Cire spéciale pour reliure

Françoise Flieder

Si l'utilisation de cires pour l'entretien des cuirs est d'usage domestique courant, les conservateurs n'ignorent pas que des cires de basse qualité peuvent avoir, à longue échéance, le plus mauvais effet sur l'état des reliures. D'autre part, tandis que l'expérience pratique a plusieurs fois montré que des reliures soigneusement cirées résistaient mieux à de mauvaises conditions atmosphériques et aux moisissures que si elles avaient été mal entretenues, les cryptogamistes attiraient l'attention sur le terrain particulièrement favorable aux développements des micro-organismes que constituent certaines cires recherchées par ailleurs pour leur pureté.

Il y avait là des contradictions apparentes dont il a paru intéressant de rechercher la solution en analysant de plus près les différents modes d'action des cires et les caractéristiques que devraient présenter les cires pour reliure. On a tenté alors d'apprécier les cires employées par les bibliothèques en fonction de ces caractéristiques et de mettre au point une ou plusieurs formules nouvelles.

Toute cire agit plus ou moins comme un isolant entre le cuir et le milieu extérieur. Par l'imprégnation, elle est capable de s'opposer au dessèchement, au retrait et au fendillement du cuir (en le « nourrissant », dit-on); si elle laisse un bon poli, elle peut faire écran contre la poussière. L'imprégnation comme le poli contribuent à empêcher la pénétration de l'humidité dans le cuir, et ceci explique en partie l'action bienfaisante de la cire sur des reliures soumises à une humidité relative un peu forte.

Enfin, si l'efficacité de la plupart des cires naturelles ou des préparations courantes s'arrête là, si même quelques-unes d'entre elles risquent de favoriser l'attaque d'agents chimiques ou biologiques, on voit l'intérêt de posséder une formule de cire assurant une protection contre les impuretés chimiques de l'atmosphère et contre les agents biologiques (champignons et insectes).

Pour remplir ce rôle multiple, les propriétés d'une cire devront répondre à des caractéristiques bien définies.

Il convient tout d'abord que la préparation soit suffisamment ductile et grasse pour facilement s'étaler, pénétrer le cuir et le « nourrir », c'est-à-dire colmater ses pores. Mais à ces deux propriétés une limite doit être posée pour que les surfaces demeurent parfaitement lisses et indemnes de toute viscosité. Pour l'apparence enfin, on requiert une cire incolore et laissant un luisant discret qui mette particulièrement en valeur les dorures.

La première caractéristique chimique à exiger est la neutralité : de nombreux travaux 1 ont attiré l'attention sur les inconvénients de l'acidité atmosphérique des grandes villes pour les reliures de cuir. Un milieu alcalin présenterait d'aussi grands risques de corrosion. Tout produit destiné à rester en contact permanent avec les peaux doit être sensiblement neutre (pH 2 compris entre 6,5 et 7,5).

Enfin, la préparation doit être telle qu'elle supporte l'incorporation intime de fongicides et d'insecticides d'action aussi persistante que possible.

Si quelques-unes des cires pour reliure que l'on trouve dans le commerce donnent satisfaction au point de vue de la consistance ou du brillant, si diverses firmes ont mis sur le marché, mais seulement pour les encaustiques à meubles, des produits insecticides, certaines préparations sont considérées comme trop fluides ou trop visqueuses sous le climat français, et surtout, la presque totalité des cires qui ont été examinées présentaient un mauvais pH, trop acide pour les unes, trop alcalin pour les autres.

On a donc méthodiquement recherché une préparation qui réunisse toutes les caractéristiques énumérées plus haut.

Pour obtenir une préparation présentant la ductilité suffisante, il était nécessaire de faire usage d'un solvant et dans le choix de celui-ci résidait la première difficulté; les solvants les plus couramment employés sont l'essence de térébenthine et le « white spirit » beaucoup moins coûteux; l'un et l'autre sont capables de dessécher le cuir de façon très appréciable. Au contraire, de tous les solvants que nous connaissions, il semble que l'eau ne puisse, à l'état de solvant, être nuisible au cuir qui doit toujours en conserver une certaine teneur pour garder sa souplesse. Toutefois, l'eau n'étant pas un bon solvant des cires, nous avons recherché une formule d'émulsion comportant la plus large proportion possible d'eau.

Pour une préparation destinée à demeurer en contact si intime avec le cuir de reliures souvent précieuses, la prudence semblait commander de faire appel, de préférence, à des corps naturels, assez anciennement employés pour qu'aucun doute n'existe sur leur comportement à longue échéance. C'est donc l'utilisation de cires naturelles qui a été envisagée tout d'abord.

Parmi les cires animales, la cire d'abeille, sans doute la plus courante, émulsionnable, mais qui laisse les surfaces très collantes, ne pouvait, de toute façon, être employée à l'état naturel en raison de sa couleur : d'autre part, comme l'agent de blanchiment est souvent le chlore, il était dangereux d'employer sur le cuir la cire d'abeille blanchie.

Des cires végétales choisies en raison du brillant qu'elles donnent à la préparation sont employées en petite quantité pour éviter que la pâte ne soit ni colorée, ni trop collante.

Aussi bien, malgré le choix considérable qu'offrent les cires naturelles nous n'aurions pas cru devoir les retenir seules, ni même les employer en très grande quantité parce que nous avons constaté, selon le mode d'extraction des produits dont nous pouvions avoir livraison, des variantes considérables dans les constantes chimiques; ceci rend illusoire la sécurité que paraissait apporter l'expérience ancienne de ces cires. Nous avons alors été amenés à remplacer certaines cires naturelles par des cires synthétiques présentant les mêmes caractéristiques physiques et dont les constantes chimiques sont invariables. Un choix a été fait parmi ces cires et un dosage défini dont le résultat réponde exactement aux caractéristiques énoncées plus haut. Les diverses formules possibles ont été soumises à la fois à des essais de laboratoires et à l'avis des utilisateurs.

Cette préparation de base arrêtée, on a recherché, parmi les fongicides dont l'efficacité est la plus durable, ceux qui se trouvaient solubles dans les cires ou leurs solvants sans colorer l'ensemble ni surtout en modifier les propriétés chimiques et en premier lieu le pH. Il était également indispensable que fongicides et insecticides n'exercent les uns sur les autres aucune action destructive.

Enfin l'adjonction d'une faible quantité de silicones est destinée à assurer une protection spécifique contre l'humidité; elle confère en outre un beau brillant.

La préparation obtenue est conditionnée en tube d'aluminium (intérieur protégé par un vernis cuit au four) de façon à pouvoir être stockée pendant plusieurs mois sans détérioration. C'est une pâte d'aspect blanchâtre, légèrement translucide. Bien qu'elle conserve l'odeur du solvant volatil, elle est assez peu inflammable (comme toutes les cires pâteuses). Elle peut être employée en insistant pour décrasser les cuirs bruns. Il est prudent d'en user plus modérément sur les cuirs teints (rouge, vert par exemple) afin d'éviter leur décoloration. Cet inconvénient ne lui est pas propre, il pourrait être pallié par l'adjonction de colorants, mais il faudrait alors tout un jeu de tubes en service en même temps.

L'application doit se faire par l'intermédiaire d'un linge propre blanc sur lequel on étale une légère pellicule de la préparation et que l'on passe sur le cuir. On laisse sécher un quart d'heure et l'on enlève l'excès de cire au chiffon de laine. L'usage de la cire doit être d'autant plus modéré et le lustrage soigné que le cuir est plus granuleux. Si toutefois, après quelques jours, réapparaissaient des traces blanchâtres, une reprise soit au chiffon de laine, soit avec une brosse très fine, enlèverait l'excès de cire libéré par l'évaporation des solvants.

Il ne semble donc pas imprudent de passer au stade de l'utilisation en bibliothèque. Dès maintenant, de petites quantités ont été fournies, à titre expérimental, et toutes les observations des utilisateurs éventuels seront recueillies avec le plus grand intérêt. Commercialisée  1 par les soins du Centre national de la recherche scientifique, la nouvelle cire pourrait être prochainement mise sur le marché. Il est à souhaiter que son prix de revient puisse être maintenu assez bas pour que son utilisation s'étende sans difficulté aux meubles précieux et, même en raison de ses propriétés fongicides et insecticides durables, aux rayonnages de bois qui supporteraient encore des ouvrages de réserve.

  1. (retour)↑  Voir notamment : Progress in leather sciences, 1920-1945. - London, British Leather. Manufacturer's Research Association, 1-6, Nelson Square, 1948. - In-8°.
  2. (retour)↑  Il s'agit d'un indice en relation avec le degré d'acidité ou d'alcalinité; la neutralité correspond à la valeur pH = 7.
  3. (retour)↑  C'est la raison pour laquelle la formule ne peut en être donnée.