Étude biologique des procédés de renforcement des documents
Qu'il s'agisse de documents datant de plusieurs siècles et endommagés par l'humidité ou les insectes, d'usuels dont le papier est prématurément affaibli par de multiples manipulations, de papier journal dont la fragilité est bien connue, le problème de la restauration du papier se pose fréquemment dans les bibliothèques.
A l'heure actuelle, les méthodes de renforcement des documents sont nombreuses. Les unes, que l'on peut appeler traditionnelles, utilisent comme renforcement soit un papier type Japon, soit de la résille de soie et comme adhésif une colle à la dextrine. Les autres, plus récentes, dont la plus connue se désigne sous le nom de « Lamination 1 », utilisent également comme renforcement le papier type Japon (ou si l'on préfère de la résille de soie), mais comme adhésif une matière plastique transparente qui est le plus souvent de l'acétate de cellulose ; le principe de ces méthodes est de placer le document, après l'avoir neutralisé et désinfecté 2, entre deux feuilles de papier Japon (ou de résille de soie) et deux feuilles d'acétate de cellulose, et de faire adhérer le tout en liquéfiant l'acétate de cellulose, soit à chaud (300°F) au moyen d'une presse chauffante, soit à froid avec une solution d'acétone.
Pour se faire une opinion de la valeur de ces différentes méthodes, il convient de les étudier au point de vue physique, chimique et biologique. C'est sur ce dernier point que porte cet article. Rappelons seulement qu'au point de vue physique les renforcements doivent présenter une résistance suffisante aux phénomènes mécaniques (abrasion, tractions, éraflures) et qu'au point de vue chimique le plus important est la neutralité relative (qui se mesure par le pH) tant pour le papier que pour les matériaux de renforcement et les adhésifs.
Les agents biologiques de détérioration des documents sont, d'une part, les insectes, d'autre part, les champignons; les attaques d'insectes, pour fréquentes qu'elles puissent être, revêtent cependant un caractère accidentel. Au contraire, nombreuses sont les bibliothèques qui, étant placées dans des conditions climatiques défavorables, ne peuvent procurer aux documents une ambiance rigoureusement adéquate. Dans le cas des locaux humides, le développement des moisissures est pratiquement inévitable. C'est pour ces raisons qu'il nous a paru nécessaire d'étudier en premier lieu la valeur des méthodes de restauration au point de vue de leur résistance aux micro-organismes.
Pour réaliser cette étude nous avons appliqué à un certain nombre de méthodes de renforcement les tests classiques de résistance des matériaux aux microorganismes ; nous nous proposons de faire ici un bref compte rendu des expériences réalisées ainsi que des résultats obtenus. Les essais ont été effectués d'une part, sur les matières premières (colle à la dextrine, résille de soie, papier Japon, acétate de cellulose), d'autre part, sur les documents renforcés suivant les différentes méthodes indiquées plus haut. Nous avons soumis ces échantillons à différents tests; une spécification des Télécommunications de l'air (CCTU 96.04) et deux normes de l'Afnor (NFX 4I-503 et NFX 4I-504).
La spécification des Télécommunications de l'air est un essai très sévère, valable pour n'importe quel matériel. Les échantillons à tester sont placés sur le mycelium d'un champignon en plein développement afin d'observer si la croissance de ce champignon est ou non stoppée par la présence de l'échantillon. On réalise l'expérience en ensemençant le champignon, dans des boîtes dites de Roux, sur un milieu nutritif composé de gélose et de maltéa. Lorsque le mycelium a recouvert toute la surface du milieu, les échantillons à tester sont disposés et les boîtes entreposées pendant un mois dans une étuve sèche maintenue à 25°. L'expérience doit être réalisée sur dix champignons différents. Le coefficient de résistance du matériel à tester est fonction de la croissance des champignons sur ce matériel. Dans le cas où l'échantillon est légèrement recouvert par des filaments mycéliens un examen microscopique doit être fait afin d'évaluer l'importance de l'attaque et, dans le cas du papier, l'état des fibres.
Les normes de l'Afnor qui ont trait l'une à la protection des papiers, l'autre à celle des plastiques contre les microorganismes, sont moins sévères. Procédant d'un même principe ces deux normes diffèrent par le choix des champignons à utiliser. Dans les deux cas, on dispose les échantillons à tester dans des boîtes dites de Roux, sur un milieu non nutritif, et on les ensemence par une suspension de spores de dix champignons différents; au bout de quinze jours on observe l'état de fructification de ces champignons. L'essai est cette fois réalisé en étuve humide (95 % d'humidité relative) maintenue à 25°. Ces derniers essais, tout en étant moins sévères que les précédents, se rapprochent plus de la réalité. Au cours de l'épreuve Afnor le champignon a beaucoup plus de difficulté à se développer que dans la spécification des Télécommunications de l'air, car, au lieu de puiser le carbone nécessaire à sa croissance dans le milieu même, il le prélèvera sur l'échantillon; le même phénomène se produit dans les bibliothèques lorsque les spores en suspension dans l'atmosphère se déposent sur le document et fructifient grâce au carbone qu'ils trouvent dans le papier.
Les premiers essais ont été effectués suivant la spécification des Télécommunications de l'air sur différents échantillons : papier de soie, résille de soie, acétate de cellulose pure, mylar 3, papier laminé avec de l'acétate de cellulose et de la résille de soie, papier collé avec de la colle à la dextrine. Seuls, l'acétate de cellulose et le mylar ont parfaitement résisté à l'attaque des dix champignons, tandis que les autres échantillons étaient complètement envahis. Sous le microscope, le papier de soie, le papier collé avec la colle à la dextrine ont révélé une décomposition totale; la résille de soie n'apparaît que partiellement décomposée.
Des échantillons identiques ont été soumis aux deux normes de l'Afnor qui donnent des résultats à peu près concordants. Le morceau de papier Japon (fig. I), le morceau de papier collé avec une colle à la dextrine ainsi que le papier laminé avec du papier Japon et de l'acétate de cellulose (fig. 2) furent tous les trois envahis par les champignons qui les ont complètement désagrégés. Par contre, la résille de soie a très bien résisté et le papier laminé avec de la résille de soie et de l'acétate de cellulose (fig. 3) n'a été que partiellement recouvert. En ce qui concerne le mylar et l'acétate de cellulose seuls, les essais furent tous excellents : la figure 4 représente une boîte de Roux dans laquelle avaient été disposés quatre échantillons d'acétate de cellulose d'épaisseur différente et un témoin (morceau de papier filtre, très putrescible). Nous voyons que le témoin est entièrement envahi alors qu'il n'apparaît sur l'acétate de cellulose que de petits points provenant de la suspension de spores non fructifiées.
Les conclusions apparaissent donc mauvaises; seuls le mylar, l'acétate de cellulose pur, ainsi que le papier laminé avec la résille de soie et l'acétate de cellulose semblent présenter une résistance aux microorganismes sans toutefois posséder des propriétés fongicides.
En ce qui concerne l'acétate de cellulose, nous avons remarqué que seul il résistait dans tous les cas alors qu'il ne résistait plus une fois laminé à 300° F avec le document et le renforcement; on ne peut supposer que cette forte température, en liquéfiant l'acétate de cellulose, lui fait perdre ses propriétés fongicides : nous avons réalisé des expériences, d'une part, en chauffant l'acétate à des températures inférieures à 300° F, d'autre part, en faisant adhérer à froid par dissolution ; mais les résultats sont aussi mauvais dans les deux cas.
Nous voyons donc que les méthodes actuelles de renforcement des documents sont toutes aussi peu résistantes aux attaques des microorganismes. Afin d'apporter une amélioration à ces méthodes, des travaux sont en cours sur lesquels on trouvera ci-dessous quelques détails.
Si l'on désire utiliser les méthodes classiques de renforcement, il paraît indispensable d'employer des matériaux peu putrescibles et en particulier une colle pouvant résister à l'attaque des moisissures. La colle utilisée à l'heure actuelle est à base de dextrine, produit extrêmement vulnérable; les quelques gouttes de formol, comme on le sait très volatil, que l'on y ajoute, ne suffisent pas à la désinfecter et il est illusoire d'en attendre des effets fongicides persistants.
Nous avons mis au point au laboratoire des colles, les unes à base de dextrine, les autres à base d'alcool polyvinylique (que nous estimons bien préférables aux premières, car elles sont souples, incolores et très adhésives) dans lesquelles nous avons incorporé de puissants fongicides et insecticides non volatils. Toutes ont été neutralisées afin d'éviter une corrosion du papier. Les essais de renforcement effectués avec ces colles, soumis aux tests décrits plus haut, ont fait preuve d'une parfaite résistance aux microorganismes (fig. 5 et 6).
Dans le cas où l'on préfère utiliser des méthodes plus modernes, telles que la lamination, il est également indispensable de leur apporter quelques améliorations. Indépendamment du choix de la matière plastique, qui doit être résistante aux microorganismes et le demeurer après traitement, il convient de traiter le document lui-même, non seulement pour le désinfecter, mais pour lui conférer une résistance. Ce traitement pourra être fait en immergeant le papier dans des solutions de produits fongicides, insecticides, neutres et capables de se fixer les documents sans crainte de détériorations.
Des essais de la sorte ont déjà été réalisés, d'autres sont en cours, mais les résultats ne peuvent en être encore publiés; nous espérons le faire dans un prochain article.