Journées d'études sur les méthodes des bibliothèques européennes et américaines

Bruxelles 24-26 octobre 1957

Organisées par les Services culturels américains avec la collaboration de la Bibliothèque royale de Belgique, ces journées ont réuni du 24 au 26 octobre une quarantaine de bibliothécaires européens, boursiers Fulbright pour la plupart, ayant étudié sur place les bibliothèques américaines; elles eurent pour thème le parallèle entre méthodes américaines et européennes. Les séances se sont tenues à la Fondation universitaire de Bruxelles; ouvertes par M. John Brown, conseiller culturel près l'ambassade des États-Unis en Belgique, elles ont été présidées tour à tour par M. Liebaers, directeur de la Bibliothèque royale de Belgique et par Mme Gobeaux-Thonet, bibliothécaire en chef de la Bibliothèque universitaire de Liége.

Invité d'honneur, M. Bryant, directeur-adjoint des bibliothèques d'Harvard, a rendu compte des tendances actuelles et des réalisations les plus récentes de la bibliothéconomie américaine : évaluation des collections en fonction de la qualité plutôt que de la quantité des ouvrages; encouragement aux recherches bibliothéconomiques donné par la Fondation Ford; contre la crise de recrutement du personnel, développement de l'enseignement dit « in-service training »; tendance à une spécialisation plus définie des études en vue de la formation de bibliothécaires spécialisés; nouvelles entreprises de coopération entre bibliothèques de recherche, tendant à se grouper par région : « Midwest inter-library center », « Hampshire inter-library center », qui offrent à leurs associés des entrepôts pour leurs collections les moins lues et constituent des collections complétant celles des collègues; intérêt porté aux entreprises de micro-reproduction; nouvelle orientation du catalogue imprimé de la Bibliothèque du Congrès, devenu Catalogue collectif national; recherche d'une méthode pour la mise à jour permanente de l'Union list of serials ; importance du Library service act passé par le Congrès en 1956, mettant à la disposition des États, à charge à eux d'apporter une participation égale, un crédit annuel de $ 7.500.000 pendant cinq ans pour l'encouragement de la lecture publique 1.

Les bibliothécaires européens confrontèrent ensuite les méthodes étudiées pendant leur séjour aux États-Unis avec leur expérience professionnelle en Europe. Les communications portèrent sur trois groupes de questions : 1° relations avec le public; 2° formation des bibliothécaires; 3° coopération entre bibliothèques (catalogage et acquisitions).

1 Relations avec le public.

Les facilités d'accès aux collections, l'accueil et le service réservé au public dans les bibliothèques américaines ont particulièrement retenu l'attention de plusieurs participants. Si le Dr Mayerhofer (Bibliothèque nationale, Vienne) a fait, de ce point de vue, le procès des bibliothèques européennes, d'autres orateurs ont montré comment en Angleterre, en Allemagne, en France, on s'est efforcé de rapprocher le livre du lecteur, selon les besoins et les possibilités locales : la « Central library » de Nottingham, décrite par M. Tighe, est du type « bibliothèque départementalisée »; l'importance et le nombre de ses branches ont été déterminés en raison de la densité de la population. M. Chandler a fait un parallèle entre la bibliothèque John Crerar, de Chicago, et celle de la ville de Liverpool, qui offre aux industries locales une large documentation et des services de recherche et de traduction. L'exposé très intéressant du Dr L. von Schwartzkoppen, bibliothécaire de l'Université libre de Berlin, a porté sur l'organisation de la future Bibliothèque nationale et universitaire de Hambourg qui mettra à la disposition des étudiants des salles spécialisées, aux collections fréquemment renouvelées et de larges facilités de prêt.

Ayant souligné les différences de structure entre bibliothèques françaises et américaines, M. Vaillant, conservateur de la Bibliothèque municipale de Grenoble, a retracé le développement de la lecture publique en France depuis l'institution de la Direction des bibliothèques; il a défini le rôle du bibliothécaire public français qui, travaillant à l'expansion de la lecture, ne cesse d'assurer la préservation et la mise en valeur par des expositions bien documentées du fonds ancien dont il a la charge.

Du débat qui fit suite à ces différents exposés on peut conclure que l'utilité du plus large accès aux collections et du bien-fondé de la dépense qui en résulte sont généralement reconnus.

2° Formation des bibliothécaires.

Deux exposés ont donné lieu à un échange de vue prolongé. Celui de Mlle Kanila (Helsinki) envisageait trois questions concernant l'organisation de l'enseignement aux futurs bibliothécaires : doit-on rattacher les cours ou écoles de bibliothécaires à l'université ou plutôt à un organisme administratif, qui peut être une bibliothèque ? Faut-il un enseignement spécial selon les bibliothèques auxquelles se destinent les candidats ? Doit-on rendre obligatoire le stage pratique avant l'admission des étudiants à l'école des bibliothécaires ?

M. Preben Kirkegaard, directeur de l'École des bibliothécaires du Danemark, a comparé la formation des bibliothécaires aux États-Unis (d'après le programme de l'Université de Columbia) et au Danemark, où elle vient d'être l'objet d'une réforme importante : le programme de Columbia permet une formation en une année (pour les petites bibliothèques publiques), ou en deux années (bibliothèques de recherches et emplois supérieurs dans les bibliothèques publiques), avec des options dans les deux cas. Le nouvel enseignement danois s'étend sur quatre années et comprend deux sections distinctes : la section 1 est destinée au personnel des bibliothèques publiques, la section II à celui des bibliothèques de recherche; celle-ci n'est accessible qu'aux candidats pourvus d'un « Master's degree » et remplissant déjà un emploi fixe dans une institution de recherche. Chaque section comprend des périodes alternées de stages et de cours, des lectures obligatoires, un mémoire, des conférences et examens. Si le programme de Columbia a le mérite de la souplesse, le programme danois a celui d'insister sur la connaissance des livres.

Au cours de la discussion qui a suivi, on s'est efforcé de définir la notion de connaissance des livres ( « book-knowledge » ). A la connaissance acquise à travers un programme de lectures obligatoires, on préfère en Belgique, en France, en Allemagne, en Finlande, la culture universitaire. Plusieurs participants s'accordent sur la supériorité des élèves-bibliothécaires qui ont déjà une expérience pratique. Le rattachement de l'école des bibliothécaires à l'Université reste très controversé.

3° Coopération entre bibliothèques.

La « crise » des catalogues collectifs aux États-Unis a été évoquée par le Dr Brummel (Bibliothèque royale, La Haye); une certaine défaveur touchant les catalogues collectifs régionaux a pu être constatée depuis quelques années; la plupart ont cessé toute activité. Cependant les trois plus importants ont subsisté (Philadelphie, Denver, Seattle) et sont plus sollicités que le catalogue de Washington. Eleanor Campion, dans Ideal relationship of the National union catalogue and Regional union catalogues apporte peut-être une solution à cette crise en définissant le rôle idéal des collectifs régionaux. Son plan connaît un commencement de réalisation avec la publication du National union catalogue. M. Brummel a remarqué qu'en Europe l'organisation qui paraît le plus en faveur est celle qui associe les collectifs régionaux à un collectif central.

En France, où l'utilité des catalogues collectifs est depuis longtemps reconnue, des raisons pratiques ont conduit à les limiter à certaines catégories de publications. Mlle Gaston-Chérau bibliothécaire à la Bibliothèque nationale, a exposé les réalisations qui ont vu le jour au cours des dernières années (catalogue collectif national des ouvrages étrangers; Inventaire permanent de périodiques étrangers en cours ; Catalogue collectif des périodiques en caractères cyrilliques).

M. Collison, bibliothécaire de la ville de Westminster, devait insister sur l'apport américain dans le domaine des méthodes bibliographiques et préconiser la création d'un certain nombre de répertoires, les uns courants, les autres rétrospectifs, qui recenseraient l'ensemble de la production imprimée de chaque nation européenne. En fait, il s'est avéré que chaque pays représenté disposait déjà d'un ou de plusieurs de ces répertoires.

La question de la coordination des achats de livres étrangers sur le plan national a donné lieu, de la part de Mme von Busse, à un parallèle entre le plan Farmington et le « Sondersammelgebiete » de la république fédérale allemande : au lieu de la répartition par sujets propre au plan Farmington, la « Deutsche Forschungsgemeinschaft », tenant compte des collections déjà existantes, a basé la répartition sur la notion de « Kulturkreis », qui embrasse tous les aspects historiques d'un sujet donné. La responsabilité du choix qui, dans le plan Farmington, est déléguée soit à un libraire, soit à une bibliothèque dans chaque pays étranger, incombe, dans le système allemand, aux bibliothèques elles-mêmes, qui reçoivent de la D. F. G. les moyens d'effectuer les achats propres aux domaines qui leur sont assignés.

En conclusion pratique aux débats, M. Liebaers, évoquant les difficultés que beaucoup éprouvent à trouver en Europe les livres américains, a demandé quel moyen de remédier à cet état de choses paraîtrait préférable : création d'une grande bibliothèque de prêt américaine en Europe ou enrichissement des collections de livres américains existant déjà dans les bibliothèques européennes. La seconde suggestion paraît devoir être retenue, mais ce problème ne pourra être étudié que lorsque seront connus les résultats d'une enquête sur les fonds américains conservés en Europe menée par un boursier Fulbright.

  1. (retour)↑  La communication de M. Bryant figure in extenso dans Libri. Vol. 7, 1958, n° 4, pp. 253-263.