Le bibliobus de Grenoble

Un an de fonctionnement

P. Vaillant

Voici aujourd'hui plus d'un an qu'a été inauguré le bibliobus de Grenoble 1. C'est pourquoi il me semble utile de donner un rapide aperçu sur les résultats de cette expérience 2.

Nous rappelons que le fonds comprenait en mars 1956, 4.300 livres d'adultes et 1.700 livres d'enfants. Au 31 décembre, il représentait 7.300 ouvrages, dont 5.100 livres d'adultes et 2.200 livres d'enfants. Par contre, nous ne disposons toujours que d'une employée de bibliothèque et d'un chauffeur. Encore ce dernier ne nous est-il accordé que quelques heures par semaine pour conduire et veiller à l'entretien de la voiture, sans s'occuper de la bibliothèque.

L'œuvre entreprise dans les écoles à partir de janvier 1956 3 a été poursuivie et développée à la rentrée des classes d'octobre de la même année. Le bibliobus effectue non plus quatre, mais huit arrêts dans divers groupes scolaires périphériques disposés à l'ouest, au sud et à l'est de la ville. Ce service exige désormais non plus une, mais deux après-midi, le lundi et le mardi. Les enfants, une fois inscrits, non seulement cherchent eux-mêmes isolément leurs livres sur les rayons, mais les rapportent également de la même manière. Ce système a l'inconvénient d'être plus lent qu'un service collectif, où seuls les maîtres ou certains élèves seraient responsables pour les autres, Mais il a le grand avantage, à nos yeux, d'apprendre à l'enfant à utiliser une bibliothèque et de lui faire confiance pour son choix. Le nombre des inscrits était au 31 décembre de 844 (outre 42 instituteurs); il dépassait donc de 294 celui obtenu en juin. A la même date le nombre de livres prêtés dans l'année s'élevait à 6.483. Malheureusement ce service, dont on pouvait si bien augurer, a dû être interrompu fin décembre en raison des restrictions d'essence.

Ces restrictions n'ont heureusement pas, ou du moins peu, atteint le service de prêt dans les quartiers. Pour ce prêt, nous appliquons le même règlement que pour les bibliothèques de quartiers, c'est-à-dire inscription annuelle avec délivrance de carte d'abonnement, moyennant 100 F et présentation d'une pièce d'identité. Les livres empruntés une semaine doivent être restitués la semaine suivante.

Quatre stationnements hebdomadaires annoncés dans la presse locale, ont été adoptés successivement, le premier le 24 janvier, les deux suivants le 3 mars, le quatrième le 5 juin. Ces stationnements du bibliobus sont situés en des quartiers de forte densité de population à des carrefours ou sur des places de marché, au débouché de grandes artères qui relient Grenoble à sa banlieue 4. Un cinquième stationnement a été expérimenté depuis le 29 juin dans une banlieue moins peuplée, non loin d'usines ou de grands ateliers. Bien que ces emplacements soient pour la plupart, l'expérience l'a montré, l'objet d'une circulation ininterrompue, les heures de stationnement ont été choisies pour correspondre aux heures de marché ou bien à celles de fermeture des bureaux et des usines (entre 12 h et 14 h et entre 18 h et 19 h) 5.

Le bibliobus a, quelles que soient la température et les intempéries, fonctionné sans interruption depuis l'inauguration du 17 janvier 1956. Le nombre des inscriptions n'a cessé de grandir pour atteindre 1.041 au 31 décembre avec 11.097 prêts, après 142 stationnements pendant l'année. Cette progression toutefois est moins forte dans la banlieue moins peuplée. C'est pourquoi ici nous avons changé quatre fois d'emplacement en cours d'année 6. Il faut remarquer que la proportion du nombre de prêts (11.097) par rapport à celui des emprunteurs (1.041) n'est que de 11, c'est-à-dire plus faible que dans la plus fréquentée de nos deux bibliothèques de quartiers (24 pour la bibliothèque de la rue Abbé de la Salle). Mais cette disproportion n'a rien d'étonnant si l'on considère le nombre d'heures de stationnement. Le bibliobus ne peut en effet, avec par surcroît un service dans les écoles, prêter en 11 h 30 autant qu'une bibliothèque de quartier en 30 h. Au rythme mensuel, toutefois, des nouvelles inscriptions (150 en juin, 160 en octobre), il apparaît que le bibliobus, quelle que soit la fréquence des prêts, a un nombre d'inscrits presqu'égal à celui de la plus fréquentée de nos deux bibliothèques de quartiers (1.041 inscriptions en 1956 contre 1.355 dans la bibliothèque de la rue Abbé de la Salle).

Le bibliobus n'atteint pas seulement un grand nombre d'emprunteurs en un temps limité. Il touche également une clientèle qu'il faut aller chercher près de son travail dans les stationnements de banlieue, je veux parler de la clientèle ouvrière (deux fois plus importante en 1956 que pour la bibliothèque de la rue Abbé de la Salle 7).

En somme, étant donné les résultats très encourageants du service du bibliobus en ville, beaucoup plus encourageants, je l'avoue, que je ne l'escomptais au début de l'an dernier 8, il convient, je crois, de faire porter sur ce point notre effort. Un seul bibliobus urbain ne peut en effet remplacer à la fois plusieurs bibliothèques de quartiers et satisfaire les enfants des écoles 9. Pour ceux-ci, nous répugnons à effectuer de simples dépôts de livres, car nous ôterions ainsi au jeune lecteur le temps et la liberté de choisir sur les rayons si nécessaires pour sa formation. D'autre part, si nous voulons augmenter le nombre des prêts, afin qu'il soit en rapport avec celui des emprunteurs, il faut réserver tout notre temps à de plus longs stationnements. C'est d'ailleurs ce que nous avons fait à partir du 26 décembre dernier et l'effet s'en est déjà fait sentir 10. Le nombre mensuel des prêts est passé immédiatement de 1.707 en décembre à 2.579 en janvier. Cette prolongation de la durée des stationnements me semble particulièrement opportune pour les arrêts où la circulation est constante pendant toute la journée. C'est le cas des places et carrefours qui donnent accès aux grandes routes reliant Grenoble à sa banlieue, places et carrefours qui pourraient être avantageusement le siège de bibliothèques de quartiers. Nous réserverions, par contre, les arrêts courts à la banlieue, aux heures correspondant à la sortie des usines pour obtenir une clientèle ouvrière qui ne fréquente guère les bibliothèques situées loin de son travail 11.

  1. (retour)↑  Le 17 janvier 1956, sous la présidence de M. le docteur Martin, maire de Grenoble, et en présence de M. Brun, inspecteur général, représentant M. Julien Cain, directeur des Bibliothèques de France.
  2. (retour)↑  Les circonstances locales qui m'ont conduit à envisager la création de ce service et la description du bibliobus ont fait l'objet d'un article paru dans le Bulletin des bibliothèques de France, 1re année, n° 3, mars 1956, pp. 167-177.
  3. (retour)↑  Voir mon article déjà cité, p. 176.
  4. (retour)↑  Sur la place Saint-Bruno, au carrefour de l'Aigle, à l'angle de la rue d'Irvoy et du cours Jean-Jaurès, sur la place de la Bastille et sur la place Gustave Rivet.
  5. (retour)↑  Jusqu'au 26 décembre deux jours de 16 à 19 h, un jour de 17 à 19 h et un quatrième de 11 h 30 à 19 h. A partir du 26 décembre trois jours de 15 à 19 h et un jour de 11 h 30 à 19 h.
  6. (retour)↑  Tour à tour à l'angle du cours Berriat et de la rue Diderot, à l'angle du cours Berriat et de la rue Ampère, cité Beauvert et cité de l'Abbaye.
  7. (retour)↑  Nous avons en 1956 pour le bibliobus 68 ouvriers sur 689 emprunteurs alors qu'il n'y en a que 59 sur 1.093 dans la plus fréquentée de nos bibliothèques de quartier (rue Abbé de la Salle). Par contre, cette dernière bibliothèque a une clientèle de fonctionnaires proportionnellement près de deux fois supérieure à celle des fonctionnaires emprunteurs du bibliobus (117 sur 1.093 contre 36 sur 689). Dans les deux cas, il y a nette prédominance des retraités, des employés et surtout des personnes sans profession, pour la plupart des femmes, dont le nombre l'emporte de beaucoup sur celui des hommes (432 contre 238 pour le bibliobus). Dans les deux cas également, le nombre des représentants des professions libérales est très faible.
  8. (retour)↑  Voir mon article déjà cité, p. 177.
  9. (retour)↑  C'est pourquoi l'Association des bibliothécaires américains recommande des bibliobus ou, à défaut, des bibliothécaires distincts pour les écoles et les adultes : Sandop (M. W.). - Round up. (In : A. L. A. Bulletin. Vol. 42, 1948, p. 564).
  10. (retour)↑  Depuis que le nombre total des heures de stationnement est passé de 11 h 30 à 19 h 30.
  11. (retour)↑  Nous réaliserions ainsi un compromis entre le système américain des stations prolongées et celui adopté dans les villes suédoises qui prévoit des arrêts multiples et courts : voir mon article déjà cité, pp. 176-177.