Colloque des bibliothèques nationales d'Europe
Vienne, 8-26 septembre 1958.
Organisé par l'Unesco (Division des bibliothèques), le Colloque des bibliothèques nationales d'Europe, dont le Bulletin des bibliothèques de France a précédemment publié le programme 1, a réuni à Vienne, du 8 au 26 septembre 1958, 41 participants ressortissant à 25 pays européens 2 et 12 experts ou observateurs appartenant à 4 pays non européens 3 et à 4 organisations internationales (Conseil de l'Europe, Agence internationale de l'énergie atomique, Fédération internationale des associations de bibliothécaires, Fédération internationale de documentation). La Bibliothèque nationale de Paris était représentée par M. Julien Cain, administrateur général de la Bibliothèque nationale, directeur général des Bibliothèques de France, assisté de Mlle Kleindienst, conservateur à la Bibliothèque nationale. Par une diversité dans les dénominations qui traduit assez souvent - indépendamment de l'importance très variable des collections - quelque différence dans les fonctions, la simple liste des bibliothèques ou organismes représentés 4 peut faire comprendre que le colloque ait tout d'abord renoncé à rechercher une définition de la notion évoquée par le terme de bibliothèque nationale. Aussi bien, comme l'avait nettement exprimé M. Pierre Bourgeois, directeur de la Bibliothèque nationale suisse à Berne et directeur du colloque dans son Introduction..., il s'agissait moins « de déterminer le statut et l'organisation de la bibliothèque nationale idéale... » que de « définir les problèmes bibliothéconomiques et bibliographiques dont la solution dans chaque pays ne peut être trouvée que sur le plan national et doit pourtant être confiée de préférence à une seule bibliothèque, en général la bibliothèque nationale » (Document Unesco/LBA/Symp. 592, pp. 2 et 4).
Les trois groupes de travail qui furent constitués s'efforcèrent de mettre en lumière, dans les problèmes dont ils eurent à débattre, le rôle particulier des bibliothèques nationales tant sur le plan national que dans la collaboration entre nations. Mais sans doute est-ce le premier groupe placé sous la présidence de M. Francis, conservateur des livres imprimés du « British Museum » qui se consacra le plus exclusivement à l'étude des fonctions et des besoins spécifiques d'une bibliothèque nationale.
M. Francis dans une pénétrante Introduction aux travaux du groupe 1 (Document Unesco/LBA/Symp. 519) posait le problème en ces termes : « La conception des services que doivent rendre les bibliothèques a évolué à un tel point depuis vingt-cinq ans... que les grandes bibliothèques nationales ont aujourd'hui l'impérieux devoir d'examiner à nouveau la place qu'elles occupent dans la collectivité et de déterminer dans quelle mesure elles sont à même de satisfaire les besoins existants. » Selon la conception définie, il y a une centaine d'années par Sir Anthony Panizzi, de telles bibliothèques visaient à « fournir au public une documentation portant sur toutes les branches du savoir, rédigée dans toutes les langues et provenant de tous les pays... », le moment paraît venu de se demander si elle reste valable et si elle est applicable de nos jours, compte tenu notamment de l'énorme accroissement de la production mondiale de livres depuis vingt ou trente ans et plus encore de celle des périodiques.
Dans l'examen des problèmes et la recherche des solutions auxquels ils se sont livrés, les participants ont eu toujours présent à l'esprit, d'une part, le sentiment de l'importance du rôle dévolu aux bibliothèques nationales, celles en particulier qui sont dépositaires des collections les plus anciennes et les plus complètes, dans le développement culturel et scientifique de la nation, d'autre part, le souci de choisir les moyens les plus économiques pour procurer à chaque pays toutes les ressources bibliographiques qui lui sont nécessaires.
Sur le principe que la Bibliothèque nationale est le conservatoire de la production nationale imprimée et dans une certaine mesure celui des ouvrages étrangers relatifs au pays, aucune discussion ne devait s'instaurer, mais des opinions assez diverses ont été émises sur la possibilité d'éliminer certains types d'imprimés (imprimés de « ville », de « commerce », administratifs, éditions successives ou régionales des journaux), les éliminations pouvant s'étendre, dans certains pays, à des « manuels » de niveau mal défini; de même la conservation des traductions d'auteurs nationaux a donné lieu à des avis divergents, etc... Les débats ont fait apparaître deux conceptions opposées : celle des très grandes bibliothèques nationales, menacées d'un véritable gigantisme et qui de ce fait sont conduites à une nécessaire sélection et celle des bibliothèques nationales d'État encore jeunes dont elles cherchent à rassembler aussi complètement que possible le capital culturel et la production imprimée. La nécessité d'une sélection fut plus généralement reconnue en ce qui concerne les réserves : il est en effet apparu que, dans l'état des moyens de conservation dont on peut en pratique être assuré, un élargissement excessif et indifférencié de la notion de réserve risquerait d'être illusoire, car il aboutirait à refuser aux collections les plus précieuses les conditions de conservation exceptionnelles que l'on ne peut garantir dans de très vastes locaux.
Mais les discussions du groupe portèrent essentiellement sur les méthodes à employer pour assurer la pleine utilisation scientifique de collections dont la masse même rend l'usage malaisé. Sans méconnaître le rôle propre des bibliothèques spécialisées, dont l'organisation et l'implantation sont adaptées à un type déterminé de recherches, sans écarter délibérément la faculté de répartir - comme c'est le cas aux États-Unis - les matières entre plusieurs bibliothèques chargées à leur égard d'une responsabilité nationale, une opinion moyenne s'est dégagée en faveur d'une certaine spécialisation par matières à l'intérieur des immenses ensembles que sont, dans les bibliothèques nationales, les départements d'imprimés. Sur ce point plusieurs participants ont apporté, à la lumière de leurs propres expériences, leur adhésion à la suggestion émise par M. Francis dans son Introduction : « Un bibliothécaire devrait faire un effort presque surhumain - ou négliger entièrement ses obligations générales - pour être un véritable connaisseur de livres s'il doit s'occuper d'une collection où se mêlent de très nombreux ouvrages de tous genres... en fait les sections spécialisées : musique, cartes, publications officielles [nous ajouterions : estampes, manuscrits, médailles] sont celles dont le personnel peut travailler dans les meilleures conditions satisfaisantes, tandis que les usagers y trouvent une documentation très délimitée et d'une importance raisonnable et y reçoivent des conseils autorisés. Ne serait-il pas possible de créer d'autres sections spécialisées... ? »
L'étude des questions relatives aux locaux, abordée en tenant compte de cette tendance à la spécialisation mais aussi du caractère illimité de l'accroissement des collections, a fait ressortir que - plus encore que pour tout autre type de bibliothèques - c'est sur le plan international que les informations devraient être réunies et les expériences régulièrement confrontées.
De nombreuses bibliothèques nationales semblent préoccupées par le problème du recrutement et de la stabilité du personnel scientifique, en particulier dans les emplois nécessitant des connaissances spéciales d'un niveau élevé. D'autre part, si l'importance de la formation professionnelle a été soulignée par tous, on semble, dans plusieurs pays, hésiter - en raison de la modicité relative des traitements - à la laisser entièrement à la charge des candidats et l'on se résigne à ce qu'elle s'acquière, soit pendant les études universitaires, soit après l'entrée à la bibliothèque.
L'importance des travaux courants qu'implique le traitement de collections nationales exhaustives entraîne un peu partout un notable accroissement des effectifs du personnel technique, dont, en certains pays, la culture professionnelle tendrait à se rapprocher de celle des bibliothécaires.
Si la situation d'une bibliothèque nationale dans la structure administrative n'a pas été en elle-même étudiée, les débats relatifs aux incidences financières ont fait ressortir qu'en raison de ses caractères originaux, il était souhaitable qu'une bibliothèque nationale soit en mesure d'exposer aussi directement que possible ses besoins aux autorités dispensatrices des crédits.
Si les débats du premier groupe étaient plus strictement centrés sur les fonctions et les besoins spécifiques des bibliothèques nationales, ils n'en ont pas moins, et à maintes reprises, fait appel à la notion de coordination entre bibliothèques : ce fut naturellement le cas, sur le plan national, en matière d'acquisition et de conservation, non seulement pour la production étrangère spécialisée, mais même pour certains types de documents secondaires, de manuscrits, d'ouvrages de réserve. Sur le plan international on évoqua les échanges de bons procédés qu'il pourrait y avoir intérêt à développer lorsque sont mis en vente des documents précieux intéressant le patrimoine culturel d'une nation.
Les débats des deux autres groupes, qui développèrent parfois certains sujets traités par le premier groupe sur un plan général, devaient plus fréquemment encore traiter de questions qui ne concernent pas seulement les bibliothèques nationales et l'on ne s'étonnera pas s'ils ont sur plusieurs points renvoyé à la F. I. A. B. la recherche des solutions d'ensemble.
Sous la présidence de M. Mirko Rupel, directeur de la Bibliothèque nationale et universitaire de Ljubljana, le groupe II devait étudier les activités bibliographiques des bibliothèques nationales et inscrivit au premier rang de ces activités la production de la bibliographie nationale courante - dont il a analysé le contenu - et, s'il est nécessaire, de la bibliographie nationale rétrospective. La conception d'instituts bibliographiques indépendants semble avoir rencontré peu de faveur, peut-être parce qu'ils pourraient entraîner la constitution d'une seconde collection de la production nationale, ce qui apparaît à beaucoup comme un double emploi inutile. En matière de bibliographies spécialisées, le groupe a souhaité que les bibliothèques nationales, en liaison avec les commissions nationales de bibliographies, conservent de toute façon un rôle de coordination et d'information comportant des initiatives en matière de normalisation et allant au besoin jusqu'à l'instruction des bibliographies, la publication de bibliographies des bibliographies, la mise à jour et la diffusion internationale de renseignements sur l'état des travaux bibliographiques des établissements spécialisés. Le rôle de centre national d'orientation bibliographique découle tout naturellement de cette activité.
Sous la présidence de M. Pierre Bourgeois, le troisième groupe avait expressément pour sujet de ses travaux les bibliothèques nationales et la coopération entre bibliothèques par le moyen des catalogues collectifs (y compris ceux des périodiques), du prêt, des échanges de publications, des statistiques et des échanges de personnel.
L'échange de vues relatif aux catalogues collectifs s'est étendu aux problèmes posés par les manuscrits, les incunables, les livres du XVIe siècle, les collections orientales, mais toutes les questions en discussion ont été renvoyées à la F. I. A. B. Il n'est pas indifférent de noter qu'en matière de prêt, une nuance est apparue entre l'opinion moyenne du groupe I, plus préoccupé d'assurer - au besoin en limitant le prêt aux doubles - la conservation indéfinie de la production nationale, et celle du groupe III exprimant le désir de favoriser au maximum dans le présent la coopération entre bibliothèques. Le groupe III a pris acte avec satisfaction des résultats de la réunion du Comité intergouvernemental sur les échanges internationaux de publications qui a eu lieu à Bruxelles, sous les auspices de l'Unesco, au mois de juin 1958 5. On notera aussi qu'il s'est spécialement préoccupé des thèses non imprimées qui échappent à tout échange, et a émis le vœu que celles-ci soient toujours déposées dans une bibliothèque nationale ou universitaire de préférence, capable d'en assurer les communications.
Plus longuement que le premier groupe, le groupe III a étudié divers problèmes soulevés par la reproduction photographique. Après avoir posé le principe que le bibliothécaire conservait la responsabilité de statuer sur les demandes de reproductions photographiques et qu'il était fondé à s'informer de l'usage qui serait fait de ces reproductions, le Colloque s'est montré favorable au développement des filmothèques de sécurité et, sur ce point, à la coopération entre bibliothèques et à l'action de l'Unesco.
L'accroissement des échanges de bibliothécaires et l'amélioration des statistiques internationales relatives aux bibliothèques ont été évoqués par tous les groupes et ont retenu l'attention en séances plénières. A la lumière des débats de chacun des groupes, la notion d'échanges de bibliothécaires a pris un sens large et varié : stages prolongés de jeunes bibliothécaires ayant récemment achevé, sur le plan national, leur formation professionnelle et qu'il est souhaitable d'intéresser à la coopération internationale, mais aussi voyages de bibliothécaires déjà responsables d'un service et aptes à confronter leurs expériences avec celle de collègues remplissant - dans d'autres conditions - des fonctions équivalentes, réunions convoquées à échéances variables sur un sujet déterminé. En matière de statistiques, on a demandé que le bureau de la F. I. A. B., dans ses séances de Madrid, s'emploie à préparer la réunion d'une commission d'experts à laquelle prendraient part des représentants de l'Unesco appartenant à la division des statistiques et à la division des bibliothèques. Cet intérêt ne doit pas être considéré comme seulement spéculatif : au cours des réunions de Vienne, des informations ont pu être échangées aussi nombreuses que variées, mais, dans les éléments chiffrés dont on disposait, certaines précisions ont parfois fait défaut; elles auraient cependant permis de mieux apprécier la portée des comparaisons entre ces bibliothèques du fait qu'à bien des égards il n'existe, sur le plan national, aucun établissement d'une importance équivalente avec lequel elles pourraient comparer les moyens, les efforts et les résultats.