Les magasins à livres dans les bibliothèques françaises du début du XIXe siècle à nos jours
Il y a vingt ans, un architecte anglais Harold A. Dod. Friba, reprenant au cours d'une conférence 1 une formule déjà très familière aux bibliothécaires américains, déclarait qu' « une grande bibliothèque moderne devait être conçue en fonction de ses magasins ». Cet avis était d'ailleurs partagé à la même époque en France par quelques spécialistes de l'architecture des bibliothèques comme en témoignent des articles parus en 1938 et 1939 2. Un siècle plus tôt, le comte de Laborde, très averti des exigences des bibliothèques, et qui peut être considéré comme un précurseur dans ce domaine 3, aurait très certainement été choqué par de telles formules : en 1840, une bibliothèque était essentiellement une grande salle de travail tapissée de livres reliés et la constitution de dépôts de livres hors de cette salle ne s'était pour ainsi dire pas encore fait sentir.
De nos jours, si du moins nous nous en référons aux écrits d'experts ès-bibliothèques publiés ces dernières années outre Atlantique, le magasin ne devrait plus constituer cette entité, cet élément intrinsèque, distinct des salles publiques : de plus en plus, en effet, il est demandé aux architectes américains de prévoir des bâtiments d'une grande souplesse (« flexibility »), aux parties interchangeables, conçus en un mot de telle manière qu'à des travées de livres puissent être substituées du jour au lendemain des tables de lecture ou des « aires » de travail, selon le développement pris par telle ou telle division 4.
Devons-nous, à notre tour, reconsidérer cette question et nous orienter vers des formules plus souples? C'est la question à laquelle nous voudrions répondre dans cet article consacré aux magasins de livres. Il nous a paru intéressant de rappeler à cette occasion par quelles étapes nous sommes passés en France au cours de ces deux derniers siècles et à quel type de magasins nous en sommes arrivés après des tâtonnements plus imputables au petit nombre des expériences qu'il nous était donné de faire dans ce domaine qu'à l'absence de théorie ou de guides.
Histoire des magasins à livres du début du XIXe siècle à 1939
Dans l'histoire des bibliothèques françaises - histoire qui n'a guère été qu'effleurée et seulement dans un très petit nombre d'ouvrages français - quelques noms dominent en ce qui concerne la construction et l'aménagement de nos bibliothèques : ceux du comte de Laborde et de Labrouste, universellement connus, ceux plus obscurs de L.-A. Constantin, de Jules Cousin, de Jules Laude et d'Albert Maire, pour nous en tenir à la période qui va de 1839 à la veille de la première guerre mondiale. En dépit des avis souvent très judicieux formulés dans leurs traités ou manuels, des plans-types qu'ils ont proposés et dont certaines dispositions nous semblent encore aujourd'hui très pertinentes dans le principe, il nous faut reconnaître que durant plus d'un siècle, à deux ou trois exceptions près, la France n'aura guère de bâtiments à donner en exemple et que la majorité des bibliothèques créées ou réorganisées dans le dernier quart du XIXe siècle et le premier quart du xxe ont été installées dans des conditions médiocres, la plupart du temps dans des bâtiments déjà existants, hôtels de ville, anciens collèges de jésuites, églises ou chapelles désaffectées, palais épiscopaux, hôtels particuliers du XVIIIe ou du XIXe siècle édifiés à d'autres fins. Lorsque les universités furent réorganisées, les bibliothèques se virent accorder des salles aux surfaces généralement beaucoup trop petites mais d'une hauteur - heureusement en un sens 5 - très grande, rarement des bâtiments indépendants, et dans presque tous les cas sans que les bibliothécaires aient eu leur mot à dire dans le plan et les aménagements voulus par les architectes.
En nous limitant aux seuls dépôts de livres, essayons de voir d'abord ce qui a été proposé par les auteurs d'ouvrages ou de rapports, bibliothécaires en fonction, amis des livres ou architectes, ensuite ce qui a été réalisé en France jusqu'en 1914.
C'est dans les manuels Roret qu'un certain Léopold Hesse, caché sous le pseudonyme de l'un de ses prénoms, Constantin 6, a fait paraître l'un des tout premiers manuels de bibliothéconomie qui, à notre connaissance du moins, consacre un certain nombre de pages aux problèmes du local et du mobilier des bibliothèques. Mais laissons-lui la parole : « le local le plus convenable, le plus facile à trouver et le plus économique à construire pour une salle de bibliothèque [entendez ici : dépôt de livres] est celui d'une longue et large galerie éclairée d'en haut ou de deux côtés et coupée en travées par des corps de bibliothèques adossés les uns aux autres, formant ainsi des divisions et communiquant ensemble par un passage ou par une porte au milieu » et un peu plus loin : « outre les salles destinées à renfermer la bibliothèque même, il faut réserver un salon de lecture, une pièce pour les bureaux de l'administration et un vestiaire ». Il ajoutait même : « l'avantage d'une pièce spécialement consacrée à la lecture est trop grand pour qu'on ne fasse pas tout ce qui est possible pour en établir une dans une bibliothèque publique », assortissant cet avis des raisons suivantes : les travailleurs sont moins distraits par le bruit des allées et venues, leur surveillance est plus facile et une seule pièce est plus aisée à chauffer l'hiver. Peut-être avait-il eu connaissance des écrits de l'italien Léopold Della Santa qui, dès 1816, avait conseillé - conseil révolutionnaire pour l'époque - la division du bâtiment des bibliothèques en trois parties : magasin de livres, locaux pour l'administration et grande salle de lecture? Quoi qu'il en soit, le plan de magasins qu'il propose annonce déjà celui que Labrouste a réalisé en 1858 avec le magasin central des imprimés de la Bibliothèque nationale.
Quant aux critiques que L.-A. Constantin adresse aux « salles trop grandes et trop élevées » qui « ne sont que pour l'effet » et « forcent inutilement à laisser libre et sans emploi la partie supérieure des murs ou à y établir des galeries pour le service d'un second rang d'armoires », elles devancent celles de Jules Cousin 7 et de V. Mortet 8 parlant de la nouvelle Bibliothèque universitaire de Bordeaux (section lettres et sciences) et celles formulées dès 1881 par William F. Poole, bibliothécaire à Chicago. Sans doute y aurait-il à relever dans le manuel de Constantin quelques recommandations susceptibles de choquer les bibliothécaires d'aujourd'hui, telles que « la hauteur la plus convenable des épis est de 2,60 m à 3,25 m » ou la nécessité d'avoir des portes à grillage. Du moins a-t-il été un précurseur pour conseiller des magasins distincts des salles de lecture avec rayonnages en épis éclairés latéralement, et un des premiers à déclarer, ce dont on ne saurait trop le louer : « la disposition architectonique d'une bibliothèque est autant l'affaire du bibliothécaire que de l'architecte ».
Le comte Jean de Laborde, souvent cité parmi les grands théoriciens de la première partie du XIXe siècle, est connu des bibliothécaires par sa 8e Lettre écrite en avril 1845 sur l'Organisation des bibliothèques de Paris, lettre dont l'entrée en matière sonne comme venant d'un homme assez sûr de lui, et qui a bon espoir de faire admettre ses idées ou ses plans en hauts lieux : « Le moment est venu, écrit-il, de s'occuper sérieusement de la construction des bibliothèques publiques afin de loger les livres selon leur nature et les lecteurs selon leurs besoins. » Quelques lignes plus loin cette autre phrase laisse prévoir tout un programme : « une bibliothèque publique a son caractère et sa mission, elle a aussi ses exigences : au dépôt, il faut la sûreté; aux recherches, la rapidité; aux études, le calme ». Le rapport nous entraîne alors dans plusieurs pays étrangers visités par l'auteur, mais de toutes les bibliothèques où il est passé, celle de Munich, commencée en 1832 et achevée vers 1843, retient surtout son attention : on y trouve en effet, au-dessus de la salle de lecture, des dépôts de livres sur deux étages sous la forme de salles sans décoration où les rayonnages répartis en trois galeries superposées ne dépassent pas 2,50 m. Il revient alors à la France et fait l'éloge du projet que Labrouste a mis au point en 1843 pour la nouvelle Bibliothèque Sainte-Geneviève. Il regrette seulement que les bureaux du personnel et la majeure partie des collections soient bien éloignés de la salle de lecture. Il passe ensuite, mais un peu trop rapidement à notre gré, aux bibliothèques construites dans la première moitié du siècle, la Bibliothèque d'Amiens (1824), celle du Muséum (1830), celles du Sénat et de la Chambre « pour lesquelles l'architecte semble avoir abdiqué devant le décorateur », pour en venir à l'examen du plan de Della Santa, « réaction fort heureuse et fort nécessaire contre les architectes » mais qui, en proposant « comme le seul type d'une bonne bibliothèque un vaste magasin qui présente à l'extérieur l'aspect d'une caserne..., sacrifie l'art à l'aménagement ». A dire vrai, le comte de Laborde a visité trop de bibliothèques somptueusement aménagées pour accepter un plan de magasin aussi utilitaire. « Si l'on n'a en vue que l'emmagasinement des livres et leur surveillance exacte, écrit-il un peu plus loin,... c'est à l'architectonographie des prisons... qu'il faut exclusivement demander ses inspirations. » Aussi reproche-t-il au plan de l'Italien, sans d'ailleurs en donner les raisons, ses « inconséquences... et ses impossibilités matérielles au point de vue exécution ». Nous ne jugerons pas ses propres plans avec autant de sévérité. L'un d'eux (pour 100 à 200.000 volumes), qui prévoit de mettre salle de lecture et bureaux au-dessus d'un étage de magasins situé au rez-de-chaussée, est relativement fonctionnel, comme nous disons aujourd'hui, mais ce magasin, dont la disposition est finalement assez proche de celle de Della Santa, n'offre aucune possibilité d'extension et sa place au ras du sol n'est pas sans appeler la réserve que faisait déjà, deux siècles plus tôt, Gabriel Naudé dans son fameux Advis pour dresser une bibliothèque (1627), où il notait : « il sera toujours à propos de la placer (la bibliothèque) dans des estages du milieu afin que la fraîcheur de la terre n'engendre point le remugle qui est une certaine pourriture qui s'attache insensiblement aux livres ».
Il faut attendre maintenant 1882 pour voir paraître un nouveau manuel théorique et pratique du bibliothécaire intitulé De l'organisation et de l'administration des bibliothèques publiques et privées dont l'auteur est Jules Cousin, bibliothécaire universitaire à Douai. Rien de très neuf à la vérité dans ce manuel, mais au moment où les bibliothèques universitaires françaises viennent de se voir doter d'instructions précises (1878) et où leur réorganisation complète va nécessiter des installations nouvelles, il est intéressant de voir ce que conseillaient alors des manuels spécialisés comme celui de Cousin. Les livres ou rapports de Constantin, du comte de Laborde, de Petzholdt pouvaient être oubliés ou ignorés, ceux de Jules Cousin, de J.-L. Pascal, architecte de la Bibliothèque nationale et de la Faculté de médecine de Bordeaux 9, puis de Graesel (1890) traduit en 1895 par Jules Laude, réédité en 1897, enfin d'Albert Maire (1896) ne pouvaient pas ne pas tomber entre les mains des responsables de nos universités d'alors ni être consultés par les architectes responsables des édifices à construire.
Dans son ouvrage, Jules Cousin recommande d'abord de construire pour les bibliothèques publiques des établissements indépendants, de choisir avec soin leur emplacement - l'endroit devra être calme, sans humidité -, de les doter d'ouvertures sur deux côtés, au levant et au couchant, et d'adopter « la forme qui paraît la plus commode et où l'espace pourra être le mieux ménagé », c'est-à-dire « sans contredit, celle d'un carré long » (sic). Faisant très certainement allusion aux bibliothèques françaises construites durant les 50 dernières années, il indique, mais sans trop y insister, qu'il préfère pour sa part « des salles de lecture aux proportions plus modestes », mais, ajoute-t-il, « distinctes de la salle ou des salles où les livres sont placés ». Il est vrai qu'en ce qui concerne les bibliothèques semi-publiques (d'université ou de faculté, par exemple) il hésite encore à conseiller, comme il l'a fait pour les bibliothèques publiques, une distinction aussi tranchée. Fâcheuse hésitation assurément. Du moins estime-t-il que pour les magasins, la meilleure disposition à choisir serait peut-être « une succession de pièces se communiquant entre elles par une sorte de corridor ouvert ou de couloirs courant tout le long des fenêtres d'un bout à l'autre du bâtiment ». Notons qu'il précisera tout de même un peu ses théories dans le rapport qu'il fait paraître en 1886 sous le titre De la construction et de l'installation des bibliothèques universitaires. Il insiste ici en effet pour que la bibliothèque universitaire forme un bâtiment spécial, un tout complet et isolé, pour que les dépôts de livres soient à côté de la salle de lecture - ce qui permettra le jour venu des adjonctions, une extension - et pour que les rayonnages ne dépassent pas 2,10 m à 2,20 m, des planchers intermédiaires à claire-voie ou mieux à dalles de verre, comme J.-L. Pascal a pu les décrire dans son rapport de 1884 sur les bibliothèques 10 devant per mettre des liaisons faciles entre ces galeries de livres. Un petit plan de magasin figurait dans son manuel de 1882. Il n'appelle pas de très grandes critiques, mais n'intéresse que de petites bibliothèques. Nous n'attacherons enfin que peu d'importance à la préférence de Jules Cousin pour les tablettes fixes : il nous y a d'ailleurs invités lui-même dans cet aveu naïvement touchant qui est déjà presque un repentir : « c'est là un détail sur lequel nous ne voudrions pas insister fortement ».
La précision, la rigueur, c'est dans des ouvrages étrangers que nous les trouverons, mais seulement à partir de 1893 et de 1895 sous forme de traductions, d'une part dans les remarques de William F. Poole, bibliothécaire à Chicago, formulées dès 1881 et rapportées par la Revue des bibliothèques en 1893 11, d'autre part dans le Manuel de bibliothéconomie du Dr Arnim Graesel édité en Allemagne en 1890 et en France en 1895 dans la traduction de Jules Laude, rééditée en 1897.
Aux grandes salles démesurément hautes auxquelles nous avaient habitués quelques architectes français, Lheureux (École de droit), Ginain (Faculté de médecine), Duban (École des Beaux-arts), Labrouste (Sainte-Geneviève et Bibliothèque nationale) à Paris, Questel à Grenoble, Sauvageot à Rouen, Henri Espérandieu à Marseille, pour n'en citer que quelques-uns, Poole fait huit objections d'une force et d'une logique absolument irréfutables. Faut-il ajouter que ces objections ont gardé leur pleine valeur et qu'il est même assez surprenant qu'après un tel réquisitoire on ait continué aux États-Unis durant de longues années encore à construire de vastes vaisseaux, d'immenses nefs pour servir de salles de lecture. Quant au bloc-magasin que préconise Poole, à quelques centimètres près, les dimensions données 12 sont celles qui ont encore cours aujourd'hui.
Dans son manuel qui emprunte beaucoup au Katechismus der Bibliothekenlehre de Petzholdt (1856) mais le complète sur de nombreux points, Graesel définit en termes très précis et à l'aide de multiples exemples ce que doivent être les magasins de bibliothèques, distincts des salles de lecture et « aménagés de manière à pouvoir contenir le plus grand nombre de livres possible dans l'espace le plus restreint, sans toutefois que les livres cessent d'être bien visibles et à condition que l'on puisse toujours les prendre facilement et rapidement ». Après la lecture du premier chapitre de ce manuel consacré au local et au mobilier des bibliothèques, on ne peut que savoir gré à Jules Laude d'avoir mis à la disposition des architectes et des bibliothécaires français autant de plans et d'indications détaillées sur l'installation même et les aménagements intérieurs de bibliothèques. Que n'a-t-il été, en France, mieux suivi!
Albert Maire, sous-bibliothécaire à la Sorbonne, dont le Manuel pratique paraît juste une année après la première édition traduite du Graesel, aborde, mais sans vraiment entrer dans beaucoup de détails, les problèmes du local et du mobilier, traités en moins de 40 pages. Sans doute nous offre-t-il un « plan-modèle » de grande bibliothèque qui manifeste une étude sérieuse des problèmes de liaisons et un souci réel d'assurer aux documents une bonne conservation comme de ménager le maximum de silence et de tranquillité aux lecteurs. Mais les quatre grandes cours intérieures qu'il prévoit à cet effet « étalent » considérablement le plan et allongent les circulations, au lieu de donner cette concentration aujourd'hui si recherchée en raison de l'insuffisance numérique du personnel et des faibles crédits accordés pour les constructions. Comme Jules Cousin, il préconise pour les bibliothèques universitaires des rayonnages fixes bien qu'il signale l'emploi de plus en plus fréquent des clavettes. Notons à son actif que les rayonnages métalliques, pour la première fois en France nous semble-t-il, sont recommandés..., hormis dans les bibliothèques universitaires (p. 60) où... « l'on doit se contenter du bois ». En revanche, Albert Maire n'a pas encore entendu parler - ou peut-être n'ose-t-il pas encore le faire - du système Lipman d'accrochage des tablettes, appliqué à Strasbourg en 1889, puis aussitôt dans toute l'Allemagne. Au total, livre peu révolutionnaire et qui n'a pas dû frapper particulièrement l'attention de ceux qui, à cette époque, avaient la charge de doter les bibliothèques d'installations nouvelles.
Dirons-nous enfin notre déception à la lecture des articles de la Grande encyclopédie 13 consacrés à l'architecture et au mobilier des bibliothèques. Nous savons bien qu'ils ont paru avant la traduction par Jules Laude du manuel de Graesel et avant l'ouvrage d'Albert Maire, mais que penser des éloges décernés à ces « bibliothèques construites, ou du moins aménagées, en vue de leur destination : ainsi la Bibliothèque de l'Institut de France,... la Bibliothèque du Conservatoire des arts et métiers,... la Bibliothèque de l'École de droit,... la Bibliothèque de la nouvelle Faculté de médecine,... et la Bibliothèque de l'École nationale des beaux-arts... »? N'y lit-on pas également ceci : « la nécessité de séparer les dépôts de la salle de lecture ou de travail ne s'impose que dans les grandes bibliothèques publiques; cette précaution est beaucoup moins indispensable ailleurs, dans les bibliothèques universitaires par exemple. Dans ces dernières, on peut faire des dépôts la salle de lecture, et adopter une disposition à la fois plus élégante et plus commode pour les travailleurs ». Selon une tradition déjà très solidement établie, on y égratigne bien un peu les architectes, trop préoccupés de réussir leur façade, et, sans doute, les municipalités sont-elles spécialement visées dans cette phrase « on peut espérer que l'on finira par comprendre un peu partout que, pour être conservés, les livres ne doivent être mis ni dans des caves, ni dans des greniers, qu'ils ont besoin tout comme les hommes d'air et de lumière »? Ceci est juste, mais ce sont des données plus précises dont ont besoin les villes et les architectes auxquels sont confiés les travaux.
Les traités d'architecture d'alors, ceux de Louis Cloquet et Julien Guadet 14 notamment, consacrent un certain nombre de pages à l'architecture de bibliothèques, mais plus qu'une recherche de solutions nouvelles et originales à ce problème, nous y voyons, passées en revue, les dernières réalisations françaises et étrangères, parmi lesquelles les noms des bibliothèques nationales de Paris, de Londres et de Washington, des bibliothèques Sainte-Geneviève, de l'École de droit de Paris et de Strasbourg reviennent immanquablement. Pour le rangement des livres les deux solutions en usage sont exposées : celle de la salle de lecture tapissée de livres et celle d'un dépôt spécial comme à la Bibliothèque nationale. « Évidemment, précise J. Guadet, c'est le programme donné à l'architecte qui doit dire lequel de ces deux partis devra être adopté. » Pour ces deux architectes nous sentons bien que la partie intéressante à traiter, « le morceau à ne pas manquer », c'est la salle de lecture 15. Sur les magasins, sur les rayonnages proprement dits, il ne faut pas leur demander d'indications précises. En 15 ou 20 pages qui comportent des plans, des coupes, des façades, la chose eût d'ailleurs été difficile.
Il est un théoricien dont nous n'avons pas parlé encore, un bibliothécaire de la Bibliothèque nationale plus ou moins renié par ses collègues, qui, de son temps, fut considéré comme un révolutionnaire, presque un homme dangereux. Il s'agit d'Eugène Morel. On sait qu'il voyagea non seulement en Angleterre, mais aux États-Unis et qu'il en revînt avec une foule d'idées et surtout avec une volonté très arrêtée de modifier notre conception des bibliothèques - musée ou conservatoire du livre - pour en faire des services publics, largement ouverts à tous, avec accès libre aux rayons 16. C'est dans cette optique qu'il a proposé des magasins dans lesquels tout le monde pourrait travailler, disposés en étoile, au besoin avec des planchers à grilles permettant à un seul gardien de surveiller sur plusieurs étages tous les lecteurs 17. Il va même jusqu'à proposer de faire transporter sur rails les casiers à livres de telle ou telle division, « le casier acoustique... o u Jeanne d'Arc » par exemple, jusqu'à des ascenseurs qui apporteraient dans les salles de lecture, à pied d'œuvre en somme, les livres demandés par un lecteur. Sa « bibliothèque tournante à force motrice » témoigne d'une imagination plus d ébordante encore. Nous ne pouvons nous y arrêter ici. Si toutes ces suggestions ou « imaginations », comme il disait, ne pouvaient être prises au sérieux en 1908 et 1910, du moins a-t-il eu le mérite d'écrire et de répéter qu'une bibliothèque ne doit pas être un palais, mais un outil et que les livres doivent être placés de telle manière qu'ils soient mis le plus rapidement possible à la disposition du public, fût-ce au prix de mécaniques coûteuses, tels que des ascenseurs.
Après avoir laissé la parole aux théoriciens français, dont certains, nous ne l'avons pas caché, nous ont un peu déçus, nous voudrions pouvoir citer quelques réalisations intéressantes, quelques réussites, au moins partielles dans le domaine des constructions de magasins. Mais à l'exception de la Bibliothèque nationale de Paris et de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, nous avons toujours un peu l'impression que les bâtiments offerts aux nouvelles bibliothèques auraient convenu à n'importe quel autre usage. Nous constatons aussi, en visitant les bibliothèques aménagées à cette époque, que la primauté du bois sur le métal reste incontestée presque partout, que 80 à 90 % des rayonnages muraux ou en épis ont plus de 2,30 m de haut, que le règne des galeries à balustres suspendues au-dessus de salles de plus de 10 m de haut est loin d'être aboli, qu'enfin le personnel est toujours convié à jouer les écureuils dans un dédale de pièces, d'escaliers à vis et de combles poussiéreux impropres à la conservation des livres.
Je regrette pour ma part de ne pas avoir vu avant ses dernières et heureuses transformations la Bibliothèque de Clermont-Ferrand construite de 1903 à 1905, dont Jules Laude était alors le bibliothécaire. Parlant de ses locaux, Pol Neveux, dans un rapport manuscrit des 9-10 mai 1910, en faisait l'éloge : « On sait que nous les choisissons comme types chaque fois que nous engageons une ville à construire une bibliothèque. Clermont-Ferrand est à coup sûr, de ce côté-ci du Rhin, l'établissement modèle. » Si ce fut bien la réussite complète dont parle Pol Neveux, le bibliothécaire en fut certainement le principal artisan. N'est-ce pas lui qui remarquait en 1900, de retour d'Allemagne : « En France, les architectes ont une tendance à vouloir tout faire par eux-mêmes sans se préoccuper des observations que les bibliothécaires peuvent leur adresser. Il en résulte souvent des malfaçons... » et de citer l'exemple d'Alger où la nouvelle bibliothèque se compose, en tout et pour tout, d'une salle immense dans un coin de laquelle le bibliothécaire a dû, une fois les travaux terminés, faire établir à l'aide d'un galandage une sorte de cage disgracieuse qui lui sert de bureau... et de faire de sérieuses réserves sur les futurs locaux de la Bibliothèque universitaire de Lille dont les travaux étaient alors interrompus depuis trois ans faute d'argent. Encore était-ce là un bâtiment indépendant destiné à abriter la seule bibliothèque et construit spécialement pour elle ! « Ce principe, écrivait-il dans le même article 18, fut malheureusement méconnu en France. Nous n'en voulons pour preuve que la nouvelle bibliothèque de la Sorbonne... Elle est de celles qu'on démolit en Allemagne pour en faire des neuves. »
A la veille de la guerre de 1914-1918, parmi les bibliothécaires français, un courant se dessine en faveur d'une amélioration des installations. Ce vœu, formulé au Congrès de Bruxelles de 1910, « que les plans établis par les architectes soient toujours soumis à l'approbation des bibliothécaires qui auront le droit absolu d'amender les plans en question » en fournit un témoignage. Dans le plan type proposé par Marcel Langlois en 1914 19, on sent que les idées émises par W. F. Poole, Graesel, Laude, J.-L. Pascal, J. Cousin ont, petit à petit, fait leur chemin et qu'il suffirait de trouver quelques architectes attentifs et quelques millions de francs pour réaliser des bâtiments économiques, bien adaptés à leur fonction et réservant néanmoins l'avenir.
Il est un fait que, la guerre finie, en moins de 10 ans plus de 15 bibliothèques, dont certaines relativement importantes 20 furent construites sur des bases nouvelles, selon des plans minutieusement étudiés, avec des magasins presque tous normalisés. Quelques travaux purent également être accomplis au sein même de grands établissements, dont la plupart avaient d'ailleurs pour but d'augmenter la capacité des magasins 21. Cette fois le métal triomphe et surtout un mobilier aux dimensions normalisées qui permettra de ranger, dans un volume donné, le maximum de livres, tous accessibles sans échelle à des personnes de taille moyenne.
Dans cette période, les écrits, au lieu de les précéder, vont presque tous suivre les réalisations. Les petits manuels de Seymour de Ricci, de Bach, de Crozet et surtout le numéro spécial de l'Architecture d'aujourd'hui de mars 1938 consacré aux bibliothèques, ainsi que l'article signé de M. Roux-Spitz dans le tome 18 de l'Encyclopédie française, confirmeront et sur certains points préciseront les dispositions qui ont été adoptées dans les années immédiatement antérieures.
La deuxième guerre mondiale va créer une nouvelle coupure, briser pour un temps l'élan qui avait été donné, mais sur les ruines qu'elle a accumulées, de nouvelles bibliothèques vont renaître dont certaines sont déjà achevées. On saura dès lors à quelles exigences, à quelles règles, les magasins à livres devront répondre pour être vraiment « fonctionnels ». Ce sont ces exigences, ces règles que nous voudrions rappeler maintenant avant de passer en revue les diverses solutions adoptées par les architectes et les fabricants de rayonnages métalliques auxquels ont été confiés la construction et l'équipement de ces magasins nouveaux.
Caractéristiques des magasins à livres
Il semble que tout ait été dit sur le magasin à livres idéal et nous pourrions sans doute, en faisant référence à une demi douzaine d'ouvrages ou d'articles de revues 22, nous dispenser de redire, après tant d'autres, quelles dispositions il convient d'adopter pour obtenir un magasin répondant à ces trois conditions primordiales : abriter, sans danger pour eux, le maximum de livres, directement accessibles - et sans escabeau - à un homme de taille normale, assurer la communication la plus rapide de l'ouvrage demandé à partir d'une salle de travail située à proximité immédiate, être d'une construction économique et d'une exploitation, elle aussi, la moins onéreuse possible. Des bibliothécaires, des architectes, des installateurs de rayonnages se sont depuis longtemps déjà penchés sur ce problème et il faut bien avouer que les solutions offertes aux architectes, s'ils veulent atteindre les trois objectifs rappelés plus haut, sont relativement peu nombreuses et que par conséquent certaines limites sont données à l'invention architecturale, du moins lorsqu'il s'agit de ne construire que des « blocs-magasins » 23.
Ayant eu nous-mêmes l'occasion d'examiner bien des dossiers, d'étudier bien des plans, de discuter avec un très grand nombre de bibliothécaires, d'architectes, d'ingénieurs et d'entrepreneurs, des matériaux et des dispositions techniques les meilleurs pour parvenir au but recherché, nous avons été amenés soit à parfaire, si on les compare à des constructions de l'entre deux guerres, certaines installations nouvelles, soit même à remettre en question certaines mesures ou certaines dispositions qu'on pouvait croire définitivement adoptées. Dans la construction, les techniques, il est vrai, évoluent, de même que les qualités de certains matériaux changent, tandis que des matières nouvelles, les plastiques par exemple, prennent un essor considérable. Tenant compte des réponses à notre enquête de janvier dernier 24, des avis formulés ces dernières années dans les revues professionnelles que nous recevons, nous voudrions faire le point et donner ici brièvement, non seulement les caractéristiques dimensionnelles d'un « magasin à livres type », mais aussi les conclusions auxquelles nous sommes arrivés pour assurer le meilleur éclairage, le meilleur chauffage, les liaisons les plus rapides, la construction la moins chère et aussi la plus « souple ».
Caractéristiques dimensionnelles.
Pour les rayonnages proprement dits, une hauteur de 2,25 m paraît excessive à certains et nous croyons en effet qu'il vaut mieux, dans un bâtiment à construire, ne pas dépasser 2,20 m. En revanche, la portée de 1 m - ou plus exactement la longueur des tablettes y compris l'épaisseur des montants verticaux - ne saurait être discutée 25. Quant aux profondeurs des tablettes, il est beaucoup plus difficile de proposer un chiffre sans connaître les collections qu'il s'agit d'entreposer. Pour des acquisitions nouvelles, il nous semble qu'il y a intérêt à fixer, fût-ce arbitrairement, la proportion des ouvrages de plus de 22 cm de large qui entrent normalement dans la bibliothèque, par rapport aux ouvrages d'un format égal ou inférieur à 22 cm. En fait les magasins modernes étant essentiellement composés de rayonnages à double face, parallèles les uns aux autres, on a pris l'habitude de discuter moins de la profondeur des tablettes que de la largeur des rayonnages doubles ou « épis » et, pour des architectes, plus encore que cette largeur d'épi, c'est la distance entre les axes de ces épis qui doit être arrêtée une fois pour toutes,: l'ossature du bâtiment lui-même - nous en reparlerons plus loin - et surtout le rythme des ouvertures en façade, du moins dans un magasin vraiment « fonctionnel », en dépendent. Selon les cas on aura donc des rayonnages doubles, soit de 0,46 m ou 0,48 m, compte tenu d'un vide de 0,02 m environ à prévoir au centre entre les tablettes, soit de 0,52 m ou même de 0,56 m. Quelle que soit la largeur d'épi adoptée, les allées de circulation entre travées ne doivent pas être inférieures à 0,74 m.
Si l'on veut par conséquent ne pas imposer aux architectes des longueurs d'entr'axes différentes selon les étages (ou selon les emplacements des magasins dans lesquels on prévoit de mettre les formats supérieurs à 0,22 m), il nous paraît préférable d'augmenter un peu la largeur des allées entre épis réservés aux formats inférieurs, en sorte qu'on ait partout, à 1 ou 2 cm près, 1,30 m d'entr'axes (c'est-à-dire, pour les ouvrages d'un format égal ou inférieur à 0,22 m, une largeur d'épi de 0,46 m ou 0,48 m, y compris le vide médian entre tablettes et une allée de 0,82 m ou 0,84 m; pour les ouvrages de plus de 0,22 m, une largeur d'épi de 0,50 m à 0,54 m et une allée de 0,80 m à 0,76 m). Il va de soi que si la proportion des ouvrages d'un format supérieur à 0,22 m est très faible, on pourra réduire la longueur d'entr'axes à 1,22 m et mettre les grands in-quarto et les in-folio à part, sur des rayonnages muraux par exemple.
Certains préconisent des profondeurs de tablettes plus grandes en bas qu'en haut. Nous n'en sommes pas partisans : sans parler du caractère peu esthétique de tablettes d'inégales profondeurs, les livres des tablettes les plus profondes, placées généralement dans les parties basses, sont moins à l'abri de la poussière et des heurts.
Nature des rayonnages.
Dans les magasins à livres, depuis quelque 30 ans en France, le métal a remplacé complètement le bois. Le fer et la fonte, rappelons-le, avaient été utilisés dès 1858 à la Bibliothèque nationale par Labrouste pour les ossatures, mais les rayons proprement dits étaient encore en bois. Grâce à d'ingénieux systèmes d'accrochage des tablettes, à partir de perforations - véritables crémaillères en creux - ménagées le long des montants et espacées de 2 à 3 cm chacune, il est très facile aujourd'hui de déplacer une tablette en tôle et ainsi d'utiliser à plein la hauteur des rayonnages en fonction du format des livres. Nous n'insisterons pas ici sur les avantages maintes fois soulignés du métal sur le bois, du moins en ce qui concerne les rayonnages des dépôts de livres 26. La question qui continue à se poser est plutôt de savoir quel est le type de rayonnage auquel on devra s'arrêter dans la majorité des cas. Les Américains et les Allemands - essentiellement pour des raisons d'économie, paraît-il - sont restés fidèles aux rayonnages « à joues » (« bracket-type »), parfois appelés « à consoles », dont les tablettes sont en porte à faux, maintenues par les seuls poteaux verticaux éloignés les uns des autres de 1 m dont nous avons parlé plus haut et qui constituent en quelque sorte la trame des magasins à livres. C'est ce type de rayonnages que l'on trouve dans la plupart des bibliothèques françaises dont les magasins à livres ont été aménagés entre la fin du XIXe siècle et la guerre de 1939-1945, à l'exception de quelques bibliothèques importantes comme la Bibliothèque nationale de Paris et la Bibliothèque du Musée de l'homme. Dans ces deux bibliothèques, en effet, ont été installés des rayonnages à montants pleins, c'est-à-dire comportant tous les mètres dans le sens vertical, non des « joues », pleines ou ajourées, mais des parois de tôle pleines à double rangée de perforations pour l'enclenchement de tablettes à 4 tenons ou de tasseaux sur lesquels reposent les tablettes. Ainsi les livres appuient par toute la surface de leur plat sur ces montants et par là même sont protégés aussi bien des déformations - particulièrement sensibles avec des rayonnages à joues lorsqu'il s'agit de documents brochés et minces - que des effets du soleil ou d'une lumière un peu vive. Des tôles pleines formant corniche ou couverture relient les parties hautes des montants pleins et protègent ainsi de la poussière les livres rangés sur la tablette supérieure. Dans ce type de rayonnages, que les Américains appellent souvent « standard stack », on retrouve en somme la disposition offerte par des casiers en bois, comprenant des montants pleins et une tablette supérieure, qui maintient et « contrevente » l'ensemble du rayonnage. Ajoutons qu'avec les rayonnages à joues on risque toujours, surtout quand les tablettes sont déjà très chargées, d'empaler en quelque sorte sur les joues les livres qu'on veut introduire en bout de chaque tablette d'un mètre. Enfin, la hauteur des joues proprement dites, qui doit être fixée une fois pour toutes, limite les possibilités de réglage des tablettes : pour des petits formats ou des ouvrages à poser à plat, les joues font obstacle en effet au rapprochement de deux tablettes superposées. Le caractère inesthétique de ce type de rayonnages a aussi été souvent souligné : dans des magasins qui n'ont qu'un rôle conservatoire et qui sont interdits au public, cet argument ne saurait être retenu. On peut d'ailleurs, notons-le en passant, « habiller » les extrémités de travées avec des montants pleins. Il est évident que les rayonnages à montants pleins sont plus chers que les autres, mais dans des magasins modernes qui doivent abriter, soit des fonds anciens, soit des collections d'ouvrages modernes ou des revues en majorité brochés, nous pensons qu'il est finalement préférable de choisir le matériel qui assure la meilleure conservation.
Éclairage et orientation.
Longtemps en France, nous l'avons dit, les bibliothécaires ont été condamnés à mettre leurs collections dans des bâtiments qui n'avaient pas été faits pour eux, et, dans ces conditions, on ne peut s'étonner de voir un peu partout tant de travées de livres mal éclairées, en réalité trop ou trop peu, selon leur emplacement par rapport aux fenêtres et aussi selon les dimensions de celles-ci. En revanche, dans les constructions réalisées entre 1930 et 1937, notamment à Dunkerque, à Toulouse, à Nancy (centrale universitaire), à Lyon (section médecine), à Versailles (magasin annexe de la Bibliothèque nationale), on est surpris de trouver des magasins dont les ouvertures sont presque toujours excessives, parfois même constituées par de grands vitrages laissant passer le soleil qui jaunit et dessèche papiers et reliures, transformant ces magasins en serres l'été, en glacières l'hiver. Fort de cette expérience, on comprendra pourquoi aujourd'hui nous demandons aux architectes de réduire dans les « blocs-magasins » les dimensions des ouvertures sur l'extérieur, essentiellement dans le sens horizontal 27, de disposer des « pare-soleil » tels qu'à aucun moment de la journée ses rayons n'atteignent les dos des livres, d'adopter enfin des matériaux ou un système de cloisonnement intérieur des murs qui assurent la meilleure isothermie. Désireux, d'autre part, d'avoir dans la journée un bon éclairage naturel 28 de toutes les travées de livres, nous déconseillons les magasins trop larges. Compte tenu en effet des ouvertures limitées que nous recommandons, il ne faut pas espérer pouvoir éclairer convenablement, avec un jour latéral, des travées de plus de 5 à 6 m. Si donc un magasin bénéficie, comme c'est souhaitable, d'un éclairage naturel bilatéral, sa largeur ne devra guère dépasser 13 à 15 m. Pour des questions de commodité, aux allées latérales - indispensables à nos yeux 29 - peut être ajoutée, dans le cas de travées longues de plus de 6 m, une allée centrale, de 1,10 m environ, qui facilitera et rendra plus rapides les recherches.
Dans la mesure où l'architecte serait libre d'orienter le magasin à livres comme il l'entend, nous pensons que les façades percées d'ouvertures devraient être celles du Nord et du Midi, c'est-à-dire celles sur lesquelles les rayons du soleil risquent le moins de frapper en oblique ou même à l'horizontal. Dans le cas d'un éclairage unilatéral c'est au Nord-Est que devraient se trouver les ouvertures.
Que les magasins soient éclairés naturellement ou qu'ils ne puissent l'être pour certaines raisons d'ordre architectural, leur éclairage artificiel doit toujours être prévu : nous ne sommes plus au temps d'Eugène Morel où l'on renonçait encore à les éclairer, la nuit tombée 30. Une installation électrique bien faite, avec des interrupteurs pour chaque travée (ou pour 2 travées) n'offre plus de danger et n'entraîne pas de grandes dépenses d'exploitation. Dans des magasins où les allées et venues sont nombreuses, les principales allées de circulation devront être éclairées en permanence (tous les 5 à 6 m par exemple). Lampes à incandescence ou tubes fluorescents peuvent indifféremment convenir. Dans les travées de livres où l'on ne va que pour des recherches précises et où, par conséquent, les allumages ne doivent être faits que pour un temps limité, on peut encore hésiter, malgré les progrès accomplis ces dernières années, à choisir les tubes fluorescents dont l'allumage n'est pas toujours aussi rapide qu'avec des lampes à incandescence et dont l'usure reste proportionnée au nombre des allumages. Toutefois l'éclairement qu'ils procurent, si l'on a soin de disposer les tubes dans le sens des travées et de les doter de réflecteurs bien étudiés, est meilleur que celui offert par des lampes à incandescence de même puissance (40 watts) et placées aux mêmes distances (tous les 2 m). Indiquons ici qu'un sol de teinte claire améliorera sensiblement l'éclairement des tablettes inférieures, les plus éloignées des sources lumineuses.
Aération et chauffage.
Un des principaux ennemis du livre, nul ne l'ignore, est l'humidité 31. Pour la combattre, le moyen le plus sûr et le plus économique est l'aération naturelle. C'est une des raisons pour laquelle nous sommes hostiles aux magasins enterrés ou complètement aveugles, sans ouvertures sur l'extérieur. Cette aération peut être assurée grâce à de petits châssis ouvrants (30 cm X 30 cm, par exemple), disposés de part et d'autre du bloc-magasin. Il suffit généralement de les ouvrir en 2 ou 4 endroits à chaque étage pour obtenir une ventilation suffisante. Certains 32 ont préconisé une ventilation des magasins dans le sens vertical, autrement dit grâce à une circulation d'air établie d'un étage à l'autre, le long des parois vitrées et « en chicane », mais c'est un peu courir les mêmes risques qu'avec des planchers à claire-voie, à travers lesquels la chaleur monte, surchauffant les parties hautes et réduisant d'autant la température des parties basses.
Par temps humide ou très froid, il n'est plus possible de faire entrer l'air extérieur. On doit songer alors à réchauffer, éventuellement à « déshumidifier » l'air ambiant; on est ainsi conduit à penser que le chauffage le plus indiqué pour les magasins est celui par air pulsé, voire même conditionné ou climatisé. Le conditionnement d'air, on le sait, est le système le plus perfectionné de chauffage; faut-il ajouter que c'est également le plus coûteux, tant du point de vue de l'installation que de l'exploitation (frais de consommation et d'entretien, réglage par personnel qualifié). Adopté dans presque toutes les bibliothèques américaines, où il est pour ainsi dire imposé aussi bien par le climat et l'importance des variations hygrométriques que par la présence de lecteurs autorisés à y travailler, il ne peut être recommandé dans nos blocs-magasins, en raison de son coût, que si la nature et la valeur des collections qu'ils abritent l'imposent.
Parmi les autres systèmes de chauffage les plus en vogue aujourd'hui, c'est sans doute celui par sol chauffant qui conviendrait le mieux à des magasins où l'on souhaite avoir un chauffage rigoureusement continu et relativement faible (12° à 15°). Il faudrait toutefois limiter les surfaces chauffantes aux seules allées de circulation et ne jamais avoir une température au sol supérieure à 20°. Malheureusement, comme dans tout chauffage qui utilise l'eau chaude, des risques d'inondations subsistent.
La solution la plus économique, pour des magasins, reste le chauffage par convection, sous forme d'un tuyau lisse ceinturant en quelque sorte l'ensemble du bâtiment et courant à quelques centimètres du sol le long des murs extérieurs, c'est-à-dire à proximité des surfaces de refroidissement. C'est aussi le chauffage le plus facile à régler et celui dont la pose est la moins coûteuse, mais il a, entre autres inconvénients, celui de dessécher l'atmosphère. Si l'on craint une fuite des canalisations, on peut prévoir dans le sol, à l'aplomb de celles-ci, une sorte de rigole par laquelle seraient évacuées les eaux provenant d'une fuite.
Revêtements intérieurs.
Si les livres sont supportés par des rayonnages à montants pleins disposés en épis 33, comme nous l'avons indiqué plus haut, ils ne sont jamais pratiquement en contact direct avec les murs, les sols ou les plafonds des magasins qui les abritent. Pour cette raison on pourrait admettre que le ciment, la brique ou la pierre qui a généralement servi dans la construction du gros-oeuvre n'a pas besoin de revêtement, mais sans vouloir nous arrêter à l'aspect extérieur un peu fruste que présentent ces matériaux à l'état brut, il nous faut penser à un des grands ennemis du livre : la poussière. Il y a donc intérêt à supprimer le plus possible les sources de celle-ci et par suite à enduire ou à peindre plafonds et murs et à poser sur les sols des revêtements spéciaux. Dans tous les cas, on choisira de préférence des teintes claires pour les raisons déjà signalées plus haut.
Dans les magasins du type que nous avons défini et qui ne sont que des dépôts de livres inaccessibles au public, les revêtements du sol doivent être essentiellement résistants à l'usure (à celle causée notamment par les roues de chariot), faciles à entretenir et, cela va de soi, d'un prix peu élevé. Certains sont particulièrement économiques comme l'huile d'oxane qui n'est qu'un mélange d'huiles et de vernis dont on couvre le ciment, mais qui ne tient qu'un temps limité, d'autres sont plus résistants, tels que l'asphalte qui peut être coloré, les revêtements plastiques collés sans joints, les dalles plastiques, les granitos ou le grès cérame, tous assez sonores et un peu glissants - les plus confortables étant le linoléum (de 4 à 6 mm d'épaisseur), les revêtements collés à base de résines vinyliques et, bien entendu, le caoutchouc. Les uns et les autres ont été utilisés en France au cours de ces dernières années dans des magasins. Quelques-uns (dalles plastiques, terrazolith, revêtements plastiques collés, caoutchouc, par exemple) sont contre-indiqués avec des sols chauffants.
Liaisons horizontales et verticales.
Nous avons déjà souligné quelles devaient être à chaque étage les circulations horizontales à prévoir pour accéder le plus commodément aux travées de livres. Il est bien rare, en fait, quelle que soit la largeur d'un magasin à livres, que l'on puisse se dispenser d'une allée centrale : c'est à elle (ou à proximité) que doivent aboutir les escaliers (droits, à une ou 2 volées, - jamais « à vis » -), les appareils élévateurs, éventuellement les moyens mécaniques ou phoniques de liaison tels que tubes pneumatiques, téléphone, interphone, etc... Ces diverses liaisons verticales devront être situées non seulement en fonction du plan du magasin, mais aussi de son emplacement par rapport aux salles publiques à desservir. Elles pourront donc se trouver soit à une extrémité, comme c'est le cas dans les bibliothèques de Lugano, de Lucerne ou de Gand, soit au centre comme à Berne ou dans les magasins annexes de la Bibliothèque nationale de Versailles et à Gouvieux-Chantilly 34. Dans tout magasin à livres en général, les services de sécurité exigent des escaliers de secours - dont les largeurs peuvent être un peu inférieures à celles des escaliers normaux, 0,60 au lieu de 0,80 m par exemple -; de toutes manières il est conseillé d'en prévoir tous les 20 ou 25 m environ. Nous proscrivons les escaliers à marches de tôle qui sont facilement glissants et recommandons aux installateurs de placer des contremarches.
Nous ne pouvons ici entrer dans le détail des installations d'ascenseurs monte-charge (pour chariot accompagné), de monte-livres, de convoyeurs, de tubes pneumatiques. Les frais relativement élevés qu'entraînent leur pose, leur fonctionnement et leur entretien, obligent la plupart du temps à en réduire le nombre. C'est dire que leur emplacement doit faire l'objet d'une étude très attentive. Notons seulement que les escaliers ainsi que les appareils élevateurs et leur gaine doivent être dotés ou garnis de portes à fermeture automatique et de parties pleines (non de grilles) qui limitent les circulations d'air - froid ou chaud - d'un étage à l'autre et réduisent les appels d'air en cas d'incendie. De telles dispositions sont absolument indispensables lorsque le magasin bénéficie d'un chauffage par air pulsé ou est conditionné 35.
Forme, emplacement et construction proprement dite.
La largeur qui semble la meilleure pour un « magasin à livres type », éclairé de deux côtés, paraît être, nous l'avons dit, de 13 à 15 m. Selon le terrain dont on dispose, la longueur du bâtiment peut être égale ou double ou triple ou quadruple de sa largeur. S'il était trop allongé la rapidité des recherches et des communications en souffrirait, les liaisons verticales, on le sait, étant plus rapides - parce que mécaniques - que les liaisons horizontales.
En France, un certain nombre de magasins de bibliothèques empruntent ainsi une forme plus ou moins allongée, les uns avec un éclairage bilatéral (magasins annexes de Versailles, nouvelles bibliothèques universitaires d'Aix, de Marseille-sciences, municipales de Douai, de Vire et de Brest), les autres, essentiellement pour des raisons de mitoyenneté d'ailleurs, avec des ouvertures sur une seule façade (Bibliothèque municipale de Cambrai, futurs magasins de la Bibliothèque Sainte-Geneviève). Lorsque le bâtiment même de la bibliothèque prend la forme d'un U, les magasins s'étendent sur trois côtés, ainsi à la Bibliothèque centrale universitaire de Nancy et à la Bibliothèque municipale de Pau. Très souvent des exigences architecturales ou de terrain ont obligé à superposer magasins, services intérieurs et publics, les uns et les autres s'enchevêtrant alors plus ou moins; la solution techniquement la plus logique consiste à mettre les services publics au-dessus 36, elle impose cependant au public - sauf dans le cas de magasins à demi enterrés 37 - de monter des escaliers ou d'emprunter des ascenseurs dont le fonctionnement et l'entretien viennent obérer le budget de la bibliothèque. Exceptionnellement les magasins ont été placés au-dessus des salles publiques 38. Deux magasins de bibliothèques françaises, à notre connaissance, ont la disposition en demi cercle : ceux de Reims (1928) et de Beauvais (1955). Les liaisons se faisant alors par le centre sont rapides, mais des rayonnages en éventail occupent une surface plus grande que des épis parallèles.
Un des principaux avantages du bloc-magasin indépendant est de simplifier et, par suite, de rendre économique sa construction. Son extension peut aussi être plus facilement réalisée, nous dirons même peut être prévue dès l'origine, soit par surélévation, soit éventuellement par l'aménagement de magasins en sous-sol.
La technique proprement dite de la construction des magasins à livres a été souvent exposée dans des publications françaises et étrangères 39. Nous y renvoyons ceux qui voudraient avoir des précisions sur ce qu'on a pris l'habitude d'appeler « solution européenne » et « méthode américaine », ce qui ne signifie pas du tout que la première n'ait été appliquée qu'en Europe et l'autre en Amérique : dans des constructions françaises récentes ou en cours, l'une et l'autre des deux solutions ont été choisies, la première à Paris (magasins des manuscrits, des estampes, des cartes et plans de la Bibliothèque nationale), à Versailles (magasins annexes de la Bibliothèque nationale), à Caen (Bibliothèque universitaire), à Brest (Bibliothèque municipale) à Cambrai (Bibliothèque municipale), à Grenoble (Bibliothèque universitaire), la deuxième à Douai (Bibliothèque municipale), à Aix (Bibliothèque universitaire), à Gouvieux-Chantilly (Bibliothèque des Jésuites), à Rennes (Bibliothèque universitaire et Bibliothèque municipale), à Marseille (Bibliothèque universitaire des sciences). La première est sans doute plus coûteuse que la seconde et, du fait de la plus grande épaisseur des planchers, entraîne une petite surélévation du bâtiment. Mais avec des planchers en béton, distants de 4,50 m environ dans la hauteur, ce qui correspond à 2 étages normalisés de rayonnages 40, on dispose d'un volume utilisable, le cas échéant, pour des services publics. Petite concession à cette fameuse « flexibility », si recommandée par les théoriciens des États-Unis.
La méthode dite américaine, dans laquelle l'ossature entièrement métallique supporte les planchers en même temps que les rayonnages et dont les principaux avantages sont la rapidité d'exécution et le moindre prix, a elle-même été « assouplie » grâce à l'adoption d'un « module » plus large ou, si l'on préfère, grâce à un plus grand écartement des poteaux porteurs. Ceux-ci, au lieu d'être espacés de 1 m dans le sens des travées (ce qui correspond à la portée des tablettes) et de 1,30 ou 1,22 m d'un épi à l'autre (dimension des entr'axes) 41, le sont de 3 m dans le premier cas et de 3,90 m ou de 3,66 m dans le second, voire même de 6 m d'une part et de 6,10 m à 6,50 m d'autre part 42. Plus grand est le module et plus grande est la souplesse d'utilisation du bâtiment, mais plus les planchers doivent être épais pour pouvoir supporter indifféremment des salles de travail et de détente (« browsing room », « oasis ») ou des rayonnages chargés de livres. Une autre servitude subsiste : la hauteur d'étage qui n'est pas la même pour les services publics et les magasins. A la bibliothèque du Massachusetts institute of technology, le problème a été résolu en adoptant entre planchers un intervalle de 4,57 m, mais comme l'ont très justement souligné les auteurs d'un ouvrage remarquable paru en 1949 43, cette bibliothèque primitivement prévue en acier a finalement été réalisée en brique et béton et son coût a été très élevé. Faut-il ajouter que certaines installations, comme les ascenseurs, les monte-livres, les sanitaires, les gaines de chauffage, les ateliers de photographie et de reliure, ne peuvent être déplacés et qu'en créant des « aires » de travail selon les besoins, au sein même des magasins, on condamne très souvent les lecteurs à travailler à la lumière artificielle. De tout cela les partisans de la « flexibility » sont parfaitement conscients 44.
En réalité, c'est avant tout ce désir - qu'exprimait déjà avec tant de force Eugène Morel en 1908 - de mettre le maximum d'ouvrages à la disposition des travailleurs intellectuels et du public en général qui outre Atlantique conduit à chercher une telle souplesse d'utilisation des bâtiments. Pouvons-nous en France méconnaître cette tendance qui a commencé à se faire jour avant cette dernière guerre mondiale aux États-Unis et qui actuellement rencontre là-bas de plus en plus de défenseurs 45? Aux termes de cette étude sur les magasins de livres nous voudrions répondre à cette question en examinant très rapidement dans quelle mesure la « flexibilité » de nos bibliothèques est possible, si même elle est souhaitable.
Les bibliothèques américaines, nous l'avons souligné en commençant - et ceci est capital -, ont pour la plupart leurs collections classées systématiquement. On imagine alors sans peine l'intérêt qu'il y a, pour toute recherche ou étude sur un sujet donné, à se rendre directement dans la division correspondante, à parcourir les rayons pour y voir les ouvrages qui existent sur ce sujet et si possible à les consulter sur place. Il faut partir de là lorsqu'on discute sur la « flexibilité » des bâtiments. Le classement des livres selon un ordre systématique entraîne en effet des intercalations continuelles et modifie sans cesse l'importance de telle ou telle division ou sous-division. Qu'on le veuille ou non, les entrées de livres sont ainsi à l'origine de « mouvements » ininterrompus dans les travées de livres et plus ou moins imprévisibles, même en laissant sur chaque tablette une certaine marge d'accroissement.
En France, à quelques rares exceptions près, les livres sont classés par ordre d'entrée et par format dans les grandes bibliothèques municipales et dans toutes les bibliothèques universitaires. Seuls les usuels des salles de travail et les ouvrages des sections de prêt sont classés systématiquement sur des rayons de libre accès et laissés à portée de main du public. Nous ne voulons pas ici épiloguer sur les avantages et les inconvénients de notre système de classement ni sur le plus ou moins grand nombre de livres qu'il conviendrait de mettre à la disposition immédiate des lecteurs. Nous constatons seulement et nous prenons acte en vue de l'établissement des programmes et des plans de bibliothèques à construire ou à transformer. Compte tenu de cette situation de fait et tant que de nouvelles instructions ne seront pas venues modifier les classements actuellement en usage, tant que la législation n'aura pas non plus apporté quelque assouplissement à l'inaliénabilité des collections publiques, au nom de laquelle il est difficile sinon impossible de supprimer le moindre manuel scientifique édité au début du XIXe siècle et complètement périmé, nous ne voyons pas très bien comment nous pourrions renoncer aux dépôts de livres et pourquoi nous ne continuerions pas à rechercher les moyens de mettre dans un bâtiment déterminé le maximum de livres et de les placer de telle manière qu'ils soient non seulement bien conservés mais qu'ils puissent aussi être facilement et rapidement communiqués, tout ceci avec le minimum de dépenses.
Dans de très grandes bibliothèques - dans celles surtout qui voient leur public s'accroître d'année en année - nous reconnaissons qu'il peut être utile d'agrandir les salles de lecture en récupérant par exemple un double étage de magasins; nous l'avons d'ailleurs prévu dans certains bâtiments en cours de construction. Ceci suppose, soulignons-le en passant, que les magasins pourront eux-mêmes s'étendre en hauteur ou en surface 46.
En revanche il nous paraît beaucoup plus difficile d'envisager un travail suivi dans les magasins par des travailleurs privilégiés, étant donné le classement des collections, à moins que des fonds spéciaux et classés ne rendent un travail sur place vraiment fructueux. Ces fonds devraient alors, nous semble-t-il, être conservés dans une partie des magasins susceptible d'être cloisonnée et qui bénéficierait d'un éclairage, d'un chauffage et d'un confort particuliers.
L'installation de « carrels » ou petits boxes de travail dans les magasins, pour les mêmes raisons, ne nous paraît souhaitable que si les collections sont classées de telle sorte que des recherches utiles puissent y être faites : c'est le cas, par exemple, des collections de périodiques ou de suites. Il faudrait alors les grouper dans certains étages et placer dans les carrels des prises de courant force permettant le branchement d'un chauffage électrique d'appoint. Le professeur Georg Leyh, dès 1933, avait déjà signalé dans le Handbuch der Bibliothekswissenschaft les servitudes (supplément de chauffage et d'éclairage, perte d'une place précieuse, etc...) qu'entraînait l'installation de ces carrels. Pratiquement les Américains en sont venus des carrels à la bibliothèque « flexible », aux départements spécialisés offrant à la fois des surfaces de travail et des collections à portée de la main. Nous venons de voir pour quelles raisons cette formule n'était guère applicable aux bibliothèques françaises.
En bref, le problème du magasin à livres dans nos bibliothèques ne se pose pas du tout de la même manière que dans les bibliothèques des États-Unis. Importance des fonds anciens, classement par ordre d'entrée, impossibilité de mettre au pilon ou de se débarrasser des livres « morts », crédits très limités, personnel réduit, telles sont quelques-unes des caractéristiques de nos grandes bibliothèques. Elles commandent, jusqu'à nouvel ordre, notre conception du magasin à livres. A la condition que les solutions de plus grande souplesse des magasins n'entraînent pas de dépenses excessives, nous sommes prêts à les adopter. Nous cherchons plutôt, à la vérité, à construire les magasins les plus denses, les plus compacts, et aussi les plus économiques qu'il se peut, prêts à adopter, s'il le faut, pour des fonds anciens et peu consultés des systèmes de rayonnages mobiles à grande densité 47. Dans ce dernier cas la surcharge imposée aux planchers est très grande, les architectes doivent en tenir compte. Ces rayonnages posent par ailleurs d'autres problèmes (ventilation, éclairage naturel et artificiel, sécurité du personnel), plus ou moins difficiles à résoudre; nous ne pouvons nous y étendre ici.
De toutes manières, et quelle que soit la simplicité apparente que présente la construction d'un bloc-magasin, les bibliothécaires - l'expérience l'a maintes fois montré - ne précisent jamais suffisamment aux architectes leur programme et leurs desiderata. Nombreuses pourtant sont les précisions qu'il faut fournir si l'on veut que les collections de nos bibliothèques soient conservées sans risques d'humidité, de sécheresse, d'inondation, d'incendie ou de vol et qu'elles soient communiquées aux lecteurs ou aux emprunteurs avec le maximum de célérité, Puisse cet article avoir contribué dans une certaine mesure à les leur donner.