Chronique des bibliothèques
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg.
Le II septembre 1959 a eu lieu la réception d'une grande partie des travaux effectués ces dernières années à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg. Celle-ci, on le sait, avait subi de très graves dommages en 1944 du fait des bombardements. La reconstruction des parties détruites est à l'heure actuelle entièrement terminée et les principaux travaux d'agrandissement et de modernisation des services (création des nouvelles salles de travail, augmentation du nombre des bureaux, aménagements de magasins dont la capacité s'est trouvée doublée, amélioration du chauffage et de l'éclairage, etc...) sont en cours d'achèvement.
Ceux-ci ont été considérablement retardés par les dégâts très importants subis par la bibliothèque en août 1958 à la suite d'un orage de grêle d'une violence exceptionnelle 1 qui a nécessité la remise en état de presque tous les vitrages des toitures, y compris ceux de la coupole, sans parler des mesures prises pour le transfert et le séchage des collections inondées et la réfection du mobilier détérioré.
A cette réception des travaux ont pris part : M. Andriot, contrôleur général des travaux à la Direction de l'architecture, assisté de MM. Lambert, ingénieur et Rateau, vérificateur, M. Schuller, administrateur, entouré de Mme Kuhlmann et de M. Rott, conservateurs, M. Herrenschmidt, architecte en chef des bâtiments civils et palais nationaux, assisté de M. Borel, ainsi que tous les entrepreneurs des lots à réceptionner. La Direction des bibliothèques était représentée par M. Bleton, conservateur au Service technique.
Bibliothèques municipales.
Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).
Le service de prêt de la Bibliothèque Méjanes vient d'être réorganisé. La bibliothèque d'étude est maintenant tout à fait distincte de la section de lecture publique. Au cours de l'été ce dernier service a été installé dans une salle claire, ensoleillée, spacieuse. Les ouvrages sont rangés suivant la classification décimale; les lecteurs ont bien entendu libre accès aux rayons.
Bibliothèques centrales de prêt.
La Réunion
La mise en service, dans un département d'outre-mer, d'une bibliothèque centrale de prêt n'est pas sans soulever des problèmes particuliers. C'est pourquoi il nous a paru opportun de demander à M. Yves Drouhet, bibliothécaire de la Bibliothèque centrale de prêt de La Réunion, des précisions sur le fonctionnement de son bibliobus.
Le Ier janvier 1959, la Bibliothèque centrale de prêt de La Réunion commençait sa quatrième année d'existence. Créée à la suite d'une mission de M. Masson, inspecteur général, elle a d'abord fonctionné en tant que service départemental de lecture publique, pour être transformée, dix mois plus tard, en novembre 1956, en bibliothèque centrale de prêt. Elle a eu une croissance rapide, que les difficultés de démarrage ont à peine freinée.
Difficultés de démarrage, dues surtout à des problèmes de circulation routière et, lors de la constitution des dépôts, à une indifférence générale des municipalités.
Le département de La Réunion est, en effet, un pays de volcanisme récent, au relief extrêmement tourmenté. L'île est coupée en deux par un énorme massif montagneux, dont les deux points culminants, le Piton des Neiges (3.069 m), au nord, et le volcan de la Fournaise (z.63 1 m), au sud, sont reliés entre eux par un haut plateau, la Plaine des Cafres (1.800 m). De vastes crevasses, dues à l'érosion, ont constitué trois cirques au pied du Piton des Neiges : l'un d'entre eux est inaccessible par la route. Les deux autres sont pourvus d'une route de terre que les éboulis obligent, chaque année, à refaire. La route littorale, elle-même, malgré une chaussée en bon état sur les 4/5 de sa longueur, n'est pas de circulation aisée, car elle doit ruser continuellement avec caps et ravines. Pour aller de Saint-Denis, le chef-lieu, à la moitié sud-ouest de l'île, il faut commencer par faire 32 kilomètres de tournants, sur une route dont l'étroitesse oblige souvent à des manœuvres lors des croisements. D'où, énormément de perte de temps en déplacements, un inconfort total dans la camionnette et une consommation d'essence élevée.
D'autre part, indifférence générale des municipalités. L'une des opinions les plus constantes, quand il s'est agi de créer un dépôt, était qu'il n'y aurait aucun lecteur, personne ne semblant s'intéresser à la lecture à la connaissance du maire. Aussi les municipalités ne se sentaient-elles pas toujours disposées à mettre un employé de mairie, à la disposition du bibliobus, pour s'occuper du dépôt. La solution du « dépôt à l'école » n'a pas toujours donné satisfaction, car les communes sont très peuplées ( la plus petite a 2.000 h.) et la natalité d'un taux si élevé que la moitié de la population de l'île a moins de vingt ans. Il n'y a pas suffisamment d'instituteurs pour toutes les classes créées et ceux qui existent sont déjà si surchargés de travail qu'ils répugnent le plus souvent à passer des heures supplémentaires à la bibliothèque.
Mais, en contrepartie de ces difficultés matérielles de constitution des dépôts, un fait jouait en faveur du bibliobus, c'est que le besoin de lecture de la population n'était en aucune autre manière satisfait.
En effet, 5 librairies seulement existaient dans le département, dont 3 à Saint-Denis. Les autres points de vente du livre, généralement les « boutiques de Chinois », ne distribuaient que l'illustré le plus vulgaire. Les difficultés de circulation, jointes au très bas niveau de vie de la population, faisaient que peu de gens avaient eu, en dehors de l'école, l'occasion de voir des livres. Les dépôts, créés presque à portée de la main, ont donc eu d'abord un succès de curiosité, qui a été la meilleure propagande faite pour le bibliobus.
Dès le départ, d'ailleurs, nous avons souligné le côté « objet » du livre, en lui laissant tous les attraits que lui donne l'éditeur. Les livres sont tous reliés, mais les plats de l'exemplaire broché sont collés extérieurement, ce qui conserve à l'ouvrage sa personnalité. De même, toutes les jaquettes illustrées en couleurs sont collées sur les reliures, quand celles-ci ne présentent aucun intérêt artistique (Presses de la Cité, Bibliothèque Rouge et Or, etc...). La conservation en parfait état de propreté des ouvrages ainsi présentés a été rendue possible par l'utilisation d'une pellicule plastique adhésive et transparente, que nous avions d'abord employée en vue de la protection des livres contre les insectes, très nombreux en saison chaude et grands dévorateurs des toiles des reliures. L'intérêt de cette pellicule plastique s'est révélé si grand que nous l'utilisons désormais systématiquement, car elle a l'avantage supplémentaire d'augmenter sensiblement la solidité des livres pour enfants.
Le livre étant ainsi un « objet » agréable, il a d'abord, par beaucoup, été choisi comme tel. Puis peu à peu, le goût de lire s'est installé.
Car on lit beaucoup à La Réunion : la moyenne de fréquentation annuelle des dépôts est élevée, puisque, par exemple, le lecteur lit à Saint-Paul 22 livres par an, à l'Étang-Salé 18, à Saint-Philippe 33, à Saint-Pierre 40. La moyenne n'est descendue que rarement au-dessous de 10, soit, comme à Saint-Benoît, que le nombre de livres déposés fût insuffisant par rapport au nombre de lecteurs inscrits, soit que, comme au Bois-de-Nèfles, des difficultés de local ou de dépositaire eussent interrompu quelque temps le prêt.
Les enfants sont, évidemment, les plus gros lecteurs. Ils lisent tout ce qu'on leur apporte, avec toutefois une préférence pour les albums d'images et les romans. Mais, face aux 80.000 enfants d'âge scolaire du département, nos 9.000 livres d'enfants déposés dans l'année sont en nombre dérisoire et il faut louer l'habileté des dépositaires qui savent en tirer le maximum.
Les adultes, surtout là où le dépositaire se contente de contrôler mécaniquement sorties et entrées de livres, se montrent assez peu tentés par la littérature contemporaine. Il semble que ce soit par ignorance de cette littérature plus que méfiance, car là où le niveau intellectuel est plus élevé ou lorsque le dépositaire guide le choix, les auteurs modernes sortent beaucoup plus que les auteurs dits « classiques ». A signaler que beaucoup d'adultes prennent des livres pour enfants; beaucoup d'enfants font la lecture à haute voix pour leurs parents qui ne savent pas ou ne savent plus lire.
Les albums de photos sur les pays et les voyages ont une faveur considérable. La France vient en premier lieu dans l'admiration du public. C'est, pour la plupart des lecteurs, le seul moyen qu'ils aient à leur disposition de faire connaissance avec la Mère-Patrie.
Des influences accidentelles viennent ajouter de l'intérêt à certains ouvrages. C'est ainsi que le feuilleton radiophonique de Radio-Saint-Denis provoque la demande massive du livre dont il est inspiré.
Comment fonctionne le service ?
Le fonds de la bibliothèque est, actuellement, composé de 16.000 volumes, dont presque la moitié en livres d'enfants. Les romans eux-mêmes entrent pour moitié dans les collections dites « pour adultes ».
L'accroissement du fonds pose un problème majeur, dû à l'éloignement où nous sommes de la France. Les libraires reçoivent les livres avec deux ou trois mois de retard sur leur publication, ce qui leur enlève toujours un peu de leur intérêt, car les commentaires à leur sujet que publient les journaux arrivent, au contraire, généralement par avion. D'autre part, nous n'avons pu trouver sur place, en possibilités de reliure, qu'une moyenne de 50 à 60 livres par mois. Aussi passons-nous commande en France de tous les ouvrages nécessitant une reliure. Mais les délais de transport et de sortie de douane s'ajoutant aux délais de reliure et de rassemblement des ouvrages par le libraire font que les livres nous arrivent, en moyenne, six mois après avoir été commandés. Comme nous mettons en commande (afin de limiter les frais de port) le plus grand nombre possible de livres, six autres mois, que j'appellerai « de bibliographie », viennent encore s'ajouter aux six mois nécessaires à la réception des ouvrages. La seule réplique que nous ayons trouvée pour limiter ce retard, c'est l'expédition par avion. Mais nous ne l'utilisons que pour les prix littéraires, dont nous recevons ainsi quelques exemplaires brochés. La dépense est relativement minime et la publicité qu'en retire le bibliobus la compense amplement : ce sont souvent les seuls exemplaires de ces ouvrages disponibles dans le département.
La distribution des livres dans le département est faite au moyen d'une camionnette Renault, qui a été choisie et équipée pour nous par la Direction des bibliothèques. Des rayonnages, accessibles de l'extérieur, ont été aménagés sur les côtés du véhicule. Mais ils ne sont pas utilisés à plein rendement. Nous apportons, en effet, un nombre considérable de livres dans chaque dépôt et le choix sur les rayonnages paraît généralement superflu. Nous utilisons le système de caisses préparées à l'avance à la Centrale.
La moyenne des volumes déposés est de 300. Mais, nous arrivons, à Saint-Pierre, à un dépôt de I.504 volumes, sans que le dépositaire soit satisfait pour autant. Dans les 5 derniers mois, 700 nouveaux lecteurs se sont fait inscrire à ce dépôt. Le rythme, toutes proportions gardées, est identique dans les autres dépôts. Pour la section « enfants », dès le début, les dépositaires se sont vus obligés de limiter le nombre d'inscriptions.
C'est que, un peu partout, le bibliobus joue le rôle de la bibliothèque municipale inexistante. Saint-Pierre, que nous venons de citer, est une ville de 32.000 h., sans possibilités de lecture autres que le dépôt du bibliobus. Il n'existe d'ailleurs, dans tout le département, qu'une bibliothèque autre que le bibliobus. Elle est à Saint-Denis et porte le nom de « Bibliothèque départementale », car elle est subventionnée par le Conseil général. Elle est, en fait, une bibliothèque municipale, car, quoique ouverte à tous, utilisable seulement par les habitants de Saint-Denis.
C'est pourquoi nous n'avons pas tenu compte, lors de la création des dépôts, de la limitation aux communes de moins de 15.000 h. du service du bibliobus. De plus, les « communes » réunionnaises sont de superficie et de peuplement très élevés. L'île ne compte que 23 communes, pour une population totale de 320.000 h. Nous constituons plusieurs dépôts par commune, utilisant comme unité le « lieu-dit ». C'est ainsi que 7 communes ont 2 ou 3 dépôts. Ce qui ne nous amène pas, loin de là, à diminuer le nombre de livres par dépôt.
Nous renouvelons les dépôts 2 à 3 fois par an. Pour les gros dépôts, nous faisons un renouvellement partiel. A Saint-Pierre, nous apportons 2 à 300 nouveaux livres tous les mois.
Tel est le tableau du fonctionnement du bibliobus à La Réunion. Le succès considérable laisse se glisser une certaine inquiétude pour l'avenir, car nous pourrons difficilement alimenter en quantité suffisante les dépôts des communes importantes, lorsque les lecteurs prendront l'habitude de la bibliothèque. Dès maintenant, nous nous efforçons de créer chez les municipalités, revenues de leurs préjugés, la tentation d'avoir leur propre bibliothèque. Mais il ne semble pas que cette aide doive nous être bientôt apportée et le Bibliobus est pour de nombreuses années encore la seule source culturelle du département. Aussi sommes-nous très attachés à lui donner un niveau de qualité, qui soit le meilleur garant de la civilisation que la France offre à ses enfants les plus lointains.