumer ce qu'il nous apporte; contentons-nous d'insister ici sur un fait qui ressort avec une évidence éclatante de la seule lecture du catalogue 1; les peintres de valeur, seuls ou en atelier, ceux qui comptent pour l'histoire, étaient indépendants des officines d'éditeurs; je veux dire qu'ils pouvaient aller de l'une à l'autre, exactement comme le peuvent les maîtres-graveurs actuels. M. Delaissé le marque fort bien à plusieurs reprises (pp. 12, 45, 54, 55). L'histoire du livre rencontre celle de la peinture, elle la recoupe, elle suit une voie parallèle ou divergente selon les cas, elle ne se confond pas avec elle; pour quiconque se montre plus curieux de suivre l'évolution des peintres que celle des libraires, une seule méthode, à défaut de renseignements écrits : l'étude du style (sans oublier que celui-ci varie), contrôlée s'il y a moyen, aidée, confirmée, infirmée par ce qu'on sait (ou suppose) de l'histoire des artistes, de leur formation, des commandes reçues, des amateurs qui se les sont attachés, des manuscrits auxquels ils ont collaboré, sans trop s'inquiéter des décors marginaux; tant pis si ces derniers ont l'impertinence, par leur aspect insolite, de nous poser un problème : le problème est complémentaire, mais d'un autre ordre.

Pour nous en tenir à elle, l'histoire de la peinture française (considérée dans les limites de la France actuelle) a beaucoup à glaner ici et à cet égard (comme à d'autres) le catalogue de M. Delaissé, par les précisions qu'il révèle en foule, servira de point de départ à des recherches fructueuses. Son auteur note avec raison les rapports du Maître du Mansel et de Simon Marmion avec le Maître parisien dit de Bedford : rien de plus frappant en effet, et de plus logique aussi si l'on songe que ce dernier a dû aller s'établir à Rouen, donc non loin d'Amiens, patrie de Marmion, à la suite de Jean de Lancastre; à ce propos une heureuse erreur d'envoi (du moins j'imagine) a fait substituer à un Livre d'heures illustré, selon Winkler, par Guillaume Vrelant, des Heures peintes en collaboration par « Bedford ». et son très remarquable assistant ou élève le Maître de Marguerite d'Orléans, livre qui se trouve être précisément à l'usage de Rouen et confirme par là-même ce que l'étude des diverses peintures « postbedfordiennes » laissait entendre (n° 232). Le groupe de Jean de Wavrin, localisé ici à Lille de manière convaincante, prend une importance que l'exposition de 1955, à la Bibliothèque nationale, n'avait fait qu'esquisser, avec deux peintres d'esprit et de talent très différents bien que manifestement formés dans une technique voisine (le Maître de Wavrin et le Maître du Champion des Dames), et deux autres, fort inférieurs, leurs parents cependant (n° 71, et ancienne collection Dyson Perrins, n° 26 de la vente de 1958) : il y aurait d'intéressantes comparaisons à faire entre ces dessinateurs spirituels, précis, et la gravure contemporaine des Pays-Bas, du genre de l' « Alphabet grotesque » de 1464. La Flandre, après avoir hérité d'apports français considérables, reflue en force sur la France dans le troisième quart du siècle. Le milieu de René d'Anjou, si mystérieux encore, a bénéficié à cet égard des remarques lumineuses d'Otto Pächt; l'un des familiers du roi, ce Maître de Jouvenel (ou du Boccace de Genève) auquel il n'est pas téméraire, je crois, d'attribuer l'Homme-au-verre-de-vin du Louvre, passe avec raison pour tenir de près à la Flandre, et l'examen des peintures du Français de Bruxelles Dreux Jean exposées ici (n° 177) et surtout du Maître de Guillebert de Lannoy (n° 167) fortifie cette opinion : mais avec le peintre de Jouvenel nous remontons vers les frères de Limbourg, vers les Néerlandais de Paris de la seconde décade, et voilà qui ouvre des aperçus du plus haut intérêt sur cet étonnant amalgame parisien dont l'éclatement, vers 1420, a semé la France et le duché de Bourgogne de centres picturaux riches d'avenir. Le Virgile d'Édimbourg qui porte le n° 210 a été copié à Paris par le Florentin Francesco Florio, pour des inconnus aux initiales P et L portées en marge du f. 65 (les armoiries d'Écosse ont pu être ajoutées par la suite); il est orné de peintures assez médiocres dont deux, la première et la quatrième, rappellent de loin la manière de Vrelant. Florio nous a laissé, outre plusieurs travaux de copie dont le ms Arsenal 1183, des notes intéressantes sur Fouquet et un curieux ouvrage, en forme de songe, sur la situation politique de la France sous Charles VIII (manuscrit inédit à la Bibliothèque Victor-Emmanuel, Rome) : il est bien intéressant de voir cet Italien, ami de notre grand Tourangeau, en rapports vers 1475 encore, à Paris, avec un enlumineur de lignée indiscutablement flamande; nous nous souvenons alors que Maître François, dont on se demande s'il n'est pas un fils de Jean Fouquet, s'apparente justement par le style à Vrelant et nous commençons à comprendre; mais du même coup, nous devons admettre que l'« éclatement » en question dut être moins brutal qu'il ne paraît : la capitale gardait des traces de la grande époque. Enfin la belle réunion de Ganto-Brugeois permet d'apprécier tout ce que doit à l'enluminure flamande de la dernière période un peintre comme Bourdichon.

L'exposition de M. Delaissé ouvre aux travaux un champ infini dont ces notes hâtives, qui lui doivent tout, ne peuvent donner qu'une faible idée. Elle clôt de façon savante, brillante (et inespérée), le cycle que la Bibliothèque nationale a consacré ces années dernières à la peinture française médiévale, en montrant dans le détail par l'enluminure, soeur de la peinture de chevalet, comment Philippe le Bon, ce Valois, a succédé dans le mécénat aux princes de sa lignée et donné une impulsion nouvelle à la peinture française elle-même.

Jean Porcher
conservateur en chef du Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale.

Exposition Tocqueville

La « Commission internationale pour la publication des œuvres complètes d'Alexis de Tocqueville » a demandé à la Bibliothèque nationale d'organiser une exposition en l'honneur du grand écrivain, à l'occasion du centenaire de sa mort.

Cette exposition, confiée à M. Jacques Suffel, devant coïncider avec le Colloque international qui réunit au Collège de France un certain nombre d'historiens, les 5, 6 et 7 novembre 1959, la Bibliothèque nationale a présenté cette petite exposition aux membres du Colloque le 7 novembre. L'ouverture de la salle au public a eu lieu quelques jours plus tard.

Les archives d'Alexis de Tocqueville ayant été conservées dans leur totalité par la famille, la Bibliothèque nationale a eu toutes facilités pour réunir les documents nécessaires : papiers de famille, lettres et manuscrits de l'historien. L'exposition a été complétée par quelques portraits, conservés également par la famille. Le Cabinet des estampes a fourni un certain nombre de gravures qui ont été choisies par Mlle Nicole Villa; le Musée de Versailles a prêté le grand portrait de Chassériau.

Enfin, la Bibliothèque de l'Université de Yale avait tenu à prêter le manuscrit du célèbre ouvrage de Tocqueville De la Démocratie en Amérique, acquis par elle, il y a quelques années, avec la plupart des papiers intéressant les États-Unis.

Un petit catalogue multigraphié a été établi réunissant 88 numéros.

Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg.

Inauguration des nouveaux aménagements et de l'exposition : « Les grandes heures de Strasbourg » par M. le Ministre de l'éducation nationale. - Strasbourg et plus particulièrement l'Université de Strasbourg ont fêté le 22 novembre 1959 plusieurs anniversaires : l'entrée des troupes françaises à Strasbourg en 1918, la réouverture officielle de l'Université en 1919, la libération de Strasbourg en 1944.

Présidant les cérémonies, entre autres la rentrée solennelle de l'Université qui conférait ce jour-là sept doctorats honoris causa à des professeurs et savants étrangers, le Président de la République devait inaugurer dans la même matinée les nouveaux aménagements de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg et l'exposition « Les grandes heures de Strasbourg » organisée à cette occasion.

Trop chargé, le programme du Général de Gaulle dut être écourté et c'est M. André Boulloche, ministre de l'Éducation nationale, qui présida à cette inauguration, en présence de M. Julien Cain, directeur général des Bibliothèques de France, de M. J.-F. Angelloz, recteur de l'Académie de Strasbourg, de M. Pierre Lelièvre, inspecteur général des Bibliothèques, et de plus de deux cents personnalités représentant les autorités locales et régionales et les usagers de la bibliothèque.

Le ministre ouvrit l'exposition (préparée par Mme M. Lang, bibliothécaire, assistée de MM. Th. Lang et J. Rott, conservateurs) et visita en détail les salles publiques nouvelles ou rénovées de la bibliothèque sous la conduite de MM. J. Cain et P. Lelièvre, et de M. N. Schuller, conservateur en chef, administrateur.

L'exposition, ouverte jusqu'au 13 décembre inclus, et qui a reçu plus de I.000 visiteurs pendant les six premiers jours d'ouverture, rassemble 330 pièces (manuscrits, incunables, gravures, lettres, photographies, monnaies, médailles, objets d'art et pièces d'archéologie, etc...) appartenant à la bibliothèque ou prêtés par la Bibliothèque nationale, les Archives nationales, les musées, archives et bibliothèques de Strasbourg et du Bas-Rhin et des particuliers.

Destinée non à des spécialistes, mais au grand public, elle constitue une sorte de fresque évoquant des périodes ou des épisodes marquants ainsi qu'un choix de grandes figures de l'histoire de Strasbourg de l'époque romaine à 1945.

Certaines pièces de portée plus générale, telles le texte des Serments de Strasbourg de 842 (Nithard, Histoire des fils de Louis le Pieux, à la Bibliothèque nationale) et l'Acte de capitulation de Strasbourg de 1681 (conservé aux Archives de la ville de Strasbourg), méritent d'être spécialement mentionnées.

Sur le plan spirituel, les événements et les personnages de la Réforme et de l'Humanisme, Gutenberg, la cathédrale de Strasbourg (dont un panneau d'un vitrail du transept sud actuellement en réfection est exposé), l'Université et ses maîtres (tels Pasteur et Fustel de Coulanges au XIXe siècle) sont particulièrement bien représentés.

Si l'exposition (dont Mme Lang a également rédigé le catalogue multigraphié) permettait à la bibliothèque de rappeler au public la richesse et la variété de ses collections (environ 3 millions de volumes) et un aspect du rôle intellectuel dévolu aux grandes bibliothèques, l'inauguration mettait surtout en lumière les moyens matériels - locaux et équipement - préparés pour assurer ce rôle.

Gravement sinistré par une bombe en 1944 (300.000 volumes furent détruits), le bâtiment se transforma en chantier dès 1945. Les plans de la reconstruction, élaborés en collaboration avec le Service technique de la Direction des bibliothèques de France, furent approuvés par le Conseil des bâtiments de France et les travaux confiés à M. Herrenschmidt, architecte en chef, n'arrêtèrent pas depuis lors, sans que pour autant le fonctionnement des services subisse d'arrêt. On imagine dans quelles conditions il dut être assuré lorsqu'on résume, ne fût-ce que lapidairement, les travaux réalisés : surélévation de la grande salle de lecture centrale de trois niveaux en vue de gagner cette place pour les magasins et un meilleur éclairage pour la salle, gain de deux salles de catalogues et de prêt, dotées de fichiers neufs, réaménagement des bureaux et des services des trois étages de l'aile ouest, doublement de la capacité des magasins par implantation de rayonnages complémentaires, installation d'une chambre forte à trois étages pour la réserve, le cabinet numismatique (35.000 pièces) et les papyri, installation d'ascenseurs et d'un réseau téléphonique, réfection complète du chauffage, amélioration de l'éclairage, enfin aménagement d'une grande salle de travail pour étudiants (capacité 25.000 usuels, 204 places) et - après l'orage de grêle d'août 1958 - remplacement total des toitures et de la coupole vitrée (désormais en polyester) de la bibliothèque. Si l'on excepte le réaménagement encore à réaliser des magasins d'alsatiques et de géographie et l'installation nécessaire d'un atelier de photographie, l'énorme programme de reconstruction et de réaménagement se trouve ainsi achevé.

Ce qui a été réalisé ne peut échapper à la critique - les servitudes propres à un bâtiment construit en 1895 pèsent lourdement sur son agencement fonctionnel même rénové - mais le public et en particulier les usagers universitaires ont tout de même à leur disposition un outil très valable.

Il reste à poursuivre les travaux de nettoyage et de regroupement rationnel des collections dans les magasins et la reconstitution, conçue avant tout dans une perspective de modernisation, des collections sinistrées, tâche qui s'étendra sur plusieurs années.

Bibliothèques universitaires.

Paris. Bibliothèque de la Faculté de médecine.

La Bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris vient d'apporter son concours à deux expositions consacrées à l'histoire de la médecine en Extrême-Orient à l'occasion des Entretiens de Bichat (Paris, 4-10 octobre 1959) et du Colloque sur les recherches des instituts français de sciences humaines en Asie (Fondation Singer-Polignac : 23-31 octobre). Aux côtés d'une brillante participation française (Bibliothèque nationale, Sainte-Geneviève, Académie de médecine, Faculté de médecine de Montpellier, Muséum, etc.) et étrangère (Leyde, Berne, Bangkok) et de la remarquable contribution du Pr Zensetsou Ohya, de la Faculté de médecine d'Osaka sur la médecine japonaise, la Bibliothèque de la Faculté de médecine exposait 55 volumes imprimés et illustrés et 3 manuscrits, dont un « Maldmono » de Midori sur l'anatomie d'un supplicié, dessins gouachés sur rouleau de 18 m du début du XIXe siècle. Parmi les ouvrages français et latins de relations de voyages, mémoires scientifiques et littéraires, correspondances adressées en particulier par les Missionnaires jésuites français aux XVIIe et XVIIIe siècles et qui faisaient l'objet du très beau catalogue dû au Pr Huard et à Mlle J. Sonolet, les œuvres très recherchées de J. Valverde, du R. P. Harvieu, de Dionis, de W. Cheselden et de Bartholin éclairaient les rapports et les influences de la médecine occidentale sur la médecine chinoise et japonaise du XVIe au XVIIIe siècle.

Bibliothèques municipales.

Marseille (Bouches-du-Rhône).

Au cours de sa séance de rentrée du 5 novembre 1959, l'Académie des sciences, lettres et arts de Marseille a entendu une communication de M. Bouyala d'Arnaud, secrétaire perpétuel, conservateur de la Bibliothèque municipale de Marseille, consacrée à « L'origine des bibliothèques et la formation des grandes bibliothèques françaises ».

Bibliothèques centrales de prêt.

Haut-Rhin.

Réunion de bibliothécaires du Haut-Rhin et du Bas-Rhin. - Le 29 octobre 1959 a eu lieu, à la Bibliothèque centrale de prêt du Haut-Rhin une réunion de bibliothécaires du Haut-Rhin et du Bas-Rhin. La Bibliothèque centrale de prêt du Bas-Rhin, les bibliothèques municipales de Colmar, de Mulhouse, de Strasbourg, de Munster, de Barr étaient représentées ainsi qu'un certain nombre de bibliothèques d'entreprises et les « Bibliothèques pour tous » de Mulhouse, etc...

Après un exposé de l'activité de chacune des bibliothèques représentées, les participants se sont livrés à un échange de vues sur les problèmes qui se posent à chacun dans son domaine particulier. Mlle Orieux, bibliothécaire à la Bibliothèque municipale de Colmar, a commenté l'enquête entreprise dans différents établissements scolaires de Colmar sur la lecture des adolescents de quatorze à dix-huit ans.

En conclusion, les bibliothécaires présents ont décidé de procéder à des essais de sélection de livres pour adolescents et de dresser des listes, accompagnées d'une brève analyse, qui seront centralisées à la Bibliothèque centrale de prêt du Haut-Rhin.

Rhône.

Catalogue. - La Bibliothèque centrale de prêt du Rhône vient de publier le catalogue multigraphié de ses ouvrages sur les beaux-arts et le spectacle. Des rubriques sont consacrées aux principales collections de livres d'art. Une notice caractérise en quelques mots leur esprit et la qualité de leurs illustrations. On trouvera également dans ce catalogue une liste de scénarios et d'ouvrages qui ont inspiré des films.

  1. (retour)↑  Bibliothèque royale. Bruxelles. - Le Siècle d'or de la miniature flamande. Le Mécénat de Philippe le Bon. Exposition organisée à l'occasion du 400e anniversaire de la fondation de la Bibliothèque royale de Philippe II à Bruxelles le 12 avril 1559 [Avant-propos par H. Liebaers et D. C. Roëll. Introd. par J. Cain et L. M. J. Delaissé]. - Bruxelles, Amsterdam, Paris, juin-nov. 1959. - 25,5 cm, 205 p., 64 pl. en noir et en coul., couv. en coul.