La surélévation du magasin central du Département des imprimés de la Bibliothèque nationale

Julien Cain

Jean-Pierre Seguin

Pour donner sa pleine signification à l'article de M. Seguin, il convient de rappeler que l'opération qu'il décrit, et à laquelle il a été intimement associé, se place dans un ensemble de grands travaux qui avaient pour objet la rénovation des locaux de la Bibliothèque nationale. Cette grande entreprise, qui n'a pu être menée à bien que grâce au talent du regretté Michel Roux-Spitz auquel j'ai rendu hommage dans une récente livraison de ce Bulletin 1, intéresse tous les départements de la Bibliothèque nationale. Je mentionnerai rapidement le nouveau Magasin des Manuscrits, la réfection totale de l'hôtel Tubeuf pour le Cabinet des estampes (1938-1946) et le Département des cartes et plans (1954). On trouvera dans les rapports successivement publiés sur la Bibliothèque nationale des précisions sur ces travaux 2. Dans quelques semaines un chantier s'ouvrira pour le Département de la musique, le premier qui, à Paris, sera installé en dehors du « quadrilatére », sur le terrain qui fait l'angle des rues Richelieu et Louvois.

Mais c'est pour les livres imprimés que les problèmes les plus complexes se posaient en raison de l'accroissement accéléré des collections et des difficultés particulières que soulève leur communication. Des études minutieuses ont été faites en vue de solutions qui ont été progressivement réalisées.

Durant la première étape (1932-1939) des grands travaux de la Bibliothèque nationale 3, trois salles de travail (salle des catalogues, salle de la réserve, salle des périodiques) ont été ouvertes; en même temps, la création de magasins en sous-sol, la construction du premier bâtiment de l'annexe de Versailles permettaient de remettre de l'ordre dans les collections et de recevoir les accroissements. La surélévation du magasin central couronne, dans ce secteur, l'effort poursuivi pour loger, pendant un longtemps, les collections.

Opération charnière, elle permet de libérer les espaces nécessaires à l'aménagement de locaux de travail pour le Département des imprimés lui-même et pour le Département des entrées, tandis que d'importantes opérations s'achèvent au Département des périodiques, qui se trouvera désormais équipé pour le traitement des centaines de milliers de fascicules qu'il reçoit annuellement.

Commencée au mois de juin 1954, la surélévation du magasin central du Département des imprimés est en cours d'achèvement 4.

Cette audacieuse opération d'une exceptionnelle ampleur, tant par l'importance des travaux entrepris que par leur répercussion sur la structure même d'un service aussi considérable et sur le mécanisme des communications, s'est déroulée de la façon la plus discrète et comme clandestinement. Les efforts des architectes et des ingénieurs, la peine prise par des centaines d'ouvriers appartenant à presque tous les corps de métiers du bâtiment, les quotidiens tourments des cadres et magasiniers du service seront passés presque inaperçus, non seulement des usagers des rues voisines ou même des habitués de la salle de travail, mais encore de très nombreux fonctionnaires de la bibliothèque. Pour beaucoup de ces derniers, les locaux clairs, propres et silencieux, en grande partie déjà garnis de livres, qu'ils sont invités à venir voir, semblent être surgis de la veille sans effort et comme par enchantement.

Et cependant, rien ne fut moins simple, ni plus longuement mûri. Les solutions partielles et de fortune auxquelles, pour pallier le manque de place, il avait bien fallu avoir recours au début de ce siècle, restaient si imparfaites et leur bénéfice de toute évidence si provisoire que la nécessité de transformations radicales finit par s'imposer. Mais, pour en comprendre l'urgence et pour en bien saisir le déroulement, il est nécessaire de revenir à la création même du magasin central des Imprimés.

Celui-ci fut, comme la salle de travail, l'œuvre de l'architecte Labrouste, qui réalisa la construction de l'ensemble entre les années 1859 et 1875.

L'unité dans la conception est évidente au premier coup d'œil. Elle devait avoir les plus heureux effets. La disposition des magasins, en particulier, installés dans le prolongement même de la salle, était très rationnelle et permit pendant longtemps le jeu facile et relativement rapide des communications.

La surface totale du magasin central était de 1 218 mètres carrés, laissés libres de rayonnages au centre, sur toute la longueur et sur une largeur de 6,25 m, mais utilisée de chaque côté de cet espace sur cinq étages, dont un en sous-sol, d'une hauteur moyenne de 2,25 m chacun.

L'aménagement et le mobilier avaient été voulus fonctionnels. La lumière solaire, seul moyen d'éclairage alors possible, provenait de deux grandes verrières placées au sommet sur les côtés, c'est-à-dire au-dessus des collections. A chaque niveau, elle se trouvait filtrée par des caillebotis métalliques à claire-voie, aux barreaux suffisamment espacés pour qu'un peu de lumière pénétrât jusqu'en bas et rendît les communications possibles en tous endroits du magasin, pendant les heures favorables.

Quant aux meubles à rayonnages, on ne louera jamais assez leur qualité très exceptionnelle. C'étaient, ce sont encore d'admirables ensembles de bois, soutenus par des piliers en fonte, ajustés de façon très précise et rendus aisément utilisables grâce à un ingénieux système de clavettes qui permet de régler la hauteur de chaque tablette. Dans l'ensemble, un chef-d'œuvre de technique artisanale plein de tenue, fait pour affronter sans dommages sérieux des siècles d'usage.

Le seul reproche que l'on puisse faire rétrospectivement à Labrouste, est d'avoir choisi une politique plus « riche » que prévoyante. Ses magnifiques rayonnages étaient assez profonds pour accueillir à tout endroit des ouvrages de très grand format et l'espace laissé entre deux épis assez grand pour livrer passage aux chariots les plus encombrants. Dans l'immédiat, cette disposition rendait la vie facile, voire agréable, aux premiers occupants. Mais l'avenir était-il assuré? Le confort d'un moment ne risquait-il pas de le compromettre?

Du temps même où Labrouste acheva de le faire construire, le magasin central pouvait difficilement contenir plus d'un million de volumes, c'est-à-dire les deux tiers seulement, environ, des collections alors conservées au Département des imprimés. Force fut donc de lui adjoindre des bâtiments annexes, situés en bordure des rues de Richelieu (500 m2, environ) et des Petits-Champs (300 m2, environ) et deux étages de combles, le long des mêmes rues (1 500 m2, environ).

Théoriquement et quant à la place réservée, les fonds se trouvaient ainsi pour longtemps abrités. Mais l'unité des locaux en souffrait et par voie de conséquence le déroulement des communications. De plus, si les premiers étages des annexes bénéficiaient, grâce aux fenêtres ménagées sur les rues, d'un éclairage facile et relativement discret, les volumes entreposés dans les combles se décoloraient au soleil et souffraient excessivement de la chaleur pendant l'été et du froid en hiver.

Vers 1870, enfin, l'accroissement moyen des collections demeurait fixé à environ 10 000 volumes par an. Il s'établit aujourd'hui aux alentours de 30 000! Ce dernier point, difficilement prévisible, entraîna vite des conséquences presque dramatiques. Le mot n'est pas exagéré si l'on se remémore les tentatives souvent désespérées faites pendant près d'un demi-siècle par les administrateurs et conservateurs successifs pour faire face à des difficultés presque insolubles et dont aucune ne pouvait avoir d'heureux résultats que pendant un temps assez dérisoirement court.

Il n'est pas un espace libre, à des distances souvent très éloignées du centre, que l'on n'ait tenté d'occuper au maximum, pas un dessus de meuble qui n'ait hébergé quelque série, pas un système de rayonnages qui n'ait été expérimenté, depuis les épis métalliques du type dit en porte-à-faux, dangereusement étroits, jusqu'aux planches de bois blanc, montées parfois au jour le jour par d'ingénieux magasiniers pourvus d'un outillage de fortune.

L'expédient le plus rationnel et qui s'imposait en bonne logique fut l'implantation d'épis métalliques entre chaque casier de bois du magasin central (1924). C'était diminuer sensiblement l'éclairage naturel, mais l'installation de l'électricité permettait, en 1933, de pallier cette difficulté naguère encore insurmontable. Bien que considérable, cependant, la place ainsi conquise - 20 ooo mètres de rayonnages - était loin de pouvoir suffire. Elle n'empêchait pas que l'on dût par ailleurs recourir à des entassements irrationnels aussi bien pour la conservation que pour la communication. L'énorme poids ajouté, enfin, rendait précaire l'équilibre matériel d'un ensemble dont les assises, insuffisantes, devaient, de toute urgence, être consolidées.

Cette dernière opération, entreprise en 1935 par M. Roux-Spitz sur la demande de M. Julien Cain, revêtit une importance considérable et constitua un véritable tour de force. Il ne s'agissait pas seulement en effet d'une reprise en sous-œuvre, mais, à la faveur de celle-ci, de la création de deux étages de nouveaux locaux tant sous le magasin central que sous ses deux annexes Richelieu et Petits-Champs. On devinera sans peine les difficultés d'une telle entreprise, qui se déroula sans que la marche quotidienne du service fût interrompue un seul instant.

Le contraste est grand entre les vieux magasins, si marqués par le style, en son temps révolutionnaire, adopté par Labrouste, et les sous-sols, où le bois est absolument exclu au profit du béton et du métal. L'inconvénient cependant se fit sentir de l'obligation où l'on s'était trouvé de travailler « sur du vieux » : en dépit de l'épaisseur du sol en béton, certaines parties se révélaient humides; tous les rayonnages n'étaient pas, il s'en fallait de beaucoup, d'égale longueur; enfin, abusés par leur modèle, les architectes avaient continué d'adopter, pour les passages, le système des caillebotis désormais irrationnel et à maints titres dangereux.

L'opération n'en était pas moins, dans l'ensemble, largement bénéficiaire. L'un de ses principaux mérites, dont nous sommes redevables à M. Julien Cain, reste d'avoir préparé un avenir dont Labrouste s'était un peu trop désintéressé. Non seulement en effet la stabilité du nouvel ensemble se trouvait assurée, mais de gros piliers de béton, profondément ancrés dans le sous-sol, devaient permettre d'y appuyer, quand on le voudrait, une masse beaucoup plus pesante encore.

La première ébauche matérielle de la surélévation est donc plus ancienne qu'on ne le pense généralement. Rien d'étonnant à ce que l'idée s'en soit très tôt imposée, car le toit du magasin central avait été placé très au-dessous des combles avoisinants et il était logique de prévoir une extension des locaux en cet endroit où un volume très considérable restait disponible.

On conçoit cependant que si l'idée était simple, sa réalisation, confiée à M. Roux-Spitz, se soit heurtée dès le début à d'énormes difficultés, heureusement tempérées, tout au moins en ce qui concernait l'acheminement des matériaux, par la proximité du jardin Vivienne, où se dressa, en septembre 1956, une grue de 30 mètres de hauteur et 25 mètres de portée, destinée en particulier à monter 680 tonnes de charpente.

Les opérations se déroulèrent alors dans l'ordre suivant :
I° Renforcement des poutres sur lesquelles reposait le toit établi par Labrouste, et établissement sur ses verrières d'une double protection.
2° Pose, en appui sur les poutres, d'un échafaudage tubulaire - près de cent tonnes - s'élevant jusqu'à hauteur du sommet des combles avoisinants.
3° Aménagement, sur cet échafaudage, d'un plancher provisoire de 1 200 m2.
4° Mise en place de l'ossature métallique des parois latérales.
5° Montage du nouveau toit, reposant sur cette ossature.
6° Descente à travers le magasin central, dans des « cheminées » spécialement aménagées, de poteaux métalliques allant prendre appui sur les contreforts en béton des sous-sols.
7° Descente et mise en place des poutres et de solives destinées à porter les rayonnages et à soutenir les nouveaux sols.
8° Équipement progressif des nouveaux étages, en commençant par le groupe le plus élevé (bloc de trois étages).
9° Transfert au 6e étage des quelque 6 000 mètres de volumes occupant le troisième étage (qui formait naguère le sommet de l'ensemble).
10° Démolition des verrières qui primitivement protégeaient et éclairaient cet étage.
II° Dépose de l'ancien plafond central.

Tel est, très sommairement exposé afin d'être intelligible, le plan général des opérations les plus importantes.

Il ne rend pas compte de travaux qui, dans une autre circonstance, eussent chacun fourni matière à un développement : maçonnerie, plomberie, chauffage, menuiserie, peinture, etc. 5... Surtout, il ne traduit pas les mille difficultés surmontées dans l'exécution du plan : on peut regretter à ce sujet que les règles du Service des Bâtiments civils n'aient pas permis qu'un conducteur de travaux fût chargé d'assurer en permanence la coordination entre les différentes entreprises. Celui-ci eût également épargné aux cadres du service, déjà surchargés de travail, l'obligation de veiller au maintien de l'ordre et d'une discipline souvent menacée; la sécurité des collections enfin et celle aussi du personnel, qui aura travaillé pendant plus de quatre ans dans des conditions très pénibles, eussent été mieux assurées. Certains jours du premier hiver en particulier, lorsque la mise « hors d'eau » du bâtiment n'était pas réalisée, furent bien difficiles pour tous. Cette remarque devait être faite, sans amertume, afin qu'en puissent tirer la leçon ceux qui se trouveraient un jour devant des problèmes semblables. Pour les magasins du Département des imprimés, les mauvais moments sont passés et le résultat compte seul désormais.

Sous un toit d'une surface plus étendue que celle de la couverture primitive sont disposés, toujours sur 1 220 m2 environ, cinq nouveaux étages aménagés pour recevoir des livres et groupés en deux blocs, dont le plus élevé comporte trois niveaux et le second deux niveaux. Entre ces ensembles s'intercale un sol dallé de pierre sur les côtés et de verre au centre, aux extrémités duquel sont ménagées deux trémies. Un sol de même composition sépare le plus bas niveau des magasins modernes du plus élevé des anciens (soit le 4e du 3e, pour les situer dans l'ensemble).

Les conditions d'éclairement sont radicalement changées par rapport à l'ancien système. La lumière du jour, en effet, pénètre au centre et se trouve diffusée par les sols en verre; les côtés, par contre, sont obscurs.

Les épis de livres occupent ces côtés. Leur répartition était, hélas! commandée par l'implantation de ceux des magasins Labrouste, leur longueur est donc insuffisante, surtout aux niveaux où des passerelles latérales diminuent encore la surface utile 6. Leur profondeur, qui reste uniformément fixée sur chaque face à 33 cm a été précisée d'après de longues études 7. Il s'agissait en effet de concilier le désir que nous avions d'éviter que des volumes d'un format in-folio moyen ne fissent saillie en dehors des meubles avec l'obligation de ménager entre chaque épi des passages suffisants (81 cm).

Ces rayonnages, bien entendu métalliques 8, n'offrent pas de caractéristiques révolutionnaires. On a surtout veillé à ce qu'ils présentent le maximum de garanties quant à leur solidité et à la facilité de leur emploi. Les tasseaux, remarquablement légers, sont munis de pattes qui viennent se fixer dans des trous ménagés sur les montants. Échancrés à leurs extrémités, les rayonnages sont glissés horizontalement sur ces tasseaux et non posés verticalement. La robustesse, la souplesse de l'ensemble s'en trouvent accrues. On peut aussi, en tirant à soi un rayon vide sur la moitié de sa profondeur, le convertir en tablette d'appui. Enfin, toutes dispositions ont été prises afin de classer éventuellement les livres sur deux rangs, à des niveaux légèrement différents.

Pour le reste de leur disposition et de leur équipement, les nouveaux magasins ne comportent pas non plus d'innovations sensationnelles, auxquelles trop de servitudes interdisaient d'avoir recours. Mais leur aération, leur chauffage, leur entretien, leur sécurité enfin sont assurés grâce à des procédés très modernes et perfectionnés 9.

Mille détails d'aménagement, dont chacun a été minutieusement étudié et qui vont du plus important (le système d'éclairage naturel et artificiel, par exemple) au plus petit en apparence (choix des coloris employés, des sièges, etc.) ont contribué à une évidente réussite d'ensemble. Spacieux, clairs, aérés, silencieux, les niveaux surélevés offrent un aspect très agréable et il y fait bon vivre, de l'aveu même des occupants.

Ce résultat si appréciable, obtenu, répétons-le, en dépit de bien des difficultés et après d'innombrables tâtonnements et essais, reste une des conséquences les plus heureuses de la surélévation, mais n'en constituait pas le but essentiel. Celui-ci est atteint par l'apport de 35 000 mètres de rayonnages libres permettant la réorganisation du service sur des bases nouvelles. Il est maintenant possible de recueillir dans de bonnes conditions les livres naguère entreposés dans des locaux inconfortables ou pernicieux. D'autre part, chaque série gardera désormais, dans chaque format, des possibilités d'accroissement pour un temps assez long, mais dont on se défendra bien de fixer l'exacte durée, que l'expérience seule précisera.

Dans l'immédiat, enfin, ou plutôt après les « mouvements » en cours, dont il sera parlé plus loin, les magasins vont retrouver, du point de vue des communications, la disposition rationnelle voulue par Labrouste : un bloc homogène placé dans le prolongement même de la salle de travail.

Le retour, sur des bases nouvelles, à cet ordre préétabli constituait un premier succès, considérable. Il importait de le dépasser et, grâce aux progrès accomplis par les techniques, d'en faire bénéficier aussi le lecteur.

Jusqu'à la fin de 1958, le mécanisme des communications, très amélioré en 1936 par la mise en place de monte-livres fonctionnant à l'électricité et non plus à bras, se déroulait, en gros, de la façon suivante :

Déposés au bureau de la salle, les bulletins de demandes étaient acheminés par tapis transporteur jusqu'à une centrale pneumatique, aménagée dans l'Hémicycle (installation créée en 1935). Après avoir été triés, groupés et timbrés, ils étaient envoyés par cartouches, toutes les dix minutes, dans les dix postes répartis dans le magasin central et dans les combles.

Les volumes servis en réponse à ces demandes étaient tous dirigés vers le rez-de-chaussée grâce à des monte-livres placés le long des épis, généralement en bordure de l'allée centrale, sur une distance de 6 m d'un côté et de 28 m de l'autre. Un chariot les y collectait et, après contrôle par un assistant, les apportait au bureau de la Salle où des gardiens les classaient pour les remettre aux lecteurs. L'ensemble de ces opérations exigeait une moyenne de 25 à 30 minutes, en tenant compte des accidents.

La surélévation n'aurait pas pleinement atteint son but si ce délai, moins long cependant qu'en d'autres grandes bibliothèques, n'avait pas pu être encore réduit. C'est donc sur ce point que s'orientèrent particulièrement les recherches du conservateur chargé du service et de ses collaborateurs, qui furent tous appelés à donner leur avis. En outre, des voyages d'études purent être faits, à Londres, à Bruxelles, à Louvain, à Gand, à Zurich et à Berlin, voyages auxquels participa M. Chatelin, le nouvel architecte en chef dont les interventions furent, ces dernières années, heureuses et souvent décisives.

Le système de transmission des bulletins par cartouches pneumatiques donnait satisfaction dans son principe, mais il devait être rénové, étendu et amélioré. La cabine centrale fut ramenée dans les magasins mêmes et de nouvelles lignes desservirent non seulement les nouveaux étages mais aussi d'autres points fort éloignés : Périodiques, Administration, etc...

Le problème de l'acheminement des livres se posait avec beaucoup plus d'acuité. On ne pouvait pas se contenter en effet d'augmenter le nombre des monte-livres en usage, qui se seraient trouvés répartis sur des distances beaucoup trop considérables pour pouvoir être rapidement et commodément desservis. Surtout, cette solution « de paresse » nous eût forcés à maintenir en service les anciens chariots, obligés de surplus à des stations plus nombreuses et plus éloignées les unes des autres.

Dès le début, l'idée s'imposa que toutes les transmissions devaient être groupées au centre du magasin. Quels moyens emploierait-on pour la réaliser? M. Julien Cain et les usagers furent également tentés par le « pater noster » transporteur à fonctionnement continu déjà en usage à Londres, à Gand, à Louvain, etc... Malheureusement, cet appareil, qui économisait une place considérable - deux eussent largement suffi pour l'ensemble des magasins - s'avérait trop brutal pour les collections 10. Un nouveau type, plus sûr et plus souple, venait d'être monté à la Bibliothèque universitaire de Berlin-Ouest, mais il n'était pas encore en usage : le temps pressant, ce premier projet fut repoussé à la majorité des avis, au grand regret du chef de service. On lui préféra une autre solution moins audacieuse mais péut-être plus prudente, dont l'initiative revenait aussi aux utilisateurs : la mise en place, au centre des magasins, d'une tour centrale de dix monte-livres, rapides et puissants.

Pour relier cette tour à la salle de travail, il fallait installer un tapis transporteur de livres. L'emplacement et le cheminement de celui-ci soulevaient d'innombrables difficultés, dues cette fois encore aux servitudes imposées par la nécessité de travailler « sur du vieux ». On dut se résigner à faire partir ce tapis du premier sous-sol, qui devenait ainsi le centre vital des magasins, un centre dont il n'échappera pas que l'emplacement était paradoxal. Heureusement, les progrès accomplis dans la mise au point des appareils phoniques devraient permettre de remédier dans une large mesure à un inconvénient qui eût été naguère encore beaucoup plus sérieux.

Les pneumatiques, la batterie centrale et les tapis transporteurs constituent déjà, en dépit d'imperfections inévitables, un énorme progrès sur l'ancien état de choses. On envisage de les compléter par deux innovations importantes : appel des lecteurs par signalisation lumineuse et liaison avec la salle des périodiques; à ce sujet, on a étudié un dispositif de cartouches pneumatiques en usage à la Caisse d'Épargne de Bruxelles, qui permettraient d'échanger rapidement entre les deux départements des volumes atteignant les dimensions considérables de L'Illustration. Alors seraient pleinement atteints les buts recherchés : simplification et confort du travail, rapidité et sécurité des communications. Magasiniers et lecteurs y trouveraient leur compte, les livres aussi qui, mieux traités, s'useront moins, même s'ils sortent plus souvent.

Si les responsables et les usagers du service devaient collaborer avec les architectes et s'initier aux réalisations les plus récentes dans le domaine des techniques en matière de liaison et de manipulation, leur tâche essentielle consistait à préparer le regroupement des collections.

Deux années d'études, trop souvent interrompues par les quotidiens tracas, furent nécessaires pour élaborer un plan général de réorganisation, présenté à M. l'Administrateur général en novembre 1956, plan provisoire cependant, et qui devait être, à l'expérience, modifié sur plusieurs points d'importance.

Nous nous étions fixé deux buts principaux :
I° reclasser dans l'ensemble du Magasin central et de ses annexes les plus voisines toutes les collections du département;
2° « aérer » les services déjà entreposés dans ces magasins; c'est-à-dire leur rendre les possibilités d'extension qui leur faisaient tellement défaut.

Ce double objectif entraînait nécessairement un bouleversement profond de l'équilibre existant et une nouvelle distribution de presque toutes les séries 11, de manière à les grouper en « services » équilibrés et cohérents. L'importance matérielle de chaque série, la fréquence relative des communications, d'autres facteurs aussi exigeaient tantôt qu'une série comportât plusieurs services et tantôt que plusieurs séries fussent groupées pour former un seul service.

Il importait donc de chiffrer d'abord, aussi précisément que possible :
I° le métrage disponible à chacun des onze niveaux et de leurs annexes;
2° le métrage des collections de chacune des séries;
3° celui de chacun des anciens services;
4° la fréquence des communications dans chaque série (et même dans chacun des différents formats d'une série).

On devinera sans peine les difficultés soulevées par de telles opérations. Les magasins abritent environ 62 ooo mètres de volumes, mais ce total général réel 12 n'entre pas seul en ligne de compte. A chaque fin de série ou sous-série (dans la lettre L, on en relève environ un millier), des rayonnages doivent être laissés libres pour les extensions et chaque fois le nombre de ces rayonnages doit être calculé en fonction d'un cas précis. Enfin, toute collection, tout périodique s'accroissent, dans des proportions fort inégales 13.

Les dépouillements de bulletins, d'autre part, n'étaient valables que s'ils portaient sur plusieurs milliers d'entre eux au moins, choisis à des moments diffétents, car les curiosités des lecteurs peuvent varier sensiblement, en fonction de l'actualité par exemple.

Lorsque tous ces points furent enfin précisés, il restait à interpréter les renseignements obtenus et à procéder, sur le papier, à la réorganisation des services. Un nouveau problème se posa alors : celui du personnel. Certains services exigeaient plusieurs magasiniers, d'autres un magasinier, aidé pendant une demi-journée ou pendant quelques heures, d'autres un seul magasinier. Enfin, l'obligation de ne pas interrompre les communications entre 9 heures et 17 heures commandait le voisinage de services placés de manière telle que partout ces communications pussent être aussi commodément que possible assurées, de II heures à 14 heures, par un personnel réduit de moitié.

En tenant compte de tous ces facteurs, il apparut que la solution la plus rationnelle consistait à occuper dix seulement des onze niveaux disponibles. Dans chacun de ceux-ci, des possibilités d'extension devaient être réservées pour vingt-cinq années au moins. Passé cette limite, très incertaine, plusieurs niveaux se trouveront une fois encore surchargés mais on a pris soin d'y placer une ou des petites séries qu'il sera aisé de regrouper alors dans l'étage laissé libre, pour y former un nouveau service.

Dès octobre 1957, le premier des « mouvements » prévus, celui de la série V (plus de 6 ooo mètres réellement occupés) commençait. Il est difficile de prévoir exactement combien d'années demandera l'ensemble de ces mouvements 14.

La matière en est constituée par des livres tous plus ou moins précieux ou irremplaçables. Ces livres courent trop de dangers et ils ont déjà subi trop d'atteintes pour que de grandes précautions ne s'imposent pas avant de les astreindre à un nouveau voyage. Improvisé, celui-ci deviendrait une aventure pleine de périls. On devra donc se montrer très strict dans l'application des mesures envisagées : nettoyage préalable, moyens de transport rationnels, et surtout surveillance constante des déménageurs par deux magasiniers au moins, chargés, et eux seuls, de la réception des volumes et de leur remise en place. A ces conditions s'en ajoute logiquement une autre : récolement général de chaque série par un bibliothécaire assisté de plusieurs collaborateurs. Sur ce dernier point, pourtant essentiel (un livre déclassé peut être perdu pour cent ans et plus), il a fallu, hélas! composer, faute d'avoir obtenu, en nombre, le personnel suffisant.

Les remarques qui précèdent nous amènent à évoquer pour finir un des plus graves problèmes qui se posent dans les magasins des Imprimés, comme dans les autres services ou départements... et aussi dans l'ensemble des bibliothèques : celui du personnel magasinier et gardien. Bien antérieur à la surélévation, ce douloureux problème revêt, à la faveur de celle-ci, une actualité plus pressante.

Construire de nouveaux locaux, bien adaptés à leur objet, les équiper en mobilier et en machines très modernes, réorganiser et développer les collections, tout cela est plus que louable. Mais la machine précieuse et complexe montée au prix de tant d'argent et de peines exige, pour la servir, un personnel de qualité. Or, le recrutement de ce personnel s'avère de plus en plus difficile.

Souhaitons donc voir bientôt intervenir sur ce point une réforme indispensable, qui permettrait de recueillir pleinement les fruits d'une opération hardiment conçue et dont les résultats sont déjà très spectaculaires.

Illustration
Plan

  1. (retour)↑  B. Bibl. France. 2e année, n° 7-8, juillet-août, pp. 569-571.
  2. (retour)↑  Voir notamment : BIBLIOTHÈQUE NATIONALE. Paris. - La Bibliothèque nationale pendant les années 1952 à 1955. Rapport présenté à M. le Ministre de l'éducation nationale par M. Julien Cain... - Paris, Bibliothèque nationale, 1959. - 23 cm, pp. 58-62.
  3. (retour)↑  Cain (Julien). - Les Transformations de la Bibliothèque nationale et le dépôt annexe de Versailles. - Paris, éd. des Bibliothèques nationales, 1936. - 25 cm, 53 p., ill., plans, front., pp. 8-14.
  4. (retour)↑  Les plans d'ensemble de la surélévation, dus à M. Michel Roux-Spitz, ont été soumis à l'approbation de M. l'Administrateur général en juin 1952 et portés à la connaissance de M. André Martin, conservateur en chef du Département des imprimés, et du chef du service.
    Ces derniers et M. Pierre Josserand (qui a succédé à M. Martin en mars 1954) ont étudié, avec les architectes, les modalités d'aménagement et d'équipement des nouveaux magasins. Ils ont aussi fait constamment appel à la collaboration de M. Auguste Muller, chef magasinier principal à la Bibliothèque nationale.
  5. (retour)↑  Nous passons également sous silence des travaux annexes, comme la pose, au rez-de-chaussée, d'un dallage destiné à recouvrir les caillebotis et à assurer une protection contre le feu et contre la poussière.
  6. (retour)↑  Niveaux 5, 7 et 8. Des dispositions ont cependant été prises pour que l'on puisse éventuellement ajouter un mètre à chaque travée.
  7. (retour)↑  Des rayonnages plus profonds ont été prévus pour les formats exceptionnels.
  8. (retour)↑  Nous gardons personnellement le regret nostalgique des meubles de bois, plus agréables à l'œil, mais offrant surtout certaines qualités techniques qui font défaut à leurs successeurs.
  9. (retour)↑  Sur tous ces points, nous renvoyons les lecteurs soucieux d'informations plus précises au texte en cours de publication du rapport dressé par M. l'Administrateur général pour les années 1952 à 1955. Nous croyons cependant devoir ajouter qu'on a particulièrement veillé, dans tous les domaines, à ce que fussent mis en place des moyens de remplacement susceptibles de pallier la carence d'appareils perfectionnés, mais forcément fragiles. En cas d'incendie, par exemple, le recours aux lances à eau ne doit pas être absolument proscrit; quelques ouvertures judicieusement placées permettent un apport en air naturel qui n'est pas négligeable, etc...
  10. (retour)↑  Voir le n° de L'Architecture d'aujourd'hui de mars 1938, pp. 68-69. Le plan de la page 69 laisse deviner les inconvénients du déchargement automatique.
  11. (retour)↑  On sait qu'au Département des imprimés, les livres sont répartis selon leurs sujets en séries méthodiques (plus de trente) désignées dans la cote par des lettres majuscules.
  12. (retour)↑  Approximatif.
  13. (retour)↑  Il existait bien un remarquable travail d'ensemble sur ces problèmes, réalisé en janvier 1950, mais il ne pouvait plus être utilisé que comme base de comparaison. Précisons aussi que la décision a été finalement prise d'entreposer, dans les magasins du Département des périodiques, tous les périodiques à partir de 1960. Cette très importante décision rend plus urgente encore et plus impérieuse la nécessité d'organiser entre les deux départements des liaisons sûres et rapides.
  14. (retour)↑  Indiquons seulement, pour en faire bien sentir l'importance, que dix-huit séries devront changer d'étage et neuf être profondément remaniées dans l'étage qu'elles occupent. Cinq séries seulement, d'ailleurs peu importantes, semblent ne devoir pas être touchées, au moins dans l'immédiat, par la nouvelle répartition.