Pour une archivistique des manuscrits médiévaux
Le manuscrit médiéval est un phénomène complexe. On n'en saurait donner une explication totale sans l'étudier de divers points de vue, et avec des méthodes appropriées à chacun de ses aspects.
Bien entendu, le manuscrit médiéval est d'abord un livre et, à ce titre, la méthode bibliographique, assortie de certaines modalités particulières, lui est très normalement applicable.
Mais il est aussi autre chose qu'un livre. Nous ne voulons pas seulement parler de ces précieux volumes à reliure d'orfèvrerie qui ont été gardés pendant des siècles, avec les chapes brodées et les ciboires d'or, dans les trésors des cathédrales; ni de ces splendides manuscrits à peintures, dont les feuillets sont autant de chatoyants tableaux : ceux-là ont toujours été considérés comme des œuvres d'art plutôt que comme des livres. Si humble soit-il, tout manuscrit médiéval doit être envisagé comme objet archéologique. C'est une vérité qui ne s'est fait jour que lentement et tardivement. C'est pourquoi l'archéologie des manuscrits - souvent nommée aussi codicologie - ne s'est constituée en discipline autonome qu'à une époque toute récente. Elle a dès maintenant apporté dans son domaine un tel enrichissement des connaissances que nul ne songerait plus aujourd'hui à lui contester le droit à l'existence.
Bibliographie et archéologie des manuscrits suffisent-elles à rendre compte de tous les aspects du phénomène étudié? Livre, objet archéologique, le manuscrit est, de plus, un élément d'un ensemble : par son origine ou par son histoire, il se rattache à un fonds médiéval, parfois encore existant, le plus souvent démembré. Il est bien vrai que certains manuscrits - pas nécessairement les plus intéressants - peuvent sans trop d'inconvénient être étudiés isolément; mais il en est d'autres dont l'intérêt ou même la signification n'apparaissent que lorsque le document a été replacé dans son « contexte », ce qui revient à dire qu'il faut reconstituer le fonds ancien auquel ce document appartenait.
La notion de fonds revêt ici une telle importance qu'il nous paraît non seulement légitime, mais nécessaire d'étendre au domaine des manuscrits médiévaux le champ d'application de la méthode archivistique. Il faut dès lors faire appel à une troisième discipline, que nous appellerons par analogie, et faute d'un meilleur terme, archivistique des manuscrits.
Mais avant de créer une discipline nouvelle, il faut s'assurer qu'aucune discipline existante n'est apte à répondre à notre besoin.
Sans doute pensera-t-on en premier lieu à l'histoire des bibliothèques médiévales, illustrée déjà par tant de travaux de valeur. Sans aborder ici la question - qui sera développée plus loin - des rapports entre histoire des bibliothèques et archivistique des manuscrits, disons simplement qu'il ne faut pas confondre une science avec une technique. L'histoire des bibliothèques médiévales est une science, ou plus précisément une branche spécialisée de la science historique. L'archivistique des manuscrits est une technique professionnelle - ce que l'on nommait naguère encore un art. Loin de prétendre se substituer à cette science, elle vise à s'en faire, en quelque sorte, la technique auxiliaire.
C'est, disions-nous, une technique professionnelle. En effet, pour bien des raisons, tant théoriques que pratiques, elle ne saurait être exercée que par des bibliothécaires ou des personnes travaillant en collaboration avec eux, au contact direct des manuscrits. Rien n'interdira, évidemment, au bibliothécaire se livrant à l'archivistique des manuscrits de s'intéresser, comme un érudit étranger à la « maison », à des recherches proprement historiques sur les bibliothèques médiévales; sans doute même y sera-t-il particulièrement enclin. Mais cette « union personnelle » ne nous autorise pas pour autant à faire d'archivistique des manuscrits un synonyme d'histoire des bibliothèques médiévales.
A plus forte raison ne saurait-on confondre l'archivistique des manuscrits avec cette autre discipline nouvelle à laquelle nous avons déjà fait allusion, la codicologie 1. Cependant leurs rapports sont étroits : l'archivistique des manuscrits y aura sans cesse recours, et lui apportera sans doute en échange un grand enrichissement.
On pourrait longuement discuter sur le point de savoir si la paléographie doit être considérée comme faisant partie de la codicologie. Toujours est-il que l'archivistique des manuscrits ne peut s'en passer en aucun cas, et lui fournira une ample moisson de faits nouveaux.
La première objection possible, et la plus grave, nous paraît donc écartée : l'archivistique des manuscrits ne fait double emploi avec aucune discipline existante.
Mais est-elle, par là-même, une discipline nouvelle ? Ce pourrait être une seconde objection.
Certes, de nombreux érudits ont, dans une certaine mesure, préludé à l'archivistique des manuscrits. Mais en tant que discipline cohérente, avec sa méthode propre, ses procédés techniques, ses instruments de travail, elle ne pouvait prendre naissance qu'à notre époque, puisque c'est maintenant seulement que sont réunies les multiples conditions nécessaires à sa création et à son développement : existence de la méthode archivistique, qui n'en était encore qu'à ses débuts au temps où Léopold Delisle travaillait à son Cabinet des manuscrits ; riche expérience accumulée par l'Institut de recherche et d'histoire des textes dans le domaine des instruments de travail; développement de la codicologie, et enfin, sur le plan technique, apparition récente des procédés indispensables à une telle entreprise, comme l'application de la lampe de Wood au déchiffrement des ex-libris effacés 2 et la mise au point - qui n'est pas encore achevée - de certains procédés chimiques ou photographiques destinés à seconder l'action des rayons ultra-violets ou infra-rouges 3.
Nous aurons à faire face à une troisième objection portant sur la légitimité de l'extension de la méthode archivistique au domaine des manuscrits médiévaux. L'on nous dira qu'un manuscrit n'est pas un document d'archives, et qu'un fonds de manuscrits n'est pas un fonds d'archives.
Cette objection est très salutaire, car elle va nous obliger à définir avec précision chacune des notions auxquelles nous ferons appel, à commencer, bien entendu, par la discipline elle-même :
L'archivistique des manuscrits est la discipline qui a pour objet la reconstitution idéale ou matérielle des fonds de manuscrits dispersés, ou la conservation des fonds ayant échappé au démembrement. Elle doit permettre d'étudier, non plus des manuscrits isolés, mais des ensembles de manuscrits ayant une origine ou une histoire commune, s'expliquant les uns par les autres.
Cette définition en appelle aussitôt une autre, celle du fonds :
Un fonds de manuscrits, c'est l'ensemble des livres ou documents manuscrits intéressant l'histoire intellectuelle - entendue au sens le plus large - de la collectivité, de la famille ou de l'individu qui les a copiés, fait copier, reçus en hommage ou réunis.
Il existe de nombreux types de fonds, allant du petit fonds simple, individuel, jusqu'aux vastes fonds complexes comme ceux de la Sorbonne ou de Saint-Victor, qui reflètent la vie intellectuelle d'une importante collectivité au cours de plusieurs siècles.
Un fonds individuel se compose en général de divers éléments, dont les proportions respectives sont évidemment assez variables suivant les cas : tout d'abord un « noyau » de manuscrits très intimement reliés à la personnalité de celui qui a constitué le fonds : brouillons ou mises au net autographes, notes, dossiers de documentation, etc. Puis nous voyons se succéder en zones concentriques que rien, d'ailleurs, ne délimite nettement, des manuscrits de moins en moins directement liés à leur possesseur : la zone externe est constituée par des volumes que le hasard seul a fait entrer dans telle bibliothèque plutôt que dans telle autre.
De même, les grands fonds d'abbayes ou de collèges comportent un « noyau » de manuscrits copiés dans le cadre de la collectivité et à son usage, puis des éléments ayant un rapport de moins en moins direct avec son activité intellectuelle : dons et legs - constituant souvent autant de petits fonds individuels -, acquisitions, etc.
Ce terme de fonds de manuscrits n'avait jamais, à notre connaissance, été clairement défini. Il est, aujourd'hui encore, employé fréquemment dans des acceptions très diverses. C'est ainsi, par exemple, qu'à la Bibliothèque nationale, on parlera aussi bien du « Fonds français », qui est une section de notre classement, que du « Fonds de Colbert », qui est une grande collection artificielle, d'ailleurs dispersée, ou du « Fonds de la Sorbonne », qui est véritablement un fonds.
Ceci nous amène à définir une autre notion, qu'il faut très nettement distinguer de la précédente, celle de collection :
Une collection de manuscrits est une réunion artificielle de manuscrits constituée, en général depuis le XVIe siècle, par un individu, une institution ou une famille.
Dans la majorité des cas, le caractère artificiel de la collection, sa composition disparate, son absence de structure sont manifestes. Il existe néanmoins des collections présentant certaines analogies superficielles avec des fonds naturels; nous pensons en particulier à des collections de manuscrits constituées par des érudits comme Baluze. Certes, il y a bien, en ce cas, une sorte de noyau, formé par les « papiers » de l'érudit; mais ceux-ci se séparent nettement, par leur date et par leur caractère, du reste de la collection; ils ne font pas corps avec elle.
A l'inverse, certains fonds médiévaux, par leur composition disparate, par la faible importance de leur noyau central, pourraient presque apparaître comme de véritables collections. De fait, le fonds pur est plus qu'une exception : c'est une abstraction, comme la race pure pour les anthropologistes.
C'est ici que nous touchons du doigt la différence essentielle entre fonds de manuscrits et fonds d'archives; et elle tient à un caractère qui oppose le manuscrit au document d'archives :
D'une manière générale, le document d'archives a d'abord de la valeur et de l'intérêt en fonction de l'ensemble auquel il appartient; en revanche, le manuscrit présente le plus souvent un intérêt et une valeur intrinsèques, indépendamment de l'ensemble auquel il se rattache. Ventes, dons, échanges, vols ont donc favorisé l'émiettement des fonds de manuscrits, affectant sans doute en premier lieu ce que nous avons appelé les zones extérieures, mais n'épargnant pas nécessairement le noyau.
Outre cette dispersion d'un fonds entre plusieurs collections, le fait que les manuscrits présentent un intérêt intrinsèque détermine également la dispersion, au sein d'une collection, des manuscrits d'un même fonds : au lieu de les laisser ensemble, on avait pour habitude de les répartir entre les diverses sections d'un classement méthodique. Il est vrai que les fonds d'archives ont souvent subi un traitement analogue.
C'est donc plutôt, on le voit, d'un point de vue pratique que nous nous plaçons pour envisager les différences entre manuscrits et documents d'archives, entre fonds de manuscrits et fonds d'archives. Nous verrons bientôt que cette distinction est plus difficile à établir en théorie.
Mais quelles que soient ces différences, nous posons en principe qu'elles ne sont pas assez profondes pour que la méthode archivistique ne puisse être étendue au traitement des fonds de manuscrits.
Son application est à la fois d'autant plus aisée et d'autant plus fructueuse que le « noyau » forme une proportion plus forte du fonds de manuscrits. C'est le cas lorsque nous avons affaire au fonds d'un personnage qui n'était pas seulement un « consommateur de livres », mais aussi un « producteur », en d'autres termes un auteur. Or la plupart des lettrés médiévaux étaient des écrivains. L'organisation des études contraignait quiconque voulait accéder aux grades universitaires, à rédiger des commentaires sur Aristote ou sur les Sentences, à composer des sermons, etc. C'est pourquôi la majorité des fonds individuels médiévaux sont des fonds d'écrivains. Mais leur existence ne saurait, dans bien des cas, être mise en évidence que par l'application de la méthode que nous préconisons.
C'est précisément lorsqu'on délaisse les bibliothèques d'apparat - les plus connues du grand public cultivé - pour aborder l'étude des bibliothèques de travail, particulièrement de celles des XIVe et xve siècles, que l'on découvre combien est fragile et incertaine la séparation entre manuscrits et documents d'archives.
Nous ne dirons rien des documents d'archives proprement dits - chartes, censiers, cartulaires... - qui figurent en grand nombre dans les dépôts de manuscrits. Ils débordent le cadre de cet exposé. Signalons seulement que, souvent, un problème qui se pose au sein du fonds manuscrit d'une collectivité ou d'un individu, ne saurait être résolu que par l'examen de certains documents du fonds d'archives correspondant, tant il est vrai que la vie intellectuelle et la vie matérielle sont inextricablement mêlées.
A côté des documents proprement archivistiques, nous trouvons des liasses reliées, des dossiers de minutes et de pièces diverses dont il est bien délicat de déterminer la nature exacte : un dossier intéressant la préparation et le déroulement d'un concile est-il un manuscrit ou une liasse d'archives ? Si l'aspect matériel du document ne peut être tenu pour un critère valable, son caractère intellectuel ou non-intellectuel est-il toujours une pierre de touche beaucoup plus sûre ?
On pourrait être tenté de tourner la difficulté en admettant l'existence d'une sorte de zone neutre entre les livres manuscrits proprement dits et les documents d'archives bien caractérisés, en parlant, par exemple, de documents semi-archivistiques.
Sans rejeter tout à fait cette notion, qui nous paraît défendable, disons toutefois qu'elle ne suffit pas à résoudre le problème. Des manuscrits proprement dits nous livrent fréquemment, indépendamment du texte qu'ils transmettent, des renseignements de caractère matériel et historique du même ordre que ceux que nous demandons habituellement aux documents d'archives. Par exemple, le ms. lat. 1203 de la Bibliothèque nationale est formé en majeure partie de textes pieux rédigés ou copiés pendant leur captivité en Angleterre par Charles d'Orléans et son frère Jean d'Angoulême. Leurs écritures alternent, se mêlent parfois; nous sommes donc en droit d'affirmer que les deux frères étaient réunis au moment où ils écrivaient ce petit livre. Or cela ruine la thèse selon laquelle Charles et Jean n'eurent aucun contact pendant toute la durée de leur détention outre-Manche. Voici donc une information précise d'un caractère matériel, qui nous est fournie par un document de caractère, en apparence, purement intellectuel. On nous a objecté qu'il s'agissait là d'une sorte de brouillon, assimilable par conséquent à un document d'archives. Mais en quoi le problème serait-il modifié si nous avions un manuscrit calligraphié avec soin par les deux captifs ?
En vérité, plus on approfondit la question, plus apparaissent nombreux et divers les « cas limitrophes ». C'est pourquoi la notion d' « archives littéraires », déjà couramment adoptée dans certains pays, est sans doute appelée à un grand avenir.
Cette notion a pour corollaire celle de documentation, homologue, sur le plan matériel des manuscrits, de celle de sources sur le plan intellectuel des textes. En reconstituant le contenu du cabinet de travail d'un auteur médiéval, nous résolvons du même coup, dans une large mesure, le problème des sources de son œuvre.
Dans cette perspective, tout recueil de textes traitant d'une question qui a intéressé un auteur, et figurant dans sa librairie, peut être assimilé à un dossier, quelle qu'en soit par ailleurs la présentation extérieure : nous connaissons un dossier de Pierre d'Ailly calligraphié sur vélin et orné de lettrines dorées; et les recueils de textes pieux formés par Charles d'Orléans et son frère ont été luxueusement copiés et enluminés. Mais ce sont là des exceptions. Les dossiers médiévaux sont d'ordinaire assez laids. Il faut souvent, d'ailleurs, beaucoup d'attention pour les distinguer de certains recueils factices constitués par d'anciens bibliothécaires pour la commodité de leur classement.
Ces dossiers ont été généralement bien négligés, sinon toujours par les lecteurs, du moins - ce qui est plus grave - par les bibliothécaires. Nos collègues des quatre derniers siècles ont traité avec un évident mépris ces liasses de papier ou de parchemin reliées sans soin et parfois dans un certain désordre, ces textes cursifs, chargés de ratures, où nul rubricateur n'a pris la peine de tracer des titres ou des colophons. Dispersés au hasard sur les rayons, ces vilains manuscrits, indignes de figurer dans une vitrine d'exposition, ne sont que très imparfaitement décrits dans les inventaires anciens ou modernes, et les textes, souvent anonymes, qu'ils recèlent, sont introuvables dans les tables. Or ces parents pauvres, pour lesquels la méthode traditionnelle ne peut pas grand'chose, sont parfois bien plus importants pour l'histoire des idées que de splendides volumes calligraphiés et enluminés. Seule la méthode archivistique est capable de les tirer enfin de leur anonymat, de leur isolement et de leur oubli.
Il ne faudrait pas se hâter d'en conclure que cette méthode ne concerne que les liasses de brouillons. Les beaux manuscrits ont aussi leurs secrets, que les procédés bibliographiques habituels sont bien souvent inaptes à dévoiler.
Nous croyons avoir démontré la nécessité d'une archivistique des manuscrits médiévaux. Il nous faut maintenant en définir la méthode. Nous pourrions nous contenter de dire qu'elle est simplement la transposition de celle de l'archivistique au domaine des manuscrits. Mais nous préférons procéder différemment : supposer un instant que la méthode archivistique n'existe pas, et construire la nôtre en fonction seulement de son objet et de son but.
Voici plus de trois siècles que Descartes a solidement établi, avec son Discours de la Méthode, les fondements de la science moderne; les règles de la méthode cartésienne n'ont pas vieilli. Au moment de donner une méthode à une discipline nouvelle, il nous paraît donc non seulement légitime, mais indispensable de nous référer expressément aux quatre règles de Descartes; nous en conserverons même la formulation, nous bornant à en intervertir l'ordre pour la commodité de l'exposé.
1° « Faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales que je [sois] assuré de ne rien omettre. »
La première démarche du bibliothécaire qui voudra traiter une importante collection de manuscrits médiévaux selon les principes archivistiques, devra être, en effet, de procéder à un dépouillement soigneux, quoique rapide de toute la collection. Cette « revue générale » exhaustive est l'équivalent exact de celle que pratique l'archiviste qui s'apprête à reclasser un dépôt en désordre. Elle est la base même sur laquelle reposera tout l'édifice, et constitue par conséquent la condition sine qua non de toute entreprise d'archivistique des manuscrits : on ne peut rien construire de solide sur des renseignements fragmentaires ou de simples sondages.
Ce travail préliminaire se concrétisera sous la forme d'un fichier général de la collection, où chaque manuscrit sera représenté par une fiche; bien entendu, les recueils factices auront droit à autant de fiches qu'ils comportent de manuscrits ou de fragments distincts. Chaque fiche portera une description en quelques mots du contenu du manuscrit, sa cote actuelle et toute la série des cotes qui lui avaient été antérieurement affectées, disposées dans un ordre fixe. On y fera figurer en outre tous les éléments permettant de connaître l'origine et les possesseurs successifs du document.
2° « Diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre. »
Au sein de cette masse disparate qu'est un grand dépôt de manuscrits, la recherche des liens de parenté cachés existant entre divers volumes évoque irrésistiblement la comparaison populaire avec l'aiguille perdue dans la meule de foin. C'est pourquoi la méthode - ou plutôt le processus trop répandu consistant à diviser les collections en « tranches » numériques, puis, dans chaque tranche, à étudier les manuscrits les uns après les autres en suivant l'ordre des cotes, rend théoriquement impossible, et pratiquement très aléatoire l'identification des documents qui ne sont pas directement et immédiatement identifiables. L'étude approfondie des manuscrits ne saurait d'ailleurs intervenir au stade de l'analyse (correspondant sur le plan technique à l'inventaire), mais seulement au stade de la synthèse (rédaction des monographies de fonds anciens, ou du catalogue). Nous aurons à revenir plus longuement sur cet aspect important du problème.
La division des difficultés - c'est-à-dire de cette complexité initiale - en « parcelles » se fera au début de manière quasi-mécanique, par voie de tris successifs. Les fiches du fichier général - ou leurs copies simplifiées - seront une première fois reclassées dans l'ordre des cotes immédiatement antérieures aux cotes actuelles. Pour prendre un exemple concret, les fiches représentant les manuscrits de l' « ancien fonds latin » de la Bibliothèque nationale feraient l'objet d'un premier reclassement dans l'ordre des cotes dites « Regius » - correspondant au répertoire de Clément et à ses additifs du début du XVIIIe siècle, et l'on ferait des paquets séparés avec les fiches des manuscrits acquis par la Bibliothèque royale après l'abandon de ce système de cotes. L'opération serait répétée autant de fois qu'il serait nécessaire, jusqu'à épuisement de tous les anciens systèmes de cotes figurant sur les manuscrits eux-mêmes ou dans les anciens inventaires.
A l'issue de chacun de ces reclassements, on dressera une table de concordances qui, étant issue d'un fichier par définition exhaustif, sera elle-même exhaustive. Pour reprendre notre exemple précédent, nous aurions ainsi pour la première fois des concordances complètes non seulement pour les cotes Regius, mais aussi pour tous les systèmes de cotes connus, et même pour certains systèmes inconnus, correspondant à des bibliothèques anciennes parfois très importantes à tous égards dont l'existence était jusqu'ici passée inaperçue : nous faisons allusion en particulier à une collection personnelle du roi François Ier que nous avons découverte - non sans surprise - il y a moins de 3 ans, ou à certaine bibliothèque « inventoriée » d'Henri II, riche de près de quatre-vingts manuscrits, dont Delisle ne dit rien dans son Cabinet des Manuscrits, mais que Boivin avait incomplètement reconstituée dans son ouvrage inédit vieux de 250 ans 4. Enfin, même une collection aussi célèbre que celle de la Chambre des Comptes de Blois n'a jamais reçu - et pour cause - ces concordances complètes qu'Henri Omont annonçait comme imminentes dans l'Avertissement à ses Anciens Inventaires, paru voici 50 ans.
C'est seulement lorsque ces multiples tables de concordances auront été dressées - besogne ingrate entre toutes, mais vraiment capitale - que l'on connaîtra enfin pour la première fois avec précision quelle proportion de ces diverses collections anciennes subsiste actuellement sur les rayons, et quelles pièces ont disparu. Ce n'est pas - tant s'en faut - le seul service que rendront ces indispensables instruments de travail; mais, quand bien même ce serait le seul, la tâche vaudrait d'être entreprise.
A la fin de ce travail semi-mécanique de reclassements successifs, les difficultés auront déjà été divisées en un nombre respectable de parcelles. Mais la division devra être poussée plus loin encore. Reprenons l'un des exemples cités plus haut : nous nous attaquerions aux fiches représentant la collection des manuscrits « inventoriés » d'Henri II et nous les répartirions en petits paquets : manuscrits portant un ex-libris de Saint-Jean de Soissons, de Saint-Germer de Flay, de N.-D. de Nogent, etc. Le plus gros paquet sera sans doute - hélas ! - celui des manuscrits ne portant plus aucun ex-libris, car le bibliothécaire de ce roi mettait un grand acharnement à dissimuler l'origine des richesses dont il avait la charge.
Il sera peut-être possible, pourtant, de rattacher à tel ou tel de ces groupes des volumes ayant perdu leurs marques de provenance, mais présentant avec certains manuscrits déjà identifiés des similitudes remarquables. Bien souvent, nous en serons réduit à des hypothèses plus ou moins plausibles, ou à l'ignorance totale. C'est ici qu'intervient une troisième règle de la méthode :
3° « Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la conn[ai]sse évidemment être telle, c'est-à-dire éviter soigneusement la précipitation et la prévention... »
Cette règle nous enseigne à ne pas nous hâter de transformer nos hypothèses en certitudes. Faisons simplement une fiche d'hypothèse à vérifier, qui prendra place dans un fichier spécial, où nous classerons également les fiches de questions non résolues : ces fiches porteront, par exemple, la reproduction de cotes inconnues, d'ex-libris incomplètement déchiffrés, de blasons, de monogrammes ou de devises non identifiés, des spécimens photographiques de telle ou telle écriture anonyme que nous aurons remarquée dans plusieurs manuscrits, etc.
La constitution d'un tel fichier de problèmes permet de combiner deux facteurs qui paraissent difficilement compatibles : rapidité nécessaire d'un tel travail, et absence de « précipitation ». Plutôt que de perdre un temps précieux à nous acharner sur des problèmes provisoirement insolubles, laissons-les reposer pendant des mois, voire des années; bien souvent, nous les verrons se résoudre quasi-spontanément, par le simple rapprochement de deux fiches.
4° « Conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus siniples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusqu'à la connaissance des plus composés, et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres. »
Cette vaste synthèse ne saurait être, bien évidemment, que la dernière étape de l'entreprise. La « revue générale » avait permis la division en « parcelles » intelligibles. Nous allons maintenant regrouper idéalement les fonds simples, reconstituer la structure des fonds complexes, puis suivre le démembrement de certains d'entre eux, et la formation corrélative des collections modernes. Mais, quelle que soit l'importance du dépôt où nous travaillerons, nous nous apercevrons bien vite qu'il offre un cadre trop étroit : les collections médiévales ont, en général, connu une telle dispersion que leur reconstitution complète (compte tenu, bien entendu, des pertes et des destructions irrémédiables) ne peut être envisagée que comme une œuvre collective. Elle suppose donc que la méthode archivistique se sera rapidement répandue dans les principaux dépôts de manuscrits de province et même de l'étranger. Nous verrons plus loin que cette perspective n'est pas aussi chimérique qu'elle le semble à première vue. Mais, à ce stade, l'archivistique des manuscrits aura accompli son rôle; elle cédera alors la place à l'histoire des bibliothèques médiévales.
Nous avons jusqu'ici étudié la méthode de l'archivistique des manuscrits comme si cette discipline était seule en cause. C'était nécessaire pour la clarté de l'exposé, mais dans la pratique, il ne saurait être question de séparer l'archivistique des manuscrits des deux autres disciplines qui concourent avec elle à l'explication totale du manuscrit : la codicologie et ce que nous avons appelé la « bibliographie des manuscrits ».
Si, sur le plan théorique, codicologie et archivistique des manuscrits sont deux disciplines parfaitement distinctes, elles sont, en revanche, indissociables sur le plan pratique : l'archivistique des manuscrits a besoin de s'appuyer en permanence sur la codicologie pour reconstituer l'origine et l'histoire des volumes, et aboutir au regroupement idéal des fonds anciens; or ce regroupement favorise, en retour, l'étude codicologique, qui peut désormais s'exercer sur des ensembles et non plus sur des volumes isolés. Dans l'organisation du travail, c'est tout naturellement au même bibliothécaire ou à la même équipe qu'incomberont le traitement archivistique et la description archéologique des documents.
Les rapports entre ces deux disciplines associées d'une part, et ce que nous appelons la « bibliographie des manuscrits », d'autre part, sont d'un tout autre ordre.
La bibliographie des manuscrits, c'est la discipline qui traite des manuscrits en tant que livres ; elle ne diffère en somme de la technique traditionnelle que sur un point, assez important il est vrai : elle reconnaît son insuffisance à résoudre à elle seule tous les problèmes que pose le manuscrit. Elle s'occupe de décrire les textes manuscrits, de les identifier, de les répertorier et, bien entendu, de relever les publications qui leur ont été consacrées. Elle suppose une organisation du travail entièrement différente de celle qu'exige l'archivistique des manuscrits.
Pour l' « archiviste » - au sens où nous l'entendons ici - le texte n'entre en ligne de compte que dans la mesure où il peut fournir des indices sur l'origine du document. Pour le « bibliographe », le texte est tout. Aucun des deux ne saurait se satisfaire du processus habituel de découpage des collections en tranches numériques ; mais leurs exigences sont opposées : l'un vise à regrouper les manuscrits par provenances; l'autre a besoin de regrouper les textes par auteurs et par matières. Le rythme même du travail est très différent dans l'un et l'autre cas : l'étude « bibliographique » d'un manuscrit, l'identification des textes qu'il renferme peut demander un temps assez long; l'étude codicologique et archivistique du même manuscrit sera - à de rares exceptions près - bien plus vite faite. Cette rapidité est d'ailleurs un facteur essentiel du travail archivistique, étant donné que la mémoire visuelle y joue un rôle de premier plan : quand des manuscrits de même origine, mais dont certains ont été dépouillés de leurs marques distinctives, sont dispersés sur les rayons, il est relativement aisé d'en noter les caractères communs si on les examine à quelques jours, quelques semaines, voire, à l'extrême rigueur, quelques mois d'intervalle; mais si l'intervalle est trop long, la parenté entre deux volumes n'a guère de chances d'être reconnue. Pour la même raison, il est indispensable, dans l'organisation du travail archivistique, que tous les manuscrits passent sous les yeux d'un même individu : au sein d'un même dépôt, le travail archivistique est donc nécessairement centralisé. Au contraire, le travail bibliographique peut avantageusement être réparti entre divers spécialistes.
Nous voyons combien est fondamentale l'opposition des deux méthodes. Cela nous conduit à poser en principe que si, dans l'organisation du travail, l'étude codicologique et archivistique des manuscrits se trouve subordonnée à l'étude bibliographique des textes, cela équivaut pratiquement à sacrifier la première à la seconde.
Les tenants de l'organisation traditionnelle objecteront sans doute qu'un tel sacrifice est, à tout prendre, bien légitime, et qu'on ne saurait mettre en balance le texte d'un manuscrit avec un petit fleuron au dos de sa reliure ou quelques notes sur ses feuillets de garde. En réalité, non seulement le traitement du texte ne bénéficiera pas de ce sacrifice, mais on aboutira, paradoxalement, à entraver le progrès dans ce domaine bibliographique que l'on aura cru favoriser : en effet, comme nous le verrons, de nombreux textes - et souvent fort importants pour l'histoire des idées - ne peuvent être correctement identifiés que si l'on a préalablement reconnu l'origine du manuscrit qui nous les a transmis.
Nous croyons avoir suffisamment démontré la nécessité d'une rigoureuse division du travail. Celle-ci entraîne à son tour la spécialisation.
Imaginons deux jeunes chartistes également doués, travaillant dans un grand dépôt de manuscrits. L'un sera chargé du dépouillement et de l'étude bibliographique des textes, l'autre de l'étude codicologique des manuscrits et de la reconstitution des anciens fonds. Le premier verra passer sous ses yeux un maximum de quinze à vingt volumes par mois; le second sera amené à examiner plusieurs dizaines de manuscrits chaque jour. Le premier ne tardera pas à acquérir par rapport à l'autre une nette supériorité en matière de bibliographie et d'histoire littéraire; le second, en revanche, le surpassera bientôt dans les domaines de la paléographie comparative, de la codicologie, de l'histoire des collections. Cessant d'être interchangeables, nos deux bibliothécaires seront devenus complémentaires, ce qui est la condition même d'une fructueuse collaboration, d'un véritable travail d'équipe.
Hâtons-nous toutefois de préciser qu'une spécialisation prématurée serait déplorable : avant de recevoir une orientation en principe définitive, le jeune bibliothécaire devra avoir travaillé pendant plusieurs années alternativement dans l'une et l'autre équipe, et ceci pour deux raisons : d'une part afin d'avoir une idée claire des rapports entre les deux branches et des problèmes qui se posent dans chacune d'elles; d'autre part afin que l'orientation soit donnée à chacun en fonction de ses aptitudes. Le travail d'archivistique des manuscrits, en particulier, est loin d'avoir un caractère exclusivement intellectuel : il exige une très bonne vue, et surtout une mémoire visuelle supérieure à la moyenne; ce sont là des « dons » auxquels aucun apprentissage ne saurait suppléer.
Nous avons défini la méthode de l'archivistique des manuscrits. Il nous faut maintenant passer rapidement en revue les procédés techniques que requiert la mise en application de cette méthode. Ils se répartissent en quatre groupes, selon les sciences auxquelles ils font appel : procédés historiques, paléographiques, archéologiques (ou codicologiques), et physico-chimiques.
Les procédés historiques sont extrêmement divers et leurs combinaisons possibles sont presque aussi nombreuses et variées que les problèmes à résoudre. Il n'est pour ainsi dire aucune branche de l'histoire que l'archivistique des manuscrits ne doive mettre à contribution. Elle aura sur ce terrain de multiples points de contact avec la bibliographie des manuscrits, et les deux équipes trouveront là maintes occasions de collaborer. Bien entendu, l'histoire des bibliothèques est la branche de l'histoire à laquelle notre discipline se référera le plus souvent, soit en utilisant les travaux des spécialistes, soit en se reportant aux documents historiques intéressant les anciennes bibliothèques, au premier rang desquels figurent les inventaires. Sans sous-estimer l'extrême importance de ces derniers, notons toutefois qu'ils ne jouent plus dans le cadre de l'archivistique des manuscrits le rôle déterminant que leur assignait l'histoire des bibliothèques sous sa forme traditionnelle. Il devient désormais possible de reconstituer des collections ou des fonds dont aucun inventaire n'a survécu - ce qui est, malheureusement, le cas le plus fréquent.
Les procédés paléographiques ont précisément une part essentielle dans ce travail de reconstitution. Bien souvent, le seul lien visible entre divers manuscrits d'une même collection ou d'un même fonds, réside dans l'identité d'écriture de leurs textes ou de leurs notes marginales. Pour citer un exemple concret, c'est presque uniquement, au début, en procédant à des comparaisons d'écritures, que nous avons pu identifier, au sein du fonds de Saint-Victor, une bibliothèque d'une cinquantaine de volumes (Delisle en signalait quatre) constituée par un humaniste normand du début du XVe siècle, Symon de Plumetot. Par la suite, un examen bien plus approfondi a révélé que bon nombre de ces manuscrits étaient porteurs de signatures effacées de ce personnage, ou d'autres marques d'origine tout aussi irrécusables.
Il arrive parfois que la main d'un copiste soit très aisément reconnaissable : n'importe quel débutant identifierait sans peine, entre mille autres mains du xve siècle, celle de Jean d'Angoulême, frère de Charles d'Orléans. Mais des cas aussi favorables ne se présentent pas souvent. Tantôt, une équipe de scribes s'appliquent à dépersonnaliser leur « tracé » pour se plier au « style » de leur monastère ou de leur atelier. Tantôt, au contraire, un même personnage, amateur habile ou copiste professionnel, s'exerce à écrire suivant plusieurs types de calligraphie - phénomène particulièrement fréquent au xve siècle. Ce sont là autant de traquenards qui guettent le paléographe, et il faut à celui-ci de longues années d'apprentissage pour savoir s'en défier et - au moins dans la plupart des cas - les déjouer.
La paléographie est donc le plus précieux des outils; mais il faut éviter de l'employer seule : il est prudent de toujours chercher à l'associer à d'autres techniques.
Les procédés codicologiques viendront souvent à point nommé renforcer ou relayer l'analyse paléographique. Est-il besoin d'exposer longuement tous les services que peut rendre l'étude archéologique du livre manuscrit et de toutes ses particularités : qualité du parchemin, réglure, composition des cahiers, reliure etc. ?
Les procédés physico-chimiques, enfin, ont pour rôle d'augmenter la puissance et l'efficacité des procédés paléographiques et codicologiques. La plupart d'entre eux ne peuvent être mis en application que dans un laboratoire équipé de quelques appareils indispensables. Tout grand dépôt de manuscrits devrait être doté d'un tel laboratoire.
Nous envisagerons tout d'abord les procédés physiques, qui se divisent en deux catégories : mécaniques et optiques.
Les procédés mécaniques relèvent plutôt du restaurateur que du bibliothécaire. Les habiles ouvriers de l'Atelier de restauration de la Bibliothèque nationale les pratiquent avec une grande virtuosité. Ils consistent essentiellement en lavages, décollages et grattages. Ces opérations - dont nous ne pouvons parler longuement ici - jouent dans la découverte de l'histoire des manuscrits un rôle bien plus important qu'on ne pourrait l'imaginer. La décision d'y avoir recours ne peut évidemment être prise que par un bibliothécaire, qui en surveillera l'exécution. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous écrivions au début de cet exposé que l'archivistique des manuscrits est une technique professionnelle, ne pouvant être mise en application que par des bibliothécaires.
Les procédés optiques sont plus variés et ont une importance primordiale. Ils se subdivisent en procédés d'examen direct (scopie) et d'examen indirect (graphie).
Nous aborderons l'étude des procédés d'examen direct en énonçant une vérité digne de La Palice : le premier et le plus important d'entre eux est l'examen du manuscrit à l'œil nu et sous la lumière naturelle. Aucune technique photographique ou autre ne pourra jamais s'y substituer. Bien entendu, l'œil peut être secondé par quelques instruments optiques simples : loupes de divers types, petit miroir (permettant souvent de lire certaines mentions qui, avant de disparaître, avaient eu le temps de se décalquer plus ou moins nettement sur la page opposée), filtres de couleur, du modèle couramment employé en photographie (particulièrement utiles pour la lecture des inscriptions pâlies ou des rubriques à demi effacées). Il faudrait ensuite passer en revue toute la gamme des lampes. Mentionnons seulement ici : le diascope qui sert non seulement à l'étude (et éventuellement au calque) des filigranes, mais aussi au déchiffrement des inscriptions « caviardées » ou cancellées; et la lampe de Wood, indispensable auxiliaire du paléographe.
Les procédés photographiques sont très divers, et leur étude approfondie exigerait un volume entier. Ne négligeons pas la photographie du type le plus banal, l'agrandissement de microfilm : les services qu'elle rend en particulier dans la comparaison des écritures (comment juxtaposer les feuillets d'un même volume, voire le recto et le verso d'un même feuillet?) sont inestimables. Mais il faut surtout évoquer les photographies spéciales à l'ultra-violet, à l'infra-rouge, etc..., qui exigent, évidemment, un équipement coûteux, mais permettent souvent d'obtenir des résultats supérieurs à ceux que procure l'examen sous la lampe de Wood.
Les Italiens et les Russes utilisent maintenant les rayons X pour la lecture des palimpsestes. Il serait intéressant de tenter l'expérience pour le déchiffrement des ex-libris effacés.
Si les procédés optiques n'inspirent guère de méfiance, les procédés chimiques se sont acquis une réputation déplorable. Comment s'en étonner si l'on songe aux trop nombreux palimpsestes massacrés par des réactifs brutaux (liqueur de Gioberti, acide gallique concentré) et aux innombrables inscriptions qu'un malencontreux badigeonnage au sulfure d'ammonium a rendues illisibles, tant à l'oeil nu que sous la lampe de Wood ? Mais la chimie ne doit pas être tenue pour responsable de l'usage inconsidéré que l'on en a fait au siècle dernier et jusqu'à une époque récente. Elle pourrait même se réhabiliter aux yeux des érudits en portant remède aux imprudences commises par de maladroits apprentis-sorciers. Nous travaillons actuellement avec M. Jacques Cogniard, chimiste très compétent, à « nettoyer » certains documents sans valeur que l'on avait naguère badigeonnés avec divers réactifs. Si - comme tout permet de l'espérer - l'opération réussit, la technique pourrait être plus tard étendue à de précieux palimpsestes jadis victimes de tels procédés.
Mais le nettoyage n'est pas tout. Nous avons récemment apporté la preuve 5 qu'il est parfaitement possible de faire revivre une inscription effacée sans que le document subisse la moindre altération. Cependant les techniques nouvelles que nous essayons de mettre au point exigent la création d'un petit laboratoire.
L'apparition d'une discipline nouvelle ne peut manquer d'entraîner des conséquences assez importantes dans divers domaines.
L'archivistique des manuscrits étant une technique professionnelle, c'est tout d'abord, bien entendu, dans l'organisation du travail au sein des grands dépôts de manuscrits qu'elle pourra susciter certaines modifications.
En définissant sa méthode, et en l'opposant à celle de la bibliographie des manuscrits, nous avons vu que l'on ne peut échapper à la nécessité d'une dichotomie : les tâches primitivement confiées à une équipe unique devraient être réparties entre deux équipes spécialisées. Or la sécession de l'équipe « archivistique » contraindra l'équipe « bibliographique », héritière de la technique traditionnelle, à une profonde révision de ses méthodes de travail.
Le moment semble donc venu de faire le point, et de se poser trois questions fondamentales :
D'où venons-nous?
Où en sommes-nous ?
Où allons-nous ?
La première question semble nous inviter à faire un long historique des méthodes mises en œuvre dans les grands dépôts de manuscrits depuis les temps les plus anciens jusqu'à l'époque actuelle. Ce serait un sujet fort intéressant, mais qui dépasse de loin le cadre de cet essai. Nous nous contenterons donc de remonter à la seconde moitié du XIXe siècle.
On a souvent écrit que le siècle dernier a été la période des grandes synthèses provisoires. C'est vrai à bien des égards; mais nous n'avons pas à parler ici de Darwin ou de Michelet. Nous nous en tiendrons à notre propos, et nous évoquerons le Cardinal Ehrle et surtout, puisque nous sommes en France, Léopold Delisle.
Il n'est pas miracles en histoire, et l'oeuvre de Delisle ne fut pas un miracle. Elle avait été préparée, depuis Boivin, par bien des bibliothécaires de valeur. Cependant, Delisle fit accomplir à l'étude des manuscrits un immense pas en avant. Il suffit pour s'en convaincre d'examiner la situation qu'il trouva à la Bibliothèque impériale quand il y commença son œuvre. Sans parler même de la lutte qu'il eut à mener contre le pillard Libri pour lui faire rendre gorge - il y avait là tout un symbole - que dire de l'archaïsme des méthodes de travail en vigueur à cette époque ? C'est lui-même qui nous raconte comment les catalogues étaient enfermés à clé dans une armoire de fer; la communication aux lecteurs en était interdite sans une autorisation exceptionnelle de l'Administrateur général! Un tel détail suffit à donner une idée des difficultés que connaissaient les érudits désireux d'étudier nos manuscrits. Delisle se voua à la tâche de leur fournir dans les plus brefs délais des instruments de travail. C'est dans cet esprit qu'il rédigea cet Iventaire sommaire des manuscrits du nouveau fonds latin qu'il qualifiait lui-même d' « infiniment trop écourté ». Le Cabinet des manuscrits naquit du même souci. Jamais, sans doute, dans aucun ouvrage, tant d'érudition, tant de prudence et de probité scientifique ne s'allièrent à tant de hâte. Il nous faut citer ici un exemple qui nous semble caractéristique de la méthode de travail du grand défricheur.
A la page 23I du premier volume, paru en 1868, de son Cabinet des manuscrits, nous lisons les lignes suivantes :
« J'ai parlé plus haut (p. 128) des volumes sur lesquels se trouvent les mots : Fo de la Galiacza ou simplement : Galiacza. J'avais cru qu'ils avaient fait partie de la bibliothèque fondée par les Ducs de Milan dans le château de Pavie, et que Louis XII les en avait tirés pour les apporter en France. Depuis, j'ai remarqué qu'ils portent les signes caractéristiques des livres de la bibliothèque napolitaine que Charles VIII s'appropria en 1495... »
Nous voyons donc cet érudit scrupuleux mettre ses lecteurs en garde contre une erreur qu'il a commise. Mais il ne saurait être question pour lui de refaire un paragraphe situé cent pages plus haut dans le même volume : il y a trop à faire, et le temps presse!
Bien loin d'amoindrir Delisle, cette hâte le grandit encore à nos yeux : elle prouve à quel point il était conscient de l'urgence de la tâche entreprise, et de sa responsabilité envers les chercheurs.
En replaçant l'œuvre de Delisle dans son contexte historique, nous en saisissons mieux la portée et le mérite. Nous comprenons aussi plus aisément pourquoi cette œuvre n'est plus à la mesure des exigences actuelles de la recherche. C'est désormais à un autre niveau qu'il faudrait travailler.
Or où en sommes-nous aujourd'hui ? Si nous avons arrêté notre historique à Delisle, c'est parce que, pratiquement, aucun nouveau pas en avant n'a été accompli depuis sa mort, sur la voie qu'il avait si magistralement ouverte. Il a connu cette mésaventure posthume dont tant de grands hommes ont été victimes : l'apothéose. Parce que la synthèse préparatoire qu'il avait bâtie était digne d'admiration, on a perdu de vue son caractère provisoire. On a même cru qu'elle pouvait dispenser de la nécessité d'un travail analytique. Ceci explique peut-être la décision prise il y a plus de vingt ans de mettre en chantier ce Catalogue général des manuscrits latins de la Bibliothèque nationale que Delisle, qui n'aimait guère les grands mots, qualifiait prophétiquement de redoutable entreprise. Il est vrai que la Bibliothèque Vaticane avait depuis longtemps donné l'exemple, en prenant pour seule fondation l'étude historique du Cardinal Ehrle.
Or aujourd'hui comme il y a vingt ans, nous avons à faire face à l'inéluctable nécessité de passer du stade de la synthèse provisoire à celui de l'analyse exhaustive. Et ce n'est pas par la rédaction d'un catalogue, mais bien par l'établissement d'un inventaire que se concrétise un travail d'analyse.
Sans doute n'est-il pas inutile de distinguer et d'opposer nettement ces deux notions que l'on a trop souvent tendance à considérer comme presque synonymes :
L'inventaire est un constat objectif, une simple énumération descriptive qui répond à un besoin pratique.
Le catalogue - plus précisément, le catalogue raisonné, comme on aimait à dire au siècle dernier - est une construction intelligente, obéissant à une structure interne. Il ne décrit pas des pièces isolées, dans l'ordre où on les trouve sur les rayons, mais s'attache à les regrouper, ou du moins à mettre en lumière les liens qui les unissent entre elles. Il ne se borne pas à énumérer et à décrire : il explique. Il ne répond pas seulement à un besoin pratique, mais encore et surtout à un besoin scientifique. A l'inverse de l'inventaire, œuvre d'analyse, le catalogue est, par définition, une œuvre de synthèse.
A l'heure actuelle, le seul travail concevable dans les grands dépôts de manuscrits d'Europe, est un travail analytique.
Nous n'avons pas à parler ici en détail de ce que devraient être les inventaires de textes, dont l'absence ou l'insuffisance trop générales entravent les recherches des érudits.
Quant à l'inventaire archivistique des manuscrits, dont nous avons défini la méthode, il pourrait être entrepris immédiatement. La tâche est lourde, mais n'a rien d'utopique; elle n'exige pas de moyens dispendieux. Dans le cadre d'un grand dépôt de vingt à trente mille manuscrits, tous les répertoires nécessaires devraient pouvoir être achevés dans un délai de dix à quinze ans. Il y suffirait d'un bibliothécaire expérimenté assisté de deux ou trois adjoints (qui pourraient être de jeunes archivistes-paléographes rémunérés par exemple par le Centre national de la recherche scientifique), d'un minimum d'outillage technique et photographique, et d'une bonne dose de cette foi qui, dit-on, soulève les montagnes.
Pour de jeunes chartistes aimant la recherche, désireux d'approfondir au contact direct des documents leur formation de médiévistes, un an ou deux de travail dans cette équipe constitueraient un stage fort utile. Ils pourraient ensuite prendre à leur tour la tête de nouvelles équipes qui prospecteraient avec les mêmes méthodes les fonds médiévaux des grands dépôts de manuscrits de province, voire de l'étranger. En effet, étant donné la souplesse de l'organisation du Centre national de la recherche scientifique, rien n'empêcherait un jeune médiéviste suisse, par exemple, de participer pendant quelque temps à ces travaux, puis, regagnant son pays, d'y former une équipe et de s'attaquer, mettons, à la bibliothèque de Bâle, champ d'application rêvé de l'archivistique des manuscrits, puisqu'on y trouve plusieurs fonds d'établissements religieux médiévaux d'une grande richesse, intacts et en bonne partie inexplorés.
Ce n'est pas par simple prosélytisme que nous souhaitons voir cette méthode se répandre rapidement en France et à l'étranger. C'est aussi et surtout parce que certains fonds anciens sont extrêmement dispersés, et que leur reconstitution idéale suppose des recherches dans de nombreuses bibliothèques.
Particulièrement nécessaire dans ce domaine, la coopération internationale pourrait se traduire par des contacts organisés, par des échanges de fiches et de renseignements, par l'établissement de normes de présentation, et même sans doute par des publications en collaboration : par exemple, la Bibliothèque nationale et le « British Museum », entre lesquels est répartie la majeure partie du fonds médiéval de l'abbaye de Silos, pourraient publier en commun un catalogue de ce beau fonds monastique.
Mais nous quittons ici le domaine des tâches immédiates pour pénétrer dans celui des perspectives d'avenir.
Or nous vivons à une époque à la fois exaltante et effrayante par l'accélération et l'ampleur du progrès scientifique et technique. Avons-nous le droit de supposer que, par un étrange privilège, l'érudition parviendra à se maintenir à l'abri de ce grand courant impétueux? Avons-nous le droit de supposer cela en cette année 1958 où le Vatican, citadelle de la tradition, présentait aux visiteurs de son pavillon à l'Exposition de Bruxelles un « cerveau » électronique destiné à faciliter l'étude des œuvres de saint Thomas d'Aquin ? Déjà, on confie à des machines le soin de faire des glossaires, des traductions, et un ingénieur électronicien vient de mettre au point une machine à résumer les textes!
Quels instruments de travail utiliseront les bibliothécaires, les érudits dans trois ou quatre cents ans ? A quel degré de perfectionnement seront parvenus ces outils si précieux et encore trop peu répandus aujourd'hui que l'on nomme microfiches (opaques ou transparentes) ? sans parler d'appareils qui n'existent pas encore, et qui nous paraissent aussi inconcevables aujourd'hui que la télévision pouvait l'être il y a cinquante ans. Nous n'avons nullement l'intention de joindre à cet exposé un chapitre de « science fiction ». Nous voulons simplement souligner que les besoins de nos lointains successeurs sont devenus bien plus imprévisibles pour nous que ne l'étaient les nôtres pour les bibliothécaires de Louis XIV.
N'espérons donc pas nous attirer la reconnaissance de nos arrière-neveux en leur léguant de pesantes et interminables entreprises dont la conception est déjà périmée. Consacrons-nous de préférence à des tâches dont l'utilité se fasse sentir à très bref délai - de bons inventaires sans prétentions excessives, par exemple - ou à des travaux qui ne risqueront pas de « vieillir », comme la reconstitution idéale des fonds médiévaux.
Au reste, dans l'hypothèse - peu vraisemblable - où nos descendants pousseraient le respect de la tradition jusqu'à s'astreindre à continuer pieusement nos « catalogues » suivant des méthodes toujours plus surannées, il pourrait en découler une conséquence fâcheuse : la pérennisation du désordre actuel des collections.
Pour ne prendre qu'un exemple, le fonds de Saint-Victor a été éparpillé de façon totalement inintelligente, à l'issue des confiscations révolutionnaires, entre la Bibliothèque nationale, la Mazarine et l'Arsenal : les 4 ou 5 volumes d'une même série, exécutés par le même copiste, décorés par le même enlumineur, se trouvent bien souvent répartis au hasard entre les trois dépôts. Nous ne pouvons songer actuellement à mettre fin à cette situation. Mais faut-il nous résigner à la considérer comme éternelle ? Devons-nous tenter de lier les mains de nos successeurs qui disposeront - il faut du moins l'espérer - des moyens suffisants pour procéder matériellement au remembrement des fonds médiévaux dispersés ?
Qui sait, même, si la conception actuelle des archives, des bibliothèques, voire des musées, n'aura pas cédé la place à une structure toute différente ? Pourquoi ne déciderait-on pas un jour de regrouper dans un vaste institut d'histoire médiévale, non seulement les fonds manuscrits remembrés de la Sorbonne, de Saint-Victor, du Collège de Navarre, etc., mais encore les fonds d'archives de ces établissements ? Nous n'avons pas le droit d'écarter a priori - fût-ce implicitement - une telle possibilité.
On voit que l'examen des répercussions de l'archivistique des manuscrits sur l'organisation du travail professionnel nous entraîne assez loin! Il nous faut maintenant envisager les perspectives qu'offre cette discipline pour le développement de l'histoire des bibliothèques médiévales.
On pourrait penser, au premier abord, que l'histoire des bibliothèques médiévales telle que nous l'avons connue jusqu'ici est purement et simplement une branche de l'histoire intellectuelle. Ce serait inexact : elle se double, en réalité, d'une technique de recherche. Et c'est précisément à cette technique de recherche inadéquate que l'archivistique des manuscrits entend se substituer.
Voyons d'abord comment procéderait, aujourd'hui encore, un érudit voulant écrire l'histoire d'une bibliothèque médiévale.
Il lui faut avant tout posséder un ou plusieurs inventaires anciens du fonds à étudier. Ces inventaires ne donnent que rarement des descriptions assez précises. L'historien devra bien se contenter de cet outil de fortune, et de répertoires qui, souvent, ne valent guère mieux, pour entreprendre de retrouver, au sein du magma disparate des grands dépôts modernes, les restes épars de la « librairie » à reconstituer.
Si encore notre érudit pouvait travailler directement sur les rayons, il n'y aurait que demi-mal. Mais il doit - et ceci est inévitable - se plier aux règlements, remplir des bulletins et attendre patiemment l'arrivée de volumes qui, dans 9 cas sur 10, ne correspondront nullement à ce qu'il cherchait.
Il serait vraiment trop facile d'ironiser sur la lenteur et l'incertitude de cette démarche, de souligner ce qu'elle a de foncièrement illogique. Car enfin quelle autre solution s'offre aux historiens des bibliothèques dans l'état actuel des instruments de travail ? S'ils ont assez de courage pour ne pas se laisser rebuter par le caractère presque désespéré d'une telle entreprise, il leur faut, coûte que coûte, se substituer aux bibliothécaires et s'attaquer, avec des moyens matériels précaires, à la besogne que ceux-ci n'ont pas pu faire. C'est pourquoi un ouvrage comme La Bibliothèque des Visconti et des Sforza de Mlle Élisabeth Pellegrin 6 est plus qu'un beau livre : c'est, au sens le plus exact du terme, un tour de force.
C'est nous, bibliothécaires, qui sommes en fin de compte responsables des milliers d'heures gaspillées par ces érudits en recherches tâtonnantes. C'est à nous qu'incombe le devoir de tirer l'histoire des bibliothèques médiévales des difficultés presque insurmontables dans lesquelles elle se débat actuellement, et d'ouvrir à cette science des perspectives nouvelles. Si l'on prend conscience du rôle éminent que joue - que devrait jouer, plutôt - l'histoire des bibliothèques dans l'approfondissement de l'histoire des idées, on comprendra combien il est important, et même urgent, d'entreprendre un vaste travail d'archivistique des manuscrits.
Il nous appartient donc de libérer les historiens des bibliothèques médiévales de leur quête incertaine, de faire en sorte qu'ils puissent aller droit au but, et se consacrer à ce qui constitue la raison d'être de leur travail : l'histoire. Nous devons sortir au plus tôt de l' « âge héroïque » où nous sommes encore plongés, celui des découvertes « brutes ». C'est seulement lorsqu'on ne risquera plus de découvrir un beau matin, sur les rayons de la Bibliothèque nationale, la librairie de François Ier, que la science pourra se faire à un niveau supérieur.
Comment s'organisera la collaboration entre archivistique des manuscrits et histoire des bibliothèques médiévales ? A quel stade aura lieu la « passation de pouvoirs » des bibliothécaires aux historiens ? Peut-être est-il un peu trop tôt pour se poser ces questions. Cependant, nous imaginerions volontiers la création d'une collection de grandes monographies consacrées à l'histoire des principales bibliothèques médiévales. Chacune de ces monographies pourrait faire l'objet soit d'une thèse ou d'un mémoire, soit d'une recherche subventionnée. Les fiches accumulées par les bibliothécaires fourniraient aux historiens une abondante documentation, que ceux-ci enrichiraient encore par des investigations nouvelles. On conçoit quelle puissante contribution apporteraient à l'histoire des idées des études approfondies sur l'histoire de la bibliothèque médiévale de la Sorbonne ou sur la formation et la dispersion des bibliothèques des Célestins en France. Bien entendu, tous les travaux publiés dans cette collection devraient se plier à certaines normes de présentation, comporter des tables de concordances et des tables alphabétiques établies avec un soin rigoureux.
Nous en arrivons ainsi à ce qui nous paraît le point le plus important de cet exposé, et qui en sera aussi la conclusion : l'apport considérable que l'archivistique des manuscrits est appelée à fournir à l'histoire intellectuelle.
Des collègues, des médiévistes nous ont adressé parfois le reproche d'attacher une importance démesurée au manuscrit en tant qu'objet. A trop s'intéresser aux anciennes cotes, aux reliures, aux ex-libris effacés, ne risque-t-on pas de perdre de vue l'essentiel, c'est-à-dire le texte?
Paraphrasant une formule célèbre, nous répondrons : Un peu d'archivistique éloigne du texte; beaucoup d'archivistique y ramène.
Notre discipline ne prétend pas plus se substituer à l'histoire des idées et des œuvres qu'à l'histoire des bibliothèques. Elle ne doit et ne peut avoir qu'un rôle d'auxiliaire. Mais en donnant aux médiévistes la possibilité de travailler, non plus sur des manuscrits isolés, coupés de leur contexte, mais sur des ensembles structurés, elle fera lever des moissons de découvertes.
En premier lieu, elle permet d'améliorer les textes déjà connus. En regroupant les fonds démembrés, en mettant le chercheur sur la piste des manuscrits égarés, ou en l'aidant à reconstituer l'histoire des volumes dont il dispose, elle rend possible l'identification de nombreux manuscrits originaux ou même autographes. Elle contribuera, de ce fait, à rendre moins écrasante et plus fructueuse la tâche des éditeurs de textes médiévaux. Nous espérons pouvoir illustrer bientôt cette assertion en publiant les résultats de quelques recherches sur la tradition manuscrite des œuvres de Gerson et de Pierre d'Ailly.
L'archivistique des manuscrits doit aussi permettre d'améliorer la compréhension des textes déjà connus :
Soit en mettant en évidence les sources d'un auteur médiéval, non plus seulement par l'étude des idées, du style, mais matériellement, en identifiant les manuscrits mêmes dont il s'est servi pour sa documentation.
Soit en mettant en lumière le milieu au sein duquel l'œuvre a été élaborée. Nous pourrions en citer de nombreux exemples.
Soit en rendant possible l'identification de l'auteur d'oeuvres anonymes. C'est ainsi que la comparaison de plusieurs manuscrits ayant appartenu à Charles d'Orléans permet d'attribuer au franciscain londonien Thomas Wynchelsey le traité spirituel intitulé Donatus devotionis.
En troisième lieu, l'archivistique des manuscrits amène presque nécessairement à découvrir de nouveaux textes d'auteurs déjà connus. Citons au hasard le Canticum Amoris de Charles d'Orléans (autographe), la glose de Pierre d'Ailly sur la Cité de Dieu (autographe), divers opuscules de Gerson que nous publierons bientôt, ou les sermons de Raymond de Lados (autographes).
Enfin, cette discipline doit tirer de l'oubli une foule d'auteurs complètement inconnus. C'est ainsi, par exemple, que nous avons retrouvé, dispersés dans des recueils factices du fonds de Saint-Victor, de nombreux sermons autographes (certains étaient presque des brouillons) d'un personnage du début du xve siècle qui résista pendant plus de deux ans à tous nos efforts pour l'identifier. Ce n'est que tout récemment, en examinant le registre des prébendes, en partie copié de la même main, et en consultant les archives de l'abbaye, que nous avons pu percer l'anonymat de ce prédicateur, digne émule, sinon de Gerson, tout au moins de Jean Courtecuisse ou de Robert Ciboulle. Il s'appelait Henri Boulanger, et mourut en 1419, après avoir été longtemps prébendier de Saint-Victor.
Cet exemple a surtout l'intérêt de montrer le rôle préparatoire de la méthode archivistique : elle seule pouvait regrouper les manuscrits et identifier l'auteur; la bibliographie, l'histoire littéraire s'occupent ensuite d'organiser le terrain conquis.
D'une manière générale, les quelques exemples cités ont été choisis en fonction de leur valeur méthodologique. Encore ne s'agit-il que de résultats obtenus par une application imparfaite (faute de temps et de moyens) de la méthode que nous avons définie. Quand l'archivistique des manuscrits sera véritablement appliquée, elle déterminera un tel afflux de découvertes que les bibliothécaires spécialisés comprendront très vite qu'il leur sera impossible de les exploiter toutes, ou même en faible partie. Sous peine de ressembler à ce larron de la fable orientale qui, alourdi par l'or dont il s'était bourré les poches, ne pouvait plus courir, il leur faudra s'habituer à abandonner aux érudits la quasi-totalité des faits nouveaux que leurs recherches mettront en lumière.
Cela ne signifie pas, bien entendu, qu'il sera interdit aux bibliothécaires de se livrer, à leurs moments perdus, à quelques travaux personnels, en mettant à profit certaines de leurs découvertes. Cela constitue même, en fait, une indispensable hygiène intellectuelle, car le bibliothécaire ne peut vraiment comprendre les besoins des érudits pour lesquels il travaille que s'il est lui-même un érudit.
M. Étienne Gilson a trouvé une admirable formule, que nous voudrions citer en conclusion de cet exposé :
La réalité est de structure fibreuse : on ne la comprend et l'on ne progresse dans sa connaissance qu'en suivant ses lignes d'intelligibilité.
L'archivistique des manuscrits se propose précisément pour but de dégager, dans son domaine propre, ces « lignes d'intelligibilité », favorisant ainsi les progrès de la connaissance.
APPENDICE
INSTRUMENTS DE TRAVAIL A CONSTITUER
La mise en application de la méthode définie par ailleurs suppose la constitution de divers instruments de travail 7.
I° Le premier de tous est évidemment ce fichier général des manuscrits du dépôt, qui représente le fondement même de tout le système. Il comportera, comme nous l'avons vu, autant de fiches qu'il y a de manuscrits ou de fragments de manuscrits distincts dans les collections.
Chaque fiche portera, à sa partie supérieure, la série complète des cotes successivement affectées au volume, disposées dans un ordre fixe (de préférence inversement chronologique). Bien entendu, on fera figurer dans cette série les cotes qui n'ont jamais été inscrites sur le manuscrit, mais qu'il est pourtant facile de retrouver dans les anciens inventaires : c'est le cas, par exemple, à la Bibliothèque nationale, des cotes de la collection de Mazarin, qui ne sont pas portées sur les volumes, mais figurent dans la colonne de gauche de l'inventaire manuscrit de Clément. Les cotes non identifiées et que l'on hésite à dater seront nettement détachées des autres, et recopiées, si possible, en fac-simile; on en fera figurer un spécimen dans le fichier des problèmes, ou dans une section spéciale du fichier des spécimens réservée aux marques de provenance non identifiées (la première formule semble plus satisfaisante pour l'esprit, la seconde sera sans doute plus pratique; au reste ce n'est qu'un petit détail d'organisation). En outre, il faudra prévoir un espace libre à la suite de la série des cotes, afin de pouvoir y ajouter, le cas échéant, certaines autres cotes que l'on identifierait par d'autres moyens. Il faudra toujours prendre la précaution de mettre entre crochets carrés les cotes ne figurant pas directement sur les volumes, et entre crochets obliques celles que l'on aura fait reparaître grâce à la lampe de Wood ou par tout autre procédé; dans ces derniers cas, un point d'interrogation est indispensable dès que la reconstitution n'est pas absolument certaine.
Au-dessous de la série des cotes, on inscrira la description sommaire du contenu du manuscrit. Bien souvent, le titre figurant sur le feuillet de garde ou même au dos d'une reliure ancienne sera amplement suffisant; il peut y avoir avantage à reprendre ces titres qui pourront se retrouver dans des inventaires des XVIIe ou XVIIIe siècles.
Puis viendra le relevé, établi lui aussi, si possible, dans un ordre inversement chronologique, de tous les ex-libris lisibles à la lumière naturelle, aux ultra-violets filtrés ou par tout autre procédé, et, en général, de tous les indices de nature à faciliter l'identification de l'origine du manuscrit et à mettre sur la piste de ses anciens possesseurs. Il ne faudra pas omettre, par exemple, les particularités de la reliure : non seulement, cela va de soi, les armes, monogrammes ou devises qu'elle peut porter, mais encore n'importe quel signe distinctif ; certaines reliures d'allure banale peuvent être fort caractéristiques, lorsqu'on les examine plus attentivement, d'un collectionneur ou d'un établissement.
Il faudra apporter le plus grand soin à la rédaction de ces fiches-mères, car c'est en bonne partie de la façon dont elles seront établies que dépendra la valeur de toute l'entreprise.
Bien que le but de notre travail soit la reconstitution des fonds médiévaux, nous ne pouvons toujours négliger entièrement certains manuscrits plus récents figurant dans nos collections. Ils seront représentés par des fiches très simplifiées (comportant essentiellement les anciennes cotes) et, si possible, d'une couleur différente.
Les fiches-mères une fois établies, elles ne devront plus changer de place. En effet, indépendamment des fichiers qui dériveront de lui, le fichier général constituera en lui-même un indispensable instrument de travail. Non seulement il dispensera d'avoir sans cesse à se reporter aux manuscrits, mais encore il rendra inutile la rédaction de concordances à double entrée, puisqu'il tiendra lieu lui-même de table de concordances entre les cotes actuelles et tous les anciens systèmes de cotes.
Étant donné le grand nombre de renseignements qui devront parfois trouver place sur ces fiches-mères, les fiches du petit format international (75 × 125 mm) ne sauraient convenir ; mieux vaudra adopter un format nettement plus grand.
Le petit format ordinaire conviendra fort bien, en revanche, pour les fiches à reclasser, où il sera inutile de mettre beaucoup de détails : la transcription des ex-libris, par exemple, y sera avantageusement remplacée par une simple énumération d'anciens possesseurs.
2° A l'aide de ce second jeu de fiches, copies simplifiées des fiches-mères, on procédera aux reclassements successifs définis dans le paragraphe consacré à la méthode. A l'issue de chaque reclassement, on dressera une table de concordances qui sera, par définition, exhaustive dans le cadre du dépôt considéré. Il faut toutefois noter qu'une table exhaustive peut demeurer perfectible, puisque de nouvelles identifications restent souvent possibles, qui viendront trouver place dans les cases libres.
Il est sans doute préférable de présenter les tables de concordances sous la forme d'une série de cahiers de dimensions uniformes, plutôt que sous l'apparence, plus traditionnelle, du registre; c'est peut-être, en effet, quand toutes les concordances auront été dressées que l'on verra clairement dans quel ordre il faudra les relier. En attendant, ce sera une bonne précaution que de les faire microfilmer aussitôt achevées, car la perte d'un seul cahier pourrait obliger à recommencer une bonne partie du travail.
Avant d'en finir avec les concordances, il faut mentionner le rôle que pourraient jouer dans leur élaboration les procédés de sélection automatique (machine I.B.M. ou toute autre similaire), couramment utilisés aujourd'hui pour la confection de tables, de glossaires, etc. Bien que la machine ne doive intervenir - si l'on décide d'y avoir recours - qu'une fois terminé le fichier général, il est pourtant indispensable d'être fixé sur ce point dès le début de l'entreprise. En effet, la liste des anciennes cotes qui figurera en haut des fiches-mères devra être présentée de telle sorte qu'elle puisse être directement utilisable par la machine; une présentation inadéquate rendrait nécessaire un gros travail matériel de recopie, qui ferait perdre beaucoup de son intérêt à l'opération, et augmenterait les chances d'erreurs.
Outre un gain de temps considérable, l'utilisation de procédés de sélection rendrait possible une multitude de combinaisons que l'on renoncerait à envisager si l'on employait la méthode traditionnelle; c'est ainsi que, sans aucun surcroît de travail, il serait facile de donner pour chaque collection ancienne des concordances à double entrée.
3° Il est un troisième instrument de travail parallèle au précédent, c'est la série des anciens inventaires. Elle sera constituée par la reproduction photographique de tous les anciens inventaires de collections ou de fonds ayant contribué à la formation du dépôt actuel 8. Bien entendu, si une collection a fait l'objet de plusieurs inventaires présentant entre eux des différences, on photographiera chacun d'eux et on les reliera ensemble, par ordre chronologique. La photographie présente par rapport à la transcription dactylographique un double avantage : elle gagne beaucoup de temps et elle évite les erreurs. Son seul inconvénient est que les anciens inventaires ne sont pas toujours très clairement disposés ni très lisibles; mais ce n'est pas bien grave, les usagers ayant une bonne expérience paléographique.
Dans les marges (qu'il faudra prévoir assez larges) ou, à la rigueur, sur des feuillets intercalaires, on commencera par reporter toutes les concordances connues. L'on pourrait penser, à cause de cela, que cet instrument de travail fait, dans une certaine mesure, double emploi avec les concordances. Mais d'une part il ne recouvre pas exactement le même champ : beaucoup d'inventaires ne comportent pas de cotes, et bon nombre d'inventaires correspondant à des cotes que nous rencontrons fréquemment sur les manuscrits ont disparu; d'autre part on ne demande pas aux anciens inventaires les mêmes services qu'aux tables de concordances; enfin, ces copies photographiques annotées doivent fournir bien d'autres renseignements que les anciennes cotes. On inscrira en outre dans les marges toutes les remarques que l'on aura pu faire quant à la parenté entre divers volumes de la collection inventoriée (ex-libris d'un même personnage, écriture ou notes marginales d'une même main, etc.) et, plus généralement, les principales données connues sur l'origine et l'histoire de chaque volume. Si l'on disposait d'un personnel suffisant, on pourrait même doter certains de ces anciens inventaires de tables alphabétiques qui en faciliteraient grandement la consultation.
Nous avons déjà expérimenté la formule de l'inventaire photographique avec notre travail sur le fonds médiéval de Saint-Victor 9, et elle nous donne entière satisfaction. Elle permet de mettre immédiatement à la disposition du public un instrument de travail imparfait, mais qui demeure à chaque instant perfectible, et qui rend déjà bien des services.
4° La question pourra se poser, à un stade très avancé du travail, de savoir s'il ne serait pas pratique de regrouper dans un fichier alphabétique unique toutes les rubriques des anciens inventaires correspondant à des manuscrits ou à des membra disjecta non retrouvés. Cela faciliterait singulièrement l'élaboration et la vérification des hypothèses touchant l'origine et l'histoire de volumes dont les mentions de possesseurs ont irrémédiablement disparu. Mais cela exigerait évidemment un personnel assez nombreux.
5° C'est au contraire dès le début du travail qu'il faudra commencer à constituer le fichier des noms de personnes et des noms de lieux, en dépouillant les fiches-mères au fur et à mesure de leur rédaction : on disposera ainsi tout de suite d'un instrument de travail utilisable, dont la richesse - et partant, l'utilité - augmentera évidemment de jour en jour.
Nous disons « fichier des noms de personnes et des noms de lieux » et non pas « fichier des possesseurs et des provenances » parce que cette dernière expression est trop précise. Tout ce qui peut nous mettre sur une piste doit figurer au fichier, même des renseignements fournis par des mentions n'ayant aucun caractère d'ex-libris.
Sans doute ne sera-t-il pas utile de faire un fichier séparé pour les copistes : d'une part parce qu'il ferait dans une large mesure double emploi avec le précieux répertoire des manuscrits datés dont va nous doter bientôt le Colloque de paléographie, et d'autre part en raison du fait que, bien souvent, copiste et possesseur ne font qu'un. En revanche, il sera indispensable de regrouper sous la rubrique copistes tous les noms de scribes figurant dans le fichier, en signalant par une astérisque ceux qui ne se trouveront pas dans le répertoire dressé par le Colloque. D'une façon générale, il y aura intérêt - étant donné le but de l'entreprise, qui est de mettre en évidence les liens entre les manuscrits - à multiplier les fiches de renvoi et les fiches de regroupement. Pour la même raison, il ne sera sans doute pas inutile de faire :
6° Une sorte d'annexe au fichier précédent, que l'on pourrait appeler fichier des généalogies de mantescrits, et où seraient groupées, dans un ordre qui reste à déterminer, des « lignées » de possesseurs, dressées d'après certains volumes dont on aurait pu reconstituer intégralement l'histoire - dans la mesure, évidemment, où cette histoire apparaîtrait comme vraiment typique. Cela pourrait faciliter beaucoup, par la suite, la reconstitution de l'histoire d'autres volumes dont les ex-libris auraient en partie disparu sans recours.
7° Nous prévoyons ensuite un fichier de spécimens photographiques d'ex-libris, de cotes, de reliures, de devises, de blasons, de monogrammes, etc. Ici comme dans les cas précédents, l'expérience de l'Institut de recherche et d'histoire des textes nous sera fort précieuse. Cet organisme possède en effet un fichier de blasons médiévaux unique au monde, déjà très riche, et qui continue à s'accroître de jour en jour. En outre, on y avait commencé un dossier de spécimens photographiques d'ex-libris.
8° Il faudrait constituer un fichier analogue, mais distinct, groupant des spécimens photographiques d'écritures de grands collectionneurs, de bibliothécaires, d'érudits, comme Claude de Grandrue, Mellin de Saint-Gelais, les de Thou, Baluze, les Pithou, les Dupuy Delisle, etc. dont on trouve fréquemment des notes sur les manuscrits.
9° Reste le dernier fichier, dont nous avons défini le rôle capital dans notre paragraphe sur la méthode : le fichier des problèmes à résoudre et des hypothèses à vérifier. C'est grâce à lu que le travail pourra avancer rapidement, puisqu'au moment de l'établissement du fichier général, toute question dont la solution supposerait une recherche longue et pas nécessairement fructueuse, devra y être laissée en attente. Du classement judicieux de ces fiches, de la clarté de leur rédaction, dépendra dans une large mesure la solution ultérieure. C'est pourquoi il faudra y attacher un soin tout particulier.
Ce fichier, provisoire par définition, sera sans doute appelé à se « dégonfler » rapidement lorsque la table alphabétique des noms propres (n° 5), le fichier des « généalogies » (n° 6), ceux des spécimens photographiques (nos 7 et 8) auront été dressés. Mais il y subsistera inévitablement un reliquat de questions provisoirement insolubles, sur lesquelles pourra s'exercer la sagacité des érudits.
Si le principe de ce fichier des problèmes est essentiel, la forme exacte qu'il devra revêtir n'a qu'une importance secondaire; sans doute ne se fixera-t-elle définitivement qu'à un stade déjà avancé du travail. Peut-être préférera-t-on le traiter comme un tout; peut-être jugera-t-on au contraire plus commode de le scinder en sections spéciales (ex-libris partiellement illisibles, blasons inconnus, etc.) qui seraient matériellement rapprochées des sections correspondantes des autres fichiers.
Dans ce cas comme dans tous les autres, il serait sans doute prématuré de vouloir préjuger des problèmes de classement et d'organisation pratique qui se poseront au bout de quelques années. L'essentiel est de tracer clairement les grandes lignes du travail. Au reste, ne nous faisons pas d'illusions : la première équipe qui entreprendra le traitement archivistique d'un grand dépôt de manuscrits sera exposée, au début, à quelques tâtonnements, à quelques fautes de méthode et à diverses erreurs. Il lui faudra un certain temps avant qu'elle puisse établir des normes vraiment définitives qu'adopteront ensuite les autres équipes.