Bibliothèques des hôpitaux et sanatoriums de l'Assistance publique

R. S. Basset

Lorsqu'on se rend pour la première fois dans un des sanatoriums de l'Assistance publique pour visiter ses diverses installations, il est un mement où l'on se trouve dans un havre de détente, de paix, d'oubli de la maladie et de reprise de contact avec la vie du dehors, c'est celui que l'on passe dans la bibliothèque. Depuis vingt-cinq ans que l'administration de l'Assistance publique a mis à l'étude cette question et favorisé le développement de la lecture dans ses hôpitaux et ses sanatoriums, on peut faire le point de l'histoire des bibliothèques pour malades.

Si le problème de la contagion s'est posé dès le début, il fut résolu immédiatement après consultation des médecins autorisés; on sépara les services en trois catégories : chirurgie, médecine, tuberculose. Intentionnellement les distributions de livres ont été omises dans les maternités et les hôpitaux de maladies éruptives : les maternités parce que les hospitalisées y font de courts séjours et que leur attention est fixée sur les nouveau-nés, les autres parce que les livres risquent de transporter des germes de maladie.

Une Bibliothèque centrale fut créée pour coordonner le fonctionnement de toutes les bibliothèques des services d'hôpitaux et de sanatoriums. C'est de là que partent tous les livres catalogués et préparés pour le prêt. Les achats sont faits par la bibliothécaire en chef qui se base, non seulement sur les critiques littéraires, mais sur les conclusions d'un Comité de lecture où deux personnes compétentes lisent soigneusement le même livre, puis en discutent ensuite au cours d'une réunion afin de s'en faire une opinion plus exacte. Il y a des livres qui ne peuvent être donnés à des malades, ceux tout d'abord qui traitent de certaines maladies, et d'autres qui pourraient les impressionner d'une manière ou d'une autre.

On nous demande souvent pourquoi les bibliothèques des hôpitaux ne sont pas alimentées par des dons de livres. La réponse est simple : la plupart de ces dons sont inutilisables; nous ne recevons le plus souvent que des livres inintéressants, incomplets, périmés, c'est-à-dire des livres dont on veut se débarrasser. Il est très rare que l'on puisse faire relier et faire circuler ces livres reçus en don. C'est donc l'Assistance publique qui alloue un budget raisonnable pour l'entretien de ces bibliothèques.

Le principe de nos bibliothèques est évidemment de donner aux malades une distraction saine et agréable, mais il est également utile de leur procurer des livres qui leur fournissent l'occasion, que certains n'ont peut-être jamais rencontrée, de se livrer à une lecture substantielle et instructive.

Comme dans toutes les bibliothèques, les livres, dès leur arrivée, sont confrontés avec les factures et sont préparés pour la reliure; la classification Dewey a été adoptée, car elle semble la plus facile pour nos bibliothèques. Pour la reliure, nous avons décidé de choisir des toiles de couleur vive : rouge, jaune, bleue, pour que les malades se réjouissent à leur vue et qu'ils considèrent la bibliothèque comme une source de vie active, de gaîté. Lorsque les livres ont été reliés, ils sont catalogués selon les principes de toutes les bibliothèques publiques : registre d'entrée, fiche inventaire, puis fiche matière, auteur, titre, fiche de prêt proprement dite. Ensuite, ils sont envoyés dans les divers services d'où ils ne reviendront à la bibliothèque centrale que pour être réparés ou mis hors d'usage. Pour chaque service un fonds est constitué, en tenant compte de l'importance du service et de la maladie qui y est traitée. Mais ce fonds est sans cesse alimenté par un apport de nouveautés, au fur et à mesure de leur publication et même suivant les événements. Les fiches d'inventaire qui sont conservées à la Bibliothèque centrale permettent à tout moment d'ajouter dans chaque service les livres qui y sont nécessaires, et en fin d'année de faire une vérification exacte de ceux qui ont pu être perdus.

La durée moyenne du séjour des malades étant variable suivant les services, le nombre des livres qui leur est affecté varie également; nous comptons donc environ 5 à 6 livrés par lit pour un service de chirurgie, 6 à 8 pour un service de médecine, 10 à 12 pour un sanatorium.

Dans les bibliothèques publiques ordinaires, les lecteurs viennent échanger leurs livres, mais dans les hôpitaux, il a fallu étudier la manière d'aller à eux. On a eu recours à un chariot que Georges Duhamel a appelé « chariot de consolation » ; ce chariot est présenté de façon aussi attrayante que possible : les dispositifs supportant les livres à couvertures illustrées (les jaquettes que nous remettons sur les livres après reliure) et les rayonnages du chariot sont garnis de livres de couleurs multiples. Le chariot type qui était entièrement en bois a été adopté dans nos premières bibliothèques, mais après la guerre, le prix de ces chariots s'étant élevé d'une façon considérable, nous avons dû recourir à ce que les hôpitaux appellent « chariots à vivres » sur lesquels nous installons un dispositif de bois pour la présentation des livres.

Les hôpitaux de Paris, malgré leurs transformations, leurs agrandissements, manquent toujours de place, aussi une de nos difficultés est-elle de trouver une petite pièce pour la bibliothèque, ce qui n'est pas toujours possible : néanmoins, dans les nouvelles constructions, sur les demandes instantes des bibliothécaires, les Directeurs des établissements exigent de leurs architectes qu'ils inscrivent sur leurs plans un local à usage de bibliothèque. En attendant, force est d'utiliser de simples armoires fermant à clef. Au moment du service, la bibliothécaire installe les livres sur le chariot et, en fin de journée, replace les livres rendus dans l'armoire.

Ce service de bibliothèque est organisé de telle sorte que le chariot puisse passer chaque semaine, le même jour, devant chaque malade; le malade ainsi informé de la date de son passage l'attend impatiemment. La présentation du chariot lui permet de choisir lui-même ce qu'il désire et s'il demande conseil à la bibliothécaire, c'est parce qu'il se rend compte qu'il a la liberté absolue de décider lui-même. Au premier passage du chariot-bibliothèque, certains malades n'y prêtent guère attention, s'imaginant qu'il s'agit là de livres dépourvus d'intérêt ou démodés, mais la présentation du chariot, l'accueil de la bibliothécaire et la possibilité d'avoir à leur portée des livres qu'ils ne connaissaient pas, les incitent à regarder; ils trouvent à leur grande surprise de bons livres (classiques ou nouveautés) et la bibliothèque leur devient rapidement indispensable.

Le prêt est absolument gratuit et il n'y a pas de limite au nombre des livres accordés. D'autre part, il n'est jamais refusé à un malade un ouvrage d'étude ou d'intérêt général. Si ce livre n'est pas là au jour de la demande, la bibliothécaire l'apporte la semaine suivante.

La collaboration des infirmières est nécessaire parce qu'un malade quittant l'hôpital entre deux passages de la bibliothécaire doit remettre ses livres à la surveillante. On peut remarquer que les pertes sont minimes puisque l'on n'en compte que 3 pour I.000 livres prêtés. Les livres hors d'usage sont un peu plus nombreux à mesure que les années passent et l'on peut reconnaître le succès des ouvrages au fait qu'ils sont plus ou moins rapidement usés.

Le problème du recrutement du personnel bibliothécaire est très important, c'est un de ceux qui présente de grandes difficultés pour nous; la création des bibliothèques d'hôpitaux s'étant faite dans une période de restrictions, seul un nombre très limité de bibliothécaires qualifiées a pu être engagé et cette situation ne s'est guère modifiée, bien que les bibliothèques se soient considérablement étendues. Les services de prêts dans les salles ne peuvent être faits que l'après-midi pour ne pas gêner les soins aux malades et l'expérience ayant prouvé qu'il était impossible à une seule personne de faire convenablement un service de bibliothèque de plus de 150 lits par après-midi, nous avons dû faire appel à des bénévoles ; évidemment, celles-ci sont choisies avec soin et formées à leur tâche, ce qui permet de les juger, et elles ne sont pas chargées du travail technique. On leur demande une grande régularité puisqu'elles doivent visiter les malades à jour fixe. Le résultat est très satisfaisant; le personnel ainsi recruté montre un dévouement, une assiduité infatigables et son anonymat est absolu. En fait, la bibliothécaire d'hôpital doit d'abord connaître son métier, et ensuite avoir un sens social averti, du tact, de l'intuition et une patience souriante envers tous les malades et même envers les membres du personnel de l'hôpital, car il doit exister une collaboration tacite de tous pour le bien-être du malade.

Une fois le chariot préparé et la distribution faite, les fiches retirées des livres prêtés sont rangées dans le fichier portatif, celles des romans par ordre alphabétique, celles des ouvrages classés d'après la classification Dewey; une fiche guide marquant la date du prêt est placée devant ces fiches. Ainsi, toute personne habituée à ce travail peut effectuer les opérations de prêt si la titulaire en est empêchée pour raison de maladie ou autre. En classant les fiches, la distributrice dresse une statistique indiquant le nombre des livres prêtés, les romans et les documentaires. Cette feuille est envoyée chaque mois à la bibliothèque centrale, où les statistiques de chaque service sont relevées sur une feuille récapitulative, et envoyées à l'Assistance publique. En 1958, nous avons prêté 650.000 livres, prêts enregistrés et qui ne comprennent pas les échanges que les malades se font entre eux pendant la semaine; le pourcentage des romans est d'environ 60 %.

Nous desservons à Paris les hôpitaux suivants : Salpêtrière, Bichat, Hôtel-Dieu, Cochin, Necker, Laënnec, Broussais, Saint-Antoine, Antoine-Chantin, Rothschild, Lariboisière, Tenon, Boucicaut, Bicêtre, Corentin-Celton, La Pitié, La Rochefoucauld, Beaujon, Hôpital Dubois. Mais il faut aussi compter les hôpitaux de Garches et de Créteil, chacun avec sa clientèle particulière. A Garches, il y a des enfants, des adolescents, des adultes, donc une grande diversité de malades très désireux de lire et parfaire leur instruction et leur culture. A Créteil, ce sont des malades chroniques qui séjournent parfois pendant des années : ils sont plus âgés et cherchent surtout des livres de distraction.

A l'hôpital maritime de Berck, la bibliothécaire a su faire de la bibliothèque, de création plus récente, un centre d'intérêt pour les malades; il y a le prêt aux alités et les réunions dans la bibliothèque pour quelques cercles de lecture.

Il existe aussi dans les hôpitaux de l'Assistance publique des bibliothèques pour le personnel de l'administration : elles fonctionnent comme les bibliothèques de lecture publique et sont ouvertes généralement deux fois par semaine, à des jours et heures convenant à la fois aux infirmières, soignantes, panseuses, filles et garçons de salles, employés de bureaux, jardiniers, etc... Elles sont très régulièrement fréquentées.

Nous arrivons à la question si intéressante des sanatoriums; des bibliothèques importantes fonctionnent dans les sanatoriums suivants : Brévannes, Champcueil, Champrosay, Angicourt, La Bruyère. Le problème financier a été résolu par la circulaire ministérielle de 1947 demandant aux établissements de cure de réserver un pourcentage sur le prix de journée, par lit, pour la bibliothèque 1. L'Assistance publique a adopté un forfait qui nous permet d'avoir des bibliothèques très vivantes dans nos sanatoriums.

Là, il n'est pas possible d'avoir des bibliothécaires bénévoles; dans chacun des sanatoriums de l'Assistance publique, une bibliothécaire à demeure a été engagée. Il y a une salle de lecture sur place, salle gaie, agréable, attrayante, où la décoration est étudiée pour changer l'ambiance du sana. Les malades peuvent venir lire, consulter les ouvrages de documentation. Ils ont le libre accès aux rayons - connaissant par un tableau illustré la classification - et la bibliothécaire assure les permanences à toutes les heures d'intercure. Les malades alités sont servis par chariot comme dans les hôpitaux de Paris. Évidemment, la bibliothèque, dans un sanatorium, est le centre de la vie active; elle est abondamment pourvue de toutes les nouveautés dès leur publication et quand les caisses de livres sont apportées de Paris, les malades qui les reconnaissent à leur aspect se précipitent comme des enfants à l'arrivée de cadeaux.

On doit constater l'influence que peut avoir une bibliothécaire sur les goûts des lecteurs. A La Bruyère, où la bibliothécaire avait préparé l'École des Beaux-Arts avant de s'intéresser aux bibliothèques, les malades demandent plus spécialement des livres d'Art, organisent sous sa direction des expositions telles que « Paris, son plan et son développement », « Noël », « le Théâtre », « l'Automobile », etc..., etc... A Champcueil, les malades s'intéressent aux animaux (collections de papillons, études sur les mœurs des bêtes). A Champrosay, plusieurs veulent étudier les langues étrangères, car leur bibliothécaire en connaît, etc...

Nous fournissons aussi à la bibliothèque des livres de classe, car il y a des instituteurs dans les sanas; ce sont en principe d'anciens malades guéris qui font là leur période de réadaptation. Évidemment certains malades ont encore besoin des premiers éléments d'instruction, surtout parmi les Nord-Africains, mais il en est d'autres auxquels on donne des cours de T.S.F., de photographie, que l'on aide à préparer des examens, etc... La collaboration de la bibliothécaire et des instituteurs est donc indispensable.

La discothèque fait partie de la bibliothèque : celle de La Bruyère et celle d'Angicourt, par exemple, possèdent actuellement I.500 disques, catalogués, classés. Un auditorium a été installé dans une pièce contiguë à la bibliothèque et les lits des malades sont pourvus d'écouteurs individuels. Chaque soir un programme de musique est établi pàr la bibliothécaire en collaboration avec les malades : l'audition comporte généralement une demi-heure de musique classique, une demi-heure de variétés et une demi-heure de musique arabe. En outre, les malades valides peuvent venir à l'auditorium écouter les disques qui leur plaisent. Cette connaissance de la musique les entraîne à lire des vies de musiciens, comme la peinture ou la copie de certains tableaux les incite à connaître la vie des peintres.

Un atelier de reliure a été également organisé dans un sanatorium et les malades y travaillent sous la direction de la bibliothécaire et avec l'autorisation du médecin. Ils touchent même un petit salaire lorsque leur travail peut servir à la bibliothèque.

A plusieurs reprises un ou deux sanatoriums ont organisé des expositions des œuvres de leurs malades, soit reliure, soit peinture, soit œuvre manuelle présentant une qualité artistique. Tout est fait pour animer l'activité des malades et leur faciliter la reprise d'une vie normale.

La question des Nord-Africains ne connaissant pas le français a été également étudiée. Deux de nos bibliothécaires apprennent l'arabe en suivant des cours du soir et le résultat est très intéressant du point de vue psychologique, un rapprochement immédiat se fait entre ces malades et leurs bibliothécaires; le comportement journalier des Nord-Africains s'en trouve amélioré, leur respect pour leurs bibliothécaires en est accru et l'heure de musique arabe les réunit tous, confiants et ravis.

Le contact fréquent avec les malades, spécialement dans le domaine de la lecture, permet une meilleure appréciation du caractère de chacun et doit guider les bibliothécaires d'hôpitaux dans leurs rapports avec leurs lecteurs qui présentent des réactions psychologiques particulières; certains sont plus ou moins impressionnés ou déprimés par leur maladie, d'autres ont besoin d'être apaisés, d'autres encore ont un grand désir de connaître ou de s'instruire. Quelques-uns veulent choisir eux-mêmes leurs lectures alors que leurs voisins exigent presque d'être guidés; le succès est complet lorsque les malades réclament des livres qu'ils n'auraient jamais eu l'idée de lire sans le conseil de la bibliothécaire, des livres qui élargissent leur horizon, leur font connaître d'autres points de vue, d'autres habitudes ou coutumes des divers pays du globe et créent ainsi pour eux d'autres centres d'intérêt. Leur climat moral s'en trouve amélioré et a une répercussion réelle sur leur état de santé.

  1. (retour)↑  Le taux minimum avait d'abord été fixé dès 1945 à 0,50 % du prix de journée. Il a été ramené par une circulaire de 1952 à 0,25 % (voir : Bulletin d'informations de la Direction des Bibliothèques de France. 4e année, n° II, nov. 1955, pp. 325-334).