Les lacunes de l'édition scientifique française
Aux Journées d'étude organisées en novembre 1956 par la Direction des bibliothèques de France 1, une séance avait été consacrée à l'édition française, considérée notamment sous l'un de ses aspects qui intéresse le plus les bibliothèques, l'édition du livre d'étude. Il s'agissait d'établir, sous la forme d'un débat, une première prise de contact entre les bibliothécaires des bibliothèques d'étude et des représentants de l'édition scientifique française conviés à cette séance, afin de poser le problème des lacunes de l'édition française.
Rappelons qu'après une brève introduction de M. l'Inspecteur général Pierre Lelièvre, M. Calmette, conservateur en chef de la Bibliothèque de la Sorbonne, esquissa les grands traits d'un tableau d'ensemble de l'édition française. Tout en se défendant d'avoir fait un tour d'horizon complet, M. Calmette apportait déjà à aux éditeurs présents le point de vue général du bibliothécaire dans une des grandes bibliothèques d'étude de Paris, point de vue auquel paraissent bien se rallier d'ailleurs les bibliothécaires des universités des départements et des grandes bibliothèques municipales.
Ce problème, certes, n'est pas nouveau. En l'inscrivant à l'ordre du jour, M. Julien Cain reprenait quelques-unes des questions que déjà, en 1939, dans la partie du tome XVIII de l'Encyclopédie française consacrée à l'édition, il avait posées dans les termes suivants :
« L'édition met-elle à la disposition des usagers du livre les ouvrages dont ils ont besoin? Sa production est-elle conforme aux exigences et au goût de ces usagers? Y a-t-il des lacunes, des insuffisances ou, au contraire, abondance et doubles emplois? Certaines catégories d'ouvrages sont-elles favorisées par rapport à d'autres? La présentation matérielle de ces ouvrages est-elle appropriée à leur contenu et à la psychologie de la lecture, ou doit-on chercher des méthodes nouvelles? Nous avons voulu répondre à ces questions. Les limites qui nous ont été assignées nous ont contraint de borner notre examen aux branches les plus importantes de l'édition scientifique.
« Nous avons fait appel, pour les principales disciplines scientifiques, littéraires, philosophiques, à des spécialistes éminents, professeurs d'université pour la plupart, qui connaissent bien l'état présent de la science qu'ils enseignent et ses besoins. Nous proposons ces tableaux ainsi établis comme des exemples. Il serait bien utile que de tels bilans fussent tenus constamment à jour à des intervalles réguliers. »
C'est pour répondre à cet appel de M. Julien Cain qu'un certain nombre de professeurs éminents acceptèrent d'établir pour leur spécialité de courts bilans, sous une forme évidemment trop brève : parmi eux, Lucien Febvre pour les encyclopédies, Pierre Caron pour les bibliographies, Ad. Landry pour les statistiques, Paul Montel pour les sciences mathématiques, Georges Bruhat et G. Dupont pour les sciences physiques, G. Pirou pour les sciences juridiques.
Au lendemain de la Libération, la Direction générale des relations culturelles, sous l'impulsion de Mme M.-J. Durry, alors chargée du service du livre français à l'étranger, aujourd'hui professeur à la Sorbonne et directeur de l'École normale supérieure de jeunes filles, avait abordé le même problème : une commission composée d'universitaires et de savants éminents avait établi, par discipline, sous le nom de « Table des lacunes de l'édition française », un inventaire des grands instruments de travail et de recherche, signalant les zones bien représentées mais aussi les insuffisances et même les lacunes. Ce travail considérable, prévu d'abord pour l'équipement des établissements français à l'étranger, aurait pu permettre l'ouverture de crédits destinés à subventionner l'édition des ouvrages les plus nécessaires, suivant un ordre préférentiel établi. Les bibliothèques françaises auraient naturellement profité de cette enquête si ce projet avait pu être réalisé.
Ainsi, dix ans plus tard, le problème se trouve à nouveau posé, mais cette fois aux bibliothécaires, dont beaucoup sont eux-mêmes des savants dans leur spécialité. Et l'échange de vues, trop rapide, mais très vivant, de novembre 1956 pourra certainement être repris et marquer le point de départ d'une enquête permanente sur les lacunes de l'édition scientifique française.
L'enquête menée dans les premiers mois de 1957 2 garde encore le caractère d'un sondage très général et ne saurait permettre de proposer déjà un programme d'édition parfaitement équilibré. Beaucoup de questions demandent à être approfondies. Des spécialistes devront être à nouveau consultés. Il se peut d'ailleurs que, parmi les lacunes signalées, certaines soient déjà virtuellement comblées par des ouvrages en préparation et sur lesquels notre information se trouve en défaut.
Cependant, même si nous sommes loin d'avoir réuni encore toutes les données du problème, nous pensons que les résultats de cette enquête, tels qu'ils nous ont été donnés par les bibliothécaires, fournissent une masse d'indications précieuses pour les éditeurs eux-mêmes : soit que les bibliothécaires confirment l'opportunité de certaines tendances actuelles de l'édition, soit qu'au contraire ils constatent les insuffisances par rapport aux besoins réels des étudiants, des professeurs ou des chercheurs dont ils traduisent nécessairement les doléances.
Certes nous n'entendons pas, dans les limites de cet article, donner un compte rendu complet des réponses que nous avons reçues et dont certaines étaient extrêmement détaillées. Il s'agit plutôt d'essayer de dégager ici les lignes essentielles et les tendances qui apparaissent à la lecture de cet ensemble de documents.
Peut-être nous faudrait-il d'abord définir le terme de « lacune ». Parlera-t-on de lacune, par exemple, pour telle édition des oeuvres complètes de Bossuet, épuisée, mais que l'on est assuré de trouver couramment chez le libraire d'occasion ? D'autre part, il faut admettre plusieurs degrés d'urgence. L'ouvrage de pure érudition, utile au plus à quelques dizaines de spécialistes, et que l'on peut se procurer par le prêt entre bibliothèques, mérite-t-il une réédition ou même une réimpression au même titre que l'édition savante, introuvable, d'un de nos grands classiques, inscrit par surcroît au programme de licence de plusieurs universités? Évidemment non. Nous sommes là sur deux plans très différents et nous devons en tenir compte en dépouillant les réponses à notre enquête. Nous ferons nécessairement une place plus grande aux ouvrages fondamentaux, aux collections de base, et, d'une manière générale, nous ne nous référerons qu'aux exemples qui nous auront paru les plus frappants et les plus indiscutables. Nous laisserons pour le moment dans l'ombre certains aspects du problème de l'édition scientifique, certaines doléances pouvant être considérées comme secondaires en regard des exigences de la recherche ou de l'enseignement et des tendances actuelles de leur développement.
Le schéma initial de discussion que la Direction des bibliothèques avait proposé pour les journées d'étude et qui fut repris d'abord par M. Calmette dans son exposé, ensuite dans la plupart des réponses à l'enquête, prenait pour base le caractère général de la publication : traités, manuels, encyclopédies, dictionnaires, collections de textes, etc... Ici nous nous écarterons délibérément de ce cadre pour procéder plutôt par discipline ou par groupe de disciplines, ce qui facilitera la discussion que nous souhaitons instaurer.
Tout d'abord, des observations présentées au cours des Journées d'étude de 1956 et des réponses à l'enquête de 1957, on peut dégager certainss constatations générales que nous avons essayé de résumer ici. Si nous avons demandé que s'expriment surtout des critiques, nous avons par là même donné à nos correspondants l'occasion de proposer des solutions constructives. Il ne s'agit pas de porter ici des accusations contre les éditeurs français, mais de rechercher avec eux - et ce sera l'objet de nos conclusions - les causes des lacunes et des insuffisances constatées et les moyens d'améliorer cette situation. Nous ne voudrions d'ailleurs pas donner l'impression que les réponses ont été entièrement négatives : plusieurs d'entre elles font allusion aux progrès réalisés depuis la Libération. M. Calmette avait, dans son exposé, dégagé ces éléments positifs. M. Royer, doyen de la Faculté des sciences de l'Université d'Alger, donne des exemples de réalisations heureuses dans le domaine de l'édition scientifique.
Ceci dit, il faut reconnaître que la situation est loin d'être satisfaisante pour le livre d'étude. Crise de qualité, constate M. Vernière, professeur de littérature française à la Faculté des lettres d'Alger. On verra, à propos de chaque discipline, les lacunes relevées dans l'édition française par comparaison avec telle ou telle grande collection étrangère. Les œuvres originales d'envergure font souvent défaut. On pourrait y remédier sans douts par des traductions des travaux essentiels publiés à l'étranger. « Les ouvrages étrangers de haute valeur scientifique dont la publication fait date dans l'évolution de telle ou telle discipline, nous dit Mlle Giraud, conservateur de la Bibliothèque universitaire de Poitiers, devraient être rapidement traduits ou adaptés. Les étudiants manquent souvent de la connaissance des langues qui leur rendrait ces ouvrages accessibles, les spécialistes eux-mêmes ne sont pas toujours polyglottes. » C'est aussi le regret de M. Royer « de ne pas trouver en traduction française des ouvrages scientifiques parus à l'étranger et possédant une valeur incontestable ». Mais il reconnaît aussi que les traductions posent souvent des problèmes délicats.
Cette solution, en outre, n'est pas toujours satisfaisante. « Il n'est pas recommandé de se borner à traduire un manuel étranger », dit Mlle Oddon, conservateur de la Bibliothèque du Musée de l'homme, qui insiste sur la nécessité de réaliser une bonne mise à jour et précise que certaines traductions actuelles sont sujettes à caution, en donnant pour exemple l'ouvrage de Ruth Benedict, Echantillons de cultures, publié chez Gallimard et où « le titre est un premier contresens »...
« La France n'est pas la patrie des grands traités », constate M. Calmette. Nous n'avons rien d'analogue à ce que nous offre le Handbuch der Altertumwissenschaft, nous dit Mlle Giraud. Nous n'avons rien non plus de comparable au Beilstein's Handbuch der organischen Chemie, au Handbuch der Physik, font remarquer Mlle Arduin, conservateur de la Bibliothèque universitaire de Toulouse et M. Le Chapelain, conservateur de la Bibliothèque universitaire de Clermont-Ferrand. C'est vrai. Mais est-il nécessaire que l'édition française s'engage dans cette voie? En outre, les grands traités supposent de plus en plus une collaboration internationale. M. Calmette nous fait observer que, si les ouvrages de synthèse française font rarement appel à la collaboration de spécialistes étrangers, les spécialistes français sont très peu nombreux à collaborer aux grands traités étrangers, comme c'est le cas pour le Handbuch der Physik dirigé par S. Flügge (Berlin, Springer, 1955 →) et pour l'Historia mundi que dirige Fritz Kern (Bern, Francke, 1952 →). C'est un fait et M. Calmette a raison de le souligner : « les traités d'une ampleur réduite qui résultent d'un effort de synthèse, s'intégrant dans un cadre logique et où s'affirment les personnalités, paraissent mieux nous convenir ».
S'agit-il de manuels, problème dont la gravité n'échappe à personne puisqu'elle intéresse la culture fondamentale que doit ou devrait acquérir l'étudiant débutant? Ce problème « intéresse tout notre système d'enseignement, constate M. Calmette, c'est spécialement vrai des livres pour lesquels il n'y a pas toujours de frontière bien délimitée entre l'enseignement du second degré et l'enseignement supérieur. Les agrégatifs ne dédaignent pas les manuels scolaires. Le fait saute aux yeux. Le manuel d'enseignement du second degré pullule, le manuel d'enseignement supérieur est rare ».
Ajoutons que, pour M. Denonain, professeur à la Faculté des lettres d'Alger, « la notion de manuel d'enseignement supérieur... semble très sujette à caution en matière d'histoire littéraire. Deux ans après sa composition, un cours d'enseignement supérieur n'est plus à jour. Il faut tous les ans se tenir au courant de ce qui parait et faire évoluer son enseignement en conséquence. Un livre imprimé stabilise - et fossilise - un stade dans l'évolution des études. On conçoit la chose pour une monographie, on la conçoit mal pour un manuel qui, dès sa publication, se trouve en retard. Rien ne peut remplacer le cours et la personnalité du professeur ». On sait que la diffusion des cours polycopiés représente une solution commode, mais dont la facilité appelle des réserves. Quelle tentation pour l'étudiant peu curieux d'esprit que de s'en tenir aux cours polycopiés!
Est-ce être pessimiste que d'affirmer, comme le faisait aux Journées d'étude, M. Liotard, des éditions Masson, que « le cours polycopié en médecine et en sciences tuera progressivement le manuel »? Le « polycopié » est, comme le soulignait M. Calmette, « exactement adapté aux facilités de tous ». « Mais trop rapidement et trop étroitement adapté aux besoins du présent, comment échapperait-il à l'éphémère et s'affirmerait-il valablement comme un ouvrage de référence?... Nous sommes dans un monde clos, ajoute M. Calmette, celui des programmes d'examens et de concours. L'édition (elle dit rayonnement) reste en marge. »
Le manuel garde donc ses défenseurs comme en témoignent d'ailleurs la plupart des réponses à l'enquête. Constatant la tendance de l'enseignement supérieur à se spécialiser de plus en plus, en regard de la nécessité d'une simplification de l'enseignement du second degré, M. Calmette souhaite lui-même « de nouveaux manuels différenciés selon les besoins qui se précisent de part et d'autre ». « Nous voudrions, dit-il, des manuels adaptés à l'effort personnel, soit par leur rédaction, soit par l'adjonction d'exercices pratiques. »
Pourquoi, si le manuel est, sous sa forme traditionnelle, au moins pour certaines disciplines, un instrument de travail périmé, ne pas chercher de nouvelles formules mieux adaptées aux conditions actuelles? Ainsi Mme Messonnier, conservateur de la Bibliothèque universitaire, nous dit qu'à Lyon, où l'on souhaite l'édition d'un manuel de biologie générale, on suggère en même temps une présentation plus souple, en plusieurs volumes par exemple, pour faciliter la tenue à jour qu'impose « le renouvellement constant des connaissances en cette matière ».
Quant aux traductions françaises de manuels étrangers, elles sont plutôt rares et ne paraissent en fait qu'exceptionnellement souhaitables.
Pour les éditions de texte, on constate une certaine négligence, estime M. Gras, conservateur de la Bibliothèque municipale de Dijon. Comment ne pas s'indigner d'autre part de ce que M. Vernière qualifie de scandale? Quelle que soit l'utilité de l'édition de la correspondance de Voltaire réalisée en Suisse par un Anglais, M. Besterman, on ne peut que regretter en effet que la France n'ait pas eu les moyens de la mettre en œuvre.
Dans son exposé d'introduction, M. Lelièvre avait insisté sur le retard marqué par la France en ce qui concerne l'édition, la réédition ou la réimpression de textes fondamentaux. « Si, dans certains domaines où le livre se dévalorise très vite, les ouvrages qui figurent sur les catalogues d'auteurs composent un éventail assez ouvert et assez complet du matériel documentaire et du matériel d'étude dont on a besoin, dans le domaine des sciences humaines et dans certaines disciplines où le livre s'use beaucoup moins vite, paradoxalement, c'est dans ces secteurs que nous sommes le plus démunis. Ceci parce qu'on se refuse à étudier le problème de la réédition. » La réédition du Littré pour laquelle on a recueilli 20.000 souscriptions en six mois prouve, à son avis, que les éditeurs sont souvent pessimistes « dans leur évaluation de la clientèle qu'ils pourraient trouver en rééditant ». En ce qui concerne les textes dont nous manquons, le problème, au moins pour un certain nombre d'auteurs, serait déjà résolu en grande partie par de simples rééditions.
Bibliographie générale
Il paraît naturel de traiter en priorité les ouvrages qui intéressent la culture professionnelle du bibliothécaire 3.
Les problèmes bibliographiques sont particulièrement difficiles à résoudre. Peut-être estime-t-on trop volontiers que l'édition d'une bibliographie rétrospective ou courante n'est pas une entreprise rentable. L'éditeur qui consent à risquer un capital sur une telle entreprise a droit sans doute à la reconnaissance des bibliothécaires et des chercheurs et à une certaine admiration pour son audace. Ceux qui s'abstiennent sont-ils prudents ou timorés? La Maison Droz - désormais fixée en Suisse - n'a pas craint pourtant d'éditer les Sources du travail bibliographique de L.-N. Malclès. Il y a lieu en tout état de cause d'appeler l'attention des éditeurs français sur l'opportunité de mettre à jour certains instruments de travail, voire même de lancer des collections bibliographiques du type de celles qui sont actuellement publiées en Allemagne. Qu'il s'agisse de bibliographies rétrospectives ou courantes, on peut toutefois comprendre l'hésitation des éditeurs. Aussi bien, ce problème qui intéresse l'équipement national dépasse-t-il le cadre de notre enquête. La Commission nationale de bibliographie est chargée d'en conduire l'étude et c'est surtout en songeant à l'information de ses groupes de travail que l'on a fait figurer la bibliographie au questionnaire qui a servi de base à l'enquête.
Nous traiterons dans cette première partie les problèmes de la bibliographie générale, les bibliographies spécialisées rétrospectives et courantes étant rattachées aux disciplines particulières qui doivent être envisagées dans une autre partie de cette étude.
Nous distinguerons tout d'abord des bibliographies proprement dites ces « guides de l'étudiant » qui sont unanimement appréciés puisqu'ils permettent aux débutants venant de la propédeutique de s'orienter plus aisément et qu'ils intéressent l'initiation à la recherche. C'est le cas, par exemple, du Guide de l'étudiant en philosophie de Denis Huisman (Paris, P.U.F., 1956), du Guide de l'étudiant germaniste de J. Dresch (Paris, P.U.F., 1945) qui offrent « des conseils pratiques pour l'accès aux études supérieureset le travail personnel. Il serait sans doute souhaitable pour les étudiants, et rentable pour les éditeurs, d'entreprendre systématiquement une collection de ces manuels rigoureusement conformes aux orientations, méthodes et ressources actuelles de chaque discipline scientifique ou littéraire. Les rééditions devraient être rigoureusement tenues à jour et, quand il y a lieu, remaniées conformément aux progrès des connaissances ». Tel est l'avis de Mlle Giraud et ce sera certainement celui de la plupart de ses collègues.
A un niveau supérieur de la recherche, le problème capital des bibliographies périodiques appelle quelques observations générales. On peut regretter que l'équipement reste insuffisant en ce qui concerne les « mises au point annuelles » relatives aux différentes disciplines ou spécialités, comme il s'en publie à l'étranger (Annual Reviews, Advances, Fortschritte). Ces bibliographies, si elles intéressent la documentation spécialisée, sont précieuses également pour l'information générale : elles apportent par exemple au chercheur un « état » des questions qui lui permet de se documenter rapidement sur les disciplines qui l'intéressent mais qui ne constituent pas l'objet principal de son étude. Mme Messonnier y fait allusion à propos de la botanique et de la biologie végétale. Lorsqu'on connaît le succès de ces petits ouvrages auprès des chercheurs, on ne s'étonne plus de voir que presque tous les spécialistes réclament des publications françaises analogues donnant le dernier état des questions, étayé de références bibliographiques nombreuses, ainsi que l'analyse développée des ouvrages parus dans l'année et les comptes rendus dont ils ont fait l'objet. Comme le fait remarquer Mlle Giraud, si l'Année psychologique répond à cette définition, « il n'existe pas une Année zoologique ni une Année criminologique »...
Nous envisagerons maintenant les lacunes précises qui ont été constatées en matière de bibliographie générale proprement dite.
Les répertoires par catégories de documents font l'objet d'une attention particulière et les observations faites à cet égard rejoignent souvent les préoccupations exprimées à la Commission nationale de bibliographie.
On a signalé maintes fois la regrettable interruption du Catalogue général des incunables des bibliothèques publiques de France de M. Pellechet et L. Polain (Paris, Picard, 1897-1903, 3 vol., arrêté à « Gregorius-Magnus ») et M. Gras renouvelle ces regrets tandis que M. Kolb, conservateur de la Bibliothèque universitaire de Nancy, estime que la reprise du Catalogue Pellechet-Polain « trouverait un appui financier grâce aux souscriptions de l'étranger, comme aussi un catalogue des éditions françaises du XVIe siècle ».
Il est inutile de souligner l'importance des bibliographies de périodiques et on enregistre dans les réponses certaines suggestions concernant une reprise de la Bibliographie historique et critique de la presse périodique française de Hatin (Didot, 1866) (M. Ricatte, professeur de littérature à Clermont-Ferrand), une refonte éventuelle du Répertoire des périodiques de langue française... de Caron et Jaryc (Maison du livre français, 1936-1939), la création d'un répertoire annuel des périodiques français : « Pour être vraiment utile », nous dit M. Guinard, conservateur de la Bibliothèque universitaire de Bordeaux, « il faudrait que ce répertoire parût chaque année et fût complet, ne laissant de côté aucun périodique local très spécialisé ou d'importance en apparence minime, car c'est précisément sur ceux-là et non sur ceux que publient les grands éditeurs, que les renseignements nous font défaut ». Nous pouvons, à cet égard, donner quelque espoir à nos lecteurs : un Répertoire de la presse et des publications périodiques françaises - soit environ 15.000 titres - établi par les soins de M. Henri F. Raux, conservateur au Département des périodiques, est achevé 4 Par les soins de la Bibliothèque nationale, un Répertoire de la presse périodique française (1865-1945) établi par M. Raoul Monnot, sous-bibliothécaire au Département des périodiques 5, doit continuer d'autre part le Hatin.
Les perspectives ne sont pas aussi encourageantes en ce qui concerne une insuffisance maintes fois signalée de notre équipement bibliographique : un répertoire de dépouillement des articles de périodiques est « de plus en plus indispensable », affirme M. Kolb. Mme Messonnier souhaite également « un répertoire des articles de revues concernant les sciences humaines... correspondant à Poole's Index to periodical literature et au Reader's guide to periodical literature ». Précisons que le projet, de longue date établi par le Service technique de la Direction des bibliothèques, envisageait le dépouillement de toutes les revues générales.
M. Guinard souhaite également la création d'un « répertoire annuel des comptes rendus et rapports des congrès français » et parallèlement, d'un autre semblable pour les congrès internationaux : « Pour identifier ce genre de publications, ajoute M. Guinard, nous nous heurtons à des difficultés plus grandes que nous n'en rencontrons avec les périodiques. »
Le recensement des thèses intéresse de nombreux chercheurs. Si Mme Kravtchenko, conservateur de la Bibliothèque universitaire de Grenoble, est la seule à attirer l'attention sur l'absence d'un répertoire à jour des thèses par matières, nous sommes sûrs que son regret trouvera un écho dans toutes les bibliothèques universitaires : la reprise des tables quinquennales est à mettre en première urgence.
Sans doute y aurait-il, en ce qui concerne les bibliographies générales, beaucoup d'autres lacunes à signaler. Celles qui ont été mentionnées ci-dessus intéressent l'information quotidienne des bibliothécaires et leur paraissent à cet égard particulièrement graves.
Encyclopédies et dictionnaires généraux
Nous voudrions attirer aussi l'attention des éditeurs sur l'absence unanimement déplorée de certains ouvrages généraux de langue française en regard de ceux qui existent à l'étranger.
L'Encyclopédie française, dont la publication est maintenant reprise, marque une rupture systématique avec la tradition de ces grands inventaires alphabétiques que furent l'Encyclopédie de Diderot puis, à la fin du XIXe siècle, la Grande Encyclopédie. Nous voyons naître aujourd'hui l'Encyclopédie de la Pléiade qui, fait observer M. Calmette, « réintroduit sous forme d'une série de traités la perspective historique volontairement écartée de l'Encyclopédie française ». D'un autre côté, nous avons les grands dictionnaires Larousse, Quillet, mais leur conception, essentiellement pratique, ne répond pas au même but qu'une véritable encyclopédie.
Pouvons-nous être satisfaits de cet état de choses? Ou bien notre regret est-il justifié de ne pas voir s'éditer en France une grande encyclopédie du xxe siècle, sous la forme à laquelle sont demeurés fidèles un grand nombre de pays? M. Lelièvre nous disait à quel point on pouvait déplorer de ne trouver, dans les salles de lecture des bibliothèques étrangères, aucune publication française comparable à l'Encyclopaedia britannica pour ne citer que celle-ci... et, sur ce point, la plupart de nos collègues sont formels. Ils pensent qu'il devrait y avoir place dans l'édition française pour une encyclopédie de type traditionnel présentée dans l'ordre alphabétique des articles, avec bibliographie et remise à jour périodique. « L'expérience d'une salle de lecture, précise M. Mironneau, bibliothécaire de la Bibliothèque universitaire de Besançon, prouve que les lecteurs utilisent peu volontiers les encyclopédies de type méthodique telle que l'Encyclopédie française. Il suffit de constater combien de professeurs se servent, dans une université, des encyclopédies britannique, italienne ou allemande, pour souhaiter une entreprise semblable accomplie en langue française et du point de vue français. » La consultation des encyclopédies étrangères ne peut être en effet, dans certains cas, qu'un pis-aller, étant donné le caractère national très marqué de ces instruments de travail. M. Josserand, conservateur en chef du Département des imprimés de la Bibliothèque nationale, M. Le Chapelain, Mme Gauthier, M. Sansen, bibliothécaire de la Bibliothèque universitaire de Rennes, sont d'accord pour estimer qu'il devrait être porté remède à cette lacune.
« Ce qu'il faut également, nous dit M. Calmette, c'est un inventaire de la langue française embrassant le XIXe et le xxe siècles. Le Robert ne nous l'a pas donné. Nous n'y avons trouvé ni un nouveau Littré, ni un substitut de l'ancien, et l'ancien nous le réimprimons en attendant. » Ajoutons que le Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française de Paul Robert (P.U.F., 1951→) n'a paru encore que jusqu'à la lettre H. Il a sans doute le mérite de dépouiller les auteurs modernes, mais il n'échappe pas à une certaine confusion, son caractère encyclopédique s'opposant à l'effort linguistique, nous dit M. Josserand.
Nous n'avons pas non plus en France de grands dictionnaires bilingues. Pour l'anglais nous utilisons volontiers ceux de Harrap-Mansion et pour l'allemand ceux de Sachs-Villatte, qui sont excellents. « Il serait urgent de donner aux spécialistes, dit M. Guinard, un dictionnaire italien-français et français-italien et un dictionnaire espagnol-français et français-espagnol, capables de rivaliser avec les dictionnaires anglais-français de Harrap. » Et même il faut bien constater avec M. Calmette que nous n'avons pas non plus, pour ces deux langues, à un niveau moins élevé, l'équivalent des dictionnaires de Charles Petit (anglais) et de F. Bertaux et E. Lepointe (allemand). L'ensemble de ces remarques vaut, bien entendu, pour d'autres langues dont l'enseignement se développe actuellement en France, notamment pour le russe et, d'une manière générale, pour les langues slaves.
Autre lacune importante et qui fait l'objet de nombreuses doléances : les dictionnaires biographiques. S'agit-il de biographie générale? Rien n'est venu remplacer aujourd'hui les grands répertoires du xixe siècle. C'est une expérience que chacun d'entre nous a pu faire : « Nous en sommes pratiquement réduits, dit M. Le Chapelain, aux vieilles biographies de Michaud et de Hœfer, ce que déplorent nombre de lecteurs, en particulier plusieurs professeurs. » Et Mlle Giraud : « Pour maints renseignements de biographie universelle, il faut toujours avoir recours à Michaud ou à Hœfer qui s'avèrent encore souvent plus riches et plus sûrs que les publications récentes qui ne les remplacent d'ailleurs que partiellement. » Il nous faudrait un dictionnaire de biographie universelle avec bibliographie, conclut Mme Gauthier.
Pour la biographie nationale, nous reprenons ici un vœu unanime : la publication plus rapide du Dictionnaire de biographie française de Balteau, Barroux et Prévost, continué après la guerre par M. Prévost et J. Roman d'Amat (Letouzey). Le rythme actuel de publication est trop lent et l'entreprise risque ainsi de ne s'achever que vers la fin du siècle, nous fait-on remarquer à Aix, à Clermont-Ferrand, à Grenoble, à Lyon, à Nancy, à Poitiers et à Rennes. Cet ouvrage n'est d'ailleurs pas sans susciter des critiques et on dénonce parfois ses insuffisances. Quant au Dictionnaire biographique français contemporain, publié par l'agence Pharos (2e édition, 1954), « il présente, nous dit M. Sansen, tous les avantages de la facilité et de l'actualité. Mais, conformément à son titre, il reste un effort très partiel et qui ne répond qu'à certaines recherches ».
Il nous faudrait, estime Mme Messonnier, une biographie générale des écrivains français... Mais nous en arrivons au domaine des biographies spécialisées qui suscitent également de nombreuses demandes que nous examinerons en même temps que les différentes disciplines auxquelles elles se rapportent. Qu'il nous suffise de souligner ici qu'il y a un grand effort à faire pour la biographie générale et que cet effort serait très certainement payé.
Sciences
Il semble que, d'une manière générale, les lacunes constatées soient relativement moins nombreuses, sinon moins importantes dans le domaine des sciences fondamentales et appliquées que dans celui des sciences humaines. Elles sont aussi, le plus souvent, mieux définies. Certaines demandes ont un réel caractère d'urgence, si l'on pense par exemple que, pour des disciplines actuellement enseignées dans les universités, on est entièrement tributaire des ouvrages étrangers. Si le professeur ou le chercheur peut avoir régulièrement recours à la documentation étrangère, l'étudiant se trouve démuni, réduit au seul cours, polycopié ou non, du professeur, sans la possibilité que lui offre un traité, même un manuel, de sortir du cercle fermé programme-cours-examen de la faculté où il est inscrit. L'étudiant de propédeutique ou de licence a, pour les sciences plus que pour les lettres, besoin de ce moyen d'approche, do cet intermédiaire qu'est le manuel. La lecture directe des travaux scientifiques lui est à peu près interdite, tant qu'il n'a pas acquis certaines connaissances de base ou qu'il ne s'est pas familiarisé avec certaines techniques. D'autre part, pour les étudiants du troisième cycle, il semble que l'on manque aussi de manuels et de traités d'ensemble dans les différentes spécialités scientifiques. Quant aux manuels de travaux pratiques, « ils auraient besoin d'être repris sous une forme et dans un esprit modernes », nous dit encore Mlle Giraud.
Les chercheurs scientifiques français ont, nous l'avons dit, la nostalgie des Annual reviews et des Fortschritte, mises au point commodes dans les différentes disciplines, mais trop souvent axées sur la documentation du pays éditeur. On se plaint en général de la lenteur dans la diffusion des moyens d'information bibliographique, notamment de la publication des comptes rendus dans les revues spécialisées. Autre doléance : les publications de colloques et de congrès scientifiques sur lesquelles on est généralement très mal renseigné. Pour les congrès médicaux en particulier, il faut se livrer à un véritable travail de « dépistage », nous dit le Dr Hahn, conservateur de la Bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris, mais il s'agit surtout, en fait, de congrès internationaux et d'un problème d'organisation bibliographique à l'échelon international.
Une autre remarque générale s'impose, c'est l'absence de bons dictionnaires et de vocabulaires techniques. Le dictionnaire de Poiré est trop ancien (1924). Mais un nouveau dictionnaire de ce genre est-il souhaitable? « Ce n'est pas un dictionnaire d'ensemble qu'il faudrait, nous dit Mlle Arduin, mais un dictionnaire pour chaque branche, l'équivalent de ce qu'est le Physikalisches Wörterbuch de W. H. Westphal (Berlin, Springer, 1952) pour la physique. La mise à jour serait facile si la publication se faisait sur feuillets mobiles. » Que n'avons-nous en effet, et nous pourrons le constater pour chacune des grandes disciplines scienti. fiques, de bons dictionnaires récents de définition... Cependant, la formule des « feuillets mobiles », pour un ouvrage aussi « usuel », ne présente-t-elle pas de sérieux inconvénients, en particulier dans les bibliothèques?
Plusieurs réponses soulignent les difficultés parfois insurmontables que pose la traduction exacte de certains termes scientifiques et techniques étrangers, même pour des spécialistes. Le recours aux dictionnaires linguistiques généraux est périlleux, sinon purement négatif. Il existe d'assez nombreux vocabulaires multilingues. Ils sont généralement insuffisants en ce qui concerne le français, ou vieillis, et ne correspondent pas, le plus souvent, au niveau de la recherche scientifique. Il y a là certainement une solution à trouver : par exemple, une série de vocabulaires bilingues aboutissant aux termes scientifiques et techniques français, si elle offrait bien entendu toutes les garanties d'un travail sérieux fait par une équipe de linguistes et de spécialistes, aurait certainement un grand succès, surtout si l'entreprise était poursuivie et donnait lieu à des éditions complétées et révisées.
Une remarque générale enfin sur la présentation de nos ouvrages scientifiques courants : « Amélioration, caractère plus moderne de l'impression et de la présentation »..., tel est le vœu que formulent plusieurs « scientifiques », à Poitiers au sujet des collections Armand Colin, Flammarion, Doin. En mathématiques, tout en rendant hommage à la spécialisation de l'imprimerie Gauthier-Villars, on souhaiterait que l'aspect des volumes soit « moins austère, plus aéré et rajeuni ». Les astronomes et les astrophysiciens de Paris expriment ce même vœu. Les éditions mentionnées ici ne sont d'ailleurs citées que comme des exemples pris parmi d'autres. Mais cette critique traduit certainement une opinion générale dans les milieux scientifiques où l'on constate que la qualité et l'originalité dans la présentation matérielle de nos livres scientifiques n'atteignent pas, à quelques exceptions près, celles des ouvrages étrangers similaires. Cette observation devait être faite en passant, mais ce n'est pas là le problème majeur qui nous occupe aujourd'hui pour chacune des disciplines scientifiques qui ont fait l'objet de réponses à notre enquête.
Sciences mathématiques et astronomiques. - Ce n'est certainement pas dans le domaine des mathématiques que nous sommes le moins bien pourvus. Les quelques vœux formulés concernent en premier lieu la mise à jour d'instruments de travail fondamentaux et notamment l'édition française de l'Encyclopédie de sciences mathématiques pures et appliquées éditée par Teubner à Leipzig et Gauthier-Villars (1904-1914). « Cet ouvrage, nous dit M. Belgodère, bibliothécaire de l'Institut Henri Poincaré, est une mine de renseignements du point de vue rétrospectif. Il manque dans un grand nombre d'universités ou de bibliothèques d'instituts qui ne peuvent se le procurer. »
D'autre part, à Toulouse, on aimerait voir publier une nouvelle arithmétique « ne dépassant pas le niveau de la licence » ou, à défaut, une édition mise à jour des Leçons d'arithmétique théorique et pratique de J. Tannery (A. Colin, 1894). Il semble bien en effet qu'aucun ouvrage ne remplace celui de Tannery, et qu'il manque, dans l'édition française, un bon livre d'arithmétique conçu dans un style moderne. Le livre de M. Albert Châtelet, Arithmétique et algèbre modernes (P. U. F., 1954-1956,2 vol. Coll. Euclide 6) qui correspond au niveau du Certificat d'algèbre et théorie des nombres de la Faculté des sciences de Paris, ne recouvre pas les mêmes domaines. Pour un certain nombre d'ouvrages importants mais plus spéciaux, qui sont devenus rares, M. Belgodère propose une reproduction photographique pure et simple. Il donne l'exemple de l'ouvrage d'Élie Cartan, Leçons sur les invariants intégraux (Hermann, 1922) actuellement épuisé et dont la réimpression, pour les quelques centaines d'exemplaires qui pourraient être vendus, ne serait pas rentable. Il y a enfin des sujets d'actualité pour lesquels il n'existe pas d'ouvrages français, le calcul automatique par exemple... Mais n'est-ce pas au Centre national de la recherche scientifique qu'il appartient, avec l'aide des spécialistes, d'envisager la préparation et l'édition d'ouvrages français nouveaux?
Pour la mécanique des fluides, à Poitiers, où se trouve précisément une École nationale supérieure de mécanique et d'aérotechnique, on se plaint que les étudiants n'aient pas un bon manuel à leur disposition, à la fois théorique, expérimental et technique.
L'enquête menée par Mme Feuillebois, bibliothécaire de l'Observatoire de Paris, auprès des astronomes et des astrophysiciens, lui a permis de rassembler des réponses extrêmement intéressantes : elle aborde tout un ensemble de problèmes et formule des suggestions sur lesquelles nous aurons à revenir. D'une manière générale, il semble que les chercheurs n'aient guère de doléances à présenter pour leur documentation. En revanche, professeurs et étudiants « déplorent le manque d'ouvrages d'ensemble et de monographies pratiques (traités) sur les sujets étudiés en France ».
Sciences physiques. - Nous l'avons dit, le Handbuch der Physik n'a pas son équivalent français. On le souligne à Clermont-Ferrand et à Toulouse. Il n'y a même pas de traité de physique analogue aux grands traités de chimie et de zoologie édités chez Masson. Pour les étudiants, peu de doléances. A Toulouse, on pose la question de la continuation du Cours de physique générale de Georges Bruhat (Masson) : « C'est l'ouvrage le plus demandé; les cinq volumes parus sont constamment réédités. » Mais on voudrait aussi « un manuel intermédiaire entre celui de la collection du P. C. B. et ceux de Bruhat ou de Bouasse ».
« L'enseignement supérieur, nous dit M. de Tournadre, conservateur de la Bibliothèque universitaire d'Aix-Marseille, ne manque de livres ni en électricité, ni en radio-électricité, ni en optique, ni en thermodynamique, ni en électronique. Seule la physique nucléaire est mal pourvue de traités et de manuels... Les étudiants des facultés n'ont pratiquement pour travailler que le cours de physique atomique édité par le Centre nucléaire de Saclay. » Mme Messonnier confirme cette lacune. « Carence totale d'ouvrages scientifiques dans ce domaine 7. Seuls les ouvrages de vulgarisation sont lancés par les éditeurs. Aussi bien pour l'enseignement que pour la recherche, traités et manuels doivent être achetés à l'étranger. » Les physiciens français sauront-ils combler cette lacune par un traité, par des manuels originaux? Ou bien devrons-nous nous contenter de traductions d'ouvrages étrangers? Encore faudrait-il que les ouvrages en question soient de qualité et conviennent à notre enseignement.
Sciences chimiques. - La chimie est bien représentée avec ses deux grands traités: Pascal pour la chimie générale, Grignard pour la chimie organique (Masson). Mais on déplore à Poitiers qu'une œuvre de synthèse comparable n'ait pas été entreprise pour la chimie physique. On a besoin d'ouvrages nouveaux de chimie minérale. La Chimie minérale théorique et expérimentale de Fernand Gallais (Masson, 1950) est dépassée, estime-t-on à Marseille. Pourquoi ne ferait-on pas, d'autre part, pour les étudiants de licence, un abrégé du traité de Pascal comme on l'a fait pour la chimie organique à partir du traité de Grignard, suggère-t-on à Toulouse? Pour le troisième cycle, on aimerait voir paraître en France des traités d'ensemble sur différents aspects de la chimie : chimie structurale et spectrochimie, photochimie, chimie capillaire, chimie nucléaire 8. Y a-t-il en France des spécialistes qui prendraient l'initiative de préparer de tels ouvrages ou bien est-ce encore là un problème de traduction? M. Calmette cite comme un excellent exemple de traduction la Chimie générale de Linus Pauling (Trad. R. Paris, 2e éd., Dunod, 1956) « qui intègre à l'enseignement les théories modernes de la chimie ».
A Marseille, on souhaite l'élaboration de nouveaux ouvrages de chimie organique. « Cependant, dit M. de Tournadre, il y a à l'étranger et particulièrement aux États-Unis des livres parfaitement réussis dans ces domaines de la chimie et il conviendrait avant tout de les traduire en français. » Peut-on suggérer que ces livres soient désignés, soit à des éditeurs spécialisés, soit à un organisme scientifique comme le Centre national de la recherche scientifique? Nous relevons encore une demande formulée à Lyon d'un ouvrage français « donnant une idée d'ensemble sur les théories modernes de la chimie organique (mécanismes réactionnels, types de réactions, etc...) » 9.
A ces vœux s'ajoutent ceux des pharmaciens. « Tout le monde sait, nous dit M. Garnier, conservateur de la Bibliothèque de la Faculté de pharmacie de Paris, l'importance que présentent les glucosides, tant au point de vue chimique que médical et pharmacologique, et les progrès immenses faits dans l'étude et les applications de ces corps depuis vingt-cinq ans. » Le seul bon ouvrage sur cette question est un ouvrage allemand déjà ancien (Van Rijn. -Die Glykoside, 2te Aufl. -Berlin, 1931). Il n'y a pas non plus d'ouvrage français fondamental sur les alcaloïdes. D'autre part, les techniques de microanalyse quantitative ayant beaucoup évolué depuis vingt ans, il serait temps de refaire un ouvrage analogue à celui de Friedrich, Die Praxis der quantitativen Mikroanalyse (Leipzig, Wien, 1933) dont une traduction avait été publiée en 1939 par la Maison Dunod. On demande enfin un ouvrage sur les méthodes d'expertise. Ce pourrait être d'ailleurs une troisième édition mise à jour des Méthodes actuelles d'expertise employées au Laboratoire municipal de Paris et documents sur les matières relatives à l'alimentation (Dunod).
Enfin, M. Garnier signale combien serait utile une nouvelle édition complétée du Dictionnaire de la chimie de C. et R. Duval et Dolique (Hermann, 1935) épuisé et introuvable d'occasion.
Sciences de la terre. - Il semble que les étudiants en géologie soient assez bien pourvus en manuels (Gignoux, Moret, etc...). Il manquait un grand traité de géologie pour remplacer celui de Haug. M. Charles Jacob, en 1936, avait tracé le plan d'un ouvrage de synthèse qui n'a jamais été publié. Mais l'Histoire géologique de la biosphère 10 de Henri et Geneviève Termier ouvre aujourd'hui une série nouvelle. « C'est une oeuvre considérable qui s'annonce, nous dit M. Calmette, un gros traité de géologie qui renouvelle l'œuvre de synthèse de Haug. » Quant au Traité de paléontologie publié sous la direction de J. Piveteau (Masson, 1952), on aimerait en voir paraître plus rapidement les derniers volumes. Enfin il y aurait certainement place dans l'édition pour un dictionnaire français de géologie remplaçant celui de Stanislas Meunier (Dunod, 1926), beaucoup trop ancien 11.
Sciences biologiques. - Il n'y a pas de travaux d'ensemble français pour la biologie générale, déplore-t-on à Toulouse. Un manuel de biologie générale serait indispensable, nous dit-on à Lyon. Et nous avons vu déjà la solution préconisée par les zoologistes de Lyon pour combler cette lacune.
Dans le domaine de la botanique, « ce qui manque réellement en ce moment, écrit M. de Tournadre, c'est l'ensemble des ouvrages généraux... tant en ce qui concerne la systématique que la physiologie végétale notamment, et aussi tous les autres aspects de la botanique. On est obligé d'avoir recours aux encyclopédies ou aux traités généraux publiés surtout en Allemagne et dans les pays de langue anglaise... Dans ces conditions, la préparation des cours devient particulièrement difficile ». En effet, les botanistes français ne nous ont pas donné de grand traité, comme ont pu le faire les zoologistes avec celui que dirige M. Grassé. Quant aux étudiants, ils sont totalement démunis, à tous les niveaux. « Il est pratiquement impossible, nous dit-on à Lyon, tant pour les enseignements du P. C. B. et du S. P. C. N. que pour la licence, de pouvoir conseiller des manuels valables. Les éditions de Plantefol, Biologie cellulaire et végétale (Belin) et de Guilliermond et Mangenot, Biologie végétale (Masson) datent beaucoup et ne sont plus utilisables dans le domaine de la physiologie. »
On est unanime sur ce dernier point : c'est là une très grave lacune. « Il n'existe aucun traité de physiologie végétale en France, confirme M. Garnier. Or, sans tenir compte des facultés de province, il y avait rien qu'à Paris 651 étudiants inscrits au mois de novembre 1956 au certificat de physiologie végétale. » Comment incriminer les étudiants, dans ces conditions, de se contenter des cours polycopiés? Peut-être ont-ils la ressource de quelques mises au point bien faites dans diverses collections, comme « Que sais-je ». Mais c'est bien insuffisant.
Mme Messonnier ajoute : « Il serait souhaitable que nos étudiants disposent d'ouvrages constamment mis à jour du genre du Lehrbuch der Botanik de Strasburger (26te Aufl., Stuttgart, 1954) qui couvre tous les domaines utiles pour l'étudiant. Une simple traduction de tels ouvrages serait fort appréciable. » Mais ce ne serait là sans doute qu'une solution provisoire, en attendant le ou les ouvrages généraux qui ont certainement leur place dans l'édition française. D'après M. Garnier, « des auteurs d'une compétence indiscutable... seraient sûrement disposés à y consacrer une partie de leur temps s'ils étaient sûrs d'être édités une fois l'ouvrage terminé... ». On peut même affirmer qu'il y a actuellement des professeurs de faculté qui s'inquiètent de cette lacune pour leurs étudiants et se déclarent prêts à y porter remède.
La phytosociologie fait également l'objet de doléances, à Marseille notamment : « on est surpris de ne voir aucun ouvrage général de langue française dans ce domaine, alors qu'il en existe plusieurs en allemand, en anglais, en italien, en espagnol, et même en tchèque et en japonais ».
Il y a aussi des demandes en ce qui concerne les flores. « Il est regrettable, nous dit M. de Tournadre, qu'on ne réédite pas des ouvrages comme la Flore de France de H. Coste et, sur le plan local, il manque beaucoup d'ouvrages de ce type qu'il n'est plus possible de se procurer qu'au hasard d'occasions problématiques. Cependant, on ne saurait trop insister sur l'intérêt que présente l'achat de toute flore paraissant sur n'importe quelle partie du monde. »
Les « pharmaciena », nous dit M. Garnier, sont particulièrement désireux de voir éditer « un guide traitant des plantes médicinales, chaque plante étant étudiée sous tous ses aspects, avec toutes les références bibliographiques, les indications botaniques, chimiques, pharmacodynamiques permettant la recherche rationnelle selon les techniques modernes ». Avec le développement actuel de l'étude des plantes médicinales, un tel ouvrage serait extrêmement utile aux chercheurs et se vendrait sans aucun doute. Dans ce domaine aussi on trouverait des auteurs.
Enfin sur le plan général on reproche leur insuffisance à nos revues spécialisées, en regard des grandes revues étrangères de botanique. Et, bien entendu, « il n'existe pas, en France, de dictionnaire de botanique analogue au Diccionario de botanica publié en 1953 sous la direction de Font Quer, à Barcelone, ni même un glossaire analogue au Glossary of botanic terms de Jackson dont la 4e édition a été réimprimée à Londres en 1949. Le Dictionnaire aide-mémoire de botanique de Gatin, paru en 1924 mais rédigé en 1914, n'est plus à jour. Malgré son utilité à l'époque, il n'a pas été refait. Il n'est d'ailleurs pas assez développé ». (M. Garnier.)
Pour la zoologie et la biologie animale, les étudiants paraissent dans l'ensemble assez démunis. Pour la propédeutique, les étudiants eux-mêmes se plaignent de l'insuffisance des collections P. C. B., S. P. C. N. dont les volumes sont parfois réédités sans révision et périmés (Poitiers, Toulouse, Lyon) 12.
On suggère à Lyon que les manuels du P. C. B. pour la biologie animale soient édités en plusieurs parties (zoologie élémentaire et anatomie comparée, biologie élémentaire, physiologie élémentaire) plus faciles à mettre à jour pour tenir compte des données scientifiques nouvelles et des changements de programme.
Mais c'est surtout pour la licence et la préparation au CAPES et à l'agrégation que cette lacune paraît urgente à combler. A ce niveau, « il n'existe actuellement en langue française aucun ouvrage de zoologie et de biologie animale. Tout ce qui a été édité dans le passé est épuisé, et, de toute façon, dépassé », nous dit-on à Lyon. La même remarque est faite à Poitiers, à Nancy, à Clermont-Ferrand.
Quant au Traité de zoologie dirigé par M. Grassé (Masson), on aimerait qu'il soit publié plus rapidement. A Toulouse, on fait remarquer d'autre part que ce traité est insuffisant pour l'entomologie et la zoologie appliquée et que, d'une manière générale, il n'existe pas de travaux d'ensemble français pour l'entomologie. « La biologie des insectes, dit Mlle Arduin, n'a tenté aucun éditeur et les spécialistes doivent utiliser les ouvrages étrangers comme : R. E. Snodgrass, Principles of insect morphology (New York, Mc Graw Hill, 1935); V. B. Wigglesworth, The Principles of insect physiology (London, Methuen, 1950), dont la traduction demeure à faire », comme aussi celle du petit traité de zoologie d'Umberto d'Ancona : Trattato di zoologia (Torino, Unione tipogr. edit. torinense, 1953) dont la partie biologique est très utilement développée.
Enfin un professeur de zoologie de Nancy souhaiterait voir paraître un périodique français du niveau des Zoologischer Berichte dont la publication a cessé en 1943.
Sciences médicales. - D'une manière générale, il ne semble pas que l'édition médicale française comporte vraiment des lacunes très graves. C'est l'avis du Dr Hahn; et Mlle Kœst, bibliothécaire à la section de médecine de la Bibliothèque universitaire de Nancy, estime que « les chercheurs et les étudiants disposent, dans les principales branches, des manuels et des monographies indispensables à leur travail ». Toutefois nous relèverons en passant une doléance assez générale de la part des étudiants et qui vaut aussi pour les jeunes praticiens : le prix prohibitif des livres médicaux français, même en comparaison des prix étrangers.
La question des grands traités médicaux est assez discutée. A Toulouse, on se plaint vivement de l'absence d'ouvrages de synthèse dans un certain nombre de domaines de la médecine : en anatomie pathologique, en physiologie, en endocrinologie, les traités existants sont anciens et périmés (Letulle, 1931; Roger et Binet, 1928-1940; Lucien, Richard et Parisot, 1930, inachevé). Il n'y a rien de valable dans l'édition française pour l'histologie, l'embryologie. « En stomatologie, s'il a paru de bons livres de clinique, l'ouvrage réellement scientifique demeure à faire. » Remarque identique à Nancy : « Il n'existe aucun grand traité spécialisé récent. Tous sont antérieurs à la seconde guerre mondiale (Nouvelle pratique dermatologique, 1936, Traité d'ophtalmologie, 1939, etc...). On souhaite aussi un ouvrage de synthèse concernant la pharmacologie 13. »
Les traités de type allemand, véritables ouvrages de référence, n'existent pratiquement pas en France pour la médecine, constate enfin le Dr Hahn. Mais nous sont-ils vraiment indispensables? « Leur opportunité est souvent contestée, étant donné la rapidité avec laquelle ils sont dépassés par l'évolution de la médecine », nous dit-on à Nancy où, d'ailleurs, les chercheurs paraissent habitués à utiliser les « Handbücher ». Néanmoins le regret paraît vif à Toulouse de ne pas voir en France d'entreprise comparable à celle de Lubasch par exemple, pour l'anatomie pathologique, avec ses vingt-deux volumes dont la publication s'achève en Allemagne actuellement.
Pour le Dr Hahn, ce qui manquerait peut-être le plus, au moins pour un certain nombre de disciplines, ce seraient de bons traités de niveau moyen, à mi-chemin entre le « grand traité » et l'ouvrage destiné aux étudiants. Mais n'oublions pas que nous disposons en France d'un instrument de travail de premier ordre avec l'Encyclopédie médico-chirurgicale. La solution n'est-elle pas dans des publications de ce type mises à jour de façon permanente, se demande-t-on à Toulouse. Cette formule paraît rencontrer l'agrément de beaucoup de médecins 14. A Nancy, en particulier, « la plupart des chercheurs interrogés préféreraient, pour la pathologie et la clinique, l'amélioration et la mise à jour rapide et régulière de la grande synthèse que représente l'Encyclopédie médico-chirurgicale dont malheureusement beaucoup de chapitres ne sont plus au point ». Tel est sans doute le vœu le plus pressant que nous ayons à traduire ici en ce qui concerne les ouvrages fondamentaux de médecine.
On se plaint, d'autre part, de l'insuffisance des dictionnaires médicaux. Le Dictionnaire des termes techniques de médecine de Garnier et Delamare (16e édition, 1953) est excellent, mais un peu succinct, nous dit-on à Clermont-Ferrand. On n'est pas toujours satisfait non plus des dictionnaires médicaux multilingues. Il faut cependant reconnaître que le domaine médical n'est pas, à beaucoup près, le moins favorisé pour ce genre d'instruments de travail.
Quant à l'histoire de la médecine, elle aurait encore sa place dans l'édition française. L'ouvrage du Dr Laignel-Lavastine (Histoire générale de la médecine, de la pharmacie, de l'art dentaire et de l'art vétérinaire, Paris, 1936-1949, 3 vol.) ne comble qu'imparfaitement cette lacune. Ce livre est certainement précieux à plus d'un titre, notamment par le choix des illustrations, mais l'absence de références ne permet pas de le considérer comme un ouvrage d'étude fondamental.
Enfin quelques remarques particulières : à Marseille on aimerait voir publier des travaux, d'une part sur les animaux de laboratoire (anatomie, système nerveux, soins et nourriture), d'autre part sur les instruments chirurgicaux.
Nous ferons état pour conclure d'une remarque qui répond, semble-t-il, à une préoccupation assez générale des chercheurs devant les tendances actuelles de l'édition médicale française. A Toulouse, « on dénonce la pléthore de production de détail dans toutes les disciplines cliniques ou biologiques et la multiplication des périodiques pour une même spécialité »; et à Nancy, « les principales critiques... portent sur la publication des périodiques dont le nombre est jugé excessif. Une même branche de la médecine en compte parfois trois ou quatre qui paraissent avec un retard considérable et ont des difficultés de rédaction et de financement ».
La limitation du nombre des publications médicales serait, pense-t-on, le remède à une certaine confusion et à une baisse de qualité. La concentration des efforts permettrait sans doute de s'orienter vers des travaux plus approfondis et peut-être vers ces travaux de synthèse dont on déplore l'absence en France. En ce qui concerne les périodiques tout au moins, on devrait arriver ainsi à une répartition plus judicieuse des articles spécialisés.
Cette dispersion des efforts est-elle à l'origine de l'absence d'une véritable bibliographie médicale française? Le Dr Hahn lui-même la déplore en constatant qu'à Paris de nombreux centres de documentation font, dans leur spécialité, un énorme travail et que ces diverses entreprises, dont les résultats se recoupent probablement dans certains domaines, ne remplacent pas en définitive une organisation bibliographique centrale. On est toujours forcé de recourir aux bibliographies étrangères, notamment à la Current list of medical literature (Washington). Ce souci s'exprime en province aussi, à Nancy par exemple où l'on déplore que « les mêmes travaux de dépouillement soient effectués simultanément pour le compte de différents périodiques sans qu'aucun d'eux puissent prétendre au rang de véritable bibliographie » et l'on souhaite pour les sciences médicales « un bulletin analogue à celui du C. N. R. S. qui couvrirait le domaine de la pathologie, de la clinique et de la thérapeutique et rendrait les plus grands services aux chercheurs et aux bibliothèques françaises ».
(A suivre.)