Les bibliothèques pour aveugles
C'est seulement en 1771 que naquit l'idée de développer l'instruction des aveugles. Valentin Haüy, assistant à un concert donné à Paris dans un café de la foire Saint-Ovide, par des aveugles sans ressources, vêtus de façon grotesque, tournés en ridicule pour la distraction du public, s'émut de leur sort 1. Sans instruction, ils ne pouvaient gagner leur vie que par des moyens avilissants. Soucieux de les rendre à une vie honorable, Valentin Haüy se donna pour but « d'étudier, d'appliquer et de propager tout ce qui peut concourir à l'instruction, au soulagement, bref au bien matériel et moral des aveugles » 2. Pour les instruire, il fallait trouver un système de lecture et d'écriture.
Valentin Haüy pensa utiliser des caractères en relief que les aveugles déchiffreraient avec les doigts. En 1784, il prit comme premier élève un jeune aveugle qui mendiait sous le porche de Saint-Germain-des-Prés. Il le fit lire sur des caractères mobiles en relief groupés en mots et en phrases. C'était un procédé de lecture lente. Mais il fallait donner aux aveugles la possibilité d'écrire. C'est par hasard que Valentin Haüy put perfectionner son système grâce à son élève lui-même. Celui-ci en fouillant sur le bureau de son maître trouva un billet d'invitation ayant conservé en relief l'empreinte de certains caractères qu'il put lire facilement. Valentin Haüy pensa, dès lors, à tracer des signes avec le manche d'un canif à tailler les plumes d'oie. Les caractères romains assez grands, ainsi dessinés en relief, permettaient aux aveugles de lire un peu plus rapidement. De plus ce système leur laissait entrevoir une possibilité d'écrire. En 1819, Charles Barbier, en re mplaçant les lettres par des points, plus tangibles pour les doigts, fut le promoteur d'un système de lecture et d'écriture, à l'usage exclusif des aveugles. Composée de 36 signes cette écriture dite « nocturne » était encore insuffisante. Le nombre restreint de ses combinaisons ne répondait pas à tous les besoins des aveugles lettrés. Néanmoins la base était trouvée, ce fut un jeune aveugle, Louis Braille, qui, en 1825, mit au point en le perfectionnant ce système. L'écriture braille composée de points, plus faciles à lire mais surtout plus faciles à tracer, fournit 63 combinaisons à partir de 6 points rangés sur deux lignes verticales. Ainsi non seulement toutes les lettres de l'alphabet, mais encore les signes de ponctuation, les signes musicaux et les signes sténographiques peuvent être lus et écrits par les aveugles, à l'aide d'un poinçon et d'une tablette. Une petite machine simple leur permet de les écrire plus rapidement. Toutefois quelques inconvénients demeurent, le principal étant la difficulté de trouver un grand nombre de copistes. En outre, l'encombrement et le poids des volumes en braille sont considérables; le moindre ouvrage transcrit sur un papier spécial épais occupe 5 ou 6 volumes; l' « Histoire générale » de Lavisse représente 457 volumes en braille intégral. Dès 1918 on a essayé de réduire cet inconvénient en employant un « braille abrégé » qui depuis trois ans à peine a cédé le pas au « braille amplifié ». Ce dernier système d'abréviation consiste a remplacer des fins de mots ou des expressions courantes par un seul signe. Mais c'est l'imprimerie qui réduit le plus le nombre des volumes, elle utilise en effet les deux côtés de la feuille tandis que la copie à la main n'en utilise qu'un. Pendant 70 ans, de nombreux systèmes inspirés du braille virent le jour dans différents pays, des congrès furent réunis; l'adoption de caractères ayant la même valeur que dans le braille français fut préconisée. La dernière conférence internationale d'experts pour l'unification du braille s'est réunie à la Maison de l'Unesco en mars 1950 1. Toutefois le « moon » composé de caractères plus gros et plus clairs a été conservé en Grande-Bretagne pour les personnes âgées aux doigts moins sensibles. C'est aussi pour les personnes atteintes de cécité à l'âge adulte (blessés de guerre), pour celles dont le travail quotidien a émoussé la sensibilité des doigts (vanniers, par ex.), pour celles qui ne peuvent se servir de leurs mains, et enfin pour les illettrés, qu'un américain, R. B. Irwin, a conçu en 1934 le « livre parlé », c'est-à-dire l'enregistrement d'œuvres littéraires ou instructives sur disques. Ce sont de grands disques incassables, qui tournent à la vitesse de 28 tours-minute, chaque face pouvant donner une vingtaine de minutes d'audition. Ils offrent l'avantage d'être moins encombrants que les livres imprimés (Christmas Carol est enregistré sur 6 disques. Autant en emporte le vent qui nécessitait 51 volumes en Braille est enregistré sur 80 disques). Actuellement, on tend à les remplacer par des bandes enregistrées moins fragiles et encore moins encombrantes. Quoique joués lentement par des appareils spéciaux, les disques et les bandes ne retiennent pas autant l'attention que les livres écrits et permettent moins facilement de retourner en arrière. En 1954, le Conseil de la F.I.A.B. réuni à Zagreb 3 a étudié au cours d'une de ses séances la nécessité d'une certaine normalisation dans le domaine des « livres parlés » qui doivent compléter les livres écrits.
Livres parlés et livres écrits coûtent très cher et tous les aveugles ne peuvent se les procurer. Il est donc apparu comme nécessaire, plus encore que pour les voyants, de réunir les ouvrages, écrits ou enregistrés, dans des bibliothèques et discothèques.
En France et à l'étranger, il existe des bibliothèques pour aveugles : certaines sont dans des établissements d'enseignement ou de rééducation, d'autres ne sont qu'un fonds spécial dans les bibliothèques pour voyants.
A Paris, deux bibliothèques importantes sont à leur disposition : celle de l'Association Valentin Haüy, la plus ancienne, et celle de l'Union des aveugles de guerre.
Fondée en 1886, avec quelques centaines de livres, la Bibliothèque Braille était alors installée dans une pièce de l'appartement d'un aveugle, M. de la Sizeranne. Après quatre déménagements successifs, elle occupe aujourd'hui des locaux spécialement construits et aménagés pour elle à l'Association Valentin Haüy 9, rue Duroc, Paris 7e. 11 km de tablettes de rayonnages métalliques équipent 7 salles d'un bloc-magasin, les volumes rangés sur la tranche longue y sont tous à portée de la main, la tablette la plus élevée étant à moins de 2 m du sol. La cote indiquée en braille sur un plat de la couverture permet au personnel aveugle, doué d'une mémoire extraordinaire, de retrouver rapidement les ouvrages. Ceux-ci au nombre de 25.000 représentent un total de 160.000 volumes. Ces livres sont imprimés ou transcrits à la main. Les 9/10 sont copiés à l'aide de la tablette et du poinçon par des copistes bénévoles et par quelques copistes choisis parmi les aveugles des maisons hospitalières (en particulier des Quinze-Vingts). Les copistes qui étaient au nombre de 450, en 1953, sont aujourd'hui 950. Les livres imprimés sont surtout des livres d'études - manuels scolaires, extraits littéraires - qui doivent être transcrits en plusieurs exemplaires. Ce sont des Associations qui s'en chargent : « La Société d'impression et de reliure pour les aveugles » dans le même local que l'Association Valentin Haüy, « La Lumière par le livre » 4 et « La Croisade des aveugles » 5.
Le bureau des copistes, qui est en même temps le service des entrées de la Bibliothèque Braille, distribue les ouvrages à transcrire suivant les demandes et les goûts des copistes. Il possède un dossier au nom de chacun, où sont notés les titres des ouvrages déjà copiés et de ceux en cours; il leur fournit le papier nécessaire. Il reçoit les ouvrages transcrits, les vérifie et les corrige s'il y a lieu. Composé d'aveugles, le bureau comprend toutefois une personne voyante qui correspond avec les copistes et les éditeurs, à qui doit être demandé l'autorisation de reproduction.
Grâce à l'accroissement du nombre des copistes en 1955, la bibliothèque, qui s'était enrichie de 4.000 volumes en 1954, a vu ses collections s'accroître d'environ 4.200 volumes, cette année. Les livres à recopier sont choisis par le directeur de la Bibliothèque Braille qui se tient au courant de la production par les revues bibliographiques, et tient compte, en même temps, des demandes de ses lecteurs, en particulier des étudiants. A cet effet, chaque année, au mois de mai, une annonce paraissant dans le Louis Braille, journal pour les aveugles, invite les étudiants à faire connaître les titres des manuels à transcrire pour leurs programmes de l'année suivante, manuels que l'Association se fait un devoir d'établir en priorité en écriture braille.
Les livres copiés sur des feuilles de papier cartonné spécial sont ensuite envoyés à l'extérieur 6 pour être reliés en demi-toile noire, en insérant dans chaque couture un quadruple onglet pour compenser l'épaisseur de l'écriture. Les livres sont catalogués pour l'usage intérieur sur un fichier établi en braille en double exemplaire ; la partie en relief de l'écriture est tournée vers le fond du tiroir pour permettre la lecture de bas en haut par le personnel entièrement aveugle. L'un de ces fichiers est au bureau des copistes, l'autre au service bibliothèque, un troisième en « noir » est utilisé par le secrétariat du bureau des copistes. Ces catalogues sont des catalogues alphabétiques d'auteurs, mais de nouveaux fichiers-matières sont en préparation. Pour les lecteurs, il existait un catalogue imprimé, en noir, assez ancien 7. Aujourd'hui un catalogue des romans, en braille, est à leur disposition, celui de la section histoire est en cours, ceux des sections religion, sciences, poésie sont en préparation. Une personne y est affectée spécialement. Lorsque les trois premiers : romans, histoire, religion seront achevés en braille, la bibliothèque a le projet de les faire imprimer en noir. Actuellement les nouveaux ouvrages entrés à la Bibliothèque Braille sont annoncés tous les mois dans le Louis Braille.
La Bibliothèque est divisée en trois sections : une section générale, une section musicale et une section spéciale pour le centre de rééducation de l'Association. Ouvrages de littérature, histoire, philosophie, religion, sciences, etc... composent la première, 15.000 œuvres musicales (soit 25 à 30.000 volumes) forment la seconde, enfin des livres professionnels (massage, secrétariat, agriculture, radio, travaux ménagers, technique des instruments de musique) forment la dernière. La bibliothèque a également un « service de revues circulantes » qui prête 14 périodiques en braille.
La bibliothèque compte 7.200 lecteurs dont 2.000 parisiens venant souvent chercher eux-mêmes leurs livres. En 1954, 106.000 volumes ont été prêtés et en 1955, 107.000 au profit de 14.000 demandes de lecteurs dont 6.000 émanant de lecteurs parisiens. Le prêt par correspondance est le plus actif; plus de 5.000 lecteurs dont 370 à l'étranger envoient des demandes à la bibliothèque. Ils bénéficient d'un tarif spécial très faible consenti par les P. T. T. pour le transport des « impressions en relief à l'usage des aveugles » : 1 franc pour 3 kg ou fraction de 3 kg. Les frais sont à la charge de l'Association à l'aller et à la charge du lecteur au retour. Tous les jours 20 à 30 gros sacs postaux pleins de livres sortent de la bibliothèque et l'on en compte autant au retour. Les livres ainsi expédiés, sont entourés d'une bande de moleskine, les étiquettes écrites par une personne voyante. Les lecteurs les renvoient dans le même emballage en se servant des étiquettes spéciales (1 par volume) jointes aux livres lors de l'envoi par l'Association. La durée du prêt est d'un mois et d'une année scolaire pour les livres d'étude. Un fichier en braille, tenu par les employés aveugles, permet le contrôle de ces prêts.
La Bibliothèque Braille expédie également des exemplaires de « livres parlés » sur bandes ou sur disques que lui fournit l'Union des aveugles de guerre. Jusqu'à présent la discothèque ne possède que 80 ouvrages enregistrés, mais ils ont un grand succès puisqu'elle compte 400 emprunteurs en 1955.
Quelques filiales de l'Association ont une bibliothèque : Lyon, Marseille, Rennes et Nice. Leurs collections, beaucoup moins importantes que celles de la bibliothèque parisienne, ne peuvent satisfaire toutes les demandes de lecteurs, mais ceux-ci peuvent s'adresser également rue Duroc.
Une autre bibliothèque pour aveugles fonctionne à Paris, au profit d'un nombre de lecteurs plus restreint; elle est en effet exclusivement réservée aux aveugles de guerre, c'est la Bibliothèque de l'Union des aveugles de guerre, 49, rue Blanche, Paris, 9e.
Fondée vers 1919-1920, c'est-à-dire après la première guerre mondiale, elle compte aujourd'hui 8.000 volumes représentant environ 3.000 ouvrages, dont la plupart sont en braille abrégé ou amplifié, copiés à la main par des bénévoles civils, ou à la presse sur un seul côté du papier. Les collections sont surtout riches en livres de distraction : romans, livres d'aventures et en récits historiques ; on y trouve très peu de musique car les personnes atteintes de cécité à l'âge adulte éprouvent de grandes difficultés à développer leur culture musicale. La bibliothèque de l'U. A. G. reçoit également un périodique imprimé en braille : Et la lumière fut 8.
Le personnel étant uniquement composé de personnes voyantes, les livres sont rangés normalement et le dos porte écrit en noir titres et références. Les magasins, équipés de rayonnages en bois, ont dû s'étendre dans une annexe où ont été placés les ouvrages les moins demandés.
Le prêt est uniquement un prêt par correspondance, la presque totalité des lecteurs étant de province. Le service est fait par des voyants qui connaissent parfaitement le braille, mais disposent de deux catalogues alphabétiques sur fiches « en noir »; un par noms d'auteurs, l'autre par noms d'emprunteurs. Les lecteurs font leur choix dans un catalogue imprimé en noir en 1952 9. Depuis sa publication, une centaine d'ouvrages ont été transcrits. Les œuvres nouvelles entrées à la bibliothèque sont signalées tous les mois dans le Bulletin mensuel de l'Union des aveugles de guerre. Les livres sont envoyés par la poste (au tarif spécial des impressions pour aveugles) en paquets, et prêtés pour 2 ou 3 mois, sauf les livres d'étude prêtés pour un an.
Malheureusement tous les aveugles de guerre ne peuvent lire avec leurs doigts, ou ayant appris tard lisent assez lentement. Ils ont alors recours à la discothèque du « livre parlé » très développée à l'U. A. G. : 10.000 disques et bandes enregistrés à l'Union même. Un ancien speaker s'occupe de ce service et fait tous les enregistrements, une centaine de disques ou bandes par mois, non seulement pour la discothèque de l'U. A. G., mais aussi pour les aveugles civils, et pour certains pays étrangers de langue française, en particulier la Belgique. Parmi les œuvres enregistrées (ce qui a déjà été constaté à propos des livres transcrits), les romans et récits historiques prédominent. Ils sont prêtés aux aveugles de guerre, de la même façon que les livres écrits et au même tarif. L'appareil permettant à la fois d'écouter les disques et les bandes est fabriqué par l'association et vendu au prix coûtant à ses membres.
Ces deux bibliothèques de Paris sont aidées dans leur tâche, d'une part par les filiales de l'Association Valentin Haüy, d'autre part par certaines bibliothèques municipales possédant un fonds Braille créé après la première guerre mondiale : Blois, Cherbourg, Le Mans, Toulouse et Troyes.
Le fonds Braille de la Bibliothèque municipale de Troyes est le plus modeste : 70 volumes, soit 38 ouvrages, dont plusieurs en braille abrégé, le composent. Ce sont surtout des auteurs classiques (Corneille, Molière, Racine); un catalogue dactylographié permet aux emprunteurs de faire leur choix. Ceux-ci bénéficient des mêmes conditions de prêt que les abonnés de la Bibliothèque municipale. Mais le fonds restreint est sans doute la raison du faible nombre de lecteurs. Toutefois, en accord avec la Bibliothèque Braille de Paris, la Bibliothèque municipale de Troyes centralise les demandes de prêt des aveugles de la région, qu'elle transmet une ou deux fois par an.
A Blois, le section blaisoise de l'Association Valentin Haüy, installée au Château dans une salle dépendant de la Bibliothèque municipale, possède un fonds de livres en braille déposés pendant la guerre. Ce fonds aujourd'hui très vieilli est composé de 1407 volumes recensés dans un catalogue imprimé en 1942. Le prêt des ouvrages est gratuit, mais, après un bon fonctionnement pendant la guerre, il est à peu près nul aujourd'hui.
A Cherbourg, l' « Œuvre cherbourgeoise d'aide aux aveugles », fondée en 1917, siège à la Bibliothèque municipale dont la section Braille comprend environ 1.000 titres. Seuls les ouvrages de lecture publique sont lus. Le prêt est gratuit, 142 volumes ont été empruntés par 7 lecteurs en 1955.
La Bibliothèque municipale du Mans dispose d'un fonds pour aveugles d'environ 1.800 volumes dont une partie fut donnée par les Américains (Blindfund). Les ouvrages peuvent être expédiés par la poste dans la Sarthe et les département voisins. En 1953, 55 lecteurs ont emprunté 170 livres, en 1954, 49 lecteurs en ont emprunté 161.
Le fonds Braille de la Bibliothèque municipale de Toulouse est vraisemblablement le plus important de tous ceux qui existent dans les bibliothèques municipales. Créé en 1918, il n'a cessé de s'agrandir, mais a surtout connu un grand développement de 1940 à 1944, période où les aveugles de la zone non occupée ne pouvaient pas emprunter de livres à Paris. Il s'accroît régulièrement grâce aux crédits qui lui sont affectés spécialement d'une part par la ville (86.970 F. en 1955 pour les copies et les abonnements), d'autre part par des subventions du Conseil général à l' « Association des amis de la Bibliothèque Braille » (25.000 F. en 1955). Ce fonds est divisé en deux sections, l'une générale comprenant 834 ouvrages, surtout des romans, représentant 2.851 volumes (cette section a été l'objet d'une refonte complète en 1950-51), et une section musicale de 848 titres. En 1955, les collections se sont augmentées de 60 volumes transcrits en majorité en braille abrégé. Tous les livres sont catalogués sur fiches en braille par un employé aveugle qui fait également le courrier et vérifie les ouvrages livrés par les copistes. Le catalogue a été imprimé pour voyants en 1951 et augmenté d'un supplément en 1953 10. Il est envoyé gratuitement aux lecteurs qui en font la demande. Ceux-ci au nombre de 98 en 1955 bénéficient de la gratuité du prêt après avoir toutefois acquitté un droit d'inscription de 100 F. Ils ont emprunté, touj ours en 1955, 1.026 volumes représentant 207 ouvrages et 138 numéros de périodiques (la bibliothèque est en effet abonnée à 11 périodiques en braille français, suisses et belges). Quelques emprunteurs viennent à la bibliothèque, mais la plupart des prêts sont faits par correspondance dans le département et même dans toute la région.
Ainsi en France où l'on compte 42.663 aveugles pour 39.830.000 habitants (soit 107 pour 100.000 habitants) 11 on constate le faible développement des fonds de province par rapport à l'importance des bibliothèques Braille de Paris dont une réservée exclusivement aux aveugles de guerre (2.500 en 1946). Si l'on dénombre 5.251 aveugles dans la Seine (soit 12,3 %) on comprend l'importance des prêts par correspondance des deux bibliothèques parisiennes.
A titre de comparaison nous avons pu réunir un certain nombre de documents sur quelques pays étrangers. Sans prétendre dresser un tableau complet de ce qui existe en faveur des aveugles dans tous les pays 12, nous avons pensé qu'il serait intéressant de donner une idée du développement des bibliothèques pour aveugles aux U. S. A., en Grande-Bretagne et en U. R. S. S.
Les Etats-Unis comptaient, en 1954, 308.000 personnes classées comme aveugles 13 (c'est-à-dire complètement aveugles ou ayant un degré de vision presque nul) sur une population de 162.187.000 habitants, soit 190 pour 100.000 habitants. Parmi ceux-ci moins de 10 % sont des enfants et plus de la moitié ont plus de soixante-cinq ans. 28 bibliothèques régionales de prêt aux aveugles sont approvisionnées en livres transcrits et en livres parlés par la « Division for the blind » de la Library of Congress. Celle-ci dispose d'un million de dollars par an, consacrés à la transcription et à l'enregistrement des livres (une édition de 120 copies de livres parlés coûte$3.000, une édition de 120 livres en Braille coûte$600). En 1953, elle a distribué par l'intermédiaire des 28 bibliothèques régionales un total de 1.221.079 volumes et livres parlés à 47.774 lecteurs 14. La même année elle a ajouté 350 nouveaux titres aux collections, ce qui donne, pendant les 22 dernières années, un accroissement de 4.187 titres en braille, 385 en moon et 2.604 titres de livres parlés. Elle distribue également aux 28 bibliothèques des périodiques, dont quelques-uns enregistrés sur disques, ainsi que les appareils spéciaux d'audition pour les « livres parlés ». Les bibliothèques régionales ont à leur disposition des catalogues édités et distribués par la « Division for the Blind » : l'Union catalog of hand-copied books in braille comptant 14.000 titres d'ouvrages copiés à la main par des volontaires depuis 30 ans, le Catalog of press braille books provided by the Library of Congress, enfin le Catalog of talking books for the blind 1934-1948, réimprimé en 1954 et son Cumulative supplement 1948-1953 pour les livres parlés. En 1953-54, la « Division for the Blind » a commencé la publication d'un catalogue collectif des livres pour aveugles, catalogue imprimé sur fiches par le « Government printing office » dont les premières fiches pour les livres parlés ont été distribuées gratuitement en 1955. Le choix des livres à transcrire est fait par la « Division for the Blind » sur les recommandations de comités reflétant les opinions des lecteurs aveugles dont un groupe travaille en collaboration avec les bibliothécaires des 28 bibliothèques régionales. Un comité de l'American Library Association est spécialisé dans le choix des livres pour enfants, et les titres transcrits sont en partie choisis dans les listes trimestrielles qu'il établit. En effet depuis deux ans des livres sont transcrits ou enregistrés pour les jeunes lecteurs aveugles; en 1954, première année des enregistrements pour enfants, 216 titres sur disques ont été mis à leur disposition, et 132 transcrits en écriture braille.
En Angleterre et Pays de Galles, sur 49.571.000 habitants, on comptait en 1947, 76.004 aveugles, soit 154 pour 100.000 habitants, dont 3,6 % ont moins de 21 ans et 43,2 % plus de 70 ans 15. En collaboration étroite avec le « National Institute for the blind » il existe en Angleterre une bibliothèque pour étudiants aveugles « Students' Library » et une importante bibliothèque fondée en 1882 16 la « National Library for the blind » à Londres, ayant elle-même une succursale à Manchester. La « Students' library » destinée aux étudiants est surtout composée de livres copiés à la main, dont il existe un catalogue en Braille. 935 ouvrages, soit en tout 5.479 volumes, ont été transcrits en 1949; son fonds en 1952 s'élevait à 20.000 volumes, ce qui peut paraître faible en comparaison du nombre de livres de la « National Library for the blind ». Celle-ci comptait en 1949, 205.851 volumes, et sa succursale de Manchester en totalisait 78.070 la même année 17.
C'est le « National Institute for the blind » qui se charge de la transcription de presque tous les ouvrages destinés aux bibliothèques. Il a produit, en 1951, 43.711 volumes, 28.068 brochures, 370.500 journaux et 138.654 magazines, ainsi que 1.867 volumes de musique et 9.149 partitions qui vont du classique au jazz 18. Quelques ouvrages sont encore transcrits à la main par des volontaires (1.254 en 1949 pour la National Library et 424 pour celle de Manchester) ou par le personnel même de la bibliothèque (994 à Londres et 1.668 à Manchester). Les nouvelles acquisitions, aussi bien à la National Library qu'à la Students'Library sont signalées dans un périodique édité pour les aveugles, le New Beacon. Le prêt est gratuit depuis 1916 à la National Library qui, comme l'Association Valentin Haüy, prête surtout par correspondance à tout le Royaume-Uni et même à 40 pays étrangers. Les lecteurs ainsi desservis bénéficient d'un tarif postal spécial peu élevé. En 1949, les prêts s'élevaient à 197.830 volumes pour la bibliothèque de Londres et à 144.930 pour celle de Manchester.
Depuis 1936, grâce au don important de Lord Nuffield (£ 500.000 soit plus de 5 millions de francs à cette époque) fonctionne également un service de livres parlés. Le fonds, recensé dans un catalogue édité en 1947 (en noir et en braille), augmenté d'un supplément en 1950, compte aujourd'hui plus de 600 titres. Les livres parlés sont prêtés aux mêmes conditions que les livres en braille, c'est-à-dire que seuls les frais postaux de retour, très faibles, sont à la charge des emprunteurs; 30.000 livres parlés ont ainsi circulé en 1949.
En U. R. S. S., il existe tout un réseau de bibliothèques pour aveugles. Tout d'abord, à Moscou, une grande bibliothèque spéciale fournit à ses abonnés des livres imprimés en braille et recopie des ouvrages scientifiques à la demande des lecteurs. D'autre part, il existe des bibliothèques régionales possédant des fonds pour aveugles. Par exemple celle de Kujbyšev 19 a ouvert une section pour aveugles en juillet 1947, avec 3.000 livres imprimés en relief, complétés par un certain nombre de périodiques : Žizn'Slepykh (La vie des aveugles, etc...), elle tient à la disposition de ses lecteurs des catalogues alphabétique et systématique imprimés en relief, ainsi que des listes des nouvelles acquisitions diffusées dans les ateliers et centres de recherches qui emploient des travailleurs aveugles. Des bibliothécaires « volants » desservent à domicile les lecteurs qui ne peuvent se déplacer, des bibliothèques itinérantes visitent périodiquement les centres urbains et ruraux (clubs, écoles pour aveugles, etc...) éloignés de la bibliothèque régionale; par contre, dans les centres où les lecteurs aveugles sont peu nombreux, un représentant de leur association établit la liaison avec la bibliothèque. D'autre part, l'Association générale des aveugles (qui groupe par exemple 4.500 aveugles pour la section de Moscou) communique les adresses de ses adhérents sachant lire l'écriture en relief. Ils sont alors informés des ressources que leur offre la Bibliothèque régionale, des modalités du prêt et reçoivent des ouvrages se rapportant à leur formation professionnelle et culturelle.
Enfin la bibliothèque organise des conférences pour aveugles ayant pour sujet la critique littéraire. Ainsi, en 1950, 289 lecteurs ont assisté à 7 conférences où certains d'entre eux ont fait des comptes rendus de leur lecture.
Malgré le développement de bibliothèques pour aveugles dans le monde entier, les ressources mises à leur disposition sont à l'heure actuelle encore insuffisantes. Toujours soucieux de perfectionner les moyens d'instruction des personnes atteintes de cécité, les « typhlophiles » de tous les pays s'attachent surtout à trouver des systèmes de lecture et d'écriture plus rapides. C'est ainsi qu'en Amérique et en U. R. S. S. des ingénieurs ont étudié des appareils pouvant leur permettre de lire l'imprimerie ordinaire. Un crayon électronique aux U. S. A., un appareil photoélectrique en Russie sont actuellement à l'étude. Avec les livres transcrits en braille et les livres parlés, ces systèmes, quand ils seront au point, donneront aux aveugles toutes les possibilités de s'instruire comme les voyants et d'avoir une vie normale dans la société actuelle 20.