La nouvelle Bibliothèque municipale de Brest
Lorsque les villes s'étendent et se développent, leur centre d'activités reste souvent le même et l'emplacement le meilleur pour la bibliothèque ne s'en trouve pas modifié. Tours, Beauvais et Brest qui avaient perdu leur bibliothèque durant la guerre 1939-45 et qui en ont reconstruit une 1, à quelques mètres de l'ancienne, plus vaste, mieux adaptée aux besoins actuels et dont le succès est déjà très grand, nous fournissent une preuve tangible de l'intérêt qu'il y a à maintenir autant que possible les bibliothèques municipales au coeur même des agglomérations, là où le commerce est le plus actif, c'est-à-dire au carrefour des voies de communication les plus fréquentées.
Assurément, si l'étendue des villes l'exige et si certains quartiers sont très excentriques - pour Tours et Brest, les faubourgs de Saint-Symphorien et de Recouvrance, par exemple -, outre la bibliothèque centrale, des annexes de quartiers ou une desserte par bibliobus 2 devront être prévues; mais de telles réalisations ne peuvent être entreprises qu'après une étude minutieuse des conditions dans lesquelles elles pourront fonctionner en liaison avec la « centrale » et répondre aux véritables besoins de ces quartiers éloignés.
A Brest, le premier problème à résoudre était la reconstruction d'une bibliothèque municipale à la dimension d'une ville de 100.000 habitants, avec des dommages de guerre relativement peu élevés (environ 30 millions) et un personnel comprenant au départ moins de cinq personnes. Il faut le dire sans détour, c'est à la fois grâce au talent d'un architecte parisien, M. J.-B. Mathon, aux efforts conjugués de la municipalité et de l'État et à la confiance que la Ville voulut bien faire et à l'architecte et à la Direction des bibliothèques de France, qu'une telle gageure fut tenue. Le programme proposé fut en effet réalisé point par point, dans des conditions de prix particulièrement avantageuses et de telle manière que, sans d'importantes augmentations de personnel, cette bibliothèque peut satisfaire aujourd'hui les demandes de presque toutes les catégories de la population brestoise, de l'enfant de sept ans aux adultes de tous âges, du docker ou du marin du port à l'étudiant ou à l'érudit breton. Les uns et les autres ont maintenant à leur disposition : une bibliothèque pour la jeunesse, une section de prêt pour adultes, des salles de travail, de périodiques, de catalogues, une réserve pour le fonds breton, une salle d'expositions et de conférences, sans parler de vastes magasins qui réservent l'avenir.
Avant d'en faire la description nous voudrions rappeler en quelques lignes comment se présentait et de quoi se composait la bibliothèque détruite, quelles furent surtout ses vicissitudes durant les seize années qui se sont écoulées entre sa destruction en 194I et son installation définitive en 1957 dans le nouveau bâtiment de la rue Traverse.
Les sinistres successifs de la bibliothèque (1941-1947).
Riche de fonds provenant à l'origine de l'abbaye de Saint-Mathieu, des couvents des Carmes et des Capucins de la ville, puis de dons importants de particuliers au cours des XVIIIe et XIXe siècles, la Bibliothèque municipale de Brest ne fut effectivement ouverte au public qu'en 1850, dans les combles de l'hôtel de ville, avant d'être transférée, à partir de juillet 1853, dans une des galeries de la Halle au blé. Celle-ci, construite en 1829 pour servir de « réserve à grains » fut aménagée entre 185I et 1853 par l'architecte de la ville Pouliquen pour abriter le musée et la bibliothèque. C'est ce bâtiment, édifié à l'emplacement de l'ancien jardin des Carmes devenu place Sadi-Carnot, c'est-à-dire au cœur même de la partie la plus ancienne de la ville et à peu de distance, à vol d'oiseau, du port de commerce, qui devait, un peu moins de 90 ans plus tard, être entièrement anéanti. La bibliothèque y occupait, au premier étage, une grande salle, éclairée par trois larges baies, dont les murs, entièrement couverts de boiseries en chêne à montants formant pilastres, étaient garnis de haut en bas d'ouvrages à reliure de cuir aux filets, titres et fleurons dorés. Le cabinet du conservateur était situé au fond de cette belle galerie utilisée comme salle de lecture; à gauche du vestibule d'entrée, une petite pièce abritait le fonds breton. Dans une partie du rez-de-chaussée, ainsi qu'à l'entresol, s'étendaient les réserves à livres où avaient fini par trouver place en 1940 plus de 100.000 volumes.
D'après les rapports d'inspection conservés dans les archives du Ministère de l'éducation nationale, la présence au premier étage d'une grande salle des fêtes et, au-dessous, d'une salle de gymnastique « où se tenaient fréquemment des réunions le soir et la nuit » faisait courir de grands dangers d'incendie à la bibliothèque. Comme nous allons le voir, c'est bien le feu qui devait la ravager, mais pour une raison imprévisible et en d'autres circonstances : des bombes incendiaires durant la guerre 1939-45.
En 1938 et 1939, en application d'instructions reçues, les ouvrages les plus précieux furent évacués hors de Brest; puis, en juin 1940, un déménagement, partiel malheureusement, des collections les plus intéressantes fut entrepris, vite suspendu d'ailleurs, mais à nouveau repris en 194I lorsque commencèrent sur la ville les bombardements aériens. Dès le 4 avril de cette année, une bombe de 500 kg tombait sur la bibliothèque, endommageant une partie des magasins du rez-de-chaussée et de l'entresol. Devant la recrudescence des attaques aériennes, il fut alors décidé de mettre à l'abri plusieurs milliers de volumes dont le transfert devait avoir lieu le 7 juillet, mais le 4 la bibliothèque était à nouveau touchée et brûlait tout entière. N'avaient pu échapper au désastre qu'une très faible partie des collections, celles mises à l'abri, la réserve (manuscrits et incunables), le fonds breton presque tout entier et le fonds nobiliaire, soit environ 3.000 volumes. Courageusement, la bibliothécaire, Mlle d'Haucourt 3 ouvrait, dès le 25 juillet, d'abord au II, rue Danton, puis 6, rue Bugeaud dans une école du nord de la ville, une bibliothèque provisoire comprenant deux pièces, l'une pour les magasins, l'autre pour une salle de lecture comportant vingt places assises. Un an à peine après le sinistre, près de 5.000 volumes étaient déjà mis à la libre disposition de la population brestoise et, dès le mois de décembre, plus de 7.000.
Mais en février 1943 les bombardements aériens reprenaient, éloignant de Brest un grand nombre d'habitants. La bibliothécaire elle-même, nommée à Nantes, quittait la ville le Ier mai 1943. Une nouvelle période dramatique allait s'ouvrir pour la bibliothèque dont l'activité, en dépit des difficultés de l'heure, restait grande : le rapport reçu au Ministère en février 1944 fait état, en effet, d'un fonds de plus de 13.000 volumes, de 18.000 lecteurs entrés à la bibliothèque et de 15.000 prêts au cours de l'année 1943. Hélas, en septembre 1944, durant le siège de Brest, des bombes incendiaires réduisaient, une fois de plus, local et mobilier en cendres. Le gardien chef, M. Banéat, promu au rang de bibliothécaire par intérim et pratiquement seul, décida de faire revivre la bibliothèque municipale. S'installant place Guérin où fonctionnait encore une bibliothèque populaire dans la seule école épargnée par les bombes, il commença à reconstituer les collections, recueillit des dons, fit des achats, montrant ainsi, avec une énergie et une foi auxquelles il faut rendre hommage, que dans une ville, fût-elle sinistrée aux 7/8, une bibliothèque publique, loin d'être un luxe, est une nécessité.
Pour récompenser de tels efforts, la Ville, en avril 1946, met à sa disposition, rue Yves-Collet, un baraquement. C'est là qu'il fait revenir des châteaux d'Ussé (Indre-et-Loire) et de Menez-Kam en Spézet (Finistère) les fonds précieux qu'on y avait évacués ainsi que les collections entreposées dans les caves de la mairie.
Enfin « chez lui » et le conflit terminé, il était en droit de penser que la bibliothèque n'aurait plus à craindre d'autres destructions. Las! le 28 juillet 1947, l'explosion dans le port de Brest d'un liberty-ship provoque l'effondrement de son baraquement : une partie des livres est détruite, beaucoup sont gravement endommagés, ceux qu'on peut sauver sont mis en caisses. C'est alors qu'un second baraquement fut affecté à la fois au musée et à la bibliothèque. Mais au cours des mois suivants d'autres accidents, plus ou moins graves et sur lesquels il deviendrait fastidieux de s'étendre davantage, mirent encore en péril baraquements et collections, ce qui faisait dire à M. Banéat en 1948 : « Nous avons été sinistrés sept fois. »
S'il arrive parfois que des bibliothèques soient contraintes, pour des raisons diverses, à six ou sept transferts en dix, quinze ou vingt ans, avoir été sinistrée sept fois en sept ans, comme ce fut le cas de la bibliothèque de Brest, constitue une sorte de record, peu enviable il est vrai, qui méritait bien d'être signalé, avant de susciter chez quelques-uns de nos lecteurs, par la visite que nous allons faire de la nouvelle bibliothèque, des sentiments d'envie.
Les étapes de la reconstruction (1947-1957).
En causant de graves dommages au baraquement de la rue Yves-Collet, l'explosion d'un cargo américain dans le port de Brest, en juillet 1947, avait du moins attiré du même coup l'attention sur la précarité des installations de la bibliothèque et, partant, sur la nécessité de trouver une solution définitive à un problème qui, tôt ou tard, se poserait à nouveau.
Ce n'est pas du jour au lendemain, on peut s'en douter, qu'un tel problème allait être réglé. Il faut assurément avoir suivi durant plus de douze ans, comme l'a fait l'auteur de ces lignes, la réalisation de projets de constructions pour savoir le temps, la peine, la patience qui sont nécessaires pour faire aboutir tout projet, quel qu'il soit, celui qui doit coûter vingt millions comme celui qui excède le demi-milliard. En réalité, toute construction de bâtiment public suppose non seulement un accord de tous les services intéressés, depuis le bibliothécaire ou l'usager jusqu'à l'administration de tutelle, en passant par l'auteur du projet, les financiers ou les « payeurs » (en l'occurrence la Ville et deux ministères), mais encore et surtout des efforts simultanés de toux ceux qui ont part à une telle réalisation. A Brest, si l'accord de tous fut obtenu relativement vite, la défaillance à un moment donné de l'une ou l'autre des parties intéressées entraîna cet étalement dans le temps d'une construction qui, sans cela, aurait pu être terminée trois ou quatre ans plus tôt.
Sans vouloir à tout prix forcer les dates, on peut distinguer trois grandes étapes et constater que les moments marquants qui en constituent les jalons se sont tous situés à trois ans d'intervalle et toujours au mois d'octobre. Prenant comme point de départ la réouverture après l'explosion du liberty-ship, de la bibliothèque de la rue Yves-Collet, c'est-à-dire octobre 1947, il nous faut en effet arriver au mois d'octobre 195I pour voir le Conseil général des bâtiments de France approuver les plans de la future bibliothèque, établis par M. J.-B. Mathon. Trois ans environ avaient été nécessaires pour mettre d'accord la Ville, le Ministère de la reconstruction et celui de l'éducation nationale, représenté essentiellement par la Direction des bibliothèques de France.
Celle-ci, dès le début de 1948, dans une longue lettre ministérielle adressée au maire, indiquait clairement quels services pourrait rendre aux Brestois une bibliothèque aux salles différenciées et bien organisées, riche en ouvrages intéressant aussi bien le grand public que la jeunesse étudiante, les ingénieurs, les membres de l'enseignement et les érudits locaux, promettant enfin une aide financière substantielle et d'importants envois de livres si des locaux sains et beaucoup plus vastes pouvaient être construits ou au moins affectés à la Bibliothèque municipale. C'est à ce moment-là que les services d'urbanisme, par un heureux concours de circonstances, vinrent appuyer la thèse de la Direction des bibliothèques en proposant eux-mêmes l'édification, en plein cœur de Brest, d'un centre culturel comportant la bibliothèque municipale, l'école des beaux-arts, le musée et l'école de musique. L'architecte urbaniste de Brest, également responsable de ce centre culturel, sollicita alors pour la bibliothèque un programme dont les premiers éléments lui furent fournis par le bibliothécaire intérimaire.
Ces dispositions favorables amenèrent la Direction des bibliothèques de France, dès 1949, à demander l'inscription de Brest sur le plan de priorité nationale pour la reconstruction de la bibliothèque et un premier crédit de 7 millions lui fut accordé au titre des dommages de guerre. En même temps, elle demandait à la Ville, mais en vain, l'envoi de l'avant-projet que l'architecte avait dû être amené à établir.
En octobre 1950, de nouvelles démarches sont faites sur place auprès de la municipalité par M. l'inspecteur général Lelièvre pour obtenir qu'une priorité soit donnée à la reconstruction de la bibliothèque. Compte tenu de l'agrément reçu, des contacts sont aussitôt pris à Paris et de nombreux entretiens ont lieu entre l'architecte, M. J.-B. Mathon, M. Pierre Lelièvre et le Service technique. Plusieurs esquisses sont présentées, discutées et, en juillet 195I, l'avant-projet, mis au point, est chiffré, le dossier de demande de subvention est constitué, le tout est soumis le 23 octobre au Conseil général des bâtiments de France qui l'approuve. Dès le mois d'avril de la même année, la Direction des dommages de guerre du Ministère de la reconstruction débloque de nouveaux crédits, soit 23 millions, ce qui porte à 30 millions le montant des dommages dont la Ville va pouvoir bénéficier. La Direction des bibliothèques, de son côté, compte tenu du montant de la dépense reconnue subventionnable, soit 50.680.000 F, s'apprête à engager 10 millions sur ses crédits d'équipement. La première étape était franchie.
Le Conseil municipal de Brest, mis en présence d'un projet approuvé par les différentes instances ministérielles et déjà financé pour la plus grande partie, donna à son tour son agrément, en janvier 1952, aux plans de M. J.-B. Mathon et se préoccupa de trouver les 10 millions qui manquaient encore. Mais, au cours de cette année 1952, malgré un si beau départ, tout faillit être remis en question. En effet, une cité administrative doit être édifiée à Brest et les crédits manquent; un virement de crédits est, un temps, envisagé. Alertée, la Direction des bibliothèques intervient, obtient le déblocage de nouveaux dommages de guerre, pour le mobilier cette fois, et fait état dans une lettre du 22 septembre du total des crédits ouverts par l'État au profit de la bibliothèque de Brest : il dépasse déjà 55 millions. A la fin de l'année, tout danger est écarté et, en janvier 1953, les travaux de terrassement commencent. Malheureusement par suite de divergences de vues sur le plan municipal, des modifications importantes interviennent en juin 1953 : un nouveau maire est élu. C'est avec lui que M. Lelièvre prend contact dès le mois de juillet pour obtenir la reprise des travaux et la nomination d'un bibliothécaire. Car depuis 1943 cette bibliothèque, nous l'avons vu, n'a pratiquement plus de bibliothécaire et le personnel se réduit à trois personnes. Sur ce dernier point, satisfaction est donnée par la nouvelle municipalité, puisque le Ier octobre un bibliothécaire, M. Watelet, entre en fonctions.
Sur son initiative, des transformations sont apportées à la fin de 1953 au local de l'avenue Foch qui deviendra provisoirement le siège de la bibliothèque d'étude. En revanche, les travaux de gros-œuvre de la future bibliothèque ne reprendront qu'en mars 1954 mais cette fois pour ne plus s'arrêter, et l'on verra au cours des mois suivants les profondes assises de la bibliothèque s'édifier et les murs peu à peu s'élever. Le moment est venu de poser officiellement la première pierre; la date en est fixée au 2I octobre 1954 et M. Julien Cain, directeur général des Bibliothèques de France représentant le ministre de l'Éducation nationale empêché, ne manquera pas de souligner dans son discours, ce jour-là, le rôle que la bibliothèque, une fois construite, sera certainement amenée à jouer : « Tous les lecteurs y trouveront accueil, non seulement le professeur et l'étudiant, mais aussi l'artisan, le commerçant, l'apprenti, l'enfant enfin... Il faut donner à chacun la nourriture qu'il réclame et qui lui convient. Les livres qui distraient ont ici leur place comme ceux qui permettent d'aller plus avant dans l'étude. Je pense plus particulièrement à ces jeunes gens auxquels les difficultés de la vie interdisent de se rendre à l'université voisine et auxquels toutes nos villes doivent procurer les moyens de préparer leurs examens et leurs concours... » La création à Brest quelques années plus tard d'un collège scientifique universitaire allait donner doublement raison au Directeur général des bibliothèques et à la municipalité qui avait accepté de « voir grand ».
La troisième étape, celle de l'édification de la bibliothèque proprement dite, allait encore exiger trois années, au cours desquelles les obstacles et les difficultés ne manquèrent pas : départ du bibliothécaire, insuffisance des crédits ouverts (des hausses étant intervenues depuis la date d'établissement du devis en juillet 195I), aménagements intérieurs à mettre au point en l'absence de bibliothécaire, recherche d'un mobilier qui ne peut être trouvé ou fabriqué sur place. Fort heureusement l'architecte continue à se tenir en liaison étroite avec le Service technique de la Direction pour l'étude du mobilier et, peu à peu, les belles salles du rez-de-chaussée et du premier étage se couvrent de rayonnages, de tables, de sièges, de fichiers, de vitrines, tandis que le poste de bibliothécaire est à nouveau pourvu à la fin de 1955.
De nouvelles subventions sont également, à cette époque-là, accordées par la Direction des bibliothèques, qui porte à plus de 3I millions de francs sa participation financière au gros-œuvre et à l'équipement intérieur. En avril 1957, enfin, la presse annonce une ouverture pour la rentrée scolaire. Le transfert des collections dispersées en plusieurs endroits de la ville a lieu effectivement entre le 15 septembre et le 8 octobre, grâce au dévouement et à la ténacité du personnel de la bibliothèque, aidé de quelques bénévoles, et en novembre tous les Brestois peuvent venir admirer leur nouvelle bibliothèque. La première exposition s'y tient du 5 au 7 novembre et, deux mois à peine après l'ouverture des salles publiques pour adultes, la bibliothécaire, Mlle Dourver, écrivait à la Direction : « Le succès de la bibliothèque dépasse nos espérances ». Il est temps maintenant de la présenter et d'en faire connaître les principales caractéristiques.
Le nouveau bâtiment.
En approchant de la place Sadi-Carnot, quelle que soit la rue d'où vous veniez, vos regards seront très certainement attirés par un vaste bâtiment, aux contours inattendus mais très affirmés, qui s'élève sur un vaste terrain nu et dont les façades montrent bien qu'il ne s'agit pas d'un immeuble d'habitation mais de quelque bâtiment public aux exigences particulières. Puisque rien ne nous interdit d'en faire le tour, regardons de plus près ses quatre façades.
Sur la rue Traverse, s'offrent à nous d'abord, un peu en retrait par rapport au trottoir, un mur plein, strié verticalement de longues bandes vitrées, interrompues en quatre endroits ce qui laisse présumer cinq niveaux ou cinq étages relativement bas, puis une partie avancée, légèrement moins élevée mais beaucoup plus ouverte, plus accueillante, avec une porte à tambour à travers laquelle on peut apercevoir des rayonnages, couverts de livres soigneusement alignés, qui courent jusqu'à environ 2 m du sol le long de murs jaune clair. Chacun peut entrer là, apparemment sans le moindre contrôle d'identité et feuilleter l'ouvrage de son choix. Mais poursuivons à l'extérieur notre tour. Après un nouveau mur plein nous prenons, à angle droit, sur notre gauche et cette fois la façade, longue d'une trentaine de mètres, semble n'avoir été composée que pour faire accéder, par une galerie décorée de fleurs et à l'abri des intempéries, au cœur même de la bibliothèque. C'est sur cette façade que l'on attend les mots, en lettres d'or, de bibliothèque municipale pour traduire en clair ce que l'extérieur du bâtiment n'a fait encore que suggérer. En tous cas, il ne fait plus de doute qu'il s'agit d'un bâtiment public : son entrée est libre et sa base en pierres de granit est bien conçue pour défier les siècles. Obliquons encore vers la gauche et prenons un peu de champ. Voici deux rangées superposées de dix baies, baignées de lumière - nous sommes au sud-ouest - derrière lesquelles on devine de belles salles parfaitement éclairées. Nous en connaîtrons bientôt le nombre et la nature, mais achevons notre tour.
En nous rapprochant de la rue Traverse (cf. pl. I) nous retrouvons des façades où les « pleins » dominent ; il est bien évident que sont conservés ici des documents qui craignent la grande lumière, le soleil, les voleurs. A mi-hauteur toutefois, autrement dit au niveau des salles du premier étage dont nous venons de voir les baies, des fenêtres plus nombreuses laissent supposer que des personnes y vivent en permanence, au milieu de livres qui les entourent de tous côtés. Le mur arrondi, semblable à une tour, que nous avons ensuite à contourner correspond, selon toute vraisemblance, à un escalier circulaire. Il ajoute à cet édifice qui, sans être sévère, a quelque chose d'imposant, je ne sais quelle complaisance, quel adoucissement qui ne sauraient passer inaperçus dans une ville aux trois quarts neuve où les lignes droites l'emportent de beaucoup sur les courbes. Du point de vue architectural cet ensemble a une beauté plastique qui séduit au premier coup d'œil. On est tenté cependant de formuler un vœu : celui de voir sur cette place d'autres édifices, ce musée et ces écoles de musique et des beaux-arts prévus dès l'origine. Ils donneraient ainsi son véritable équilibre à la masse que représente le bâtiment de la bibliothèque. Serait mieux justifié également l'emplacement, sur la face nord-ouest de la bibliothèque de cette entrée principale dont nous n'avons pas encore passé le seuil et qui, en fait, doit correspondre à celle du musée. Ils permettraient enfin aux usagers des bureaux et des salles donnant au sud-ouest de jouir de la vue d'un beau jardin à la française, délimité par l'ensemble de ces quatre bâtiments destinés à devenir le centre culturel de Brest.
Passons maintenant le tambour de la porte qui ouvre directement sur la rue Traverse et nous fait accéder à la section de prêt. Des milliers de livres s'offrent à notre curiosité, ici les romans, là les documentaires. Tous sont facilement accessibles ; beaucoup d'entre eux sortent souvent si l'on en juge par l'état de leur reliure ou de leur cartonnage. Mais c'est bien pour cela qu'ils ont été achetés et dès qu'ils seront en mauvais état une nouvelle reliure de couleur vive les recouvrira et les consolidera pour de nouveaux prêts. Des tables et des chaises ont été prévues le long des fenêtres pour encourager ou faciliter la lecture sur place; des rayonnages bas, à double face, rendent possible également une lecture rapide, mais debout, le livre posé à plat sur la tablette supérieure. La banque de prêt, de forme ovale, ne gêne pas la circulation, qu'elle canalise pourtant, en sorte que le personnel qui s'y trouve assis surveille, sans qu'il y paraisse, les entrées et les sorties. Le plateau de cette banque est recouvert d'un plastique stratifié noir qui tranche sur le jaune clair des murs et le gris vert des colonnes. Tout le mobilier est ici en hêtre clair ciré, comme d'ailleurs dans presque toutes les autres salles publiques. Au sol, des carreaux de grès, d'entretien facile, tels qu'on peut en souhaiter dans une salle très fréquentée, donnant sur la rue et de plain-pied avec elle. Alors que, rue Yves Collet, dans l'ancienne bibliothèque populaire, le nombre de livres sortant par mois n'excédait pas 13 à 14.000, durant le mois de décembre 1957, rue Traverse, près de 23.000 livres ont été empruntés et au cours du premier semestre 1958 ce chiffre était largement dépassé.
De cette salle de prêt pour adultes il est facile, par une double porte vitrée, de gagner le hall, si l'on veut conduire des enfants à la salle qui leur est réservée de l'autre côté du bâtiment, face au midi, ou monter aux salles du premier étage, ou seulement jeter un coup d'œil aux vitrines qui, au rez-de-chaussée même, dans le hall, au bas de l'escalier, ou bien encore dans la salle d'exposition, présentent aux visiteurs quelques spécimens des richesses bibliophiliques ou artistiques de la bibliothèque. Ce vestibule de proportions modestes, au plafond en partie surbaissé, nous mène tout naturellement au bureau de renseignements qui à dessein a été placé entre les deux salles publiques de cet étage, celle des enfants et celle du prêt des adultes; il est aussi relié directement aux magasins; enfin, il contrôle les allées et venues aussi bien des usagers des salles du premier que des curieux attirés par les expositions temporaires ou permanentes. Il suffit de regarder le plan des deux étages publics pour constater l'importance primordiale qui a été donnée à ce petit bureau situé dans le prolongement des magasins et des bureaux du personnel, et vitré sur trois côtés. Sans doute a-t-il besoin, une partie de l'année, d'un éclairage artificiel étant donné sa place au centre même de la bibliothèque, loin de toute fenêtre ou de toute baie vitrée, mais son intérêt justifiait amplement cette petite concession faite au confort d'un personnel qui peut d'ailleurs s'y relayer.
La salle d'exposition qu'on découvre à droite en entrant dans le hall n'a pas encore tout son équipement mobilier définitif; du moins son volume intérieur, son éclairage naturel, tamisé par des stores à lamelles, ses appareils électriques permettant un double éclairage d'ambiance et par « spots », son parquet collé, ses murs gris clairs, offrent-ils déjà les éléments essentiels de l'écrin que doit être toute salle d'exposition pour de beaux documents à y présenter.
Les enfants n'ont pas été oubliés : leur salle d'environ 100 m2 se révèle déjà trop petite, comme le sont depuis longtemps celles de Douai, de Beauvais et de Tours dont les dimensions pourtant répondaient au programme prévu. Tablettes accessibles aux entants, tables ovales et chaises à pieds tubulaires, modèles réduits de bateaux et livres ouverts agrémentant les parties supérieures des rayonnages, murs jaune clair, parquet collé et tubes fluorescents encastrés dans le plafond, caractérisent cette salle (cf. pl. II) très lumineuse, bien orientée, très avenante, dont on espérait l'extension possible, à la faveur de journées ensoleillées, grâce à une terrasse en partie couverte avec laquelle elle est reliée. Mais le climat brestois ne s'y prête guère et la surveillance de jeunes lecteurs installés sur cette terrasse est impossible avec le personnel actuel. Dans très peu de temps, il faudra, comme à Douai, à Beauvais, à Tours et ailleurs, refuser des enfants ou créer dans d'autres quartiers de la ville des sections pour eux. Le manque de personnel, faut-il également l'indiquer, rend très difficile jusqu'à nouvel ordre la mise en service des lavabos et vestiaires - si nécessaires pour les enfants - aménagés au rez-de-chaussée.
Au premier étage, auquel le public accède par un bel escalier de pierre à deux volées qu'éclairent deux bandes de béton translucide, la disposition des salles est très voisine de celle du rez-de-chaussée : entrant directement du palier dans la salle des catalogues dont la surface correspond à peu près à celle du vestibule du rez-de-chaussée, on est conduit vers le bureau de renseignements dont le plateau supérieur déborde dans la salle (cf. pl. IV) comme pour accueillir ou même solliciter les demandes. Des fichiers en bois, alignés dos à dos, donnent dès l'abord une idée de la richesse de la bibliothèque : tous les livres possédés y ont leur fiche et il suffira de remplir un bulletin de demande d'ouvrages pour avoir très vite, soit dans la salle de travail, soit en prêt, le document dont on a besoin. Ici encore l'architecte a tiré parti au mieux des hauteurs dont il disposait : le long du bureau de renseignements un plafond à moins de 3 m lui a permis de prolonger à cet endroit, en partie haute, les réserves qui n'exigent que 2,25 m. Grâce à cette disposition les lecteurs, après une recherche au catalogue, sont comme entraînés vers l'une ou l'autre des salles de travail où des sièges confortables et des tables de grandes dimensions vont leur permettre de consulter sur place les livres et les périodiques de la bibliothèque. A cet étage, comme à celui du dessous, portes et cloisons vitrées ont été volontairement multipliées; le personnel peut ainsi à tout moment, et presque sans se déranger, avoir une idée de l'occupation des salles et intervenir s'il le faut.
Plus encore qu'au rez-de-chaussée le mobilier des deux salles de lecture retient l'attention par ses couleurs vives : toutes les chaises ont leur dos et leur siège revêtus de tissu plastique jaune, rouge ou vert foncé; quant aux tables, leur plateau est recouvert d'un produit stratifié de couleur verte. Des prises au sol ont été prévues à l'aplomb de chacune des douze tables de cette salle afin d'alimenter en courant, si le besoin s'en fait sentir, des lampes individuelles, mais l'éclairage général que procurent des tubes fluorescents suspendus au plafond est jusqu'à présent suffisant. Les rayonnages qui couvrent jusqu'à 2 m de haut toutes les surfaces murales disponibles, c'est-à-dire sur trois côtés, sont déjà remplis de livres; tous les utilisateurs de cette salle (cf. pl. III) ont ainsi, sans demande à formuler, plus de 3.000 ouvrages de référence à leur disposition, et ce chiffre pourra quand on le voudra être porté à 5.000.
La salle des périodiques située de l'autre côté du bâtiment, sur la rue Traverse, juste au-dessus de la section de prêt, est surveillée, en même temps que la salle des catalogues et la grande salle de lecture, par la personne qui occupe le bureau de renseignements. Des rayonnages à tablettes inclinées pour la présentation des périodiques tapissent là aussi les surface murales jusqu'à 2 m. Des tables, des chaises, un meuble à cartes géographiques et un appareil de lecture de microfilm complètent à l'heure actuelle le mobilier de cette salle qui sera certainement très appréciée dès qu'un plus grand nombre de périodiques de vulgarisation et de revues savantes pourra être acquis.
Les différentes salles publiques de cet étage ont toutes un plancher en parquet collé, un mobilier en hêtre clair ciré et des radiateurs à eau chaude, dissimulés en allège des fenêtres et dans les socles des rayonnages. Des installations sanitaires avec vestiaire sont également offertes à ce niveau au public.
Franchissant maintenant les barrières - plus morales que réelles - qui nous séparent des services intérieurs, nous accédons par un couloir aux bureaux du personnel dont l'un a été affecté au fonds breton, évacué, nous l'avons vu, entre 1939 et 194I. Ces bureaux, aux heureuses proportions, ont une hauteur sous plafond de 3 m et, tournés vers l'est et le midi, sont inondés de lumière. De plain-pied avec eux, un premier magasin offre déjà pour les collections les plus souvent demandées une capacité de 12 à 15.000 volumes. N'oublions pas en outre qu'il suffit de monter de 3 m ou de descendre de 2,50 m pour trouver des réserves plus importantes; pratiquement 90.000 volumes peuvent être emmagasinés dans ces trois niveaux très proches des salles de travail. Au total, si on équipe de rayonnages les deux étages en sous-sol, plus de 300.000 volumes pourront trouver place dans les réserves.
Ces magasins ont été conçus selon la formule la plus courante en Europe, autrement dit avec des planchers capables de supporter des rayonnages chargés de livres. Toutefois la multiplication dans une partie du bâtiment de petits poteaux en béton armé a permis de réduire considérablement les épaisseurs de planchers qui ne dépassent jamais 12 cm. Des rayonnages métalliques à montants pleins équipent ces magasins dont l'aération, le chauffage et l'éclairage ont été particulièrement étudiés. Notons enfin qu'à chaque niveau des lavabos ont été très judicieusement prévus, à proximité immédiate de l'escalier que nous avions remarqué en faisant le tour de l'édifice. Cet escalier permet, à cette extrémité des magasins, de rejoindre n'importe quel niveau; il complète donc utilement l'escalier droit à deux volées qui est adossé aux bureaux de renseignements du premier étage et du rez-de-chaussée. Deux trémies ppur appareils élévateurs ont été également prévues : l'une d'elles comporte déjà un monte-livres électrique, l'autre pourra le jour venu être utilisée, soit pour un second monte-livres, soit pour un petit ascenseur à une ou deux places. Faut-il ajouter que des appareils de téléphone ont été posés à tous les niveaux afin d'éviter de fatigantes allées et venues au personnel.
Tels sont les locaux de la nouvelle Bibliothèque municipale de Brest dont la visite, mieux que n'importe quelle description détaillée, fera apprécier les excellentes dispositions. Si vous avez la chance d'être à Brest par une journée claire et ensoleillée, vous goûterez particulièrement l'orientation des salles, des bureaux et des magasins. Vous constaterez peut-être aussi que cette bibliothèque, vaste par rapport à celle qui fut détruite, luxueuse en comparaison des baraquements provisoires qui lui avaient été affectés, n'a pas été conçue trop grande, ni trop belle. La ville de Brest, décimée durant quatre années par les bombardements aériens et un siège de plusieurs semaines, a retrouvé en effet et même vu dépassée sa population d'avant-guerre. Or, le programme présenté à la Ville en 195I par la Direction des bibliothèques de France tenait compte d'une population avoisinant 80.000 habitants. Aujourd'hui, pour une agglomération de près de 120.000 habitants nous aurions proposé sans aucun doute un programme plus important et plus complet, surtout en ce qui concerne les salles publiques et les services intérieurs 4. Toutefois, une augmentation des surfaces et du nombre des services aurait eu pour conséquence des demandes plus nombreuses de créations d'emplois, une grande bibliothèque ne pouvant fonctionner avec six ou sept personnes seulement.
Le local, tel qu'il a été conçu par M. l'architecte en chef J.-B. Mathon, a répondu à deux exigences qui pouvaient paraître contradictoires : multiplier les salles publiques sans obliger à augmenter le personnel et offrir des surfaces utilisables très importantes sans qu'il en coûtât des sommes énormes. Sur le premier point, grâce à de bonnes liaisons et à une excellente « articulation » entre les divers services, il a donné satisfaction aux impératifs du programme. Quant au second, il nous suffira de citer quelques chiffres pour montrer combien le parti adopté, qui comportait cependant une interpénétration assez grande des magasins et des services publics et intérieurs, s'est révélé finalement très économique : la dépense pour le gros œuvre a été inférieure en effet à 77 millions de francs, ce qui, en fonction de la surface de planchers bâtie (3.290 m2), a mis le prix du mètre carré - si l'on nous permet cette expression - à 23.400 F. Même en tenant compte des hausses de prix intervenues depuis 1956, le prix de revient du gros-œuvre de la Bibliothèque de Brest, proportionnellement à d'autres constructions analogues, est excessivement bas.
Ces deux avantages (économie de personnel et prix bas de construction) nous ont paru, au terme de cet article, devoir être spécialement soulignés. Il appartient aujourd'hui à la Ville de Brest, dotée d'un si bel « outil de travail » et fière à juste titre de sa bibliothèque, de lui donner les moyens de répondre aux besoins d'une population en constant accroissement et dont le caractère universitaire s'accentue chaque année.